Telle fut la branche aînée dans la descendance de Quintus Caecilius Metellus, le consul de 548. La seconde va nous apparaître plus illustre encore.
Son chef fut L. Caecilius Metellus Calvus, frère du Macédonique, et consul en 612. Il laissa deux fils, le Dalmatique et le Numidique, dont nous allons suivre la filiation.
Le Dalmatique fut appelé Lucius comme son père, et le surnom dont il est décoré vient de son triomphe sur les Dalmates. L'année 635 le vit consul. Vengeur sévère des moeurs comme un Caecilius, il osa, étant censeur, expulser du sénat jusqu'à trente-deux sénateurs.
Il eut pour fils L. Caecilius Metellus, consul en 686. Le frère de celui-ci fut Q. Caecilius Metellus le Crétique. Il dut ce glorieux agnomen à la conquête qu'il fit de la Crète. Les fastes consulaires le portent à l'année 685. Ce dernier fut le père de Caecilia Metella, femme du triumvir Crassus, sur laquelle nous aurons occasion de revenir. Un fils du Crétique, nommé comme lui Q. Caecilius Metellus, fut tribun du peuple, et plus tard l'un des généraux du parti d'Antoine à la bataille d'Actium. Il avait adopté un membre de l'antique gens Junia, qui prit le nom de O Caecilius Metellus Creticus Silanus, et fut consul en 760. Sa fille Junia fut fiancée à Nero Caesar, fils aine de Germanicus. Etant morte peu de temps après, ses cendres furent déposées dans le mausolée d'Auguste, en sa qualité de membre de la famille impériale.
Mais aucun des Caecilii n'a atteint la gloire du NUMIDIQUE, frère du Dalmatique. Il portait le praenomen Quintus qui continua dans sa descendance. Envoyé, dans sa jeunesse, à Athènes, pour y recevoir les leçons du rhéteur Carnéade, il en revint orateur distingué ; mais ses principes de morale ne lui permirent jamais d'user de son éloquence qu'en faveur du bon droit, et on le vit refuser de plaider la cause de son beau-frère Lucullus, parce que celui-ci semblait avoir forfait à l'honneur. En 645, il était consul, et ne tarda pas à se rendre en Numidie, où la fortune de Rome cédait devant l'âpre résistance de Jugurtha. Il fallut peu de temps à Q. Metellus pour remonter le moral de l'armée et pour humilier un si redoutable adversaire. Heureux s'il n'eût pas choisi pour son lieutenant le plus ingrat et le plus perfide des hommes, C. Marius ! Celui-ci, laissant tout à coup l'armée, après avoir obtenu quelques succès militaires, osa se rendre à Rome dans le but de supplanter un si grand général, dont il accusait les sages et habiles lenteurs. Il parvint, par ses intrigues auprès du sénat et par ses flatteries envers la populace, à se faire attribuer, avec le consulat, le commandement de l'expédition en Numidie, et se hâta de repartir pour l'Afrique. A peine avait-il disparu, que le sénat et le peuple se repentaient déjà de la légèreté avec laquelle ils avaient cédé à l'intrigue d'un ambitieux. Cependant Metellus revenait avec tristesse vers Rome si redevable déjà aux Caecilii, et si amère pour leur héritier. Contre son attente, il fut reçu avec les plus vives démonstrations d'enthousiasme et de reconnaissance. Des médailles furent frappées en son honneur, et, au grand dépit de Marius, le surnom de Numidique lui fut décerné d'un commun accord.
En quittant Rome, Marius y avait laissé de dignes héritiers de sa haine, et bientôt Metellus se voyait citer en justice, et accuser de concussion par les jaloux de sa considération et de son opulence. Mais son jugement fut un nouveau triomphe, plus insigne encore que le premier. Le tribunal se hâta de déclarer qu'un homme tel que le Numidique devait être jugé, non sur telles ou telles écritures, mais sur sa vie tout entière qui proclamait assez haut l'intégrité de son caractère.
En 652, Metellus était créé censeur avec son cousin Caprarius. Rome tout entière fut contrainte de s'incliner sous le joug austère de ces deux Caecilii, non sans des réactions violentes qui allèrent jusqu'à contraindre le Numidique de se réfugier au Capitole, où la multitude armée des citoyens vicieux le poursuivit et l'assiégea, jusqu'au moment où les chevaliers romains accoururent le délivrer. Ce fut dans l'exercice de cette vigoureuse censure qu'à l'exemple de son oncle le Macédonique, le Numidique sonda la plaie profonde des moeurs romaines et prononça à son tour une célèbre harangue pour réclamer la réhabilitation du mariage. Cette double protestation, demeurée célèbre dans la postérité, attesta qu'avant d'attacher son glorieux nom à la régénération de Rome par le christianisme, la race des Caecilii avait été, plus que tout autre, la gardienne de l'honnêteté dans cette ville qui n'eut pas de plus grand ennemi que sa propre corruption.
Mais les épreuves du Numidique n'étaient pas terminées. Une nouvelle intrigue de Marius suscita la discussion d'une loi agraire. Le projet de cette loi, présenté par le tribun Apuleius Saturninus, portait qu'après son acceptation par le peuple, tout sénateur qui ne consentirait pas à la jurer se verrait interdire l'eau et le feu. Marius proposa au sénat de jurer la loi, en sous-entendant une clause qui aurait annulé le serment, persuadé qu'il était que le Numidique ne se prêterait jamais à une telle feinte. Il ne s'était pas trompé. Les sénateurs juraient de toutes parts, et suppliaient le grand homme d'imiter leur exemple. Metellus fut inflexible, et accepta de subir la peine qu'avait méritée sa probité. En quittant le forum, il disait à ses amis dans ce style dont nous retrouverons encore la trace chez notre héroïne du deuxième siècle : "Faire ce qui est mal, c'est le propre des esprits mauvais ; faire sans courir de risques ce qui est bien, peut appartenir aux âmes vulgaires ; l'homme de coeur ne s'écarte jamais de ce qui est juste et honnête, qu'il ait à attendre la récompense ou les menaces." (PLUTARQUE, in C. Mario.) Les citoyens probes prenaient déjà les armes et se préparaient à livrer combat pour la défense de Metellus ; mais celui-ci se hâta de se dérober à ses amis comme à ses ennemis. Disant adieu à Rome et à sa brillante existence, il monta sur un navire et alla se retirer à Rhodes, où sa vie d'exilé s'écoula dans toute la grandeur et la dignité des moeurs antiques.
La réaction ne tarda pas à se faire sentir. Apuleius fut massacré, et le peuple réclama le retour d'un si grand citoyen, rappelant avec enthousiasme tous les services dont Rome était redevable à la gens Caecilia. Metellus était passé de Rhodes à Smyrne, lorsqu'il reçut la nouvelle de son rappel. Son arrivée fut signalée par les transports d'une joie inouïe; Rome tout entière sentait qu'il rentrait le même qu'il était sorti.
Son fils, Q. Caecilius Metellus, dont la piété filiale s'était signalée, avec la plus noble constance, dans les démarches qui amenèrent le retour d'un homme si honoré de la population romaine, reçut par acclamation le cognomen de Pius, qui demeura comme un héritage dans cette branche des Caecilii. A peine sorti de l'adolescence, il se vit élevé au suprême pontificat, et préféré pour cet honneur aux personnages même consulaires. A partir de ce moment, les monnaies des Caecilii offrirent souvent l'image d'Enée portant son père, ou la cigogne ayant devant elle la Piété. Pour exprimer la gloire militaire unie au pontificat, on y représenta aussi l'urceus et le lituus, au centre d'une couronne de laurier chargé de ses fruits.
Avant de nous séparer du Numidique, nous dirons que sa maison de ville était située sur le Palatin ; mais il avait sa villa sur la voie Tiburtine, à une faible distance de Rome. Son opulence lui avait permis d'en faire un des plus somptueux monuments de la campagne romaine, et il n'avait pas mis moins de quatre ans à la bâtir.
Nous notons ces points en passant, nous réservant d'y revenir.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 359 à 364)