Le mythe d'Orphée, type du Christ en tant qu'il est le principe et l'auteur de l'harmonie universelle, nous conduit à celui de Psyché, adopté par les chrétiens de Rome, à l'époque primitive. Sur les peintures des catacombes, il ne se rencontre qu'en un seul endroit, et c'est encore au cimetière de Domitille, dans la partie qui remonte évidemment au siècle des apôtres.
Un cubiculum, qui ouvre sur le grand ambulacre, présente jusqu'à trois fois ce sujet caractéristique. On n'a pas droit de s'étonner de voir la fable antique préoccuper l'attention des chrétiens qui arrivaient à connaître l'amour du Fils de Dieu pour sa créature, qu'il a aimée jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Un mythe qui plaçait en scène l'Amour et ses divines recherches à l'égard de l'âme, ne pouvait manquer d'intéresser, comme une sorte de prophétie, les néophytes d'un esprit cultivé, qui abordaient à la foi chrétienne. N'avaient-ils pas d'ailleurs, pour préparer leur pensée au divin mystère des noces de l'Epoux céleste avec l'Epouse terrestre, le cantique sacré qui en est l'épithalame, et qui fait partie des saintes Ecritures ? Le beau mythe que l'Orient avait transmis, et que la philosophie platonicienne avait complété, se présentait donc de lui-même, comme une expression toute choisie, à cette fraction élue de la société romaine qui avait donné au Christ Aurélia Petronilla et Flavia Domitilla. Quoi d'étonnant d'en rencontrer la trace, en cette région où furent leurs tombeaux ?
La synthèse des peintures cémétériales, autant qu'on en peut juger par les débris à l'aide desquels nous essayons de la former, ne conserva pas ce délicat et mystérieux sujet. Probablement l'œuvre d'Apulée, qui dénatura et souilla ce chaste symbole dans un livre obscène, en rendit l'usage chrétien moins convenable et moins libre.
C'est une raison de plus pour nous de le signaler ici dans sa simplicité primitive, où il n'offre que modeste familiarité et tendresse.
Dans l'un des sujets que nous avons relevés, l'Amour et Psyché sont occupés à cueillir des fleurs qui doivent remplir une corbeille. Ces fleurs signifient le parfum et la pureté de leur union. Psyché porte ses ailes de papillon, auxquelles on la reconnaît toujours sur les monuments de l'art antique ; mais elle est modestement vêtue et la corbeille de fleurs qu'elle a préparée pour l'Amour est déjà remplie.
Les deux autres fresques respirent la même simplicité et la même tranquillité. On sent que le peintre a voulu seulement rendre l'idée, laissant à compléter par l'âme, la vraie Psyché, ce qui manque à l'expression des sentiments qu'elle éprouve envers celui qui, étant le Roi éternel, a daigné "convoiter sa beauté". (Psalm. XLIV.) L'imperfection artistique de ces peintures saute aux yeux ; mais leur manière ne nous reporte pas moins à l'époque la plus classique.
Avant de terminer cette investigation de Rome souterraine à l'époque des Antonins, il nous reste à mettre en lumière un sujet que nous n'avons pas introduit plus tôt afin de ne pas interrompre notre marche. Il s'agit du dogme chrétien de la résurrection des corps, qu'il ne faut pas confondre avec celui de l'immortalité de l'âme. La croyance à cette restitution que le tombeau doit faire un jour de notre dépouille mortelle, est un des points fondamentaux du christianisme. Le dernier effet de la rédemption ne sera obtenu, la mort ne sera complètement vaincue, que lorsque le tombeau aura rendu à notre âme ce corps, dont elle n'est désunie que pour un temps, en expiation du péché. Le paganisme, sensuel par dessus tout, avait en horreur, comme nous l'avons dit, cette croyance chrétienne, qui, pour les martyrs, était un motif de plus de dédaigner le corps, que rien ne peut soustraire à sa juste et inévitable dissolution. L'apôtre Paul leur avait enseigné que le Christ, dans sa résurrection, est "le premier-né d'entre les morts" (Col., I), et que la chair est confiée à la tombe, "pour en sortir un jour comme le plus noble froment". ( I Cor., XV.) De là il était aisé de conclure que, pour ce qui est du corps, la mort n'est qu'un sommeil ; et ce fut pour cette raison que les chrétiens, dans toute l'Eglise, s'accordèrent à donner le nom de cimetière, qui en grec signifie dortoir, aux divers lieux où se trouvaient réunies leurs sépultures.
Les signes de leur foi dans la résurrection des corps ne pouvaient donc être omis sur les peintures cémétériales, et l'on peut même dire que rien n'y est plus fréquent. Tout est mis à contribution pour rendre l'idée de cette palingénésie sur laquelle le chrétien compte fermement. Souvent, comme au cimetière de Priscille, il y est fait appel par la représentation antique du paon, à la chair duquel les naturalistes de ces temps attribuaient l'incorruptibilité.
La succession des saisons fut employée aussi comme le symbole de cette reviviscence sur laquelle nous devons compter. "L'hiver et l'été, écrivait Tertullien à l'époque que nous racontons, le printemps et l'automne, se remplacent avec leurs énergies, leurs caractères et leurs produits. La règle assignée par le ciel est que les arbres dépouillés revêtent de nouveau leur feuillage, que les fleurs reprennent leurs riches couleurs, que les céréales reproduisent la semence absorbée par la terre. Cette succession des choses est une figure de la résurrection des morts". (De resurrect. carnis, cap. XII.) Origène s'exprime de la même manière dans son Commentaire sur l'Epître aux Romains. L'inépuisable cimetière de l'Ardéatine renferme une gracieuse peinture où les quatre saisons sont groupées autour du bon Pasteur.
Au cimetière de Prétextat, dans la crypte de saint Januarius, l'évolution des saisons est exprimée d'une autre manière. Au-dessus de la niche, le pinceau a tracé un arc occupé par des moissonneurs qui accomplissent la récolte du père de famille. Quant à la voûte elle-même, elle est partagée entre quatre zones circulaires destinées à rappeler le mouvement des saisons, sans l'intervention d'aucun personnage, en employant seulement des enroulements de feuillages et quelques accessoires. Les roses du printemps, les épis de l'été, les grappes de l'automne, le laurier toujours vert, même sous la neige, s'enroulent dans les plus gracieux rinceaux, peuplés de nids et de colombes.
Enfin le dogme de la résurrection des corps s'affirme dans les catacombes, par la reproduction incessante, jusque sur le marbre des sarcophages, de l'histoire de JONAS, que le Christ lui-même a donné comme le type de sa propre résurrection, prélude de la nôtre. (MATTH., XII.)
Ainsi s'affirme, par les signes les plus expressifs, le grand dogme que le christianisme devait faire prévaloir au milieu du monde païen, en renouvelant le sentiment de la dignité de l'homme jusque dans son corps. Ainsi s'explique le zèle pieux qui porta dès l'origine les chrétiens à attacher une si haute importance aux sépulcres, à conserver avec tant de respect les débris de ces corps qui avaient été les temples du Saint-Esprit, et devaient ressusciter glorieux. Rome souterraine, l'une des merveilles de ce monde, et peut-être la plus grande, dut son existence au dogme de la résurrection des corps. Sous l'inspiration de cette vérité primordiale, elle devint la cité mystérieuse et sacrée, la nécropole des martyrs, le lieu de réunion des fidèles, l'école où l'on apprenait à vivre et à mourir pour le Christ.
Après cette longue excursion à travers les monuments primitifs du christianisme, dans laquelle nous avons touché successivement les éléments de cette vitalité qui animait nos martyrs, nous revenons au saint pontife qui présidait au gouvernement général de l'Eglise.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 67 à 73)