SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE : Domus culta sanctae Caeciliae

En toute hypothèse, cette inscription commence la série d'un grand nombre d'autres de la famille Caecilia que nous énumérerons bientôt, et qui attestent directement la profession du christianisme dans cette famille au deuxième siècle.

 

 Il serait difficile de pousser plus avant l'investigation généalogique ; mais un fait de la plus haute évidence démontre que notre héroïne est issue de la branche des Caecilii Metelli Numidici et Pii. Les monuments pouvaient seuls dirimer le problème. Nul archéologue chrétien ne peut ignorer le canon du concile de Carthage qui a fait droit si longtemps, même à Rome, dans l'attribution du nom de tel ou tel saint à une église que l'on voulait construire. Ce célèbre canon auquel M. de Rossi a fait appel avec tant de succès, pour déterminer l'origine de la basilique de Saint-Clément, porte que les églises en l'honneur des saints peuvent être élevées seulement dans les lieux où reposent leurs reliques et dans ceux où ils ont vécu, où ils ont souffert, et, encore, dont ils ont été possesseurs. (Concil. carthag. IV, ann. 398, canon XIV.)

 

Or nous apprenons du Liber pontificalis que le pape saint Zacharie, qui siégea de 751 à 752, entreprit la restauration d'une église de Sainte-Cécile qui était située sur la voie Tiburtine au cinquième mille vers le point où le Magliano joint ses eaux à celles du Teverone. A en juger par les soins que le pontife mit à cette restauration, il faut que cette antique mémoire de sainte Cécile ait été d'une haute importance historique ; d'autre part, l'état de ruine où elle se trouvait déjà au huitième siècle atteste l'époque reculée à laquelle elle remontait. Zacharie la releva avec splendeur, l'orna de peintures, la dota richement et il alla jusqu'à racheter les biens qu'elle avait eus autrefois, et qui avaient été envahis par les voisins. Dans son respect pour ce lieu sacré, il en confia l'administration au clergé de la basilique Vaticane, et le Liber ponlificalis, chronique contemporaine, atteste que cette belle et riche église de la voie Tiburtine était appelée Domus culta sanctae Caeciliae.

 

 Nous avons vu plus haut que Caecilius Metellus le Numidique avait fait construire magnifiquement sa villa sur la voie Tiburtine, et un texte de Cicéron nous apprend que cette villa ne devait pas être très éloignée de Rome. Le grand orateur raconte que, dans une levée de soldats, un particulier cherchant à se faire exempter sous le prétexte de la faiblesse de sa vue, le Numidique lui demanda s'il ne voyait absolument rien. "Oh ! répondit le Romain, je suis encore de force à apercevoir ta villa, en regardant de la porte Esquiline". (De Oratore, II.) Cette petite distance de Rome concorde aisément avec ce que dit le Liber pontificalis des cinq milles qui séparaient de la ville l'église de Sainte-Cécile rebâtie par Zacharie.

 

 Nous pouvons maintenant tirer les conséquences. Sainte Cécile n'a point souffert le martyre sur la voie Tiburtine, à cinq milles de Rome ; ses reliques n'y ont jamais reposé ; le motif qui lui a fait ériger un sanctuaire très important en ce lieu dès la paix de l'Eglise ne peut donc être que le séjour qu'elle y aura fait, ou le domaine qu'elle y aura exercé. Or ce lieu, ce domaine, qui se rattache au souvenir et au culte d'un membre de la gens Caecilia sur la voie Tiburtine, peut-il être autre que la célèbre villa du Numidique, possédée ensuite par son fils Caecilius Pius et par sa descendance ? Dès lors il nous est permis d'affirmer avec certitude la filiation qui rattache en ligne directe notre héroïne à la branche la plus glorieuse des Caecilii. Ceci admis, il est assez naturel de conjecturer que la villa Tiburtine aura été assignée en dot à Cécile, lors de son mariage avec Valérien ; et l'église romaine, que nous verrons si empressée de recueillir les traces de l'illustre martyre dans la ville, n'aura pas mis moins de zèle à les glorifier hors de Rome.

 

Cécile dut naître dans les premières années du règne de Marc-Aurèle, et le glaive du martyre l'avait déjà moissonnée avant la mort de l'empereur philosophe. Sa carrière fut courte ; car la mort de son jeune époux Valérien et sa propre immolation suivirent de près le jour qui éclaira l'alliance de ces deux grands noms.

 

 Ses Actes nous apprennent qu'elle souffrit la mort pour le Christ sous Marc-Aurèle et Commode ; ils précisent par là même, autant qu'il est possible, la date de son glorieux trépas, puisque ces deux empereurs ne régnèrent ensemble que du 27 novembre 176 au 17 mars 180, qui fut le jour de la mort de Marc-Aurèle. C'est donc dans l'intervalle qui s'écoule entre ces deux dates que doit être placé le martyre de la fille des Caecilii.

 

On verra par le récit les raisons qui nous font choisir de préférence l'année 178.

 

(FIN  DU PREMIER VOLUME)

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 375 à 378) 

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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