SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE : Marc-Aurèle

Quant aux chrétiens, ils réclamèrent, comme nous allons le voir.

 

 Marc-Aurèle avait embrassé  la profession de philosophe. Le contraste de cette vie solennelle et supérieure au vulgaire lui avait semblé d'un grand effet sur le trône impérial. Il prépara son rôle de longue main, et le suivit jusqu'au bout. Après la prédication de l'Evangile, la philosophie n'était plus qu'une réaction de l'orgueil contre le christianisme qui l'avait dépassée, et la convainquait d'erreurs grossières dans toutes ses écoles sans exception.

 

Le philosophe sincère, et véritable chercheur de la sagesse, accourait au baptême, comme saint Justin ; les autres éprouvaient un éloignement instinctif pour une doctrine qui accueillait le pauvre et l'ignorant aussi bien que le riche et le savant, et n'avait pour l'un comme pour l'autre qu'un même symbole de foi, devant lequel toute pensée humaine devait s'incliner.

 

 Chez Marc-Aurèle, la spécialité était la morale. Il la trouvait toute faite dans l'enseignement chrétien, et, pas plus qu'Epictète, il ne se faisait faute d'y faire des emprunts, sans toutefois trahir la source. Les chrétiens étaient nombreux et puissants dans la société romaine, et il s'était formé insensiblement un courant qui transmettait déjà leurs principes jusqu'à ceux mêmes qui affectaient d'ignorer ce qu'était le christianisme.

 

De là, sous les Antonins, une modification dans les lois, rendues plus conformes à l'équité naturelle. Hadrien avait fait quelque chose dans ce sens. Antonin suivit la même ligne, et Marc-Aurèle continua. C'était le progrès par le christianisme, sans avouer le christianisme.

 

 Quant au dernier de ces empereurs, personne n'ignore avec quelle faveur il a été traité dans la postérité. On a tenu à le juger en faisant abstraction des faits dans lesquels est empreint son caractère véritable, et peu s'en faut que son apothéose ne se soit étendue jusqu'à nos temps. Ses admirateurs se sont fait une loi de l'apprécier uniquement par ses écrits, sans se rendre compte qu'il y pose continuellement. Ses Pensées sont une confidence vaniteuse qu'il daigne faire de sa grande âme, et la candeur de sentiment qui fait le caractère de ses lettres à Fronton rassure peu chez un homme qui répandit par système le sang innocent. On sait, au reste, que les anciens écrivaient d'ordinaire leurs lettres intimes dans la pensée qu'elles iraient plus loin que le destinataire, et un empereur assurément ne pouvait en douter.

 

La moralité de l'époux de Faustine ne saurait se soutenir, et l'on voit qu'elle a toujours embarrassé ses panégyristes. A l'égard de cette ignoble femme, Marc-Àurèle fut-il dupe ou complaisant ? La première supposition n'est pas admissible ; la seconde serait peu honorable dans un moraliste. Au fond, quelle base eût pu avoir une vertu sérieuse, chez un homme qu'aucun principe supérieur ne conduisait ? Sur Dieu, sur l'âme, il en demeure  toujours,  dans  ses  écrits, au  scepticisme. En revanche, sa philosophie se combine parfaitement avec la superstition d'un païen vulgaire. Il ne fait rien pour arrêter la contagion du paganisme oriental qui précipitera la ruine de l'Empire ; mais, dès qu'il s'agit du christianisme, son mépris et sa haine lui inspirent un sang-froid qui fait frémir. A peine sera-t-il assis sur le trône qu'on verra recommencer le carnage des chrétiens dans tout l'Empire.

 

Ce philosophe est en même temps jaloux du courage des martyrs. Plaidant lâchement, au livre Xe de ses Pensées, la cause du suicide, qu'il propose comme le dénouement de la vie d'un sage, il conseille au philosophe une résolution qui doit être l'effet de mûres réflexions et d'un jugement arrêté. "Il faut se garder, dit-il, d'aller à la mort en enfants perdus, comme les chrétiens".  Marc-Aurèle ment ici à sa conscience. Il était à même d'apprendre, par l'Apologie de Justin et par les réponses des chrétiens aux interrogatoires des proconsuls, que si les martyrs s'offraient avec une noble ardeur à la mort, c'est parce qu'ils voulaient fuir le mal auquel on les provoquait, c'est parce qu'ils savaient qu'ils allaient à Dieu par cette voie. Et ce n'était pas la mort seulement que les martyrs affrontaient ; c'étaient d'affreuses tortures inventées par la férocité païenne. Marc-Aurèle a mauvaise grâce de rappeler ces généreux sacrifices à ceux auxquels il conseille de sortir de cette vie par un attentat contre eux-mêmes, et qu'il essaye de rassurer, en leur suggérant les moyens les plus doux.

 

On sut donc de bonne heure, dans tout l'Empire, qu'on ne lui déplairait pas en poursuivant les chrétiens à outrance.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 318 à 321) 

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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