Mais il est temps de rentrer dans Rome, où nous rappelle le triomphe de Cécile.
Le monastère que Paschal avait bâti, au neuvième siècle, près de la basilique, ne s'était pas maintenu, et le soin de desservir l'auguste sanctuaire passa successivement aux mains de diverses corporations. Enfin, en 1627, il plut au Seigneur de le rendre à l'Ordre de saint Benoît. La pieuse abbesse des bénédictines de Sainte-Marie in Campo Marzo, Maura Magalotta, sollicita du pape Clément VII la faveur d'aller habiter le monastère de Sainte-Cécile avec celles de ses soeurs qui consentiraient à la suivre. Le pontife, qui était alors assiégé au château Saint-Ange par l'armée du connétable de Bourbon, accueillit avec empressement la proposition de la pieuse abbesse, et il data de la forteresse même la bulle qui assurait désormais d'une manière permanente à la basilique la célébration des offices divins, selon les intentions de son prédécesseur Paschal.
En 1584, Rome vit confirmer par l'autorité apostolique une nouvelle institution, qui avait pour objet le culte de la grande martyre. Sous le pontificat de saint Pie V, une académie s'était formée dans le but de conserver les traditions de la bonne musique, et elle s'était placée sous l'invocation de sainte Cécile, qui recevait de plus en plus les honneurs de la chrétienté en qualité de reine de l'harmonie. Le pape Grégoire XIII voulut encourager de si louables efforts, et érigea solennellement par lettres apostoliques la nouvelle académie, qui s'est maintenue jusqu'à nos jours, honorée de nombreux privilèges successivement accordés par les pontifes romains.
Dès l'année 1576, une confrérie musicale s'était fondée à Paris, sous le vocable de Sainte-Cécile, dans l'église des Grands-Augustins, et avait été honorée des lettres patentes du roi.
Sur la voie Salaria, en 1578, un éboulement amena tout à coup la découverte d'une suite de corridors de l'un des cimetières de cette voie, avec les cubicula ornés de peintures qui les accompagnaient. Rome s'émut tout entière de cette apparition inattendue, ainsi que le rapporte Baronius. Tout le monde voulut visiter cette région de la Rome souterraine que l'on ne connaissait plus ; mais peu de temps après un second éboulement effaça l'entrée de la catacombe, et les sacrés cimetières demeurèrent plongés encore dans les ténèbres qui les tenaient envahis depuis tant de siècles. Leur guide cependant venait de naître à Malte, Antoine Bosio, que Mgr Gerbet a appelé avec raison le Colomb des catacombes. Venu à Rome de bonne heure, l'apparition subite du cimetière de la voie Salaria, dont il entendit parler dès ses jeunes années, fut pour lui une révélation de sa carrière future, et Rome souterraine devint sa conquête. Nous ne pouvons nous étendre sur l'importance des travaux gigantesques de ce grand homme; mais ceux de nos lecteurs qui nous ont suivi jusqu'ici ont dû comprendre que la connaissance et l'appréciation de Rome souterraine sont le moyen principal de retrouver et de conduire l'histoire du christianisme dans Rome durant les trois premiers siècles.
Les travaux si méritants de Bosio n'ont pas produit, il est vrai, tout ce qu'ils devaient produire. L'ordre chronologique dans la succession des cimetières, l'âge des fresques, des inscriptions, des monuments, des constructions, ne l'ont pas assez préoccupé, et en résumé le résultat de ses labeurs n'a pas été aussi fécond qu'il eût pu l'être; mais il lui reste la gloire d'avoir révélé Rome souterraine qui, sans lui, était perdue de nouveau. Reprise en sous-oeuvre de nos jours par la science archéologique, elle ne cesse de fournir sur l'unité de la foi et sur les origines chrétiennes des secours et des renseignements venus en leur temps, et qui nous mettent à même de tracer sûrement les annales de Rome chrétienne et de justifier de l'antiquité apostolique de nos croyances. On a vu à quel point l'histoire de Cécile est intimement liée à tout cet ensemble ; mais, à ce moment, ce n'est plus dans les souterrains qu'il nous faut l'aller chercher, c'est au grand jour que la plus solennelle ovation l'attend.
En l'année 1500, Grégoire XIV monta sur le siège apostolique, qu'il occupa à peine quelques mois ; mais il eut le temps de promouvoir à la dignité cardinalice son neveu Paul-Emile Sfondrate, et le Titre qu'il lui conféra fut celui de Sainte-Cécile. Paul-Emile était né à Milan, en 1561. Son père était Paul Sfondrate, frère de Grégoire XIV ; sa mère appartenait à la maison d'Esté et se nommait Sigismonde. Les plus heureuses dispositions signalèrent la jeunesse de leur fils, et lorsqu'il fut en âge de choisir un état de vie, son attrait le dirigea vers l'Eglise. Il vint à Rome de bonne heure, et passa quelque temps dans la maison des Pères de l'Oratoire à Sainte-Marie in Vallicella, où il eut encore le bonheur de connaître saint Philippe Néri. La piété ardente du jeune Sfondrate s'enflamma encore dans la société de cet illustre serviteur de Dieu, et il puisa dans ses entretiens avec le vieillard cette charité envers les pauvres, ce zèle pour l'entretien du sanctuaire, cette religion fervente pour les martyrs, qui furent toute sa vie les principaux traits de son caractère.
Le jeune prélat, âgé alors de vingt-neuf ans, était absent de Rome lorsque la nouvelle de son élévation vint le surprendre. Il se rendit auprès de son oncle qui avait su toujours apprécier sa vertu, et qui voulut tout aussitôt l'employer dans ses conseils. La mort de Grégoire XIV rendit à son neveu les pieux loisirs dont il avait toujours été si jaloux, et Rome le vit plus assidu que jamais aux oeuvres de la piété et de la miséricorde. Pourvu de riches bénéfices par la munificence de son oncle, il n'en avait pas profité pour s'entourer d'un luxe que sa haute position eût légitimé aux yeux de tous. On avait vu ce cardinal-neveu habiter un palais dont les appartements, dépourvus de tentures et de tapisseries, attestaient qu'il songeait de préférence à vêtir les membres de Jésus-Christ. La cour pontificale avait admiré ce prince de l'Eglise qui ne souffrait sur sa table que de la vaisselle de terre, afin de pouvoir nourrir un plus grand nombre de pauvres. Tel avait paru Sfondrate au faîte des honneurs, tel il se montra tout le reste de sa vie. Le 25 janvier 1591 fut le jour où il prit possession du Titre de Sainte-Cécile.
La basilique, restaurée soixante ans auparavant par l'abbesse Maura Magalotta, réclamait déjà les sollicitudes de son cardinal titulaire. Elle avait souffert dans quelques parties, et d'ailleurs le cardinal ne la trouvait pas assez magnifique. Il entreprit une restauration générale, dans laquelle tout en conservant le caractère antique et vénérable de l'édifice, il en consoliderait toutes les parties, et répandrait sur l'ensemble cet air de splendeur qui sied si bien aux églises de Rome.
Sfondrate voulut d'abord enrichir sa basilique des nombreuses et importantes reliques qu'il avait rassemblées à force de pieuses recherches, et souvent en employant la médiation de son oncle. Elles étaient contenues dans un grand nombre de châsses précieuses par la matière ou le travail, et afin qu'elles fussent conservées plus dignement, il eut l'idée de les placer sous l'autel de la Confession. Mais l'espace accessible entre la masse de cet autel et la mystérieuse région des tombeaux ne suffisait pas pour offrir une retraite assez spacieuse à ce sacré dépôt. Le cardinal dut songer à agrandir le lieu, et, rempli d'un ardent désir de trouver le corps de sainte Cécile, il se décida à faire percer l'épais mur sur lequel reposait l'autel.
Il pensait, avec raison, que les tombeaux ne devaient pas être éloignés de l'entrée, et d'ailleurs l'ouverture pratiquée dans la masse de l'autel devait correspondre directement au sépulcre de Cécile, puisque les fidèles faisaient descendre autrefois par ce conduit les linges qu'ils voulaient sanctifier et conserver en mémoire de la martyre. Dans l'attente d'une découverte qui devait répandre tant de gloire et de consolation sur sa vie entière, Sfondrate, tout entier à ses pieuses émotions, avait ordonné aux ouvriers de ne travailler que sous ses yeux, et de suspendre toutes recherches durant les instants qu'il était contraint de passer hors de la basilique.
Enfin, le mercredi 20 octobre 1699, le cardinal commanda d'enlever le pavé aux abords de l'autel.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 332 à 338)