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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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SALVE REGINA

29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 19:00

Poussé par une force inconnue, le jeune Romain, naguère si bouillant, quitte sans effort la vierge dont les accents si doux ont changé son coeur. 

 

Il se met en marche, et aux premières lueurs du jour il arrive près d'Urbain, ayant trouvé toutes choses comme Cécile lui avait annoncé. Il raconte au saint évêque l'entretien de la chambre nuptiale, qui seul peut expliquer la présence de Valérien dans ces lieux. Le vieillard est ravi de joie ; il tombe à genoux, et, levant ses bras vers le ciel, il s'écrie, les veux pleins de larmes : "Seigneur Jésus-Christ, auteur des chastes résolutions, recevez le fruit de la divine semence que vous avez déposée au coeur de Cécile. Bon pasteur, Cécile, votre servante, comme une éloquente brebis, a rempli la mission que vous lui aviez confiée. Cet époux, qu'elle avait reçu semblable à un lion impétueux, elle en a fait, en un instant, le plus doux des agneaux. Si Valérien ne croyait pas déjà, il ne serait pas venu jusqu'ici. Ouvrez, Seigneur, la porte de son coeur à vos paroles, afin qu'il reconnaisse que vous êtes son Créateur, et qu'il renonce au démon, à ses pompes et à ses idoles."

 

Valérien avec le Pape Urbain - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne 

Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 2 par Lorenzo Costa le Vieux

 

 Urbain pria longtemps, et Valérien était ému dans toutes les puissances de son âme. Tout à coup apparaît, aux regards du jeune homme et du saint évêque, un vieillard vénérable couvert de vêtements blancs comme la neige, et tenant à la main un livre écrit en lettres d'or. C'était le grand Paul, l'apôtre des gentils. A cette vue imposante, Valérien, saisi de terreur, tombe comme mort, la face contre terre. L'auguste vieillard le relève avec bonté, et lui dit : "Lis les paroles de ce livre et crois ; tu mériteras d'être purifié et de contempler l'ange dont la très fidèle vierge Cécile t'a promis la vue."

 

Valérien lève les yeux et commence à lire sans prononcer de paroles. Le passage était ainsi conçu : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu, Père de toutes choses, qui est au-dessus de tous et en nous tous. (EPHES., IV.) Quand il eut achevé de lire, le vieillard lui dit : " Crois-tu qu'il en est ainsi ?" Valérien s'écria avec force : "Rien de plus vrai sous le ciel ; rien qui doive être cru plus fermement."

 

Valérien est baptisé - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne

Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 3 par Francesco Francia

 

Comme il achevait ces paroles, le vieillard disparut, et laissa Valérien seul avec Urbain. Le saint évêque s'empressa de donner au jeune homme le symbole de la foi ; il le régénéra dans l'eau baptismale, et après que le néophyte eut participé aux mystères augustes des chrétiens, il lui dit de retourner vers son épouse.

 

 Il n'avait donc fallu que quelques heures pour transformer Valérien en un disciple complet du Christ. Sollicitée par Cécile, une grâce était descendue du ciel sur le jeune Romain, et sa conversion subite venait accroître le nombre de celles que la bonté de Dieu opérait d'une manière immédiate en ces jours. Souvent des visions merveilleuses venaient triompher de toute résistance, et abattre le païen aux pieds du Christ ; Tertullien en rend témoignage dans son Apologétique. (Cap. XXIII.) Nous apprenons d'Eusèbe que saint Basilide fut gagné à la foi dans une apparition de la vierge Potamienne, qui lui plaça une couronne sur la tête, et lui prédit qu'il la suivrait dans le martyre. Le savant Arnobe, au rapport de saint Jérôme, fut appelé au christianisme par une grâce du même genre, dont on trouve aussi de nombreux exemples dans les Actes les plus authentiques des martyrs.

 

 Origène se joint à Tertullien pour proclamer le fait de ces prodigieuses  vocations à la foi. "Je ne doute pas, dit ce grand philosophe chrétien, que Celse ne me tourne en dérision ; mais cela ne m'empêchera pas de dire que beaucoup de personnes ont embrassé la foi chrétienne comme malgré elles, leur coeur s'étant trouvé tout à coup tellement changé par quelque esprit qui leur apparaissait, tantôt le jour, tantôt la nuit, qu'au lieu de l'aversion qu'elles avaient eue jusqu'alors pour notre doctrine, elles l'ont aimée jusqu'à mourir pour elle. Il est beaucoup de ces sortes de changements dont nous sommes témoins, et que nous avons vus nous-mêmes." (Contra Cels., lib. I, cap. XLVI.)

 

 Cécile avait vaincu, et le premier trophée de sa victoire était le coeur de Valérien offert pour jamais au Sauveur des hommes. Durant l'absence de son époux, elle n'avait pas quitté la chambre nuptiale toute retentissante encore du célèbre entretien de la nuit, tout embaumée des célestes parfums de la virginité. Elle avait prié sans relâche pour la consommation du grand oeuvre que sa parole avait commencé, et elle attendait avec confiance le retour de cet époux qui lui serait plus cher que jamais.

 

 Valérien, couvert encore de la tunique blanche des néophytes qu'il venait à peine de revêtir, est arrivé à la porte de la chambre. Il entre et ses regards respectueux rencontrent Cécile prosternée dans la prière et près d'elle l'ange du Seigneur, au visage éclatant de mille feux, aux ailes brillantes des plus riches couleurs. L'esprit bienheureux tenait dans ses mains deux couronnes entrelacées de roses et de lis. Il en pose une sur la tête de Cécile, l'autre sur celle de Valérien, et, faisant entendre les accents du ciel, il dit aux deux époux : "Méritez de conserver ces couronnes par la pureté de vos coeurs et par la sainteté de vos corps ; c'est du jardin du ciel que je vous les apporte. Ces fleurs ne se faneront jamais, leur parfum  sera toujours  aussi  suave ; mais  personne ne les  pourra voir qu'il  n'ait mérité comme vous, par sa pureté, les complaisances du ciel. Maintenant, ô Valérien, parce que tu as acquiescé au désir pudique de Cécile, le Christ, Fils de Dieu, m'a envoyé vers toi pour recevoir toute demande que tu aurais à lui adresser."

 

Couronnement de Cécile et Valérien - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne

Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 4 par Francesco Francia

 

Le jeune homme, saisi de reconnaissance, se prosterne aux pieds du divin messager, et ose ainsi exprimer son désir : "Rien en cette vie ne m'est plus doux que l'affection de mon frère ; il serait cruel à moi, qui suis maintenant affranchi du péril, de laisser ce frère bien-aimé en danger de se perdre. Je réduirai donc toutes mes demandes à une seule : je supplie le Christ de délivrer mon frère Tiburce, comme il m'a délivré moi-même, et de nous rendre tous deux parfaits dans la confession de son nom". Alors l'ange, retournant vers Valérien un visage rayonnant de cette joie dont tressaillent au ciel les esprits bienheureux, lorsque le pécheur revient à Dieu, lui répond : "Parce que tu as demandé une grâce que le Christ est encore plus empressé de t'accorder que tu ne l'es toi-même de la désirer, de même qu'il a gagné ton coeur par Cécile, sa servante, ainsi toi-même tu gagneras le coeur de ton frère, et tous deux vous arriverez à la palme du martyre."

 

L'ange remonta aux cieux, et laissa les deux époux dans la plénitude de leur bonheur. Cécile glorifiait le maître des coeurs qui avait déployé avec tant d'éclat les richesses de sa miséricorde ; elle tressaillait à la vue des roses mêlées aux lis sur la couronne de Valérien comme sur la sienne, pour annoncer que lui aussi aurait part aux honneurs du martyre. Tiburce partagerait la palme avec son frère ; mais la prédiction fortunée ne s'était pas étendue jusqu'à elle. La vierge devait donc survivre aux deux frères, et les assister dans le combat ; jusque-là, le ciel n'avait point manifesté plus avant ses décrets. Les deux époux s'épanchèrent dans un entretien que l'amour du Christ rendait semblable à un festin délicieux, et ils s'encouragèrent à mériter toujours la couronne dont l'ange avait ceint leurs fronts. Le néophyte, rempli du feu divin qu'avaient allumé dans son coeur les mystères auxquels Urbain l'avait fait participer, savourait à longs traits cette vie nouvelle révélée tout à coup à son âme. Cécile, initiée dès son enfance à la doctrine du salut, parlait avec l'expérience et l'autorité d'une chrétienne éprouvée.

 

Leur conversation sainte durait encore, lorsque Tiburce, impatient de revoir son frère, entra et vint suspendre ce colloque digne des anges. 

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 118 à 122)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 19:00

Les deux frères ne se trompaient pas dans leur espérance ; mais Dieu seul savait combien l'amour que Cécile verserait dans leurs cœurs l'emporterait sur ces affections terrestres qu'ils devaient si rapidement dépasser, et combien prompte serait la migration des deux frères et de la sœur vers la région où les âmes pures s'unissent au sein de l'amour infini.

 

 Cécile n'avait donc pas été libre de repousser les avances de Valérien. Pleine d'estime pour les qualités de ce jeune païen, elle l'eût aimé comme un frère ; mais elle était sa fiancée, et le jour des noces approchait avec toutes ses alarmes. Qui pourrait dépeindre les angoisses de la vierge ? La volonté irrésistible des parents, la fougue du jeune homme la glaçaient de crainte, et elle ne pouvait que refouler au fond de son âme le chaste secret de cet amour qui avait obtenu l'irrévocable empire sur son coeur.

 

 Elle savait que son ange veillait près d'elle ; mais bientôt elle allait avoir à lutter elle-même ; l'heure était venue de se préparer au combat. Sous le luxe de ses vêtements, un cilice meurtrissait sa chair innocente. Cette armure sévère assujettissait les sens à l'esprit ; la chair serait moins rebelle, si, bientôt victime de l'amour du Christ, Cécile devait paver de son sang l'honneur d'avoir été préférée par cet époux divin. Condamnée à vivre au sein de la mollesse patricienne, elle prenait ses sûretés envers elle-même ; elle émoussait par la souffrance volontaire l'attrait du plaisir qui tyrannise les enfants d'Eve, et qui révèle trop souvent à l'âme imprudente et inattentive les abîmes du coeur de l'homme.

 

 Si, à l'exemple de la veuve de Béthulie, Cécile dissimulait sous ses habits somptueux l'instrument de sa pénitence, comme David elle affaiblissait encore sa chair par des jeûnes rigoureux. Selon l'usage des premiers chrétiens, lorsqu'ils voulaient fléchir le ciel ou obtenir quelque grâce signalée, elle s'abstenait de toute nourriture pendant deux jours, quelquefois pendant trois jours, ne prenant que le soir l'austère repas qui devait soutenir sa vie. Ces avances courageuses par lesquelles elle cherchait à assurer sa victoire, étaient rendues plus efficaces encore par la prière ardente et continuelle qui s'échappait de son coeur. Avec quelles instances elle recommandait au Seigneur l’heure pour laquelle elle tremblait ! Avec combien de larmes et de soupirs elle implorait les esprits célestes qui coopèrent au salut de nos âmes, les saints apôtres, patrons et fondateurs de Rome chrétienne, les bienheureux habitants du ciel qui protègent nos combats !

 

 La grâce que sollicitait Cécile était accordée ; mais l'Epoux céleste se plaisait à éprouver sa noble fiancée, afin que sa vertu s'élevât plus mâle et plus épurée. Ne devait-elle pas bientôt, en retour de tant d'alarmes, entrer dans le repos de l'éternelle possession ? D'ailleurs la lutte qui approchait, et dont Cécile devait sortir avec tant de gloire, n'était que le prélude d'autres combats pour lesquels il faudrait plus encore que le courage et la grandeur d'âme d'une fille de l'ancienne Rome.

 

Enfin le jour est venu où Valérien va recevoir la main de Cécile. On était dans l'hiver de 177 à 178. Tout s'ébranle dans la demeure des Caecilii ; le coeur du jeune homme tressaille de bonheur, et les deux familles, fières de s'unir dans de si chers rejetons, saluent l'espoir d'une postérité digne des aïeux.

 

Le mariage de Cécile et Valérien - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne 

Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 1 par Francesco Francia

 

Cécile est amenée : elle s'avance dans la parure nuptiale des patriciennes. Une tunique de laine blanche, unie, ornée de bandelettes et serrée d'une ceinture aussi de laine blanche, est son vêtement et figure la candeur de son âme. Cette tenue modeste, dernière trace de l'antique simplicité des moeurs romaines, était en même temps un glorieux souvenir dans la maison des Caecilii. La robe sans luxe des nouvelles épouses était destinée à rappeler celles que tissait de ses mains la royale matrone Caïa Caecilia. Les cheveux de la vierge, partagés en six tresses, imitent la coiffure des vestales, touchant symbole de la consécration de Cécile. Un voile couleur de flamme, appelé pour cela flammeum, dérobe ses traits pudiques aux regards des profanes, sans les ravir à l'admiration des anges. En ce moment solennel, le coeur de la vierge reste ferme et sans trouble ; elle s'appuie sur le secours de l'ange qui a reçu du ciel la mission de la protéger.

 

Etrangère jusqu'alors aux rites païens, Cécile est contrainte d'en subir le spectacle. Tertullien demande si un chrétien peut prendre part aux noces, toujours accompagnées de ces rites idolâtriques qui enserraient de toutes parts l'existence des Romains. Il répond que la présence du chrétien est licite en ces occasions, s'il est là par égard pour les hommes, et non par honneur pour l'idole. (De idololat., cap. XVI.) L'offrande du vin et du lait s'accomplit donc en présence de la vierge, qui détourne ses regards. Le gâteau, symbole de l'alliance, est rompu, et la tremblante main de Cécile, ornée de l'invisible anneau des épouses du Christ, est placée dans celle de Valérien. Tout est consommé aux yeux des hommes, et la vierge sur qui veille le ciel a fait un pas de plus vers le péril.

 

 A la chute du jour, selon l'usage antique, la nouvelle épouse est conduite à la demeure de son époux. La maison de Valérien était située, comme nous l'avons dit, dans la région Transtibérine, près de la voie Salutaris, à peu de distance du pont Sublicius, auquel se rattachait le glorieux souvenir de Valérie.

 

 Les torches nuptiales précédaient le cortège qui conduisait Cécile à son époux. La foule applaudissait aux grâces de la jeune vierge ; quant à Cécile, elle conversait dans son coeur avec le Dieu puissant qui préserva des flammes les enfants de la fournaise et sauva Daniel de la fureur des lions. Ces souvenirs de l'ancienne alliance si souvent retracés sur les peintures murales des cryptes, qui avaient été familières à Cécile dès son enfance, soutenaient son courage, comme ils avaient fortifié celui de tant de martyrs.

 

 On arrive enfin au palais des Valerii. Sous le portique orné de blanches tentures sur lesquelles ressortent en festons des guirlandes de fleurs et de verdure, Valérien attendait Cécile. Selon la coutume des aïeux, l'époux préludait par cette interrogation : "Qui es-tu ?" disait-il. L'épouse répondait : "Là où tu seras Caïus, je serai Caïa". L'allusion était plus vive encore au mariage d'une fille des Caecilii ; car cette formule était aussi un souvenir de Caïa Caecilia, vénérée par les Romains comme le type de la femme vouée aux soins du ménage. Mais la Cécile chrétienne trouvait un modèle plus accompli encore dans le portrait que l'Esprit-Saint a tracé de la femme forte, et bientôt Valérien connaîtrait la vérité de cet oracle divin qui devait s'accomplir dans son épouse : "La force et la grâce sont sa parure, et elle sourira à sa dernière heure. Sa bouche s'est ouverte pour donner les leçons de la sagesse, et la loi de miséricorde est sur ses lèvres. Son époux s'est levé, et il l'a comblée de louanges." (Proverb., XXXI.)

 

 Cécile franchit le seuil de la maison. Le respect de Valérien pour son épouse fit sans doute qu'on lui épargna, en sa qualité de chrétienne, les rites superstitieux dont les Romains accompagnaient le moment où l'épouse entrait sous le toit conjugal. Ces rites ne tenaient en rien à la célébration du mariage qui avait eu lieu dans la demeure de l'épouse et sous les yeux des parents. Les usages qui s'accomplissaient ensuite avaient plus de convenance. On présentait de l'eau à l'épouse, en signe de la pureté dont elle devait être ornée ; on lui remettait une clef, symbole de l'administration intérieure qui désormais lui était confiée ; enfin, elle s'asseyait un instant sur une toison de laine, qui lui rappelait les travaux domestiques auxquels elle devait se rendre familière.

 

 Les époux passèrent ensuite dans le triclinium, où le souper des noces était servi. Durant le festin, on chanta l'épithalame qui célébrait l'union de Valérien et de Cécile, et un choeur de musiciens fit retentir la salle du son harmonieux des instruments. Au milieu de ces profanes concerts, Cécile chantait aussi, mais dans son coeur, et sa mélodie s'unissait à celle des anges. Elle redisait au Seigneur cette strophe du Psalmiste qu'elle adaptait à sa situation : " Que mon coeur et mes sens demeurent purs, ô mon Dieu ! que ma pudeur ne souffre pas d'atteinte !" (Psal. CXVIII.) La chrétienté qui chaque année redit ces paroles de la vierge, au jour de sa fête, en a gardé fidèle mémoire,  et,  pour honorer le sublime concert que Cécile exécutait avec les anges bien au delà des mélodies de la terre, elle l'a saluée pour jamais reine de l'harmonie.

 

Après le festin, des matrones guidèrent les pas tremblants de Cécile jusqu'aux portes de la chambre nuptiale, décorée dans tout le luxe romain, mais rendue plus imposante par le silence et le mystère. Valérien suivait les traces de la vierge.

 

Quand ils furent seuls, tout à coup Cécile, remplie de la vertu d'en haut, adressa à son époux ces douces et naïves paroles : "Jeune et tendre ami, j'ai un secret à te confier ; mais jure-moi que tu sauras le respecter". Valérien jure avec ardeur qu'il gardera le secret de Cécile, et que rien au monde ne pourra forcer sa bouche à le révéler. — "Ecoute, reprend la vierge : j'ai pour ami un ange de Dieu qui veille sur mon corps avec sollicitude. S'il voit que, dans la moindre chose, tu oses agir avec moi par l'entraînement d'un amour sensuel, soudain sa fureur s'allumera contre toi, et, sous les coups de sa vengeance, tu succomberas dans la fleur de ta brillante jeunesse. Si, au contraire, il voit que tu m'aimes d'un coeur sincère et d'un amour sans tache, si tu gardes entière et inviolable ma virginité, il t'aimera comme il m'aime, et te prodiguera ses faveurs."

 

Troublé jusqu'au fond de son âme, le jeune homme, que la grâce maîtrise déjà à son insu, répond à la vierge : "Cécile, si tu veux que je croie à ta parole, fais-moi voir cet ange. Lorsque je l'aurai vu, si je le reconnais pour l'ange de Dieu, je ferai ce à quoi tu m'exhortes ; mais si tu aimes un autre homme, sache que je vous percerai de mon glaive l'un et l'autre". La vierge reprend avec une ineffable autorité : "Valérien, si tu veux suivre mon conseil, si tu consens à être purifié dans les eaux de la fontaine qui jaillit éternellement, si tu veux croire au Dieu unique, vivant et véritable, qui règne dans les cieux, tu pourras alors voir l'ange qui veille à ma garde. — Et quel est celui qui me purifiera, afin que je voie ton ange ?" reprit Valérien. — Cécile répondit : "Il existe un vieillard qui purifie les hommes, après quoi ils peuvent voir l'ange de Dieu. — Ce vieillard, où le trouverai-je ? dit Valérien. — Sors de la ville par la voie Appienne, répondit Cécile ; va vers la troisième colonne milliaire. Là, tu trouveras des pauvres qui demandent l'aumône à ceux qui passent. Ces pauvres sont l'objet de ma constante sollicitude, et mon secret leur est connu. Quand tu seras près d'eux, tu leur donneras mon salut de bénédiction, tu leur diras : Cécile m'envoie veus vous, afin que vous me fassiez voir le saint vieillard Urbain ; j'ai un message secret à lui transmettre. Arrivé en présence du vieillard, tu lui rendras les paroles que je t'ai dites ; il te purifiera et te revêtira d'habits nouveaux et blancs. A. ton retour, en rentrant dans cette chambre où je te parle, tu verras le saint ange devenu aussi ton ami, et tu obtiendras de lui tout ce que tu lui demanderas."

 

Poussé par une force inconnue, le jeune Romain, naguère si bouillant, quitte sans effort la vierge dont les accents si doux ont changé son coeur.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 110 à 117)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 20:00

L'Epouse du Christ, allait donc se voir contrainte d'accepter un fiancé parmi les hommes, et ce fiancé était un jeune païen.

 

 La loi romaine donnait tout pouvoir aux parents sur les enfants, lorsqu'il s'agissait du mariage. Cécile n'ayant pas jugé opportun de manifester aux siens l'obstacle secret que pouvait rencontrer leur dessein dans la condition qu'elle avait vouée, dirigée d'ailleurs par l'Esprit divin qui habitait en elle, s'en était remise à son Epoux céleste pour toutes les suites de sa déférence à l'injonction impérative qu'elle avait reçue.

 

 Les mariages entre chrétiens et païens étaient encore fréquents au deuxième siècle, et, s'ils amenaient parfois des situations difficiles, souvent aussi ils étaient le moyen dont Dieu se servait pour gagner à la foi chrétienne la partie infidèle. Les païens, au reste, ne l'ignoraient pas, et l'on trouve dans Plutarque, cet auteur qui s'est fait une loi de ne jamais nommer le christianisme dans ses écrits, un passage qui exprime avec clarté le mécontentement qu'avaient causé plus d'une fois les conversions que ces mariages mélangés pouvaient entraîner après eux. "La femme, dit-il, ne doit pas avoir d'amis à elle, mais les amis de son mari doivent être les siens. Or, comme les dieux réclament le premier rang parmi les amis, la femme ne doit ni connaître ni honorer d'autres dieux que ceux de son mari. Il faut qu'elle ferme sa porte aux religions superflues et aux superstitions étrangères. Aucun des dieux n'a pour agréable un culte que la femme lui rendrait en cachette et furtivement." (Conjugialia praecepta.)

 

 La mauvaise humeur de Plutarque est ici patente ; quant à la gêne qui devait résulter de la dissemblance de religion dans les ménages où l'un des époux était chrétien et l'autre païen, nous en trouvons chez Tertullien, contemporain de Cécile, un tableau trop expressif pour qu'il nous soit possible de l'omettre. "Comment la femme, dit-il, pourra-t-elle être aux ordres de son mari ? Assurément., elle sera dans l'impuissance de satisfaire à ses propres devoirs, ayant près d'elle un serviteur du diable, chargé par son maître de traverser les fidèles dans l'accomplissement de leurs obligations. La chrétienne doit-elle se rendre à une station ? ce sera ce jour-là que le mari aura fixé pour aller aux bains. Se rencontre-t-il un jeûne prescrit ? c'est précisément le jour où le mari doit donner un festin. Le moment est-il venu de se rendre à quelque réunion ? le soin de la famille n'a jamais été plus instant. Trouvera-t-on un mari païen qui laissera sa femme visiter librement les frères, pénétrer çà et là dans les plus pauvres demeures, qui tolérera qu'elle le quitte, pour se rendre à quelque convocation à une heure nocturne, qui ne concevra pas d'inquiétude en la voyant passer hors de la maison la nuit entière de la Pâque ? Quel mari laissera sans soupçon partir sa femme pour aller prendre part au festin du Seigneur, sur lequel les païens débitent tant d'infamies ? Comment souffrira-t-il qu'elle se glisse dans les plus étroits cachots pour aller baiser les chaînes d'un martyr ?"

 

 Tertullien s'étend ensuite sur les oeuvres de miséricorde que doit remplir une chrétienne, et pour lesquelles elle manquera totalement de liberté. Puis il ajoute, s'adressant à la femme elle-même : "Comment te sera-t-il possible de dérober à la vue d'un mari païen ces pratiques quotidiennes qui sont comme les perles de ta vie ? Plus tu chercheras à les cacher, plus tu les rendras suspectes. Lorsque tu feras le signe de la croix sur ton lit et même sur ta personne, lorsque tu souffleras pour expulser quelque influence immonde, lorsque tu te lèveras la nuit pour prier, ne lui semblera-t-il pas que tu te livres à quelque opération magique ? Ton mari ignorera-t-il cet aliment que tu goûtes secrètement avant toute autre nourriture, ou ne sera-t-il pas tenté de le croire tel que la calomnie le prétend ? Il faudra donc que la servante de Dieu habite avec des lares qui lui sont étrangers, qu'elle soit témoin de tous les honneurs rendus aux démons, qu'elle ait le dégoût de respirer l'encens à toutes les fêtes du prince, au début de l'année, au commencement de chaque mois. Elle passera sous le seuil de sa porte  garnie  de  lampes  et de  lauriers, comme un établissement de débauche ; elle ira s'asseoir avec son mari dans les rassemblements de buveurs. Elle qui était accoutumée à servir les saints, sera quelquefois condamnée à être la servante des impies, de ceux-là mêmes qu'elle devra juger un jour. A qui présentera-t-elle sa main ? à quelle coupe pourra-t-elle boire ? Quels couplets lui adressera son mari, et quelles strophes aura-t-elle à lui chanter ? Que sera devenu le souvenir de Dieu ? où est l'invocation du Christ, la parole des Ecritures qui nourrissait la foi, rafraîchissait l'âme, attirait la bénédiction de Dieu ? Tout est étranger, tout est ennemi, tout est condamné, tout est l'oeuvre de l'esprit de malice pour arrêter le salut." (Ad uxorem, lib. II.)

 

 Il y a tout lieu de penser que la connaissance et l'estime que l'on avait du christianisme dans la famille Caecilia, avait fait prévoir les inconvénients de l'alliance mixte qui était projetée, et que la jeune femme n'aurait pas trop à souffrir de l'accomplissement des devoirs de sa religion ; aussi n'était-ce pas de ce côté que se portait l'anxiété de Cécile.

 

Le mariage qui lui était imposé devait créer un nouveau lien entre sa famille et la gens Valeria. Issue de Valerius Publicola, cette famille était une des anciennes gloires de Rome, et, plus d'une fois, dans le passé, ses membres s'étaient unis aux Metelli. Nous avons vu ci-dessus que jusque sur le sol d'Espagne, dans cette dernière période, des adoptions et des mariages avaient resserré les liens entre les Valerii et les Caecilii. A Rome même, nous avons constaté le mariage d'un Valerius Bassus avec une Caecilia. Il est donc aisé de comprendre comment la pensée d'unir leur fille au jeune Valerianus avait pu séduire les parents de Cécile.

 

La maison qu'habitaient les Valerii, et qui devait être celle des deux époux, était située en la XIVe région de Rome, dans le Transtévère. De glorieux souvenirs se rapportaient à son emplacement, et expliquaient comment il se faisait qu'une si illustre famille avait placé sa demeure dans une région de Rome aussi peu considérée que l'était ce quartier. Le motif de ce choix remontait aux premiers temps de la république. Selon les traditions antiques, au moment du siège de Rome par les Tarquins et Porsenna leur allié, Valérie, fille du consul Publicola, partagea avec éclat les exploits de Clélie, sa compagne. La fuite courageuse de cette dernière rentrant dans Rome à la nage, illustra pour jamais son nom ; mais Valérie ne rendit pas le sien moins glorieux, lorsque, se faisant jour valeureusement à travers la milice des Tarquins, elle regagna, sur l'ordre paternel, le camp étrusque, où la rappelait la foi d'un traité. Le fait se passa au lieu même où s'éleva la demeure des Valerii, au débouché du pont Sublicius illustré dans la même guerre  par l'intrépidité d'Horatius  Coclès.  La mémoire de ces deux jeunes filles était restée populaire dans Rome,  et une statue équestre de femme avait été élevée au sommet de la voie Sacrée, en mémoire de ces événements.

 

Au témoignage de Denys d'Halicarnasse (lib. V), Pline l'Ancien (lib. XXXIV), et Plutarque (Vita Publicolae. De virtutib. mulierum), on était incertain dans la ville sur celle des deux vierges romaines que représentait cette statue. Sous les empereurs, la question fut tranchée, et on éleva à Valérie une statue au Transtévère, sur le lieu même qui rappelait sa courageuse obéissance à son père et son respect pour la foi jurée. L'érection de ce monument par lequel la gens Valeria rétablissait un si noble souvenir sur l'emplacement même du fait, dut avoir lieu au plus tard sous le règne d'Hadrien,  auquel  se rapporte une inscription donnée par Gruter (261), sur laquelle est signalé un vicus Statuae Valerianae, entre le vicus des Lares ruraux et le vicus Salutaris. Les anciens monuments topographiques de Rome signalant aussi, dans la région Transtibérine, un quartier qu'ils désignent sous le nom de Statuae  Valerianae, on en doit conclure que le monument fut élevé par les Valerii avec une certaine magnificence. Comme on sait, par le même Denys d'Halicarnasse et par Sénèque (Consolat. ad Marciam), que le monument de la voie Sacrée ayant été détruit dans un incendie fut rétabli dans le cours du premier siècle, il est naturel de penser que le désir d'éviter désormais l'incertitude qui planait sur l'intention qui l'avait fait élever, aura engagé les Valerii à ériger à leur aïeule cette statue, qui laissait sa compagne en possession du monument de la voie Sacrée. C'est ainsi que le lieu où devait un jour habiter Cécile, était déjà marqué d'avance par le souvenir d'une des femmes héroïques de l'ancienne Rome.

 

Le jeune Valérien se présentait donc avec les plus nobles titres pour obtenir la main de Cécile, et les qualités de son âme, en même temps que les charmes de sa personne, semblaient le rendre digne plus qu'un autre de sceller une telle alliance. L'heureux fiancé avait un frère nommé Tiburce qui jusqu'alors avait été l'objet unique de son affection, et ils pensaient l'un et l'autre avec bonheur que son union avec Cécile resserrerait encore ces liens si chers, en associant à leur mutuelle amitié la tendresse d'une sœur si accomplie.

 

Les deux frères ne se trompaient pas dans leur espérance ; mais Dieu seul savait combien l'amour que Cécile verserait dans leurs cœurs l'emporterait sur ces affections terrestres qu'ils devaient si rapidement dépasser, et combien prompte serait la migration des deux frères et de la sœur vers la région où les âmes pures s'unissent au sein de l'amour infini.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 102 à 108)

 

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 20:00

Entre les villes où des soulèvements populaires eurent lieu, il faut compter celle de Lyon dans les Gaules. L'Eglise y était très florissante, et la réaction qui s'éleva contre elle en l'année 177, va nous éclairer sur la manière dont Marc-Aurèle entendait les adoucissements qu'il avait apportés au sort des chrétiens.

 

 De nombreuses arrestations avaient eu lieu. Au nombre des accusés se trouvait le saint évêque Pothin, vieillard nonagénaire qui mourut en prison, après avoir confessé la foi. On employa les plus affreuses tortures pour abattre le courage des confesseurs, parmi lesquels on remarquait Sanctus, diacre de l'église de Vienne, avec des laïques, tels que Maturus, Attale, et une jeune esclave nommée Blandine.

 

Avant de prononcer la peine capitale contre les accusés que les tourments n'avaient pu vaincre, le préfet de la cité crut devoir écrire à César pour en recevoir une direction. La réponse ne se fit pas attendre. Elle portait que "ceux qui s'avoueraient chrétiens devaient être frappés du glaive, et ceux qui le nieraient, renvoyés sans aucun mal". (Actes Mart. Lugd.) D'autres rescrits dans les mêmes termes furent expédiés aux diverses provinces, en réponse aux consultations des magistrats, et nous verrons bientôt que la minute officielle avait force de loi dans Rome même. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner en voyant les apologies chrétiennes se multiplier autour de cette année 177, manifestant avec évidence la reprise demi-avouée de la persécution. Ces apologies eurent pour auteurs : Apollinaire, évêque d'Hiérapolis ; Miltiade, qui donna à son plaidoyer ce titre significatif sous Marc-Aurèle : Pour la philosophie chrétienne ; enfin Athénagore, dont nous avons encore la remarquable Défense pour les chrétiens.

 

 Cependant la sécurité de l'Empire était loin d'être complète du côté des barbares, et Marc-Aurèle se vit bientôt réduit à marcher vers le Danube, pour s'opposer à ces mêmes peuples, qu'il combattait depuis l'année 169, et qu'il avait vaincus avec le secours du ciel.

 

Avant de marquer son départ pour cette nouvelle campagne, il est temps de revenir à notre héroïne, dont le rôle si important commence à se dessiner. L'âge nubile est arrivé pour elle, et la société romaine est à même de reconnaître dans la fille des Metelli une jeune patricienne dont le joug du Christ a adouci la fierté, sans lui rien enlever de cette énergie et de cette décision qui ont signalé si longtemps dans ceux de sa race les vainqueurs du monde. Le mépris de la vie, l'indépendance à l'égard de tout ce qui passe, la laissent tout entière au service de ses frères, dont elle n'a en vue que les destinées immortelles. Quelque chose indique en elle, non la néophyte récemment initiée, mais le rejeton vigoureux d'une famille dont plusieurs générations ont déjà produit des disciples au Christ. A l'aisance de sa parole, à la fermeté de sa démarche, on reconnaît en elle la femme forte que les grandeurs mondaines ont laissée intacte, qui a mesuré, dès ses premières années, les conséquences de son baptême, et qui puise dans son ardent désir du martyre un dégagement et une liberté, capables non seulement d'étonner, mais de subjuguer ceux qui en feront l'épreuve. Rome avait eu, peu d'années auparavant, sous les yeux, le spectacle de la noble matrone Félicité, ce type de la veuve chrétienne, décrite par saint Paul ( I Tim., V), ne soupirant qu'après les biens célestes, à travers toutes les immolations ; l'heure était venue où elle allait contempler la jeune femme victorieuse de toutes les séductions de l'âge, du rang et de la fortune, enivrée de l'amour du crucifié, ardente au salut de ses frères, et bravant le paganisme de cette antique cité dont elle n'avait  hérité que  l'indomptable courage.

 

 Initiée par l'Esprit-Saint à toutes les vertus qui font la chrétienne accomplie, Cécile développait de jour en jour ce caractère de force et de générosité, qui se révèle dans les moments de crise que l'Eglise doit avoir à traverser. Les aspirations de cette âme virile ne pouvaient s'arrêter à la lettre du précepte ; la perfection du conseil sollicitait son courage. De bonne heure elle avait compris les enseignements du christianisme sur l'excellence de la virginité. Elle savait qu'il était écrit : "La vierge est sainte dans le corps et dans l'esprit. En elle il n'y a pas partage". (I Cor., VII.) Les fastes de l'église romaine lui redisaient les beaux noms de Petronilla, de Domitilla, de Pudentienne et de Praxède, et une invincible émulation avait tout d'abord enflammé son cœur. En même temps l'Epoux céleste daignait l'attirer à lui ; car sa main pouvait seule prétendre à cueillir cette fleur qui s'élevait si fraîche et si suave du sein des épines de la gentilité. Il inspira donc à la fille des Caecilii un amour digne de celui dont il l'avait aimée sur la croix. La vierge répondit aux avances d'un Dieu, et jura dans son cœur que jamais elle n'appartiendrait à un homme. Celui qui l'avait invitée aux noces du ciel accepta ses serments, et attendit dans son éternité le moment où il s'unirait à elle.

 

 C'est par de tels dévouements qui, comme nous l'avons vu, étaient nombreux,  que le christianisme avançait l'affranchissement de la nature humaine courbée sous le joug de la première faute. L'état d'esclavage dans lequel était retenue la femme, arrêtait l'essor de la famille ; mais la dignité de la femme elle-même ne pouvait se révéler que par la virginité à l'état permanent et sacré. Le paganisme en avait quelque conscience, et il avait tenté quelques essais ; mais pour cette réhabilitation du sexe féminin, il fallait au monde le type sublime de Marie, de cette reine mystérieuse qu'a chantée David, son aïeul, et dont il dit que "des vierges seront amenées après elle, et introduites avec elle dans le temple du roi". (Ps. XLIV.) L'émancipation du joug des sens pour rechercher un amour supérieur, arracha tout d'un coup la femme à la servitude, et la gloire que conquérait la vierge rejaillit sur son sexe tout entier, qui en fut ennobli jusqu'au sein de la vie conjugale.

 

 La vérité que nous énonçons ici a été reconnue par un des hommes de notre temps les plus hostiles à l'Eglise. Nous citerons ici ses propres paroles, priant le lecteur de ne pas se choquer du style voltairien, en considération du fond. "La pudeur, cette mère de l'amour, dit-il, est un des fruits du christianisme. Les louanges exagérées de l'état de virginité furent une des folies des premiers pamphlétaires chrétiens ; ils sentaient bien que ce qui fait la force d'un amour ou d'un culte, ce sont les sacrifices qu'il impose. Mais par l'effet de leurs discours, une vierge chrétienne eut un genre de vie indépendant et libre ; elle put traiter de pair avec l'homme qui la sollicitait au mariage, et l'émancipation des femmes fut accomplie." (De Stendhal, Promenades dans Rome, tome II)

 

 L'Eglise ne tarda pas à embellir et à sanctifier par des rites touchants et mystérieux, et surtout par l'imposition solennelle du voile, cette consécration des vierges à l'unique amour du Fils de Dieu ; mais pour la plupart d'entre elles, principalement aux deux premiers siècles, leur dévouement à l'Epoux céleste s'accomplissait dans le secret de leur âme. II en fut ainsi pour Cécile, et ses parents, parmi lesquels se trouvaient des chrétiens, n'eurent pas connaissance de l'acte suprême qu'elle avait accompli. Les motifs qu'eut la sainte vierge de couvrir ainsi du mystère le mobile de sa vie tout entière se devinent aisément ; mais dès lors elle dut s'attendre à voir disputer au Christ le trésor qu'elle lui avait confié. Quel défenseur trouvera-t-elle dans les luttes qu'elle aura à subir, la jeune fille dont l'âme habite au ciel, et dont les pieds foulent encore la terre ? L'Epoux divin qu'elle a choisi a donné ordre a l'ange qui veille à sa garde de se manifester à elle. Cet esprit céleste l'a assurée pour toujours de sa protection ; il l'aidera à vaincre le monde et ses attraits. Elle sait même que ce gardien fidèle, qui veille à ses côtés, frapperait de son bras vengeur le téméraire qui oserait manquer au respect dû au Christ dans son épouse.

 

 Elevée au-dessus des préoccupations terrestres, Cécile, nous disent ses Actes, vivait au fond de son cœur dans la compagnie de son Epoux divin, et ses entretiens avec lui ne cessaient ni le jour, ni la nuit. Ravie par le charme de sa parole intérieure, elle le retrouvait encore dans la lecture des saintes Ecritures, et le livre des Evangiles, caché sous ses vêtements, reposait continuellement sur sa poitrine. Cécile recevait de ce contact sacré une force qui l'élevait au-dessus de la faible nature, et la vertu des paroles qui sont "esprit et vie" (JOHAN., VI), se communiquait toujours plus intimement à elle.

 

Mais le charme de la contemplation n'enlevait point la vierge à la pensée du salut des autres. Le règne du Christ, qui faisait chaque jour de nouveaux progrès, ne s'étendait pas assez vite encore au gré de ses désirs. Elle eût voulu voir accourir au baptême tous ceux que le Rédempteur universel avait rachetés de son sang. L'esprit de conquête qui avait rendu sa race si illustre dans les annales de Rome, revivait en elle ; mais, à l'exemple des apôtres, c'étaient les âmes qu'elle brûlait de conquérir. Sa parole éloquente et vive pénétrait comme un glaive dans les cœurs, et les ministres de l'Eglise se promettaient en elle un auxiliaire puissant dans les labeurs de leur zèle.

 

Urbain, qui la chérissait d'une tendresse paternelle, assistait avec admiration aux débuts de cette carrière d'apôtre ; mais le ciel ne lui avait pas révélé encore l'insigne gloire à laquelle Cécile serait bientôt appelée, ni l'éclat que sa victoire devait jeter sur l'église romaine. Pour lui-même, il vivait dans l'attente continuelle du dernier combat ; mais il ignorait que le martyre de la jeune vierge serait le prélude de son propre sacrifice.

 

Le rang qu'occupaient dans Rome les Caecilii, mettait notre héroïne en rapport avec la plus brillante société de cette grande ville. Fidèle au précepte de l'Apôtre qui ordonne aux chrétiens d'user de ce monde comme n'en usant pas ( I Cor., VII), son extérieur était celui d'une patricienne arrivée à l'âge nubile, supérieure aux vanités de la parure, mais assujettie aux convenances de son rang et aux volontés de sa famille. Ses Actes nous apprennent qu'avant même son mariage elle portait une robe brodée d'or. Ornée des grâces de la nature, faible image de la beauté de son âme, elle semblait mûre pour un hymen terrestre. Ses parents, fiers d'une telle fille, aspiraient à contracter par elle une alliance choisie, dont sa main serait l'heureux gage. La connaissance et la pratique du christianisme, qui ne leur étaient pas étrangères, n'avaient pas semblé à la jeune fille un motif suffisant pour leur révéler le mystérieux amour qui enchaînait son cœur.

 

L'Epouse du Christ, allait donc se voir contrainte d'accepter un fiancé parmi les hommes, et ce fiancé était un jeune païen.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 95 à 101)

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 20:00

Lactance flatte un peu trop les Antonins, réservant sa sévérité pour Decius qu'il appelle l'exécrable animal, et pour ceux qui le suivirent ; mais le passage n'en est pas moins précieux, comme témoignage de la rapide propagation de la foi chrétienne à cette époque dans l'Empire, et ceux qui prétendraient excepter les Gaules auraient besoin d'y réfléchir encore. Il n'est pas de notre sujet de nous étendre davantage sur ce point.

 

Marc-Aurèle, en quittant la Germanie, ne devait pas être rassuré sur l'avenir de l'Empire. On pouvait refouler pour un temps les barbares sur la rive gauche du Danube ; mais il y avait tout lieu de craindre qu'un jour ou l'autre, leur marche ne s'arrêtât plus. L'Orient était-il plus fidèle à Rome ? La révolte de Cassius fit voir le contraire. La Syrie et l'Egypte se donnèrent à ce soldat de fortune, et la nouvelle en vint chercher Marc-Aurèle jusqu'au fond de la Pannonie. Cassius, il est vrai, succomba sous le glaive d'un centurion, et l'Orient resta assujetti au joug de Rome. Quant à Marc-Aurèle, délivré encore une fois du péril, il sentit qu'il devait se montrer à Antioche et à Alexandrie, et partit pour l'Orient. Il s'était donné les airs d'un chrétien par la clémence dont il avait usé envers la mère, le gendre et les enfants de Cassius, comme s'il eût voulu montrer   que   la   philosophie   pouvait   élever l'homme aussi haut que l'Evangile. Les applaudissements et les acclamations ne lui manquèrent pas. Il dit à ce sujet : "Je n'ai pas assez mal vécu, ni assez mal servi les dieux, pour que Cassius eût jamais pu être vainqueur". Un chrétien eût dit simplement : "J'ai fait ce que je devais faire". (LUC, XVII.) Il y a ici toute la différence qui sépare deux doctrines, l'une fondée sur la glorification de Dieu et l'autre sur l'exaltation de l'homme.

 

Le philosophe couronné, traversant la Grèce, ne manqua pas l'occasion de se faire initier au sanctuaire de la Minerve d'Athènes et aux mystères de Cérès à Eleusis. Son spiritualisme, nous l'avons dit, ne le garantissait pas de la superstition, et c'est une des raisons pour lesquelles le christianisme, qui ne pactise pas avec la superstition, était particulièrement odieux à l'école stoïcienne, qui avait toujours soin de ménager ce mauvais côté de l'homme. Mais on ne tarda pas à voir jusqu'où allait chez le plus sage des Césars le mépris de la nature humaine, sous le voile d'un culte religieux. Faustine avait suivi son mari en Orient. Elle mourut inopinément au pied du mont Taurus, laissant peser sur elle le soupçon d'une complicité avec Cassius, dont elle eût espéré le titre d'Auguste pour prix de sa main. Les honneurs de l'apothéose n'en attendaient pas moins la nouvelle Messaline. Marc-Aurèle les sollicita du sénat, en présence duquel il prononça l'éloge de cette femme décriée : le sénat s'empressa d'accorder la demande. Cette ignoble faiblesse du mari excita plus tard les railleries de Julien l'Apostat, cet autre philosophe couronné. Rome compta donc une divinité de plus, et le sénat vota un autel à Faustine, ordonnant que désormais toute Romaine nouvellement mariée y viendrait offrir un sacrifice, accompagnée de son époux.

 

Tel était l'appui que donnait aux moeurs politiques le sage tant vanté qui trouvait le christianisme trop dangereux pour lever l'arrêt de mort porté par Néron contre ses adhérents. Dans les rues de Rome, un chrétien conduit au martyre en vertu des lois maintenues par Marc-Aurèle, pouvait tous les jours rencontrer la pompe nuptiale de deux jeunes époux, se rendant à l'autel de Faustine, pour brûler l'encens aux pieds de sa statue d'argent, en vertu d'un sénatus-consulte rendu sur la demande du même César.

 

Que pouvait attendre l'Eglise sous un tel régime, sinon la persécution moins franche, mais tout aussi haineuse que celle qu'elle eut à subir de la part des empereurs qui lui furent le plus hostiles ? Après l'événement de la légion Fulminante, une sorte de pudeur politique assura aux chrétiens quelque répit, mais cette paix ne devait pas être de longue durée. Au fond, une rivalité d'école travaillait le philosophe couronné. Par un heureux plagiat, il avait su, comme plusieurs de ses prédécesseurs, emprunter au christianisme, qui s'infiltrait bon gré mal gré, certains principes plus conformes à l'humanité, et s'en servir pour modifier la législation de l'Empire ; mais le stoïcien, avec son orgueilleuse théorie du suicide, jalousait, on l'a vu, la mort humble et courageuse du martyr. Il eût voulu extirper de la terre cette race d'hommes, dont la philosophie supérieure voyait chaque jour s'accroître le nombre de ses partisans, tandis que les disciples du Portique ne devaient jamais arriver à la popularité. Invoquer la raison d'Etat contre les chrétiens aurait été intempestif. On venait de constater que dans la vaste conspiration de Cassius, qui avait failli embraser tout l'Orient, pas un seul d'entre eux ne s'était trouvé compromis. (TERTULL., Apolog., XXXV.) L'abstention des chrétiens dans une telle crise avait été pour l'Empire un service plus grand que le miracle de la légion Fulminante. Restait donc une seule ressource : celle de ne pas trop contrarier les instincts haineux dont une partie de la population de l'Empire était animée envers les chrétiens. Les calomnies les plus atroces, les fables les plus ridicules, circulaient de toutes parts sans obstacles, et l'émeute n'était pas moins à craindre que les dénonciateurs. Les récits contemporains les plus authentiques ne nous laissent aucun doute à ce sujet. Un trait direct, que nous sommes à même de vérifier,  constate aujourd'hui encore le mépris brutal des païens pour les fidèles, et cela jusque dans le palais de César.

 

On a découvert, en ces dernières années, une caricature grossièrement tracée sur le mur d'une salle basse dans les ruines du Palatin. Le local était occupé, vers les temps que nous racontons, par un poste de gardes impériaux, et l'un d'eux s'est laissé aller à l'envie de ridiculiser quelque camarade chrétien. Il a représenté un personnage à tête d'âne attaché à une croix. A côté est une figure de magot témoignant sa vénération pour le personnage crucifié. Comme explication, on lit ce graphite grec peu élégant de forme et peu correct : ΑΛΕΞΑΜΕΝΟС СΕΒΕΤΕ ΘΕΟΝ ; "Alexamène adore son Dieu". On sait par Tertullien que les païens accusaient les fidèles d'adorer l'âne. Minucius Félix en parle aussi dans son Octavius. Cette absurdité se rencontre déjà dans Tacite qui, prenant la chose de plus haut, étend l'accusation à la nation juive tout entière. Il arrivait dès lors ce qui arrive encore aujourd'hui, où l'on trouve des gens qui imputent à la croyance catholique des excentricités qui n'ont aucun fondement dans son symbole. Il ne tiendrait qu'à eux de s'assurer de la chose, mais on peut être sûr qu'ils ne le feront pas.

 

Plus récemment une nouvelle découverte est venue compléter la première. A quelque distance, gravé aussi sur l'enduit, est apparu cet autre graphite : ΑΛΕΞΑΜΕΝΟС, FIDELIS.

 

Cet Alexamène, confessant ainsi sa foi, a-t-il voulu répliquer à l'outrage que l'on faisait à son Dieu? ou la déclaration de sa foi a-t-elle provoqué l'insulte ? Il est difficile de le dire ; mais ces insultes personnelles n'étaient rien auprès du déchaînement dont les chrétiens étaient l'objet de la part du peuple superstitieux. Les calomnies odieuses et absurdes auxquelles les crimes des carpocratiens avaient donné occasion, trouvaient toujours la même créance, et l'on ne peut qu'être étonné du sérieux avec lequel les divers apologistes, dans leurs mémoires aux empereurs, sont obligés de discuter de si absurdes accusations. Au Palatin, on savait parfaitement à quoi s'en tenir sur ces fables. La haute moralité des chrétiens n'y faisait pas doute, et c'était même la principale raison d'une rivalité qui devait toujours être fatale au plus faible.

 

On était encore, il est vrai, au lendemain des mesures indulgentes prises à la suite de l'événement merveilleux qui avait signalé la campagne contre les Quades et les Marcomans ; mais si les dénonciations contre les chrétiens arrivaient par trop nombreuses, il était à prévoir que les magistrats, occupés à sévir contre les dénoncés, n'auraient bientôt plus assez de loisirs pour faire le procès des dénonciateurs. D'ailleurs l'émeute dispensait de toute formalité, et l'on savait bien qu'elle était toujours au moment d'éclater contre les chrétiens dans toutes les villes de l'Empire.

 

Marc-Aurèle ne pouvait-il pas donner en preuve de ses sentiments pleins d'humanité l'impopularité qu'il n'avait pas craint d'encourir lorsque, empruntant, sans le dire, l'idée chrétienne, il s'était permis de marchander le sang des gladiateurs dans l'amphithéâtre, au point d'irriter le peuple qui voyait en lui un ennemi de ses plaisirs ? Etait-ce donc sa faute, si les barrières qu'il avait posées sur la fin de son règne pour protéger les chrétiens, et derrière lesquelles ceux-ci se multipliaient de plus en plus, étaient parfois renversées par le peuple au nom de la religion de l'Empire ? Ajoutons que des encouragements et des excitations à la rigueur pouvaient bien aussi lui venir de son entourage. N'avait-il pas près de lui une tourbe de sophistes, de littérateurs, de jurisconsultes, tous stoïciens à la manière du maître et ennemis jurés des chrétiens ? Junius Rusticus, le meurtrier de saint Justin, n'avait-il pas été entre tous le favori et le conseil ordinaire de l'empereur, qui alla jusqu'à solliciter du sénat une statue en son honneur ? Un trait du caractère de Marc-Aurèle qui vient à notre sujet, est ce mot que lui attribue son historien Capitolinus : "Il vaut mieux, aurait-il dit, que je me conduise d'après le conseil de tels et tels amis, que de contraindre tels et tels amis à suivre la volonté de moi seul".

 

En 176, dès son retour de l'Orient, il associa à l'Empire son fils Commode, âgé de quinze ans. Ce jeune prince, digne fils de Faustine, n'avait aucune des qualités de son père, dont la philosophie n'était pas descendue jusqu'à lui. C'en était fait de la dynastie des Antonins ; l'impuissance du stoïcisme se déclarait, et l'Empire asiatique allait commencer bientôt.

 

A celte même époque, d'affreuses calamités éclataient dans plusieurs provinces : Ephèse et Smyrne s'affaissaient dans les tremblements de terre, et de toutes parts le peuple, surexcité par les prêtres des idoles, accusait les chrétiens d'être les auteurs de tant de maux. Entre les villes où des soulèvements populaires eurent lieu, il faut compter celle de Lyon dans les Gaules.

 

L'Eglise y était très florissante, et la réaction qui s'éleva contre elle en l'année 177, va nous éclairer sur la manière dont Marc-Aurèle entendait les adoucissements qu'il avait apportés au sort des chrétiens.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 87 à 94)

 

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21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 20:00

Un évêque nommé Urbain remplit un rôle principal dans les Actes de sainte Cécile. Son existence y paraît liée à cette région de la voie Appienne que nous explorons en ce moment.

 

 Les Actes le montrent en rapport le plus intime avec Cécile. Il est constant que les Caecilii avaient une propriété sur la voie Appienne, en face du cimetière de Prétextât ; des relations devaient naturellement s'ensuivre entre eux et le représentant d'Eleuthère. On voit aussi par les Actes que, dans les moments où sévissait la persécution, des moyens étaient établis et connus des Caecilii pour communiquer avec Urbain sur la voie Appienne. On ne doit pas oublier non plus que la sépulture d'Urbain, après son martyre, eut lieu au cimetière de Prétextât, et que l'unique temple du pagus Triopius qui soit demeuré debout, transformé en église, porte de temps immémorial le vocable du saint évêque.

 

 Dès le siècle dernier, le savant jésuite Lesley, dans les notes de son édition du missel mozarabe dédiée à Benoît XIV, ne fait aucune difficulté de reconnaître dans l'Urbain des Actes de sainte Cécile un évêque dont la résidence aurait été, sous Marc-Aurèle, un pagus de la voie Appienne. Le P. du Sollier, dans son commentaire du Martyrologe d'Usuard, et le docte Mazzochi, dans son précieux travail sur le calendrier napolitain, avaient déjà pressenti l'incompatibilité du récit des Actes de sainte Cécile avec les événements du pontificat de saint Urbain Ier, sous Alexandre Sévère. Nous avions exposé leur sentiment dans la deuxième édition de notre Histoire de sainte Cécile, sans cependant abandonner l'opinion vulgaire. L'évidence des faits nous a contraint depuis à changer d'avis; mais nous ne nous étions pas permis de mépriser l'autorité de ces savants hommes ; bien moins encore, nous serions-nous scandalisé à propos d'une pure question de chronologie, qui ne tient ni de près ni de loin à la révélation.

 

 On ne doit pas s'étonner qu'Eleuthère apparaisse ainsi accompagné d'un vicaire revêtu du caractère épiscopal, quand on se rappelle que saint Pierre lui-même avait ordonné évêques Linus, Cletus et Clément. Le savant Bianchini a prouvé assez clairement que plusieurs des papes que nous avons vus se succéder, avaient d'abord servi en qualité de vicaires de leur prédécesseur. Avant lui, le P. Papebrock, dans ses travaux sur la chronologie papale, avait proposé ce système, et plus d'une fois il l'a justifié par des arguments très plausibles. La liberté avec laquelle Urbain agit dans Rome d'après le récit des Actes, dénote en lui trop expressément la qualité de représentant du pontife, pour qu'il soit possible de douter qu'il ait joui de toute la confiance d'Eleuthère. Les Actes de saint Urbain lui-même nous apprennent qu'il était d'un âge avancé, et que déjà à deux reprises, il avait confessé la foi. On voit par ceux de sainte Cécile que la notoriété de ce saint personnage était assez grande pour que les païens fussent conduits à voir en lui le chef du christianisme dans Rome.

 

 Nous venons de rappeler les propriétés que les Caecilii possédaient sur la droite de la voie Appienne. Dans les années où nous sommes arrivés, la piété de certains membres de cette famille y avait fait entreprendre un nouvel hypogée chrétien appelé aux plus hautes destinées. Peut-être l'initiative de ce travail vint-elle de Cécile elle-même ; dans tous les cas, c'est là qu'elle devait reposer bientôt, et attirer autour d'elle toutes les grandeurs de l'église romaine.  La voie Appio-Ardéatine, qui a disparu sous les terrains de la vigne Amendola, isolait ce nouveau cimetière de celui de Lucine ; plus tard, ils furent mis en communication au moyen de galeries creusées sous la voie. Jusque-là, les Caecilii chrétiens avaient eu leurs sépultures dans les cryptes de Lucine, et nous verrons une partie de la famille demeurer fidèle à cette tradition. Nous allons avoir à suivre les développements du nouveau cimetière, qui débuta,  selon l'usage, par une salle sépulcrale destinée aux membres de la famille qui le faisait construire. Ainsi se préparait sans bruit celui des cimetières de Rome souterraine qui devait approcher le plus de la gloire dont le cimetière des Cornelii était en possession dès l'an 67 ; ainsi le christianisme, objet de répulsion pour les uns et  d'un   héroïque   dévouement   pour   d'autres, poursuivait de toutes parts l'occupation du sol romain. Quant à la personne des chrétiens, les exécutions à mort allaient leur train, à la volonté des dénonciateurs ; la liberté et la vie n'étaient plus assurées ; mais on circulait, on entretenait ses relations jusqu'à ce que l'on fût appelé au prétoire. L'autorité avait des moyens d'arrêter une cause trop compromettante, et aussi d'accélérer l'issue fatale d'un procès, auquel souvent il arrivait qu'elle n'était pas étrangère.

 

 C'est au milieu de cette situation qu'en l'année 174 Marc-Aurèle passa le Danube à la tête de ses troupes, dans une expédition contre les barbares qui ravageaient la frontière de l'Empire. Les légions romaines firent reculer les Marcomans ; mais quand l'empereur se fut avancé dans le pays des Quades, son armée se trouva enveloppée par ces barbares, dont le nombre était de beaucoup supérieur à celui des Romains. Un soleil ardent faisait ressentir aux soldats une soif dévorante, la lutte était devenue impossible pour l'armée romaine, et un désastre était à craindre. En ce moment redoutable pour l'Empire, Dieu tenta par un dernier effort d'enlever Marc-Aurèle à son orgueil et à ses préjugés, en accordant aux prières des chrétiens un miracle qui sauvera l'armée et l'empereur. Celui-ci avait eu recours inutilement aux incantations de ses magiciens, lorsque la douzième légion appelée la Fulminante, formée tout entière de chrétiens et recrutée dans le district de Mélitène en Cappadoce, sortit du camp, et, fléchissant le genou, implora le secours du vrai Dieu. Les barbares furent dans la stupeur à la vue de ces six mille hommes priant immobiles ; les bras étendus ; mais ils furent bien autrement surpris, lorsqu'un épais nuage se forma tout à coup au-dessus des deux armées, versant les flots d'une pluie rafraîchissante sur les Romains et éclatant en grêle et en foudre sur eux-mêmes. La déroute des Quades fut promptement décidée ; ils se ruaient sous l'incendie céleste, et, loin de poursuivre désormais les Romains, ils se jetaient dans leurs lignes, désespérés et implorant la clémence de Marc-Aurèle.

 

Tout l'Empire demeura persuadé qu'un secours surnaturel était descendu sur l'armée romaine. Les auteurs païens, Dion Cassius, Lampridius, Capitolinus, Themistius, Claudien, s'accordent sur le fait en lui-même avec les écrivains de l'antiquité chrétienne. II est hors de doute que l'intervention pieuse de la légion de Mélitène fut non seulement connue, mais consentie par Marc-Aurèle, qui avait recours en même temps à ses dieux. Dans une lettre au sénat que rappellent aux païens Apollinaire et Tertullien, auteurs contemporains, et qui n'a rien de commun avec la pièce apocryphe qui a été fabriquée à ce sujet, Marc-Aurèle mentionnait la prière des chrétiens, entre les secours à l'aide desquels un tel bienfait avait été obtenu du ciel. Quant aux auteurs païens, ils cherchent à en rendre compte, en invoquant les uns les ressources de la magie, les autres la piété de l'empereur.

 

Il est indubitable, par le témoignage de Tertullien dans son Apologétique, que Marc-Aurèle crut devoir, à cette occasion, faire quelque chose en faveur des chrétiens. Il se garda bien, à la vérité, d'abolir la pénalité décernée contre eux par les lois de l'Empire, mais il renouvela et aggrava même les ordonnances d'Antonin, qui punissaient de mort leurs dénonciateurs. L'avenir de la persécution demeurait toujours réservé, et on avait l'air de faire quelque chose pour une partie nombreuse de la population. Comme les chrétiens ne se défendaient pas, on serait toujours à même de tourner contre eux l'un des tranchants de ce glaive qui en avait deux. En attendant, l'Eglise profitait de la demi-liberté qui lui était laissée. C'était beaucoup pour elle de n'avoir à redouter que la persécution de fait, et elle en profitait pour étendre indéfiniment ses conquêtes. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, d'après le témoignage des anciens, malgré tant de violences et un si grand nombre de martyrs dans tout l'Empire, l'époque des Antonins vit, plus que toute autre, la propagation du christianisme. Trajan, Hadrien et Marc-Aurèle lui-même furent loin de tenter contre les chrétiens tout ce qu'ils auraient pu, et l'on sait combien le zèle de la foi a toujours été empressé de profiter des moindres libertés pour répandre jour et nuit la parole divine.

 

On entend dire quelquefois,  aujourd'hui encore, que le christianisme ne fut pas propagé dans les Gaules  avant le  milieu du troisième siècle. Les soutenants de cette opinion, qu'a vue naître   le   dix-septième   siècle,   devraient   enfin s'apercevoir qu'ils montrent trop gratuitement la légèreté de leur savoir. Est-il possible d'ignorer que saint Irénée, Tertullien et Origène s'accordent à nommer la Gaule parmi les contrées où florissait déjà l'Evangile ? Qu'il nous soit permis d'ajouter à ces trois grands témoins Lactance, qui n'a point été cité dans la controverse, et qui, en ruinant de fond en comble le système, a l'avantage de confirmer directement ce que nous venons de dire. On pourra y prendre une idée de l'extension du christianisme sous les Antonins, et par là même du progrès qu'il dut faire alors dans la Gaule si voisine de Rome. "Après l'acte du sénat qui cassa toutes les sentences du tyran Domitien,  dit cet auteur,   l'Eglise reprit non seulement son état antérieur (celui qu'elle avait eu sous les Flaviens) ; mais elle brilla et fleurit toujours davantage. A l'époque qui suivit, durant laquelle plusieurs princes ornés de bonnes qualités tinrent le gouvernail  de l'Empire romain, elle se trouva garantie des assauts de ses ennemis, et put étendre ses bras tant à l'Orient qu'à l'Occident. Il n'y eut plus un coin de terre, si éloigné qu'il fût, où le culte de Dieu ne pénétrât ; il n'y eut plus une nation, si féroce qu'elle fût, qui n'eût accepté la vraie religion, et adouci ses moeurs au moyen des oeuvres saintes." (De mortibus persec, cap. III.)

 

Lactance flatte un peu trop ici les Antonins, réservant sa sévérité pour Decius qu'il appelle l'exécrable animal, et pour ceux qui le suivirent; mais le passage n'en est pas moins précieux, comme témoignage de la rapide propagation de la foi chrétienne à cette époque dans l'Empire, et ceux qui prétendraient excepter les Gaules auraient besoin d'y réfléchir encore.

 

Il n'est pas de notre sujet de nous étendre davantage sur ce point.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 80 à 86)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 20:00

Après cette longue excursion à travers les monuments primitifs   du   christianisme,   dans   laquelle nous avons touché successivement les éléments de cette vitalité qui animait nos martyrs, nous revenons au saint pontife qui présidait au gouvernement général de l'Eglise.

 

 Les sollicitudes de Soter étaient grandes, dans un moment où il fallait faire face à cette persécution sournoise, qui, semblable à un incendie mal éteint, lançait à chaque instant ses flammes sur les fidèles du Christ. Un autre sujet d'inquiétude préoccupait le chef de la chrétienté. La persécution ne pouvait tuer que le corps ; mais l'hérésie était bien autrement à redouter pour l'âme qu'elle séparait de la foi qui est sa vie. Le gnosticisme continuait ses ravages dans l'Eglise, et si la vigilance du pontife veillait plus particulièrement afin de l'en garantir, il était impossible d'extirper totalement cette ivraie maudite.

 

 A cette  époque,  Tatien,   qui  avait  remplacé saint Justin dans l'école romaine où celui-ci avait enseigné la philosophie chrétienne,  se montra infidèle à la succession que lui avait laissée le martyre. Enivré des succès qu'avait d'abord recueillis son enseignement, son esprit vain et susceptible d'exaltation s'égara dans les rêveries de Valentin et de Marcion. Il avait pu s'échapper des liens de la philosophie profane, et finit en sectaire.  Il n'osa cependant enseigner ses systèmes d'erreur si près de la chaire de Pierre et partit pour l'Orient, où il alla fonder en toute liberté l'hérésie vulgaire des encratites qui lui survécut peu.

 

 Une secte plus vivace qui s'éleva pareillement sous le pontificat de Soter, fut l'hérésie de Montan. Les allures de cette école étaient différentes de celles qu'affectaient les diverses familles du gnosticisme. Montan mettait en avant la réforme morale comme but de son nouveau système, et il tendait à élever la pratique du christianisme à une rigueur sous laquelle disparaissait la limite qui sépare les préceptes des conseils. Né en Phrygie, cet hérésiarque, peu après son baptême, se jeta dans des aberrations qui rappelaient celles auxquelles les hommes de son pays s'étaient trop souvent montrés sujets. Il se fit appeler le Paraclet et se mit tout d'abord à prophétiser. Deux femmes de la même contrée, Maximille et Priscille, s'attachèrent à lui, et annoncèrent la prétention au sacerdoce et à l'épiscopat, dont elles enseignaient que leur sexe devait jouir désormais. Le thème continuel des improvisations de ces voyants et de ces voyantes était l'établissement d'un rigorisme qui ne craignait pas de démentir jusqu'à l'Evangile lui-même. Pas de rémission pour les péchés commis après le baptême, interdiction du mariage, du service militaire, et même de la fuite en temps de persécution : nous nous bornons à ces traits. Il ne paraît pas cependant que Montan ait osé venir en personne répandre ces nouveaux dogmes jusque dans Rome, comme l'avaient fait Valentin et Marcion ; mais ses émissaires y pénétrèrent bientôt.

 

 Soter acheva sa carrière en 171, dans la neuvième année de son pontificat. Il fut enseveli près de saint Pierre dans la crypte Vaticane, et eut pour successeur Eleuthère, né à Nicopolis, d'un père nommé Abundius. Nous apprenons d'un passage de l'histoire d'Hégésippe, cité par Eusèbe, qu'il avait été archidiacre de l'église romaine sous Anicet. Il occupa quinze années la chaire apostolique, et vit la fin de la persécution de Marc-Aurèle.

 

 On ne saurait raconter la vie des pontifes romains,  si abrégé qu'en soit le récit,  sans être amené sans cesse à descendre aux catacombes, et l'on peut dire que tous les chemins y conduisent.  Le personnage profane dont nous  allons parler,  était loin de se douter que le site des grands travaux qu'il exécutait sur la voie Appienne  deviendrait  célèbre  dans  les   fastes  de l'Eglise  chrétienne  à  Rome,  comme  l'un  des théâtres des plus belles victoires qu'elle ait remportées. Hérode Atticus, rhéteur athénien, avait été, comme tant d'autres, au nombre des précepteurs de Marc-Aurèle et de Lucius Verus. Cette impériale éducation, aussi bien que son immense fortune, l'avait fait monter,  en  143,  aux honneurs  du  consulat.   Ayant  perdu,   en   161,   sa femme Annia Attilia Regilla, qui était de la famille   Julia, et pour   laquelle il professait   un grand attachement, il résolut d'en éterniser la mémoire, en élevant, près de la voie Appienne, tout un ensemble de monuments qui devaient donner naissance à un nouveau pagus. La villa qu'il se construisit était située sur la gauche, dans les terres qu'Annia Regilla avait apportées en dot à Hérode Atticus. On la trouvait au delà de la plaine que jonchent aujourd'hui les débris du cirque de Maxence, et que domine, du même côté, le tombeau de Caecilia Metella.

 

Au troisième mille, à l'endroit où la colline s'élève vers les monts Albains, sur les lieux qu'on nomme de nos jours la Caffarella, et où le voyageur visite le nymphée qui a usurpé le nom d'Egérie, l'opulent Athénien construisit non seulement le tombeau de son épouse, mais des portiques et des temples avec l'accompagnement d'un bois sacré. Un champ sépulcral, dédié à Minerve et à Némésis, était destiné à recevoir d'autres tombeaux. Annia Regilla avait professé un culte fervent envers les deux Cérès, l'ancienne et la nouvelle ; ces déesses eurent là aussi leur temple, et c'est après avoir dédié tous les joyaux qu'elle aimait aux divinités éleusines, Cérès et Proserpine, dans leurs sanctuaires les plus vénérés, qu'Hérode Atticus s'occupa de consacrer à sa mémoire les splendides monuments dont nous parlons. Il donna à cet ensemble le nom de Triopius, toujours en l'honneur de Cérès, dont un sanctuaire à Argos portait ce nom. (VISCONTI, Iscrizioni Greche Triopie.) Autour des constructions que nous venons d'énumérer, le pagus ne tarda pas à se former. On y rencontrait d'abord un temple dédié à Jupiter, près duquel était une place où les chrétiens furent exécutés en si grand nombre, qu'on l'appela Locus trucidatorum. Le pagus Triopius n'en portait pas moins le nom d'hospitalier, comme on le lit sur l'une des belles inscriptions en marbre pentélique qui en ont été apportées et se conservent au musée du Louvre.

 

Etalant ainsi ses splendeurs au soleil, le pagus Triopius confinait au cimetière de Prétextât où la touchante mémoire du jeune martyr Januarius nous a fait descendre tout à l'heure. Félicité et ses sept fils avaient souffert le martyre l'année qui suivit la mort d'Annia Regilla ; mais la dédicace du pagus Triopius fut différée jusqu'en 175. Dans l'intervalle, le cimetière de Prétextât déjà ouvert sous Hadrien, et qui du même côté de la voie dirigeait ses rameaux vers le Nord, s'était accru encore, et, lorsqu'il eut pris tous ses développements au siècle suivant, il venait terminer ses galeries aux abords mêmes du pagus. Une  coïncidence  remarquable   avait   réuni   sur un même rayon les principaux monuments de Rome souterraine. Les cryptes de Lucine, l'immense cimetière de Domitille,  et celui de Prétextat, déjà devenus sacrés par les mémoires des martyrs   qu'ils   avaient   reçus,   s'enrichissaient chaque jour de nouveaux trophées, et ouvraient leurs galeries à d'innombrables sépultures.

 

Sur le sol, des deux côtés de la voie, les familles chrétiennes sous la propriété desquelles s'ouvraient des hypogées qui devenaient bientôt des cimetières, avaient leurs villae plus ou moins étendues, qui protégeaient les travaux d'excavation, et garantissaient les galeries de toute incursion profane. Il est naturel de penser que le pagus Triopius, situé dans de tels parages, dut posséder dès l'origine une population chrétienne, zélée et empressée de témoigner sa foi sur ces lieux illustrés chaque jour par tous les dévouements. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que l'église romaine ait entretenu, au sein de cette vaste région, un dignitaire ecclésiastique chargé à la fois de veiller sur cette immense nécropole des martyrs, et de satisfaire aux besoins spirituels des chrétiens. On lit dans les Actes du pape saint Alexandre, qui, sans être absolument historiques dans tous leurs détails, n'en renferment pas moins des particularités que la science ne saurait dédaigner, que le pape saint Sixte Ier établit un évêque sur la voie Nomentane, à sept milles de Rome, au tombeau du même saint Alexandre, afin que lui et les autres martyrs qui reposaient en ce lieu fussent honorés par l'oblation du sacrifice chrétien.

 

Un évêque nommé Urbain remplit un rôle principal dans les Actes de sainte Cécile. Son existence y paraît liée à cette région de la voie Appienne que nous explorons en ce moment.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 74 à 79)

 

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