Mais ces deux images de la Madone à l'usage des chrétiens de l'Eglise primitive ne sont pas les seules qui se rapportent aux deux premiers siècles.
Au cimetière de Nérée et Achillée, s'en présente une autre, entourée des plus classiques peintures de l'âge des Antonins. Le trône désigne, selon la coutume, la majesté et la puissance de celle qui est assise et tient entre ses bras l'Enfant-Dieu. Autour d'elle sont les mages offrant au souverain Roi, son fils, les présents de l'Orient. Il est à regretter que cette peinture ait souffert de graves détériorations.
La série des peintures historiques retrace quelques-uns des prodiges de l'Homme-Dieu, de ces prodiges auxquels Cécile fera appel dans sa harangue à Tiburce, comme aux irréfragables arguments de la divinité du fils de Marie. Telle est la guérison de l'aveugle-né reproduite par une autre fresque de Nérée et Achillée. (BOSIO, p. 249, I.) Quant aux épisodes relatifs à la Passion du Sauveur, ils manquent, sauf peut-être celui du couronnement d'épines, au cimetière de Prétextat, et encore y serait-il tellement déguisé, qu'on aurait peine à trouver des arguments pour répondre au contradicteur. Rien d'étonnant d'ailleurs, lorsque nous rencontrons si souvent les martyrs sur nos fresques, toujours placides et n'annonçant leur triomphe que par la sérénité de leurs traits.
La résurrection de Lazare revient souvent sur nos peintures, et comme fait historique et comme symbole ; car les traits de l'Evangile, ainsi que l'ont remarqué les Pères, servent à la fois d'arguments dans la démonstration chrétienne et d'instruction morale aux fidèles. Dans cette première partie de notre exposé, nous insérons d'abord ce qui tient au positif des faits sur lesquels s'appuie la croyance. Les gentils de Rome et de l'Empire ont cru à Jésus-Christ, parce qu'il a ressuscité à Jérusalem un mort nommé Lazare, enseveli depuis quatre jours. Le sens moral que l'on peut tirer de ce fait les eût peu intéressés, si, avant tout, le fait n'eût pas été certain à leurs yeux. Tenons-nous donc pour assurés qu'ils y ont regardé de fort près, avant d'accepter le récit dans sa teneur ; car personne n'ignorait les conséquences qui pouvaient résulter du passage d'un païen au christianisme. Quant à la société polie de Rome au sein de laquelle nous avons signalé et nous signalerons tant de conversions à la foi prêchée par les apôtres, on conviendra qu'elle s'affirme suffisamment par le luxe colossal de ces innombrables peintures dont les débris sont encore si imposants et si précieux pour l'histoire de l'art.
Ne faudrait-il pas être insensé, pour prétendre encore que le christianisme, réduit aux ressources d'une agrégation formée au sein des classes vulgaires, eût pu concevoir et exécuter ces oeuvres d'une si haute distinction, et qui souvent rivalisent d'élégance avec les fresques si admirées des tombeaux des Nasons ? Non ; c'est bien l'aristocratie chrétienne de Rome qui a cru la résurrection de Lazare par le Christ, et qui a reconnu pour un Dieu le Nazaréen, maître de la vie et de la mort. Le plafond d'Orphée nous donne aussi ce sujet si souvent répété dans les cryptes chrétiennes. Lazare est représenté en momie, et la baguette dont le Sauveur le touche figure le pouvoir divin qui seul peut rendre un mort à la vie.
La foi chrétienne est désormais établie sur le fondement des miracles. Les apôtres reçoivent la mission d'enseigner toutes les nations : que va devenir le judaïsme ? Après avoir recruté d'une faible partie de ses membres la nouvelle société, il s'irrite de voir les gentils admis à l'alliance de Dieu. Par son dépit inhumain contre le christianisme, il renouvelle la jalousie de Jonas contre Ninive pénitente. Il fallait que ce trait tînt bien fortement à coeur aux premiers chrétiens pour qu'ils l'aient reproduit si souvent, non seulement sur leurs fresques murales, mais jusque sur les bas-reliefs de leurs sarcophages. La fureur des juifs contre la loi nouvelle, le bonheur, chez les gentils convertis, de se sentir héritiers des promesses, et d'avoir éprouvé les miséricordes de Dieu, nous donnent la raison de cette insistance. Le livre sacré nous apprend que Jonas, après avoir dénoncé aux Ninivites l'arrêt divin qui condamnait leur ville à une destruction violente dans le terme de quarante jours, s'irrita de voir Dieu pardonner à cette ville infortunée, qui l'avait désarmé par la prière et par l'expiation. Dans son dépit d'avoir proféré une menace que la bonté divine avait daigné retirer, il alla se placer sur une montagne située à l'orient de Ninive, et de là il considérait avec indignation la ville qui venait de faire l'épreuve de la miséricorde céleste. Le soleil était ardent au ciel, et dardait vivement ses rayons sur le prophète. Une des fresques du cimetière de Domitille nous le représente dans l'accablement physique et moral qu'il éprouvait. (BOSIO, 243, V.)
Il se leva cependant, et chercha à se construire un abri en ce lieu où sa colère le retenait. Dieu, qui lui ménageait une leçon, fit croître à l'instant sur l'appentis une plante grimpante aux larges feuilles que l'ancienne Vulgate appelle cucurbita, ce qui a donné lieu aux premiers chrétiens d'en mêler les fruits au-dessus de la tête du prophète. Sous cet ombrage, Jonas put goûter le repos de ses membres, garanti qu'il était des ardeurs du soleil. Les fresques du même cimetière, avec leur allure classique, nous le représentent dans cette attitude. (BOSIO, 225, III.)
Mais Dieu, qui voulait donner aux juifs une leçon d'humanité, envoya dès le matin un ver qui coupa la racine du bienfaisant arbrisseau ; les feuilles séchèrent tout à coup et tombèrent, et les premiers feux du soleil dont l'ardeur montait toujours vinrent donner d'aplomb sur la tête de Jonas. Le courage l'abandonna, et, dans sa déception, il en vint jusqu'à souhaiter la mort. Le peintre chrétien du deuxième siècle l'a représenté dans cette situation. (BOSIO, 226, III.)
Dieu se fit entendre alors à son prophète infidèle : "As-tu raison de t'irriter contre cet arbrisseau qui te refuse service ? — Oui, répondit le prophète ; je suis irrité à en mourir". Et le Seigneur lui dit : "Tu te fâches au sujet d'une plante que tu n'as pas fait pousser. Née dans la nuit, elle a disparu dans une nuit, et moi je n'aurais pas le droit de pardonner à Ninive, cette immense cité, où plus de cent vingt mille hommes ne savent pas discerner leur main droite de leur main gauche ?" (JONAS, IV.)
Saint Augustin explique ce type de Jonas si populaire dans les premiers siècles, et si inintelligible pour les chrétiens qui ne lisent plus la Bible. "Jonas, dit-il, figurait le peuple charnel d'Israël. Ce peuple était triste du salut des Ninivites, c'est-à-dire de la rédemption et de la délivrance des gentils. Pourtant, le Christ est venu appeler, non les justes, mais les pécheurs à la pénitence. Cette ombre de la cucurbite, qui s'étendait sur la tête du prophète, signifiait les promesses du Vieux Testament qui ne garantissaient, pour récompense, que l'exemption des maux temporels, et dont les bienfaits, dans la terre de promission, n'étaient qu'une ombre des récompenses futures. Ce ver qui, dès le matin, vient ronger la racine de la cucurbite, est le Christ qui, par sa parole, par la prédication de l'Evangile, a desséché ce feuillage temporel, à l'ombre duquel l'Israélite avait cru trouver un repos sans fin. Maintenant ce peuple expulsé de Jérusalem, privé de sa royauté, de son sacerdoce, de son sacrifice, toutes choses qui n'étaient que l'ombre des biens futurs, est esclave et dispersé ; il est brûlé, comme Jonas, des ardeurs de la tribulation." (Epist. ad Deogratias.)
Nous arrêtons ici la première série des peintures cémétériales, qui conduisaient les fidèles de la création et de la chute de l'homme à la réparation par le Christ, et se terminaient par la substitution de la gentilité au peuple d'Israël.
Nous allons suivre maintenant l'enseignement dogmatique de la foi chrétienne ; mais, auparavant, il est nécessaire d'établir l'Eglise par laquelle la foi et la grâce nous sont transmises.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 19 à 24)