Jusqu'ici Rome souterraine ne nous a plus rien transmis en fait de monuments funéraires des Caecilii.
Les Pomponii chrétiens, si intimement liés aux cryptes de Lucine, ne pensèrent pas leur être infidèles en choisissant parfois leur sépulture hors de ce cimetière pour se rapprocher davantage de Cécile. Ainsi M. de Rossi a découvert parmi les inscriptions du cimetière de Calliste, se rapportant à la première partie du troisième siècle, celle d'un Pomponius Bassus, le mari sans doute d'Annia Faustina, et, ce qui est encore d'un plus grand prix, celle tant désirée d'un :
ΠΟΜΠΩΝΙΟС
ΓPHKEINOC
Nous ne quittons qu'à regret ces augustes souterrains, où tant de noms historiques, et noms chrétiens en même temps, voudraient nous retenir encore. Au cimetière de Lucine, un Aemilius in pace ; un Saloninus, surnom d'une branche des Cornelii célèbre au troisième siècle ; une nouvelle Φαυστείνα, et surtout une Iallia Clementina, fille de Iallius Bassus, dont la science archéologique vient de recouvrer la généalogie et qui nous reporte au deuxième siècle, auraient droit de nous arrêter. Au cimetière de Calliste, nous prenons congé avec un regret non moins vif des nombreux Aemilii et Aemiliae, des Aurelii, des Maximi, des Attici, des Valeriani, des Claudiani. Nous eussions aimé à approfondir ces épitaphes d'une Φελίκτας Φαυστείνα, d'un Bufus, époux d'une Valeria, d'un Aelius Saturninus, et de tant d'autres qui montrent si éloquemment les riches conquêtes de l'Eglise dans l'aristocratie romaine, ainsi que la permanence au sein du christianisme, des alliances constatées par les monuments de l'ancienne Rome, entre les plus illustres familles de la république. Mais il nous faut bien plutôt demander pardon au lecteur de cette digression à laquelle la sépulture insolite du pape Cornélius a donné occasion, et reprendre le fil de notre narration malheureusement trop rapide.
Lucius succéda à Cornélius sur la chaire de saint Pierre (253). Il fut moissonné par le glaive du martyre, et s'en vint reposer en la compagnie de ses prédécesseurs dans la crypte papale. Son marbre est aussi du nombre de ceux qu'a retrouvés M. de Rossi.
Nous n'avons point conservé l'épitaphe d'Etienne qui succéda à Lucius (254), et fut comme lui déposé, après son martyre, dans l'hypogée des papes. Sixte II, successeur d'Etienne (257), a laissé une mémoire plus imposante que les autres pontifes qui sont venus, depuis Zéphyrin, reposer dans ce cimetière. Il eut la gloire de lui donner son nom, et c'est ainsi que cette région est si souvent appelée Ad sanctum Xystum, Ad sanctum Systam ou Sustum. La grandeur du martyre de Sixte avait ému les peuples, et un témoignage unique aux catacombes, celui d'une chaire de marbre teinte du sang pontifical, contribuait à maintenir ce sentiment d'admiration qu'attestent les nombreux graphites, tracés à l'entrée de la salle funéraire, et sur lesquels le nom de Sixte est si souvent répété avec l'accent de l'admiration et de la confiance.
L'empereur Valérien avait compris que le centre de vie pour le christianisme, à Rome, était dans les cimetières, et, le premier des princes persécuteurs de l'Eglise, il avait fini par publier un édit qui en interdisait l'accès aux fidèles. Les catacombes, n'étant plus désormais inviolables, allaient courir les plus grands dangers de la part des païens, si une active prévoyance ne faisait prendre des mesures pour en rendre impossible l'envahissement. On trouva moyen de couper les escaliers, d'obstruer les voies dans tous les quartiers importants, et de mettre par là en sûreté les trésors sacrés qui s'étaient accumulés durant deux siècles entiers dans les sanctuaires de Rome souterraine. Pour pénétrer désormais dans les cimetières, il fallut d'autres itinéraires, et des guides auraient été nécessaires aux païens s'ils avaient tenté sérieusement d'y pénétrer. Cet état de choses dura, sauf de courts intervalles, jusqu'à la paix de l'Eglise, qui restitua à la fois aux chrétiens et les cimetières qu'ils avaient creusés sous le sol et les églises que, depuis la première moitié du troisième siècle, ils bâtissaient déjà au grand jour, particulièrement en Orient. Les édits qui interdisaient les réunions dans les cimetières ne portaient rien moins que la peine de mort contre les infracteurs ; mais certaines fonctions qu'avait à remplir le pontife l'obligeaient souvent d'enfreindre de telles prohibitions. La prudence exigeait par-dessus tout que la crypte papale fût mise hors d'atteinte ; elle fut donc interdite, au moins momentanément, par une soigneuse interception de l'entrée et des voies.
Le cimetière de Prétextat n'était pas, comme celui de Calliste, désigné aux recherches des persécuteurs par un caractère officiel. Un jour du mois d'août 258, Sixte y présida une réunion qui devait laisser un souvenir ineffaçable dans la mémoire des fidèles. Il était assisté des diacres Félicissime et Agapit, et vaquait à une fonction sacrée dans une des salles principales de cet important cimetière. Tout à coup, le lieu de réunion est envahi par des soldats envoyés par le préfet de Rome. Sixte occupait la chaire de marbre, du haut de laquelle il adressait une allocution aux fidèles. Le spectacle si nouveau de ces hommes armés qui venaient mettre la main sur le pontife, saisit de terreur toute l'assemblée, mais sans arrêter l'élan de la foi de ces généreux fidèles. Ils offraient tous leur tête pour sauver celle de leur père. Sixte fut entraîné dans Rome, il comparut et fut condamné à recevoir la mort au lieu même où il avait bravé les édits de César. Comme on l'entraînait par la voie Appienne, son archidiacre Laurent lui reprocha de se rendre sans lui au lieu du sacrifice. — "Dans trois jours tu me suivras", lui répondit le saint pontife. L’escorte qui conduisait Sixte au supplice envahit le cimetière où on l'avait surpris, et ce fut sur la chaire même d'où il avait présidé la sainte assemblée qu'on lui trancha la tête. Cette chaire toute teinte du sang du martyr fut plus tard apportée dans la crypte papale ; elle était adossée, ainsi que nous l'avons dit, au premier tombeau de Cécile. Dès qu'il fut possible, on transféra le corps de Sixte auprès de ses prédécesseurs du troisième siècle ; mais les circonstances si glorieuses de son immolation le firent considérer comme le plus illustre de tous par le peuple fidèle.
Denys succéda à Sixte (259), et il vit l'Eglise jouir quelque temps d'une heureuse trêve par l'influence de Cornelia Salonina, femme de l'empereur Gallien, qui était chrétienne et parvint à arrêter la persécution. Nous avons signalé tout à l'heure la tombe d'un Saloninus, visible encore près du tombeau de saint Cornélius, au cimetière de Lucine. La sépulture de Denys eut lieu dans la crypte papale, ainsi que celle de son successeur Félix (269), comme en fait preuve l'inscription de Sixte III. Eutychien, qui succéda à Félix (275), vint reposer auprès d'eux, et son épitaphe est une de celles qu'a retrouvées M. de Rossi. Caïus, qui siégea ensuite (283), fut inhumé pareillement dans la crypte cécilienne ; mais ses deux successeurs Marcellin et Marcel furent ensevelis au cimetière de Priscille.
A cette époque figure une troisième Lucine, non moins zélée pour l'Eglise que les deux premières ; mais on ne voit pas que son nom soit lié avec le cimetière primitif de la voie Appienne. Un trait qui se rapporte à la persécution de Dioclétien, et que nous ne devons pas omettre dans la recherche que nous faisons des monuments chrétiens de cette voie, est la sépulture du grand martyr Sébastien près du puits au fond duquel avaient été cachés les corps des saints apôtres. C'est là aussi que la troisième Lucine fut inhumée, à la suite d'une vie toute consacrée au service de l'Eglise.
Au commencement du quatrième siècle, nous trouvons encore deux papes, saint Eusèbe et saint Melchiade, ensevelis au cimetière de Calliste ; mais leurs corps ne furent pas déposés dans la crypte papale, sans doute encore inaccessible par suite des mesures qu'on avait dû prendre pour en interdire l'entrée aux païens, durant les années orageuses de la persécution. Ils eurent chacun leur cubiculum particulier, et celui de saint Eusèbe, heureusement retrouvé, garde encore les traces de son élégante ornementation.
A la suite de ces vicissitudes, Rome souterraine et les cryptes de la voie Appienne en particulier entendirent proclamer la paix de l'Eglise. L'édit de Milan rendait la liberté à leurs sentiers et la sécurité à leurs sanctuaires. Par les ordres de Constantin, la croix paraissait au grand jour ; mais nul n'ignorait dans tout l'Empire, nul homme de bonne foi ne pouvait disconvenir, qu'une telle victoire était due au courage et au sang des martyrs.
Le sol de la ville éternelle vit s'élever de splendides basiliques comme autant de trophées de la religion du Christ ; mais, durant de longs siècles encore, les catacombes demeurèrent en honneur. Les anniversaires des martyrs y ramenèrent constamment la population romaine ; et de nouveaux travaux, galeries, peintures, constructions, annoncèrent que l'histoire de Rome souterraine se continuait, tandis que la ville éternelle, retenant encore debout les monuments du passé qui devaient succomber sous les coups des barbares, se purifiait et s'embellissait sous une parure chrétienne.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 240 à 246)