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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

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Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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SALVE REGINA

16 juin 2011 4 16 /06 /juin /2011 19:00

Que mon coeur reste pur et ma vie sans tache.

 

L'ornementation de l'église tout entière est fondée sur l'union de la rose et du lis, qui rappellent la couronne que l'ange déposa sur le front de Cécile et sur celui de Valérien. Ces deux fleurs des catacombes s'alternent sur les chapiteaux, et donnent le caractère du monument tout entier.

 

Sous l'autel, l'oeil du pèlerin contemple avec émotion Cécile dans la pose de son mystérieux sommeil de vierge et de martyre. C'est l'unique épreuve de moulage qui ait été prise sur le marbre d'Etienne Maderno. Connue dans Rome de plus d'un amateur durant plus de cinquante ans, disputée et marchandée mille fois dans un magasin de copies de l'antique, où elle attendait son heure, la munificence d'un prince de l'Eglise et le culte fervent d'un ami envers sainte Cécile l'ont amenée jusque sous cet autel, pour être l'âme du monument tout entier, et compléter l'hommage que notre région septentrionale a osé offrir à la radieuse héroïne, qui unit aux couronnes de Rome antique la triple palme de la virginité, de l'apostolat et du martyre.

 

Nous avons conduit jusqu'à l'heure présente les récits qui retracent la vie posthume de Cécile, et le lecteur a pu voir en elle avec quel éclat la gloire dont les saints sont environnés dans le ciel se reflète quelquefois jusque sur la terre. Pour raconter cette vie en son entier, nous avons dû remonter jusqu'aux siècles de la république romaine,  rechercher les origines prédestinées de Cécile et faire intime connaissance avec la noble race de laquelle Dieu voulut tirer cette vaillante coopératrice de ses desseins. Son passage à elle sur cette terre a été rapide ; mais ses traces n'ont pu  s'effacer.   Une Providence  spéciale a veillé pour raviver sans cesse son souvenir, et maintenir en quelque sorte sa présence toujours sensible au sein de l'Eglise pour laquelle elle a vécu.

 

Qui ne comprendrait que ce rôle mystérieux a un but ? Outre les jouissances qu'une telle vie sans cesse rappelée procure à la piété, et la semence de vertus qu'elle jette dans les âmes, n'est-il pas évident que le ciel veut remettre sous nos yeux, par ces retours successifs de la vierge romaine, la vaste et sublime économie selon laquelle Dieu a réglé ici-bas l'application de ses desseins  de  miséricorde  sur le  monde ?  Nous avons dit au début de ce livre, et nous répétons en le terminant : "Les annales de Rome sont la clef des temps."

 

Pour saisir dans son ensemble la pensée divine, il faut remonter au peuple juif et saluer d'abord Jérusalem qui fut l'héritage du Seigneur, ainsi que l'appellent David et les prophètes, et arrêter ensuite ses regards sur la ville aux sept collines, préparée de longue main pour recueillir la succession de la fille de Sion, devenue infidèle. Transformé par le baptême de Césarée,   l'élément   romain   devient   désormais l'auxiliaire de Dieu et de son Christ. En dépit des  rêveurs  qui  se font  un jeu  de l'histoire, Pierre est le véritable conquérant de Rome, et Rome a vaincu par lui le paganisme et toutes les erreurs.  Par lui la chrétienté est devenue une famille, de lui est sorti le monde civilisé.

 

Mais comme moyen de ce grand œuvre, Dieu avait choisi l'élément romain. Ne l'avons-nous pas retrouvé,  ce génie à la fois conquérant et conservateur, chez Clément, le disciple de Pierre, dont les gestes et les écrits sont venus jusqu'à nous ?  Cette gravité,  cette décision,  cette force pleine de calme, où les avait-il puisées, après la grâce divine, ce rejeton des Claudii, sinon dans les traditions de Rome antique ? Ses successeurs lui  ressemblent,   quelle  que  soit  leur origine. Aussi, quelle unité de vues dans le gouvernement ! quelle attention à concilier la vigilance avec la conquête ! quelle discrétion et quelle patience dans l'action ! Qu'on se rappelle cette longue et épineuse affaire de la Pâque ; ce travail incessant pour maîtriser les sectes hérétiques que l'Orient vomit sans cesse sur Rome, et maintenir intacte dans sa foi la population chrétienne ; cette consistance que n'ébranlent pas même de cruelles défections, comme celles d'un Tatien ou d'un Tertullien ; cette science d'organisation qui maintient en relation de charité toutes les classes et toutes les races, qui, dès l'origine, songe à partager les régions de Rome, à créer des notaires, à concilier avec une existence longtemps ignorée le développement colossal d'une Rome souterraine qui luttera bientôt d'étendue avec la Rome publique. N'est-ce pas là le génie de l'antique sénat, appliqué et transmis par la dynastie de ces intègres pontifes, qui n'ont pas seulement occupé l'un après l'autre le poste de Pierre, mais ont hérité de sa vigilance et de son amour paternel pour la race humaine tout entière ?

 

Quant à Cécile, les faits nous l'ont assez révélée. Elle est romaine, et du plus pur sang. Des preuves incontestables ne nous contraindraient pas à remonter son existence jusqu'au temps des Antonins, que l'on éprouverait déjà de la difficulté à harmoniser la nuance de son caractère et de son accent avec celle de la société d'Alexandre Sévère, qui prit Rome au sortir d'Elagabale et fut impuissant à la relever. La sainte, la martyre, demeurerait toujours ; mais nous n'aurions déjà plus ce parfum primitif que nous avons senti chez Pomponia Graecina et que l'on respire encore chez Cécile. L'antique Rome s'en allait par lambeaux, à mesure que la nouvelle montait, et le moment solennel qui avait transformé l'une dans l'autre était passé.

 

Depuis longtemps déjà l'alliance avait eu lieu à Césarée entre Pierre et Cornélius. C'est pour cette raison que Rome, la vraie Rome, qui rappelle à Satan une telle défaite, est si profondément haïe de lui. Par Rome il avait cru triompher de l'humanité et demeurer indéfiniment le prince du monde. C'est Rome qui l'a vaincu. Tous les peuples avaient subi le joug des Cornelii, des Caecilii, des Valerii ; désormais ces noms sont inscrits sur le monument éternel de la défaite de l'enfer. Quand l'heure fut venue où les destinées de Rome devaient s'accomplir, nous le savons maintenant, ce furent les fils des Cornelii, des Caecilii, des Valerii, qui poussèrent cette exclamation que les peuples ont répétée tour à tour, et qui sera le dernier mot de la terre au jour où le triomphateur redescendra : Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat.

 

FIN

 

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 442 à 446)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 19:00

Vers le milieu du mois de novembre 1862, on apprit dans Rome que, par une disposition de S. Em. le cardinal Patrizzi, vicaire de Sa Sainteté et président de la commission d'archéologie  sacrée, la crypte de sainte Cécile serait ouverte, le 22 novembre, à la piété des fidèles.

 

Pie IX avait fait préparer de riches ornements à l'usage des prêtres qui désireraient profiter de l'occasion pour y célébrer le divin sacrifice. En ce jour, il y eut comme une ombre des antiques stations à ce lieu vénérable. Des dames françaises avaient eu le temps de faire confectionner un magnifique calice, et chacune avait voulu l'orner d'une pierre fine qui, par la première lettre de son nom, représentât la donatrice. Ainsi Mme la marquise Léontine de Rastignac avait donné un lapis-lazuli ; Mme la vicomtesse Sophie de Clermont-Tonnerre, un saphir ; Mlle Marie de Flaut, une malachite ; Mlle Ambroisine de Flaut, une améthyste ; Mlle Sabine de Vallin, un saphir ; à ces pierres précieuses M. Edmond de Vassart avait joint une émeraude.

 

Cependant les découvertes de la commission d'archéologie sacrée poursuivaient leur cours sur la voie Appienne, et, sur la gauche, les cryptes de Prétextat étaient interrogées à l'aide des renseignements fournis par les anciens Itinéraires. Nous avons raconté déjà comment M. de Rossi, en retrouvant la crypte de saint Januarius, fils aîné de sainte Félicité, avec l'inscription de Damase qui en déclarait l'identité, pénétrait au centre même du groupe de martyrs que signalent à cet endroit les documents topographiques. Une nouvelle page de l'histoire de Rome chrétienne primitive était donc encore retrouvée. Huit années s'écoulèrent dans de fécondes recherches, et en 1865, sur la voie Ardéatine, grâce au généreux concours dont nous avons parlé, le vestibule et le grand ambulacre de Domitille vinrent nous révéler l'entrée solennelle et patente du magnifique cimetière désigné aussi sous le nom de Nérée et Achillée. Le point de départ avait été le milieu du troisième siècle, qui avait rendu au cimetière de Lucine le tombeau de Cornélius ; bientôt on était remonté au règne de Marc-Aurèle et de Commode, par la crypte papale et le tombeau de Cécile ; celui de Januarius nous reportait au milieu du deuxième siècle, et les constructions chrétiennes de Flavia Domitilla nous établissaient à l'âge apostolique, au premier siècle de Rome souterraine.

 

Il serait utile et agréable à nos lecteurs de parcourir avec nous la série des découvertes dans Rome souterraine, qui ont suivi celles que nous venons de signaler et que l'on peut bien appeler capitales. Outre les deux premiers volumes de la Roma sotterranea cristiana, dont la suite est attendue  par  le  public  avec  tant d'impatience, M. de  Rossi, dans son Bulletin  d'archéologie chrétienne, n'a cessé, pour ainsi dire, d'enregistrer de nouvelles conquêtes au profit de l'histoire de l'église mère. Les limites de notre sujet nous bornent trop pour nous permettre de suivre ses nombreuses et intéressantes excursions ; mais nous ne voulons cependant pas terminer ce volume sans revenir un moment sur une découverte qui se rapporte à notre sixième chapitre, et qui a eu pour résultat de confirmer l'antiquité de la tradition sur le lieu du martyre de saint Paul, et sur les trois fontaines que la piété y vénère.

 

Le monument érigé par le cardinal Aldobrandini, en 1099, sur ce lieu sacré, et dans lequel il avait songé seulement à encadrer les trois fontaines, chacune dans un autel, ne portait point avec lui la preuve de l'antiquité de cette tradition. Tout était moderne dans cette construction. Des travaux récents, exécutés en 1868, ont mis à découvert d'anciennes substructions attestant la vénération des premiers siècles du christianisme pour ce sanctuaire et pour les trois sources auxquelles, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, saint Jean Chrysostome semble avoir fait allusion. Le coup d'œil de M. de Rossi sur ces précieux débris n'a pas tardé à en faire sortir un nouvel incident archéologique qui ne peut que favoriser la piété des fidèles, tout en restituant une page nouvelle aux annales de Rome chrétienne. Les marbres mis au jour dans les fouilles ont appris que le saint pape Sergius Ier avait, en 689, restauré le monument des Trois-Fontaines en l'honneur de saint Paul, et une construction plus ancienne, se rapportant au cinquième siècle, est venue montrer qu'au temps des Léon et des Gélase, on reconnaissait en ce lieu et en ces fontaines un souvenir de l'âge apostolique. Mais nous ne pouvons poursuivre cette digression; il nous faut reprendre le récit des hommages que notre dix-neuvième siècle a offerts à la grande martyre romaine.

 

Les importants événements de la voie Appienne coïncidaient avec un développement nouveau de la piété catholique envers Cécile ; et il est juste de dire que notre âge aura fait beaucoup pour sa gloire. L'art, en nos jours, s'est plus d'une fois essayé au sujet de cette noble figure ; mais le sens chrétien est trop faible chez nous encore, pour que l'on eût droit d'attendre quelqu'une de ces manifestations qui font voir que les saints sont compris et appréciés comme dans les âges de foi. Cependant, après le marbre de David (d'Angers)  et le  tableau de  Paul  Delaroche, si dépourvus l'un et l'autre de tout caractère chrétien, il nous a été donné de voir enfin le rôle et la dignité de Cécile exprimés noblement sur une  grande œuvre de peinture religieuse. Nous voulons parler de la solennelle procession des saints et saintes vers le Christ, que le pinceau de Flandrin a su disposer comme une frise animée, et avec une si noble harmonie, dans l'église de Saint-Vincent-de-Paul, à Paris. On a vu que le premier monument des  arts  qui nous soit resté en l'honneur de sainte Cécile, dans la basilique de Saint-Apollinaire de Ravenne,  la fait figurer dans une procession de vierges ; c'est aussi au milieu d'un groupe de vierges que Flandrin l'a peinte,  dominant ses soeurs par l'élévation idéale de sa taille, et représentant l'harmonie des concerts célestes.

 

Depuis le renouvellement du culte de Cécile, la poésie s'est levée aussi pour célébrer ses grandeurs. L'estime publique et une sincère admiration ont accueilli l'oeuvre dramatique si remarquable que M. le comte Anatole de Ségur lui a consacrée. Son poème tragique intitulé Sainte Cécile, publié en 1868, est entre les mains de tout le monde. La beauté des vers et la conduite du dialogue y sentent la grande école, et cette œuvre fera honneur au siècle qui l'a produite. Nous eussions aimé que le poète, dans l'entretien de Cécile avec Valérien au soir des noces, eût évité de faire dire à l'héroïne qu'elle ne peut accepter les conditions conjugales, parce qu'elle est chrétienne ; c'est sur les engagements spéciaux qui l'enchaînaient au Christ comme à son époux qu'elle devait insister. Le remplacement de quelques vers enlèverait la trace d'un moment d'oubli durant lequel le poète a été entraîné par son sujet. Nous ne pouvions louer sans cette restriction une œuvre si parfaite d'ailleurs, mais dans laquelle il importe d'autant plus que la vraie doctrine du christianisme soit exprimée. Les heureux développements que depuis ont obtenus les annales céciliennes, fourniront peut-être au poète l'occasion d'enrichir encore son œuvre, et nous oserions presque l'y convier.

 

Quelques années auparavant, en 1863, avait paru à Munster l'oeuvre poétique de J. Weissbrodt, prêtre catholique, sous ce titre : Caecilia, tragédie historique. Ce nouveau produit de l'enthousiasme qu'inspire le caractère de Cécile annonce une étude sérieuse du sujet, et découvre chez son auteur une riche source de poésie. En 1870, l'Angleterre a vu paraître la quatrième édition du drame composé par le P. Albany James Christie, jésuite,  inspiré par ce même mouvement qui  attire  aujourd'hui tant d'âmes vers Cécile et par le sublime rôle qu'elle remplit dans l'histoire.  Cette union de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre,  produisant chacune leur oeuvre poétique en quelques années, n'est-elle pas un des indices du renouvellement de cette grande mémoire,  et n'annonce-t-elle pas que les nuages amoncelés par la fausse critique du dix-septième et du dix-huitième siècle n'ont pu tenir en présence de la lumière qui s'est faite ?

 

Nous craindrions d'être incomplet sur les oeuvres de ces dernières années en l'honneur de la fille des Metelli, si nous omettions de parler du noble et gracieux édifice que la  France a vu s'élever naguère sur les bords de la Sarthe, à quelque  distance de Solesmes, au diocèse du Mans. Un monastère et une église desservis par des filles de saint Benoît, et construits dans le caractère du treizième siècle, ont surgi au milieu des tempêtes de l'heure présente. Déjà les armées prussiennes envahissaient la France, comme le fléau de Dieu, et la croix n'avait pas été montée encore au sommet de la flèche aérienne qui proclame si haut la mémoire de Cécile. Le 12 octobre 1871, Mgr Charles Fillion, évêque du Mans, a dédié solennellement ce nouveau sanctuaire, à l'ombre duquel les émules de Cécile, totalement séparées du monde, se vouent au service du souverain Seigneur dont elle fut l'épouse. L'église du nouveau monastère, dont les voûtes ne répètent jamais que l'antique et suave mélodie grégorienne, attire puissamment le coeur et les regards du pèlerin. On sent que Cécile a véritablement choisi ce lieu pour une de ses demeures.

 

Des inscriptions qui font corps avec l'édifice et lui donnent comme une voix éloquente retracent ce que fut Cécile, et reportent la pensée vers la basilique romaine qui fut son séjour et qui devint si vite son trophée.

 

Sous l'élégant narthex, au-dessus de la porte du vestibule, on lit ces paroles du livre de l'Ecclésiastique, employées par l'Eglise à la Messe de sainte Cécile :

 

DOMINE   DEVS   MEVS

EXALTASTI   SVPER   TERRAM

HABITATIONEM   MEAM

 

Seigneur mon Dieu, vous avez glorifié ma demeure sur la terre.

 

L'inscription suivante a été placée au-dessus de la porte même de l'église :

 

TRIDVANAS   A   DOMINO

POPOSCI   INDVCIAS

VT   DOMVM   MEAM   ECCLESIAM   CONSECRAREM

 

J'ai demandé au  Seigneur un délai de trois jours, afin de consacrer ma maison en église.

 

Au-dessus de cette même porte, à. l'intérieur, se lit en lettres d'or sur un fond d'azur la prière de saint Urbain, célébrant la puissance de la grâce divine dans l'âme de Cécile, au moment où Valérien, sa noble conquête, vient implorer le baptême aux catacombes :

 

DOMINE   IESV   CHRISTE

SEMINATOR   CASTI   CONSILII

SVSCIPE   SEMINVM   FRVCTVS

QVOS   IN   CAECILIA   SEMINASTI

 

Seigneur Jésus-Christ, auteur des chastes résolutions, recueillez les fruits de la divine semence que vous avez déposée au coeur de Cécile.

 

A mesure qu'on avance dans la nef de l'église, on voit se dérouler à droite et à gauche un vaste rinceau pourpré, sur lequel brillent, au milieu des fleurs, de riches lettres qui retracent la célèbre antienne cécilienne empruntée aux Actes. D'un côté on lit :

 

CANTANTIBVS   ORGANIS   CAECILIA  DOMINO

DECANTABAT  DICENS

 

Au milieu du bruyant concert,  Cécile chantait au Seigneur et disait

 

De l'autre côté, le texte continue et s'achève :

 

FIAT   COR   MEVM   IMMACVLATVM   VT   NON   CONFVNDAR

 

Que mon coeur reste pur et ma vie sans tache.

 

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 434 à 441)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 19:00

Le savant vieillard vécut assez encore pour jouir des premiers résultats de cette marche nouvelle.

 

Un instinct irrésistible entraînait M. de Rossi vers la voie Appienne, à laquelle on peut bien appliquer, au point de vue de l'histoire chrétienne de Rome, le titre de regina viarum, que lui donnaient les anciens Romains, au point de vue stratégique. Un fragment d'inscription funéraire qu'il découvrit dans la vigne Amendola en 1849, et sur lequel on lisait encore ces lettres : NELIVS MARTYR, lui suggéra la pensée que ce marbre pouvait avoir appartenu à l'inscription tumulaire du pape saint Cornélius, et que la crypte dont il était sorti ne devait pas être éloignée.

 

 Le retour de Pie IX dans la ville sainte amena la reprise des travaux sur Rome souterraine, et le sol de cette même vigne Amendola ne tarda pas à révéler au puissant investigateur le cimetière même de Lucine. Les voies étaient obstruées de terre et ne permettaient pas un facile parcours : cependant un tombeau important frappa bientôt les regards. Le lieu où il était établi comme objet principal était orné de peintures du huitième au neuvième siècle, qui retraçaient plusieurs saints évêques, entre autres le pape saint Cornélius, ayant près de lui son ami saint Cyprien.

 

Il s'agissait de retrouver le commencement de l'inscription qui avait guidé des recherches si heureuses ; on finit par le découvrir,  près du tombeau lui-même, confondu avec d'autres  fragments  de marbre. Les premières lettres du nom étaient restituées, avec la qualité d'évêque, et l'inscription rejointe s'encadrait parfaitement avec le tombeau. A l'aide des Itinéraires, il était possible dès lors de s'orienter d'une certaine manière dans les cryptes de la voie Appienne ; on était même en droit de conclure déjà qu'il n'était pas nécessaire de descendre jusqu'à Saint-Sébastien pour rencontrer le cimetière de Calliste, qui devait être moins avant sur la voie et contigu à celui de Lucine. Le colombaire des affranchis de la gens Caecilia, qu'on avait découvert dans cette même vigne au commencement du siècle, devait aussi contribuer à éclairer la marche.

 

Les déblayements opérés autour du tombeau de saint Cornélius et dans les voies adjacentes finirent par restituer une area assez considérable et divisée en plusieurs étages, où désormais les inscriptions qui sont la lumière de ces souterrains allaient être étudiées sur place, et non plus entraînées au loin, comme il était si tristement arrivé par le passé. Quelques chambres, ornées de peintures d'un style antérieur à celles de la voie Nomentane, apparaissaient avec le caractère du premier siècle. Il restait sans doute bien des problèmes à résoudre ; mais cette prise de possession du côté droit de la voie Appienne n'en assurait pas moins, pour un temps plus ou moins prochain, la reconnaissance du point central de Rome souterraine.

 

Pie IX fut ému lui-même de l'importance d'une si rare découverte, et, dès 1851, il créa la commission d'archéologie sacrée, sous la présidence du cardinal-vicaire, et aida avec générosité au développement des recherches qui devaient amener tant d'heureux résultats. Mais la marche devait être lente à travers ces voies et ces cubicula obstrués jusqu'à la hauteur de la voûte, et dans lesquels, pour tout autre que M. de Rossi, rien n'était que ténèbres et incertitude. Il était constant que l'on était en possession du tombeau de saint Cornélius et du cimetière de Lucine ; mais qui pouvait dire où conduiraient les lentes excavations que l'on dirigeait vers le midi ?

 

En 1852, nous arpentions la vigne Amendola avec M. de Rossi, qui dès lors nous honorait de son amitié, et telle était la puissance de ses conjectures basées sur les anciens monuments topographiques, qu'il nous indiquait sur le sol la distance à laquelle on ne pouvait manquer de rencontrer le tombeau de sainte Cécile et la sépulture des papes du troisième siècle. Nous avions publié en 1849 l'histoire de la grande martyre, et, trompé comme tant d'autres par l'inscription de Guillaume de Bois-Ratier, nous avions placé son tombeau dans les galeries souterraines qui avoisinent Saint-Sébastien, et hors desquelles nous ne songions pas à chercher le cimetière de Calliste. L'étude des Itinéraires et des autres monuments topographiques, à laquelle nous avait initié M. de Rossi, ne suffit pas à redresser nos idées, et nous rentrâmes en France non convaincu encore. La deuxième édition de notre livre parut en 1853, contenant les mêmes erreurs que la précédente. Nous y tenions compte cependant de la découverte du tombeau de saint Cornélius, mais sans avoir rien osé conclure sur la proximité relative où il devait être à l'égard de celui de sainte Cécile.

 

Cependant le labeur des excavateurs vers le midi avançait toujours, et, en 1854, les fouilles donnèrent accès dans une salle dont le lucernaire fut débouché, et dans laquelle il était impossible de ne pas reconnaître la crypte papale primitivement ouverte par les Caecilii chrétiens, donnée par eux à Zéphyrin, et disposée par Calliste pour sa nouvelle et honorable destination. Tout y était bien dans un état déplorable de ruine ; mais il fallait bien reconnaître un monument de la plus haute importance dans cette salle jonchée de débris, où l'on trouvait encore les tronçons de colonnes en marbres précieux, où la place de l'autel était encore visible par quatre entailles dans son soubassement, où enfin les inscriptions fracturées des papes Urbain, Anteros, Lucius, Fabien et Eutychien se trouvaient réunies. Le petit poème sur marbre que saint Damase avait fait placer dans cette salle, et que les pèlerins des Itinéraires y avaient lu, se trouvait là aussi, brisé en plus de cent morceaux que l'on pouvait lire en les rapprochant. Ainsi il était démontré que l'on avait passé sous terre, du cimetière de Lucine à celui de Calliste, et une révolution immense s'était opérée dans la science de Rome souterraine.

 

Nous connûmes aussitôt ces magnifiques résultats par notre correspondance avec M. de Rossi. Il nous certifiait la prochaine découverte du tombeau de sainte Cécile, et rappelait gracieusement la parole de la martyre à Paschal, lorsqu'elle lui dit, dans la vision, qu'il était déjà venu assez près d'elle pour pouvoir tenir un entretien. Au fond de la crypte papale, sur la gauche, se dessinait une porte cintrée, ouvrant sur un cubiculum contigu. N'était-ce pas là que l'on trouverait le lieu du repos de Cécile ? Mais cette chambre était encombrée de terre jusqu'à la voûte ; il fallait préalablement la déblayer, ainsi que le lucernaire par lequel le sol de la vigne avait envahi l'intérieur. Dans les Itinéraires les pèlerins avaient signalé ce voisinage : ils déclaraient avoir trouvé Cécile ensevelie près des pontifes. Allait-on découvrir, après tant de siècles de ruine et d'abandon, quelque indice qui permît d'affirmer que son tombeau avait été dans ce cubiculum ?

 

Enfin les travaux des excavateurs aboutirent, et ce fut un solennel moment que celui où l'on put passer de la crypte des papes dans cette crypte contiguë, irrégulière, mais plus vaste encore, où la fresque naïve du sixième siècle apparut sur la muraille, représentant la martyre en prières, les bras étendus, et au-dessous d'elle un personnage revêtu de la casula, ayant près de lui son nom  : S. VRBANVS.  Le tombeau de Cécile était retrouvé pour la seconde fois, et quelque chose de la joie qui remplit l'âme de Paschal en 821 se fit sentir aux heureux témoins d'une telle découverte. L'arcature sous laquelle avait reposé le sarcophage qu'enleva Paschal était là : vide, il est vrai, mais pleine de souvenirs sacrés.

 

Pie IX avait voulu descendre dans le glorieux hypogée (11 mai 1854) ; il vénéra la mémoire de ses prédécesseurs martyrs et considéra avec attendrissement leurs épitaphes lisibles encore. La crypte cécilienne n'était pas déblayée encore ; mais déjà le cimetière de Calliste était découvert, et toutes les incertitudes avaient cessé. On pouvait aller, comme les pèlerins du septième siècle, du tombeau de Sixte à celui de Cornélius. des cryptes de Calliste à celles de Lucine ; on était désormais orienté dans les catacombes de la voie Appienne, et les travaux qui allaient suivre ne feraient qu'enrichir une découverte déjà consommée.

 

Quelque chose cependant manquait encore à un si vénérable sanctuaire que venaient de restituer les entrailles de la terre. Durant des siècles, on y avait offert le sacrifice divin ; sa célébration sous ces voûtes reconquises n'était-elle pas comme un complément réclamé par elles ? En 1856, le 19 avril, dans une audience de Pie IX, un prêtre français osa demander au pontife l'autorisation de célébrer la sainte messe au tombeau de Cécile. Pie IX daigna consentir, et, le 26 avril, un autel, improvisé avec des plaques de marbre qui autrefois avaient fermé les loculi du cimetière de Calliste, s'éleva au pied de l'image de Cécile et d'Urbain. Le cubiculum était jonché de fleurs et de feuillages, comme aux jours de saint Jérôme et de Prudence. M. de Rossi et son frère étaient présents. Plusieurs dames anglaises d'une piété vive animaient encore cette scène, que complétait la présence des excavateurs appuyés sur leur outil et rappelant les anciens fossores. L'intérieur de l'arcade où avait reposé le sarcophage était garni d'une couche de pétales de roses, sur laquelle posaient de petites lampes en cristal. Assisté d'amis dévoués, le prêtre offrit le sacrifice. Le divin Poisson descendit sous ces voûtes  déchirées, en  présence de  ces  fresques grossières, comme aux jours de Zéphyrin et de Calliste où il arrivait pour affermir ses martyrs, et plusieurs des assistants participèrent à ce mets céleste dont les siècles ne sauraient épuiser la saveur ni la puissance. On sentait que l'influence de Cécile remplissait encore ce réduit, et la salle voisine tout imprégnée de la mémoire de Sixte et des autres pontifes martyrs y mêlait ses majestueux souvenirs. Après le sacrifice, le prêtre français recueillit avec respect les pétales de roses qui avaient rempli l'arcature sous laquelle reposa Cécile, et plus d'une fois elles ont témoigné du pouvoir et de la vigilance maternelle qu'exerce encore au sein de l'immortelle vie celle qui illustra pour jamais ces lieux sacrés.

 

Six années s'étaient écoulées sur cet épisode qui fut à peine connu et qui ne devait tenir aucune place dans l'histoire, lorsque, vers le milieu du mois de novembre 1862, on apprit dans Rome que, par une disposition de S. Em. le cardinal Patrizzi, vicaire de Sa Sainteté et président de la commission d'archéologie  sacrée, la crypte de sainte Cécile serait ouverte, le 22 novembre, à la piété des fidèles.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 426 à 433)

 

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 19:00

Mais il nous faut reprendre les annales de la vierge romaine, et gagner bientôt le dix-neuvième siècle,  qui devait offrir à Cécile un triomphe aussi nouveau qu'inattendu.

 

Le souvenir et, l'on peut dire, l'action de cette illustre propagatrice de la vraie foi sur la terre, se révéla mystérieusement le 22 novembre 1633, lorsqu'en ce jour béni, la première colonie catholique s'embarquait d'Angleterre pour l'Amérique du Nord, cherchant de nouveaux cieux, et fuyant l'atroce persécution que le protestantisme anglais faisait peser sur la fidèle Irlande. Saintement fier du nom qu'il portait, lord Caecilius Baltimore voulut mettre à la voile le jour de la fête de sa glorieuse patronne. De rudes épreuves attendaient les fils de saint Patrice, sur cette terre où ils étaient venus chercher la liberté. Longtemps ils y eurent à lutter contre la tyrannie des protestants établis avant eux sur ce sol ; mais en déployant cette énergie de la foi qui leur avait fait vaincre en Europe Henri VIII, Elisabeth et Jacques Ier, ils arrivèrent enfin à fonder sous le patronage de la Mère de Dieu la colonie catholique du Maryland. Dès les premières années de notre siècle,  Pie VII érigeait sur ce sol péniblement défriché, dans la ville même qui porte le nom de lord  Baltimore,   le premier siège épiscopal qu'ait   vu   l'Amérique   septentrionale.   Depuis, Baltimore  est devenu   un  siège  archiépiscopal avec de nombreux évêchés suffragants ; plus tard ont été fondées d'autres métropoles sur cet immense continent ; mais on ne doit pas oublier que le nom de Cécile est écrit en tête des fastes de celte nouvelle église.

 

En 1648, un hommage nouveau fut décerné dans Rome à sainte Cécile, et cette fois le Capitole en fut le théâtre. On y fit décorer la chapelle du palais des conservateurs du peuple romain, et la fille des Metelli, comme citoyenne et matrone romaine, obtint les honneurs d'un tableau et d'une inscription dans ce sanctuaire.  Trois autres  saints  personnages   seulement,   tous  citoyens romains, figurent dans cette chapelle du Capitole : saint Eustache, saint Alexis et la bienheureuse Louise Albertoni. La grande vierge est représentée assise, les mains sur un clavecin, comme patronne de la musique. Cette peinture est de Romanelli; au-dessous on lit l'inscription suivante :

 

S.   CAECILIAE
VIRGINI   ET   MARTYRI

S.   P.  Q.  R
MDCXLVIII

 

L'idée de rétablir ainsi le nom et la mémoire de Cécile aux lieux mêmes où son aïeule Caïa Caecilia fut, durant de longs siècles, honorée d'une statue, est profondément touchante, et unit les deux Rome dans la personne de notre héroïne. Cette rentrée d'une Cécile au Capitole, et de la Cécile chrétienne, montre à la fois et la victoire sans retour du christianisme et l'éternité de Rome.

 

Quant à la basilique Transtibérine, dont Sfondrate avait conservé en grande partie le caractère tel qu'elle l'avait reçu de Paschal au neuvième siècle, elle fut tristement modernisée dans la première moitié du dix-huitième siècle par son titulaire le cardinal François Acquaviva. L'église de Sainte-Cécile de Domo, qui menaçait ruine, fut rebâtie en 1729 par Benoit XIII, sous d'humbles proportions, et avec altération de son nom antique. Le pape voulut y adjoindre de nouveau la mémoire de saint Blaise, sur les instances de la corporation des ouvriers en laine qui avait accepté la charge de la desservir.

 

Au point de vue littéraire, Mazochi dans son commentaire du Calendrier de Naples, et le jésuite Lesley dans ses notes sur le Missel mozarabe, préparaient l'élucidation chronologique des Actes de sainte Cécile, sur lesquels les découvertes du  siècle  suivant  devaient jeter une  si grande lumière. Un autre jésuite, le P. Mazzolari, préservait des injures de l'air, en la faisant transporter dans la basilique, la gracieuse fresque qui représente l'apparition de sainte Cécile à Paschal, menacée de périr comme les autres qui déjà étaient presque effacées sous le portique. Mazzolari ne borna pas à cette heureuse précaution les témoignages de sa piété pour la vierge romaine. Il fit graver sur une vaste table de marbre blanc, et placer en regard de l'ancienne fresque, le diplôme même de Paschal dans lequel le saint pape rend compte de la merveilleuse apparition dont il fut favorisé par sainte Cécile. Le dernier événement relatif à la basilique se rapporte à la spoliation dont son trésor fut l'objet en 1796, lorsque Pie VI, après le traité de Tolentino,  se vit contraint de dépouiller les églises de Rome pour faire face aux énormes contributions qu'il avait été obligé d'accepter. L'extrême nécessité où se trouvait l'église romaine enleva au trésor de la basilique les trois précieuses châsses, dans lesquelles Sfondrate avait renfermé les chefs  des saints Valérien,  Tiburce et Maxime. C'est alors que ces saintes reliques furent placées dans les cylindres en cuivre qui les contiennent encore aujourd'hui. Le reste de l'argenterie qui fut livrée au commissaire pontifical par l'abbesse de Sainte-Cécile, se composait de calices, chandeliers et autres objets d'autel,  la plupart des nombreux reliquaires donnés par Sfondrate étant simplement en bronze doré.

 

Le dix-huitième siècle, qui avait vu abolir dans les liturgies françaises et dans un si grand nombre de recueils hagiographiques jusqu'à la mémoire des gestes de Cécile, laissait donc planer, en se terminant, comme un sombre nuage sur le sanctuaire même où reposait la martyre ;  le  siècle suivant nous montrera que la gloire de l'héroïne chrétienne du deuxième siècle n'était pas épuisée.

 

L'un des plus nobles attributs de la sainteté est de communiquer même ici-bas, aux personnages dans lesquels elle a brillé, une sorte d'immortalité qui défie par sa splendeur tout ce que la renommée a pu jamais faire en l'honneur des simples héros de l'humanité. Dès le milieu du deuxième siècle, nous avons vu s'ouvrir la vie de Cécile, et, après dix-sept siècles, nous ne l'avons pas épuisée encore. De génération en génération, Cécile est admirée, elle est aimée; disons plus, elle est agissante, elle est influente par l'entraînement du caractère que Dieu lui avait donné ; dans tous les siècles, ses vertus en ont enfanté d'autres chez les hommes, en même temps que son pouvoir céleste s'est fait sentir pour les protéger.

 

Par une rare exception, la providence de Dieu a voulu que la vierge romaine, au lieu de demeurer ensevelie dans le mystère de la tombe où la plupart des élus attendent la résurrection glorieuse, prolongeât, pour ainsi dire, sa vie jusqu'à nos temps, par la double apparition de sa dépouille mortelle, dont l'attitude retrace avec tant d'éloquence le repos tranquille de la martyre après ses glorieux combats.

 

On aurait pensé que la série des manifestations du tombeau était enfin terminée, et que désormais il n'y aurait plus pour elle de nouveau triomphe dans les régions de la mort, jusqu'à l'heure où la trompette de l'ange la convoquera avec nous au grand réveil. Il en a été autrement.

 

Il ne s'agissait plus de présenter de nouveau Cécile à la vénération des chrétiens ; nul ne songeait à troubler désormais le sommeil de la martyre, entourée des hommages de la piété dans sa basilique, et rappelée aux regards d'une façon si saisissante dans l'immortelle statue de Maderno, près de laquelle elle attend cette résurrection dont elle aimait à chercher le symbole dans la vie renouvelée du phénix ; mais elle avait cependant encore un témoignage à rendre.

 

Elle devait, en ce siècle de rationalisme, nous conduire sur les lieux mêmes où se livrèrent les grands combats de la foi chrétienne contre le paganisme tout-puissant, nous faire assister à la lutte glorieuse de l'Evangile avec les moeurs et la politique de l'Empire romain. Nous devions apprendre d'elle comment l'ancienne aristocratie romaine, mise en réserve depuis l'ascension des Césars, avait été prédestinée à de plus nobles conquêtes, apportant avec elle, dans l'acceptation qu'elle fit du christianisme, les lumières de la plus haute civilisation, avec cette simplicité et cette grandeur qui avait été son cachet dans les jours où le monde entier recevait d'elle la loi.

 

Retrouver les traces de cette vie première de la religion nouvelle que Pierre avait apportée de Jérusalem à Rome, et déposée d'abord à Césarée dans l'âme d'un Cornélius ; constater cette stratégie toute de patience et de dévouement, dans laquelle on vit la faiblesse triompher de la violence et de toutes les séductions du rang et de la fortune, pour établir le règne du Crucifié de Judée ; reconnaître en un mot Rome chrétienne primitive, vivre de sa vie,  et apprécier le principe divin qui lui donna par la croix la victoire sur Rome païenne : tel est le résultat auquel nous a conduits en ces années la découverte du tombeau vide de Cécile.

 

Tant que l'oubli des hommes et les ténèbres pressèrent de leur poids ce tombeau, on ne put apprécier qu'imparfaitement et à travers de nombreuses méprises le siège continu et glorieux que la Rome nouvelle fit subir à l'ancienne, en la cernant sur toutes ses voies durant trois siècles. La découverte de l'hypogée où reposa Cécile devait, en renouvelant à la fois la chronologie et la topographie de Rome souterraine, nous restituer tout un passé que,  sans un tel secours,  nous n'eussions jamais connu que d'une manière vague et imparfaite.

 

L'abandon des catacombes durant tant de siècles, la perte ou l'oubli des Itinéraires qui auraient pu éclairer les pas des quelques hommes doctes et courageux qui depuis Rosio avaient eu encore la hardiesse de descendre dans ces sombres galeries, la négligence à classer les inscriptions et les peintures qu'on rencontrait, reculaient toujours plus le moment où le point de départ du christianisme dans Rome se révélerait. A peine savait-on que le centre de cette ville souterraine, qui d'abord avait été au champ Vatican, s'était ensuite transporté sur la voie Appienne.

 

Les recherches de détail accomplies en grand nombre n'avaient rien révélé sur l'ensemble, et ainsi que nous l'avons dit plus haut, le cimetière si célèbre de Calliste était lui-même devenu un problème, à ce point qu'un homme de la force de Bosio était réduit à l'aller chercher jusque sur la voie Ardéatine. Avec une telle situation, à quoi n'étaient pas exposés les monuments et les pierres tumulaires dans des fouilles partielles accomplies sans aucun plan ? Et qui eût songé à recueillir les témoignages qu'ils ne demandaient qu'à rendre sur les premiers pas et les premières allures du christianisme dans Rome ?

 

Mais Dieu avait résolu de rendre de nos jours à son Eglise cet imposant témoignage de l'unité qu'elle a conservée dès le commencement dans ses doctrines et dans sa constitution. Il fallait réduire au silence par les faits cette école audacieuse pour qui l'histoire n'est qu'un thème d'inventions, et la critique un simple jeu, un assaut de l'imagination contre le bon sens. Les catacombes romaines mieux connues suffisaient à cela ; mais il leur fallait un révélateur qui leur rendît la place qu'elles ont occupée dans l'établissement du christianisme à Rome.

 

Le premier de nos contemporains qui sortit de la routine à l'endroit de ces monuments incompris, fut le P. Marchi, jésuite du Collège romain. Sans apercevoir peut-être toute la portée de ses études, dont le résultat ne devait se révéler que successivement, il entreprit sur le sujet des catacombes qu'il visitait et étudiait plus assidûment que nul n'avait fait depuis Boldetti et Marangoni, un grand ouvrage qu'il intitula : Les monuments de l'art chrétien primitif. Le premier volume,  qui a pour titre  : Architecture de la Rome souterraine chrétienne, est le seul qui ait été publié. Le P. Marchi y assigna les différences qui distinguent les arénaires des catacombes, et fit voir que celles-ci sont l'oeuvre exclusive du travail chrétien, préludant ainsi aux savantes démonstrations dont M. Michel de Rossi a enrichi le grand ouvrage de  son frère. Le cimetière de Sainte-Agnès sur la voie Nomentane avait été le centre principal et presque unique des études du P. Marchi. Dans son premier volume, il avait eu pour but de classer les divers monuments de l'architecture cémétériale, se proposant de traiter plus tard la peinture et la sculpture. Les tempêtes politiques que Rome eut à subir en 1848 et 1849 interrompirent cette publication, dont les résultats remplis d'intérêt n'abordaient pas encore le champ de l'histoire.

 

Le P. Marchi entrevit cependant le parti que l'on pourrait tirer d'une étude des catacombes, entreprise au point de vue des annales chrétiennes ; mais il sentit qu'à son disciple  de  prédilection,  qu'il  avait  deviné  et formé dès l'enfance, M. le Commandeur de Rossi, était réservé l'honneur de faire entrer les catacombes de Rome dans le mouvement général de la science historique. Quant à lui, moins empressé d'étudier jusqu'aux ruines informes, il avait cherché surtout des types pour son travail descriptif. Il vit avec plaisir son disciple entrer dans une voie nouvelle et chercher dans les anciens monuments topographiques que lui-même avait su apprécier, mais qui ne l'auraient pas conduit à son but, la chronologie de Rome souterraine.

 

Le savant vieillard vécut assez encore pour jouir des premiers résultats de cette marche nouvelle.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 416 à 425)

 

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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 19:00

C'est ainsi qu'une hagiographie mystérieuse venait compléter celle que produit l'étude des monuments, et développer à sa manière les études céciliennes, en attendant que le jour de la justice fût arrivé.


La nécessité où nous sommes d'abréger, nous empêche d'analyser ici ce qu'a fait la poésie en l'honneur de Cécile. L'école de Port-Royal, dont l'influence a été si grande pour amener la scission de l'élément littéraire et de l'élément chrétien, était venue à bout de ses fins, et l'axiome de son législateur Boileau faisait loi sur tout le Parnasse français. Depuis la seconde moitié du dix-septième siècle, le christianisme fut mis hors de la poésie. Qui ne connaît le jugement de Fénelon sur l'art du moyen âge ? Qui peut ignorer les actes de vandalisme accomplis dans nos cathédrales à cette même période, au nom du goût classique ? La refonte totale de la liturgie ne s'accomplit-elle pas aussi, sans que les auteurs et les admirateurs de cette œuvre barbare se soient doutés le moins du monde qu'ils sacrifiaient le répertoire de la poésie et de la mélodie chrétiennes, formé par quinze siècles entiers ? Quant à Tillemont et Baillet, auxquels il faut, hélas ! adjoindre le pacifique Godescard, empoisonné sans s'en apercevoir par l'esprit de son temps, se doutaient-ils que leurs attaques contre sainte Cécile se dirigeaient sur la poésie chrétienne, et savaient-ils même qu'il y eût une poésie chrétienne ? On n'en avait pas jugé ainsi dans le passé, et à la suite de ces nobles et gracieuses préfaces des Sacramentaires léonien, gélasien, gallican, mozarabe, des strophes inspirées de la liturgie grecque, où les grandeurs de la vierge romaine sont exposées avec tant de charme, le génie chrétien dans les siècles mêmes du moyen âge s'exerça, plus ou moins heureusement, à les célébrer à son tour. Jusqu'au dix-septième siècle, Cécile aura ses chantres dévoués.

 

Dès le septième, l'église gothique d'Espagne débutait par une hymne pleine de vie et d'onction. Au huitième, saint Adhelme de Scherburn, en Angleterre, dans son gracieux poème de Laude Virginitatis, après avoir chanté les grandeurs de la Mère de Dieu, ouvrait par Cécile le chœur des vierges qui la suivent. Au dixième, l'un des premiers historiens de la nation française, Flodoard, chanoine de Reims, consacrait sa rude poésie à chanter la découverte du corps de Cécile par Paschal. Le pieux Aelrède, abbé cistercien de Rievall, en Angleterre, préludait par ses strophes cadencées à la longue série des Séquences que contiennent les missels des différentes églises de l'Europe, en l'honneur de Cécile, aux quatorzième et quinzième siècles.

 

Le seizième siècle vit commencer la série des compositions plus étendues. Il  débuta par l'œuvre du célèbre poète latin Spagnuolo, dit le Mantouan,  qui consacra à  Cécile sa septième Parthénie, dédiée à Isabelle, duchesse de Mantoue. Ange Sangrini, abbé du Mont-Cassin, chanta à son tour avec autant de grâce que d'abondance, dans l'œuvre qu'il intitula Epithalame, les grandeurs de l'illustre martyre. Un autre bénédictin italien, Théophile Folengo, composa un poème tragique de sainte Cécile, que son célèbre confrère Maur Chiaula mit en musique. Dès l'année 1600, au lendemain de la découverte du corps de la martyre par Sfondrate, un pieux dominicain,  Sébastien Castelletti, donnait à Rome un poème en cinq livres qu'il intitulait : Della triunfatrice Caecilia, virgine e martire, et méritait pour cette oeuvre, de la part du Tasse, un sonnet rempli d'éloges. Le même sujet tentait, en 1606, le professeur de la maîtrise de Notre-Dame de Paris, Nicolas Soret, et il publiait La Céciliade, ou le Martyre sanglant de sainte Cécile, patronne des musiciens, avec la musique.

 

L'Italie revenait à la charge en 1637, par une composition dramatique et musicale, intitulée : La Santa Cecilia, destinée à embellir les fêtes du mariage de Ladislas IV, roi de Pologne, et de Cécile Renée d'Autriche ; la musique était de Virgilio Paccitelli. En 1644, une romaine, Marguerite Costa, célébrait en quatre chants les combats et les victoires de l'héroïne chrétienne, et inscrivait en tête de ce livre  : Cecilia martire, poema sacro. Parmi ces oeuvres poétiques, celle de Nicolas Soret ne se recommande pas par un talent capable d'immortaliser son auteur ; mais on peut dire que Castelletti et Marguerite Costa, dans leur enthousiasme pour Cécile, ont produit un grand nombre d'octaves dignes du sujet. Nous ne rappelons d'ailleurs ces monuments de la piété envers la vierge   romaine  que   comme  un  indice  de  la flamme poétique qu'entretenaient dans les cœurs, avant l'invasion du naturalisme, son nom et sa mémoire. Il n'est pas jusqu'à l'Angleterre protestante qui,  par une heureuse inconséquence, ayant conservé la fête de sainte Cécile, ne la célèbre chaque année avec enthousiasme.  Autrefois, le roi avait son poète d'office, qui devait fournir tous les ans, le 22 novembre,  une ode à la louange de la grande martyre. Les Anglais estiment   particulièrement   celle   que   composa Dryden. Congrève, Addison, Pope, ont payé ce tribut national à la reine de l'harmonie. Quand on visite à Londres le palais de Westminster, on est ému de rencontrer dans la salle consacrée à la mémoire des poètes anglais une fresque représentant sainte Cécile, avec la pose et les attributs qu'on pourrait lui donner dans une église catholique ; c'est l'hommage que l'Angleterre a voulu rendre à Dryden.

 

Il nous faut maintenant rentrer dans Rome, et nous reposer près du tombeau de Cécile que nous y avons laissée au lendemain de son splendide triomphe. La dévotion envers elle, ranimée par l'heureux succès des recherches de Sfondrate, se maintenait dans  la population  romaine,  et était partagée par les étrangers. Pierre Polet, né à Noyon, écuyer apostolique, entreprit en 1611, d'élever dans l'église de Saint-Louis des Français un monument à sainte Cécile. Il sut y déployer une générosité princière, et témoigna de sa dévotion envers la martyre par le choix de l'artiste et par l'importance de lœuvre qu'il lui donna à exécuter.  Ce fut Dominique Zampieri, dit le Dominiquin, qu'il appela pour décorer avec son pinceau une chapelle tout entière de notre église nationale.  Cet artiste,  chez lequel se retrouve  si   souvent  l'inspiration   chrétienne,   se montra particulièrement affectionné à sainte Cécile. Outre les fresques dont nous allons parler, on ne compte pas moins de six de ses tableaux dont, elle est le sujet unique, et qui se conservent dans les collections publiques ou particulières.

 

Sainte Cécile devant Almachius

Sainte Cécile devant Almachius, par Dominique Zampieri dit le Dominiquin, Chapelle Sainte Cécile de de Saint-Louis des Français 

 

Les peintures à Saint-Louis des Français embrassent la vie entière de la vierge : l'ange du Seigneur couronnant les deux époux ; Cécile distribuant aux pauvres ses richesses, après le martyre de Valérien ;  les fureurs d'Almachius sur son tribunal, et l'attitude noble et imposante de Cécile qui refuse l'encens aux idoles ; enfin et surtout l'entrevue d'Urbain et de la martyre expirante : cette salle du bain inondée d'un sang généreux que de pieuses  femmes s'empressent de recueillir, ces pauvres assistant aux derniers moments de leur fidèle protectrice, l'émotion des traits du saint évêque à la vue d'un si sublime sacrifice ; Cécile défaillante, et rappelant un reste de vie pour disposer de celte maison qu'elle va quitter en peu d'instants pour le ciel; tout cet ensemble,  complété par un plafond sur lequel le Dominiquin a peint sainte Cécile enlevée au ciel par les anges, fait de cette chapelle un monument splendide à la gloire de la vierge romaine.

 

Pierre Polet fit peindre par Guido Reni,  et placer au retable de l'autel,  une copie remarquable de la sainte Cécile de Bologne. Ainsi rien ne manqua a la magnificence de cette œuvre due à la générosité d'un particulier, et dans laquelle on aime à voir un  hommage de la  France à sainte Cécile, et comme le complément de l’insigne et triomphante cathédrale d'Alby.

 

Après le Dominiquin, dont le pinceau fut toujours empressé de traiter les sujets de sainteté que depuis nul autre artiste n'a mieux saisis et mieux rendus, vient la suite nombreuse des peintres qui, dans le cours du dix-septième siècle, consacrèrent leurs  efforts  à  représenter sainte Cécile.  La plupart en ont fait simplement une musicienne ; mais en s'éloignant toujours plus de la manière dont Raphaël avait conçu ce sujet. Quelques-uns, Murillo, par exemple, ont encore cherché à représenter la scène de la mort de Cécile ; mais on peut dire que la plupart de ces toiles, y compris celles que produisit en moindre nombre le dix-huitième siècle, ne sont plus généralement qu'une série descendante d' œuvres sans caractère, annonçant que le sujet s'épuisait à mesure que les générations d'artistes se succédaient, et que le souffle du seizième siècle cessait de  se faire  sentir.

 

On  aime cependant à voir l'idéal de notre héroïne cherché, sinon toujours atteint, par des artistes tels que Guido Reni, Paul Véronèse, Garofalo, Procaccini, Guerchin, Tempesta, Salimbeni, et même Carlo Dolci ; mais on ne peut s'empêcher de protester avec indignation contre l'audace avec laquelle si souvent, au dix-septième et au dix-huitième siècles, l'ordre fut donné aux artistes de représenter, avec les attributs de Cécile, tant de femmes dont le portrait eût pu parfaitement se passer de ces accessoires usurpés. Ce genre d'hommage, rempli d'inconvenance, a été réclamé de toutes les écoles, et les musées espagnols n'en sont pas plus exempts que ceux des autres pays. Pour la France, on peut placer en tête de ces oeuvres qui peignent, mieux que tout le reste, l'abaissement du respect envers les convenances religieuses, la sainte Cécile de Mignard,  qui  lègue  à  la postérité l'effigie d'une femme célèbre,  mais ne fera jamais remonter la pensée jusqu'à l'héroïne chrétienne du deuxième siècle. En face de ces portraits frauduleux, on se rappelle le fameux livre d'Heures de Bussy-Rabutin, dans lequel certaines dames arrivées à une facile célébrité figuraient en miniature, ayant chacune au-dessous le nom d'une sainte du calendrier.

 

Mais il nous faut reprendre les annales de la vierge romaine, et gagner bientôt le dix-neuvième siècle,  qui devait offrir à Cécile un triomphe aussi nouveau qu'inattendu.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 409 à 415)

 

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SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 19:00

C'est ainsi que le jansénisme parvint à modifier en France l'opinion religieuse, et, dans l'ordre des questions dont nous parlons, il ne resta bientôt plus chez nous d'autre  hagiographie que celle que permettait Tillemont.

 

 Cependant, pour faire pénétrer jusqu'au sein des familles chrétiennes les résultats produits par les Mémoires du très partial écrivain, une  Vie des saints, proprement dite, était nécessaire, et le trop fameux Adrien Baillet se présenta pour l'écrire. Les Actes de sainte Cécile en particulier y  furent traités  avec  le dernier mépris ;  mais l'ouvrage de Baillet étant volumineux, un autre janséniste du dix-huitième siècle,  Mesengui, se chargea de présenter une Vie des saints abrégée, et destinée à instruire les fidèles de France sur les gestes des serviteurs de Dieu. Ils y apprirent qu'il n'y avait rien de certain sur la plupart des martyrs les plus célèbres, et spécialement que l'on ne savait rien d'historique sur sainte Cécile.

 

C'était le  moment où  un  si  grand   nombre d'églises en  France entreprirent le renouvellement des livres liturgiques. Quant aux légendes des saints dans ces nouveaux livres, Tillemont et Baillet furent les seuls oracles sous l'inspiration desquels la malheureuse innovation s'accomplit. Le Bréviaire Parisien de 1736 offrit le modèle de la légende du 22 novembre pour la fête de sainte Cécile, et cette composition s'introduisit successivement dans les diocèses, qui renonçaient tour à tour aux prières antiques. Tout ce qui concerne la personne de la sainte martyre y est complètement passé sous silence. On y dit seulement quelques mots sur la découverte de son corps par Sfondrate, mais selon la relation mutilée et infidèle de Baillet. Il va sans dire que toutes les antiennes et tous les répons de l'office grégorien de sainte Cécile, introduits en France par Pépin et Charlemagne, furent honteusement effacés, et leurs gracieuses cantilènes interdits pour jamais dans nos églises. Du moins, on l'espérait ainsi.

 

Le scandale causé par l'audace de Tillemont el de Baillet à l'égard des Actes des saints, et propagé par les  recueils  hagiographiques qui en furent la suite, donna l'idée à un chanoine de Saint-Honoré,  à Paris,  nommé  Godescard,  de traduire en français un corps de Vie des saints composé par Alban Butler, catholique anglais dont l'esprit lui sembla moins frondeur que celui des jansénistes français. Dans ce livre qui n'es pas dépourvu d'érudition, l'auteur prit à tâche de répéter, comme jugement sur les Actes de sainte Cécile, la conclusion que Tillemont avait tirée à la suite de ses arguments ineptes, que nous avons ailleurs discutés l'un après l'autre dans le plus grand détail. (Histoire de sainte Cécile, 2° édit. 1853.) Mais ce qui démontre par-dessus tout l'inconcevable légèreté  avec laquelle la notice de Godescard a été rédigée,  c'est de voir ensuit l'auteur formuler cette assertion : "Nous apprenons des Actes de sainte Cécile, qu'en chantant les louanges du Seigneur elle joignait souvent la musique instrumentale à la musique vocale".  Il demeure donc démontré que le respectable chanoine, avant de composer l'article de sainte Cécile et de prononcer sur la valeur des Actes, ne s'était pas même donné la peine de les lire, puisqu'ils ne contiennent pas un seul mot duquel on puisse déduire ce qu'il avance.

 

Le rétrécissement que subit à cette époque la piété française, et dont un si grand nombre de livres religieux du dix-huitième siècle portent la trace, a laissé son empreinte dans les jugements et les appréciations de Godescard ; nous donnerons ici un échantillon. C'est à propos du saint martyr Polyeucte, dont les Actes ont fourni à Corneille la matière d'un des premiers chefs-d'oeuvre littéraires que le christianisme ait inspirés. Voici comment s'exprime le nouvel hagiographe : "Corneille a fait du martyre de saint Polyeucte le sujet d'une de ses tragédies ; et l'on peut dire que c'est un chef-d'oeuvre dans le genre dramatique. Mais cela n'a pas empêché les personnes pieuses d'être choquées de la liberté que le poète s'est donnée de faire monter les saints sur le théâtre, d'altérer la vérité de l'histoire, de corrompre les vertus chrétiennes, et de mêler la tendresse de l'amour humain à l'héroïsme de l'amour divin." (Godescard, Vie des Pères et des Martyrs, 13 février.)

 

Voilà jusqu'où avait conduit les catholiques de France l'épuration de la liturgie et de la vie des saints : à un système où il devenait illicite de mettre en scène les Actes des saints, sans qu'on se doutât que la catholique Espagne avait son Calderon et son Lope de Véga. Il valait mieux, apparemment, chercher à émouvoir les hommes par les scènes plus que profanes dont notre théâtre est souillé. Le goût littéraire de l'hagiographe parisien se révoltait des efforts qu'avait eu à faire Corneille pour monter sa pièce, en créant quelques personnages outre ceux que mentionnent les Actes de saint Polyeucte qui ne sont pas d'une grande étendue. Il eût dû se rappeler aussi que Racine n'avait pas trouvé non plus le drame d'Athalie tout complet dans le quatrième livre des Rois ; mais cette absence de toute idée littéraire dans le vénérable chanoine n'est rien auprès de la déclaration de principes qu'il ajoute. Corneille a voulu rendre la lutte sublime qui se déclare dans l'âme de Polyeucte entre l'affection conjugale et la fidélité à Dieu. Il a montré le martyr triomphant d'un sentiment sacré, mais inférieur, pour suivre le devoir auquel tout doit être sacrifié, et Godescard appelle ceci "corrompre les vertus chrétiennes". Il fait un crime à Polyeucte d'avoir uni l'amour pour son épouse, prescrit par la loi de Dieu, à cet autre amour supérieur qui doit triompher du premier, lorsque Dieu l'exige. Il voit du scandale à mettre sous les yeux une si noble victoire, et il ne s'aperçoit pas qu'il renverse à la fois toute l'économie du christianisme. Telle tendait à devenir la France chrétienne au dix-huitième siècle, en proie à une spiritualité  fausse,   héritée  en  partie de Port-Royal, et en partie d'une autre école du dix-septième siècle ; et l'on voyait ainsi un homme grave qui avait employé de longues veilles à compiler sa volumineuse Vie des saints, mais qui jamais ne s'était demandé comment il se faisait que la France, où. tout était si bien réglé en fait de principes de spiritualité, ne produisait plus de saints au dix-huitième siècle. En retour, Voltaire et son école avançaient à pas de géant dans la guerre contre le christianisme, et franchement ceux qui l'entendaient à la manière de Godescard étaient peu armés pour le défendre. Mais il nous faut revenir à sainte Cécile.

 

Croirait-on que cet esprit de vertige alla jusqu'à vouloir ravir à l'innocente vierge l'hommage délicat que la chrétienté lui a décerné en la proclamant patronne de la musique ? Ce fut l'abbé Lebeuf, le lourd compositeur de tout le plain-chant de la nouvelle liturgie parisienne, qui se présenta pour enlever à Cécile le diadème de l'harmonie. Dans un mémoire inséré au Mercure de France (janvier 1732), il s'imposa la tâche très facile de démontrer que rien ne prouve dans les monuments relatifs à sainte Cécile que cette illustre martyre ait fait usage des instruments de musique. Nous n'insisterons pas sur le ton de supériorité avec lequel le symphoniste parisien critique et censure ce qui s'est fait avant lui ; heureusement le bon sens chrétien a maintenu ce que l'abbé Lebeuf eût voulu anéantir, et, malgré sa prétention de "renvoyer sainte Cécile aux monastères de filles avec les Agnès, les Luce et les Agathe", la vierge romaine n'en est pas moins demeurée en possession d'une de ses plus  nobles prérogatives.  Son  étrange ennemi n'a pas été plus heureux, lorsqu'il a voulu assagir l'époque première du patronage qu'il poursuit avec une si violente ardeur. Selon lui, sainte Cécile n'eût été en jouissance de cet honneur "que depuis cent ou six-vingts ans", ce qui donnerait le commencement du dix-septième siècle. Mais on comprend aisément que Lebeuf ait pu dérouler son existence, être appelant de la bulle Unigenitus, et garnir de grosses notes le nouveau Graduel et le nouveau Missel de Paris, sans s'être jamais douté que Raphaël peignait en 1513 la sainte Cécile de Bologne.

 

Un autre excès dans lequel est tombé en ces dernières   années  un  homme  fort  respectable, M. l'abbé Thiesson, chanoine de Troyes, a été de prétendre dans une histoire de sainte Cécile, trop évidemment calquée sur la nôtre, que la vierge romaine, quoique les Actes n'en disent pas un mot, a été une instrumentiste des plus distinguées. La naïveté qui règne d'un bout à l'autre de ce volume, l'intention que fait paraître l'auteur de se donner pour un dilettante de premier ordre, son peu d'habitude d'écrire, ses recherches qui ne vont jamais au delà de ce qu'on a dit avant lui, ne sont pas de nature à faire avancer les questions. On apprend seulement dans son livre que sainte Cécile "était une charmante jeune personne".

 

Les tristes détails dans  lesquels  nous  avons été contraint d'entrer sur les outrages que sainte Cécile a eu à subir durant plus d'un siècle de la part d'une  fausse hagiographie,  nous  font un devoir de consacrer ici quelques lignes à montrer en retour à nos lecteurs l'illustre vierge recevant les plus fervents hommages de la part des saints qui, depuis elle, ont brillé dans l'Eglise, ou les honorant eux-mêmes des traits délicats de sa prédilection.

 

Au septième siècle, l'apôtre des Frisons,  saint Willibrod,  était appelé à Rome pour y recevoir la consécration épiscopale des mains du pape saint Sergius, et c'était dans la basilique de Cécile que s'accomplissait cette auguste fonction à l'égard du fondateur de tant d'églises   chez   les   infidèles.

 

Au   huitième,   la grande abbesse d'Almenéches, sainte Opportune, montait au ciel à la suite d'une vision dans laquelle Cécile s'était fait voir à elle.

 

Au onzième, saint Pierre Damien signalait les récentes apparitions de la grande martyre dans sa basilique.

 

Au douzième, le bienheureux Frédéric, qui fut abbé de Mariengart, dans l'ordre de Prémontré, recevait les conseils de la vierge romaine sur les oeuvres   saintes   qu'il   devait  entreprendre.

 

Au treizième,  saint Dominique voyait descendre la Mère de Dieu dans le dortoir où reposaient ses disciples, et Cécile accompagnait la reine du ciel dans cette maternelle visite. Marie apparaissait-elle au bienheureux Réginald pour lui  révéler sa vocation à l'ordre des frères prêcheurs, Cécile assistait encore la reine des anges. Le ciel envoyait-il à saint Pierre de Vérone quelques-uns de ses plus glorieux hôtes pour le consoler dans de cruelles épreuves, le futur martyr voyait arriver près de lui, dans le splendide éclat de sa félicité, Cécile accompagnée d'Agnès et de Catherine. Le souvenir de la vierge romaine était familier à sainte Catherine de Sienne, et la maintenait dans les luttes du grand combat spirituel. La bienheureuse  Oringa,  vierge  florentine,   déjouait sans effort toutes les embûches tendues à sa vertu, et l'enfer, interrogé par un séducteur lassé de tant de vaines poursuites, répondait que la servante de Dieu était sous la garde du même ange qui protégea la virginité de Cécile.

 

La prophétesse romaine du quinzième siècle, sainte Françoise, avait choisi dans Rome pour le lieu de sa prédilection la basilique de Sainte-Cécile, située non loin du palais Ponziani qu'elle habitait.  C'est là que,  souvent ravie au-dessus des sens, elle entendait et voyait les secrets célestes ; c'est là qu'elle voulut ensevelir les deux aimables enfants que le ciel lui redemanda si promptement.

 

Au seizième siècle,  nous voyons sainte Catherine de Ricci,  dominicaine,  recevoir de sainte Cécile les marques les plus touchantes de familiarité, et la bienheureuse Hélène Duglioli, dotant la peinture chrétienne d'un de ses principaux chefs-d'oeuvre, en déterminant Raphaël à peindre la sainte Cécile de Bologne. Nous venons de voir saint Philippe Néri, ne voulant prendre possession de la Vallicella que sous les auspices de la vierge romaine.

 

Au dix-septième siècle, la vénérable Agnès de Jésus, prieure des dominicaines de Langeac, fut souvent honorée de la visite de Cécile,  et les entretiens que la vierge glorifiée eut avec la vierge militante respirent encore la tendresse et la vigueur que présente dans tout son caractère la fille des Caecilii, telle que la dépeignent ses Actes.

 

C'est ainsi qu'une hagiographie mystérieuse venait compléter celle que produit l'étude des monuments, et développer à sa manière les études céciliennes, en attendant que le jour de la justice fût arrivé.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 400 à 408)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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7 juin 2011 2 07 /06 /juin /2011 19:00

Cécile avait donc reparu aux regards des chrétiens de Rome et de l'Eglise tout entière, au moment où le seizième siècle s'allait fondre dans le dix-septième.

 

En quel état retrouvait-elle cette société européenne que, huit siècles auparavant, lorsqu'elle apparut à Paschal, elle trouvait régie dans la foi et dans l'unité par la sainte Eglise, se préparant à traverser la grande crise qui devait, au onzième siècle, restituer l'ordre, la lumière et la paix par l'intervention de Grégoire VII et de ses successeurs, sauveurs du droit public et privé ?

 

A ce moment, la société chrétienne apparaissait dissoute par la rupture de tant de peuples et de gouvernements avec Rome ; le système d'équilibre politique avait remplacé la fraternité des nations dans le Christ et dans son Eglise, un avenir inconnu s'ouvrait aux pays dont le droit public avait changé, et cette foi chrétienne dont Cécile avait vu pour ainsi dire les débuts, et à laquelle elle avait donné tant de gages, courait des risques dans les contrées même qui avaient pu se garantir de l'invasion protestante. La terre attend un second et dernier avènement du Fils de Dieu, et il a dit lui-même qu 'à peine trouverait-il encore de la foi dans la race humaine (LUC, XVIII,  8),  lorsqu'il reviendra visiter son  oeuvre et rendre justice aux vivants et aux morts sur les débris du monde. Est-ce un nuage que nous traversons depuis trois siècles, pour revoir ensuite la lumière ? Le soleil des vérités réserve-t-il encore aux générations futures quelques-uns de ses rayons ? C'est le secret du Ciel. L'Eglise, patrie universelle des âmes, n'a qu'une seule chose à faire : continuer sa mission, qui consiste à recueillir avec un soin maternel ses élus dans toutes les races, et à les conduire au Christ au milieu de tous les dévouements et de toutes les épreuves.

 

La diminution des vérités sur la terre, ce terrible fléau qu'annonce le Roi-Prophète (Psalm. XI), a été le caractère des trois siècles dont nous parlons ; et dans cet appauvrissement successif, on peut dire que la suspension du tendre et respectueux intérêt que les chrétiens portaient aux saints dès l'âge de Cécile, a été l'un des signes de la décadence qui s'est fait sentir. La prétendue réforme avait fait une guerre acharnée au culte des saints, brisé leurs images, profané et brûlé leurs reliques. L'esprit qui l'inspirait s'efforça, au dix-septième siècle, de pénétrer dans les contrées qui étaient demeurées fidèles au symbole catholique ; mais, cette fois, il s'y prit avec plus de précautions.

 

La secte janséniste dans laquelle se concentra cette nouvelle attaque résolut de ne pas rompre extérieurement avec l’Eglise, mais de dissoudre sans bruit les assises sur lesquelles elle repose. Ainsi elle confessa toujours, quelquefois même avec éclat, le dogme de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie ; mais elle sut rendre ce dogme inutile quant à la pratique, en exagérant au delà de toute mesure les conditions auxquelles le chrétien pouvait oser s'en approcher. Elle maintint le sacrement de pénitence pour la rémission des péchés commis après le baptême ; mais elle n'accorda l'absolution au pécheur qu'à des conditions qui exigeaient qu'il y eût déjà, sans le secours du sacrement, entre Dieu et lui une réconciliation dont ce sacrement est le moyen ordinaire.

 

Le jansénisme proclama sur tous les tons la puissance de la grâce divine, mais à la condition d'anéantir devant elle la liberté humaine, et il enseigna que, sans cette grâce, l'homme n'était capable que du mal. Il anéantit la constitution de l'Eglise, en faisant du pape le premier entre les pairs ; prêcha une morale stoïque que l'Evangile ne pénétrait plus du principe d'humilité, et, au lieu de reconnaître que la nature doit être corrigée et réformée par la grâce, il la réputa mauvaise en elle-même par suite du péché d'origine, auquel il attribua l'extinction totale du bon principe dans l'homme.

 

En appliquant ce travail sourd aux points fondamentaux de la croyance et de la morale, le jansénisme dirigea ses théories à la destruction de la piété populaire qui n'est que l'expression pratique du dogme lui-même. Le culte de la Sainte Vierge et des saints fut le point de mire de ses attaques ; non qu'il osât, en principe, en nier la légitimité ; mais il s'attacha à le miner, en répandant la méfiance et le mépris sur les croyances chères au peuple fidèle. Les Actes des martyrs et les Vies des saints devinrent l'objet de ses poursuites, et bientôt, sous prétexte des droits de la critique, un système de doute fut appliqué à la plupart de ces pieux récits  qui  montraient l'Evangile en action. Tout fut contesté dans les Vies des saints, et bientôt on en vint à poser en problème jusqu'à leur existence même. C'était le meilleur moyen d'en finir avec leur culte, et d'amener peu à peu les chrétiens au déisme pur, en anéantissant cette nuée de témoins (Hebr., XII, I) qui nous démontrent que le Christ, Fils de Dieu, a paru sur la terre, puisque nous voyons sa gloire et sa divinité dans la succession non interrompue de ses élus qui doit le manifester jusqu'au dernier jour du monde.

 

Dans cette conspiration contre l'élément de la sainteté dans l'Eglise, les droits de la science furent donc mis en avant ; mais nous commençons à voir aujourd'hui que la vraie science a plus d'une reprise à faire sur ces hommes dont le joug fut si facilement accepté. Au reste, le principe d'où prétendaient partir les novateurs n'était rien moins qu'une découverte. Avant eux, les catholiques qui se livraient aux études hagiographiques n'ignoraient pas que, parmi les Actes des martyrs en particulier, il en est qui sont sans valeur historique ; mais on savait aussi que d'autres Actes, sans être irréprochables, renferment certains détails dérivés de traditions véridiques ; que d'autres contiennent des fragments antérieurs à la rédaction définitive ; que d'autres ont été rédigés sur des mémoires très sérieux et n'offrent rien de défectueux, sinon certains raccords que les copistes postérieurs se sont permis parfois, en insérant, comme complément, des particularités secondaires relatives à la chronologie, à la topographie, aux formes dans lesquelles s'exerçait l'autorité, au style des interlocuteurs qu'ils trouvaient trop simple et qu'ils ont altéré par quelques maladroites additions ; qu'enfin il en est qui sont venus jusqu'à nous, sans avoir rien perdu de leur rédaction première.

 

Pour arriver à l'appréciation de tant de sources diverses, un travail  assidu et impartial  est la première de toutes les conditions. II serait par trop facile de terminer toute la question par un dédain superbe,  en disant que,  sauf quelques-uns, tous les récits des Actes des martyrs sont des fables, et doivent être regardés comme des monuments de la crédulité du moyen âge.

 

Scientifiquement, il n'est plus possible de procéder ainsi. Que resterait-il debout dans l'antiquité profane elle-même,  si  l'on  traitait de cette façon tant d'auteurs et tant de témoignages, qui, sans doute, ont eu besoin d'être contrôlés et rectifiés, mais ne nous en rapportent pas moins, sur les temps anciens, les plus précieux renseignements ? Dans la conspiration que nous signalons, la passion et l'esprit de système se montrèrent sans quartier ; et bientôt, si l'on osait tenir pour les anciens récits, on put être assuré de passer pour un homme sans valeur.

 

Le Nain de Tillemont, dont la vaste érudition est d'ailleurs incontestable, fut celui qui, au dix-septième siècle, employa cette manoeuvre avec le plus d'audace et de succès. Ce docteur de Port-Royal s'attacha à renverser un nombre immense de monuments historiques, parmi lesquels se trouvaient naturellement les Actes de sainte Cécile, et allégua contre ceux-ci en particulier des fins de non-recevoir qui les eussent anéantis, si la vérité n'avait pas droit de se faire jour tôt ou tard à travers les nuages amassés par la passion.

 

Dans sa guerre contre les Actes des martyrs, le docte janséniste oublia trop souvent un principe de critique qu'il avait posé lui-même. Il convient quelque part que, "dans les plus méchants auteurs, il y a des endroits tirés de bons originaux et qui portent un caractère de vérité auquel il est comme impossible de ne pas se rendre" (Histoire des Empereurs, t. II. Notes sur Trajan.) A ce compte, il ne faudrait pas aller si vite dans le déblayement des monuments anciens. Quant aux Actes de sainte Cécile, on avait là devant soi un document grave, important, accepté par la plus haute autorité, sanctionné par les siècles, et s'encadrant parfaitement avec les événements de l'époque à laquelle se rattache le récit. Il plaît à Tillemont de n'y voir qu'un tissu de fables, et il se rassure en alléguant que l'auteur "n'a pas reçu l'amour de la vérité". (Mémoires, t. III.) Conformément aux doctrines de Port-Royal, que l'ardent janséniste énonce ici avec une rare naïveté, un historien se montre véridique ou mensonger dans ses écrits, non pas selon son libre arbitre, mais selon qu'il a reçu ou non l'amour de la vérité. Ce serait du moins une raison d'être indulgent envers les faussaires et les imposteurs historiques, et de ne pas les repousser avec trop de dédain, en attendant que l'amour de la vérité descendant en eux vienne les rendre sincères et fidèles  sans  leur participation. Quant à nous, cependant, qui suivons la foi catholique et croyons l'homme doué d'une responsabilité personnelle, nous avons peine à reconnaître ici dans Tillemont cet amour de la vérité qu'il refuse au rédacteur des Actes de sainte Cécile.  Si désormais  la valeur d'un  monument  historique  ne peut plus être jugée que d'après la touche que son auteur a reçue d'en haut, ce n'est plus au nom de la critique qu'il faudra procéder ; il suffira de constater le degré d'inspiration qui a conduit la plume de l'historien. C'est ainsi que l'esprit de la secte dirigeait Tillemont dans la guerre acharnée  qu'il  faisait aux anciens  monuments du christianisme.

 

Un critique digne de ce nom commencerait par laisser de côté les questions de la prédestination et de la grâce, lorsqu'il s'agit tout simplement de savoir si l'on peut s'en rapporter aux récits d'un auteur. Il rechercherait si cet auteur a été à même de connaître sur les lieux les événements qu'il raconte, s'il n'aurait pas eu des mémoires antérieurs, si son travail a obtenu ce contrôle de l'autorité qui ne garantit pas toujours une œuvre jusque dans ses moindres détails, mais rend du moins témoignage de la haute estime qu'elle inspire ; si des hommes d'un grand savoir ont reconnu la valeur du document en question ; s'il est possible de faire cadrer le fond et les détails des récits avec les moeurs du temps et les conditions des personnes auxquelles on les rapporte ; enfin s'il n'aurait pas en sa faveur certaines découvertes archéologiques, qui nous transmettent sans passion les faits de l'antiquité et nous mettent en rapport avec les temps, les lieux et les personnes, que les textes écrits ne suffisent pas toujours à nous faire connaître pleinement.

 

Tillemont a-t-il eu recours à ces moyens dans sa prétendue critique des Actes de sainte Cécile ? Il n'y a pas même songé ; il a abordé ce document avec un esprit prévenu, et il a prononcé sa sentence, en prenant uniquement pour motif les répugnances qu'il éprouvait. Ces Actes peuvent servir à éclairer les origines de l'église de Rome : par là même, ils ne devaient pas être en faveur à Port-Royal. Cette raison ne s'avoue pas ; mais il en est une autre que Tillemont croit devoir mettre en avant. Ces Actes, dit-il, contiennent des miracles, et,  pour cette raison,  ils ne peuvent être admis. Comment se fait-il alors que le même Tillemont admet d'autres récits qui renferment des faits plus miraculeux encore que ceux des Actes de sainte Cécile ? L'autorité des savants qui l'ont précédé et ont reconnu la nature pleinement historique de ce document, n'a aucune prise sur lui. Son célèbre contemporain, Papebrock, que l'on a souvent rangé parmi les hypercritiques, et qui proclame néanmoins dans les Acta Sanctorum la vérité et la valeur de nos Actes, qu'il qualifie antiquissima et sincerissima (Ephemerides Graeco-Moschae), n'est rien aux yeux de Tillemont. Rechercher dans les circonstances de temps et de lieu auxquelles se rapporte l'existence de Cécile, afin de savoir s'il serait possible d'y reconnaître l'encadrement du récit, est une étude préalable à laquelle il n'a pas songé, avant de prononcer la sentence ; quant aux ressources que fournit l'archéologie chrétienne pour contrôler les Actes des martyrs, il n'en a pas même l'idée. Tout, dans ses Mémoires, se décide au caprice, et quand il s'agit des Actes des saints, la cause est tranchée avant même d'avoir été instruite. Tillemont a eu cependant entre les mains les récits de la découverte du corps de Cécile par Paschal et par Sfondrate ; mais il n'y a rien vu, résolu qu'il était à ne tenir aucun compte des antiquités dans l'instruction d'une cause historique.

 

S'il avait reconnu quelque défectuosité dans les récits de notre historien, et nous convenons nous-même que celui-ci est tombé dans quelques innocentes méprises, comment le trop célèbre critique ne s'est-il pas souvenu des principes établis par Dom Mabillon dans sa Diplomatique, et qui depuis lors ont fait loi pour la science ? N'est-ce pas un axiome admis dans la critique, qu'un document, pour n'être connu que par une copie, ne perd pas pour cela sa valeur ? Bien plus, que quelques méprises du copiste ou quelques interpolations de sa part, n'ôtent pas toujours à une pièce ainsi altérée dans des détails secondaires sa qualité de document authentique, auquel on en peut encore référer, lorsque l'original lui-même a péri ?

 

Mais le système devait triompher, et sauf quelques  documents  privilégiés, retenus avec une prédilection pleine d'inconséquence, il était convenu que l'église romaine ne vivait que de fables sur tout son passé. La réputation de l'auteur, chez lequel la science est aussi réelle que l'esprit de parti est odieux, fit admettre comme décisifs tous les jugements arbitraires qu'il s'était permis de lancer.

 

Depuis longtemps déjà, en face des hommes de Port-Royal, la société française ne raisonnait plus, et ce joug que l'on s'était imposé à soi-même, adouci par le prestige de la mode, n'incommodait pas trop.

 

C'est ainsi que le jansénisme parvint à modifier en France l'opinion religieuse, et, dans l'ordre des questions dont nous parlons, il ne resta bientôt plus chez nous d'autre  hagiographie que celle que permettait Tillemont.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 390 à 399)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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