Nous parlerons plus tard des peintures classiques qui formèrent dans ces premiers jours de Rome souterraine l'ornementation des salles funéraires.
Après la mort du bon et pacifique Nerva, nous voyons s'ouvrir l'ère des Antonins. Durant cette période, Rome et l'Empire semblèrent respirer un peu sous des princes dont les qualités relatives firent parfois oublier le joug tyrannique des anciens Césars. Les Barbares, fléau de Dieu, furent souvent forcés de reculer, et l'heure fatale de Rome en fut retardée. Mais le paganisme, avec toutes ses corruptions, n'en était pas moins au fond de la civilisation romaine, et l'Eglise, qui grandissait à vue d'œil dans une demi-paix, accélérait ses conquêtes sur toute la surface de l'Empire et au delà. Son divin fondateur lui avait appris à ne pas se fier dans les hommes, et à compter sur la tribulation. Celle-ci ne lui manqua pas plus sous les Antonins que sous leurs prédécesseurs ; car telle est sa voie. Mais il se rencontra un moment où dans la population générale de l'Empire, la majorité allait bientôt se trouver du côté des chrétiens.
Evariste avait vu finir Nerva, et vit commencer Trajan. Ce prince, nonobstant ses grandes qualités, avait plus d'un côté faible. Sans insister sur les vices honteux qui souillèrent sa vie, il était accessible à des influences qu'un caractère plus fort eût repoussées. La tendance à suivre les errements d'une légalité brutale était assez naturelle dans un soldat parvenu, et, dès le début de son règne, nous en rencontrons une preuve dans la correspondance de Pline le Jeune. Celui-ci venait d'être nommé proconsul de Bithynie, et il écrivit dans les premiers mois à l'empereur la lettre suivante :
" Dans la plupart des villes, mais particulièrement à Nicomédie et à Nicée, j'ai trouvé un certain nombre d'individus condamnés aux mines, destinés aux jeux, ou soumis à toutes autres peines ; et qui maintenant affranchis reçoivent un salaire pour les corvées auxquelles on les emploie. Ayant eu connaissance de ceci, j'ai hésité longtemps sur ce que j'aurais à faire. Il me semblait bien sévère de soumettre à la peine édictée, après un si long temps, des gens dont la plupart sont déjà des vieillards, vivant, ainsi qu'on l'affirme, d'une manière frugale et tranquille. D'un autre côté, employer avec salaire aux travaux publics des individus qui ont été frappés d'une condamnation, ne me semblait pas conforme au devoir d'un magistrat. Vous me demanderez peut-être comment il est arrivé que des condamnés aient été ainsi affranchis de la peine ; je me suis enquis moi-même, sans avoir pu rien éclaircir. On me montrait les sentences qui les avaient atteints ; mais j'ai cherché en vain les documents en vertu desquels ils auraient été libérés. Certaines personnes affirment que leur situation aurait été ainsi adoucie à la suite de suppliques auprès des proconsuls ou des légats."
On pourrait peut-être reconnaître ici une nombreuse famille de ces chrétiens, par l'exil desquels finit la persécution de Néron. Nous en avons déjà rencontré de semblables en Chersonèse. Ces exilés ont vieilli dans la déportation ; ceci s'accorde parfaitement avec les dates. Tout condamnés qu'ils sont, Pline confesse que ce sont des hommes vertueux, de mœurs graves ; des condamnés ordinaires n'offriraient pas ce caractère. Trajan répond au proconsul de Bithynie :
" Tu dois te rappeler que je t'ai envoyé dans cette province, parce qu'il s'y trouvait beaucoup d'abus à corriger. C'en est un qu'il s'y rencontre des gens condamnés à une peine, et qui, non seulement n'ont été libérés par personne, mais se trouvent placés au rang des serviteurs honnêtes. Il faut donc que ceux qui auraient été frappés d'une condamnation dans les dix dernières années, et qui n'ont point obtenu de libération de la part d'une autorité compétente, soient rendus à la peine qu'ils ont encourue. Quant à ceux dont la condamnation serait plus ancienne, et aux vieillards, affectons- les aux gros travaux qui par eux-mêmes peuvent être déjà considérés comme un châtiment."
Telles étaient les dispositions de Trajan lorsqu'en la troisième année de son règne, il lui vint des rapports de Chersonèse, sur lesquels Clément était dénoncé comme perturbateur. Vingt-cinq années s'étaient écoulées depuis le départ du saint pontife pour le lieu de son exil, et il n'avait point été rendu à sa patrie. Nous ferons observer en passant que les auteurs qui ont retardé jusqu'au règne de Domitien l'exil de Clément, n'ont pas réfléchi que les victimes de la persécution de cet empereur furent graciées par ordre de Nerva et du sénat romain. C'est en vertu de cette disposition que saint Jean revint de Patmos à Ephèse. Cette mesure bénigne n'avait pas d'application à Clément exilé sous Vespasien.
La dynastie des Flaviens avait passé tout entière sur le trône impérial, sans que l'exil du saint vieillard eût été troublé par quelque violence contre lui. Clément avait profité de cette paix pour étendre le règne du christianisme sur la terre de sa déportation, et la colonie chrétienne s'était beaucoup développée dans la Chersonèse. La superstition et la politique devaient s'entendre pour ne pas laisser impuni un tel attentat. D'après Eusèbe et saint Jérôme, ce fut dans la troisième année de Trajan, correspondant à l'an 100 de l'ère chrétienne, que partit de Rome l'ordre de mettre à mort l'auguste vieillard. Un navire apporta la sentence de César, et le supplice suivit de près. Clément fut jeté à la mer avec une ancre au cou, et de longs siècles s'écoulèrent avant que sa dépouille mortelle fût apportée à Rome.
La question légale du christianisme ne tarda pas à devenir directement une préoccupation pour Pline le Jeune dans son gouvernement. Il écrivit encore à l'empereur pour en recevoir une ligne de conduite. En commençant, il avoue n'avoir jamais assisté au procès des chrétiens, en sorte qu'il ignore encore ce qu'on doit rechercher et punir chez eux, et quelle pénalité il faut leur appliquer :
"Doit-on, demande le proconsul, tenir compte de l'âge ? peut-on user de pardon envers ceux qui se repentent ? le seul titre de chrétien, en l'absence de tout crime, constitue-t-il un délit ? Faut-il seulement sévir contre les crimes qui s'y rattachent ? Jusqu'ici, voici ma conduite à l'égard de ceux qui m'ont été dénoncés comme chrétiens ; je leur ai demandé s'ils étaient chrétiens ; sur leur réponse affirmative, j'ai renouvelé ma question une seconde et une troisième fois, en les menaçant du supplice. Quand ils ont persisté, je les ai fait exécuter. Parmi les hommes atteints de cette folie, il s'est trouvé des citoyens romains ; je les ai fait expédier à Rome. On m'a remis une dénonciation anonyme qui compromettait un grand nombre de personnes. Tous ont nié qu'ils fussent chrétiens ; j'ai cru devoir les renvoyer libres ; d'autres, après avoir été désignés par un accusateur, s'étant d'abord déclarés chrétiens, se sont ensuite démentis. D'après leur affirmation, leur tort se réduisait à se réunir à jour fixe avant le lever du soleil ; à chanter en chœur un hymne au Christ comme à un Dieu ; à s'interdire le larcin, le brigandage, l'adultère, le manque de parole, la négation d'un dépôt ; à s'asseoir à un repas commun où figurent innocemment les deux sexes. J'ai interrogé par la torture deux femmes esclaves, auxquelles on donnait le titre de diaconesses ; mais je n'ai trouvé chez elles qu'une superstition excessive. J'ai donc ajourné l'enquête, et je viens prendre une direction, devenue nécessaire, à raison du grand nombre de ceux qui se trouvent compromis. Une foule de personnes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, sont dénoncées ou vont l'être bientôt ; car cette contagion superstitieuse a gagné non seulement les villes, mais les bourgs et les campagnes. Je crois néanmoins qu'il est possible de l'arrêter et de la guérir. Déjà les temples, presque abandonnés, sont fréquentés de nouveau ; les cérémonies sacrées, longtemps interrompues, reprennent leur cours ; on trouve maintenant à vendre les victimes pour lesquelles les acheteurs étaient devenus rares ; d'où il est à conclure que beaucoup pourront être ramenés de leur égarement si l'on fait grâce au repentir."
On a lieu d'être étonné de la légèreté avec laquelle Pline traite ici le christianisme.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 251 à 258)