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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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SALVE REGINA

11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 19:00

Almachius, qui sentait le besoin de réparer son honneur compromis en pleine audience par les rudes répliques de Tiburce et de Valérien, imagina d'abord de tendre un piège à Cécile, en cherchant à provoquer de sa part, sans publicité, un acte de complaisance envers l'idolâtrie, espérant s'en couvrir comme d'un succès.

 

 S'il réussissait, le fisc pouvait, il est vrai, se trouver frustré d'une partie de ses espérances ; mais on aurait du moins l'avantage d'éviter un jugement dont la fin peut-être serait tragique, et causerait de l'agitation dans le public. Il imagina donc de traiter avec Cécile de puissance à puissance, et, au lieu de la mander à son prétoire, l'idée lui vint d'envoyer au domicile de l'épouse de Valérien des officiers de justice, pour lui proposer de se prêter sans bruit sous leurs yeux à quelque pratique, si insignifiante qu'elle fût, de la religion de l'Empire. On en prendrait acte, et le danger de se commettre en public avec une chrétienne telle que Cécile serait éloigné.

 

 Les gens d'Almachius se transportèrent au palais des Valerii, et présentèrent à Cécile la proposition de ce magistrat. La vierge démêla aisément l'émotion que leur inspirait sa contenance pleine de douceur et de gravité. Le respect, la déférence, l'embarras d'avoir à remplir près d'elle une telle mission, paraissaient dans leurs paroles et jusque dans leur attitude.

 

 Elle leur répondit avec un calme céleste : " Concitoyens et frères, écoutez-moi. Vous êtes les officiers de votre magistrat, et au fond de vos coeurs vous avez horreur de sa conduite impie. Pour moi, il m'est glorieux et désirable de souffrir tous les tourments pour confesser le nom du Christ ; car je n'ai jamais eu la moindre attache à cette vie. Mais je vous plains, vous qui êtes encore dans la fleur de la jeunesse, du malheur que vous avez d'être ainsi aux ordres d'un juge rempli d'injustice". A ce discours, les appariteurs d'Almachius ne purent retenir leurs larmes, et ils se lamentaient de voir une jeune dame si noble, si belle et si sage, courir à la mort avec un tel empressement ; ils la suppliaient de ne pas permettre qu'une si brillante fortune, embellie de tant de charmes, devînt la proie du trépas.

 

 La  vierge  les  interrompit par  ces  paroles : " Mourir pour le Christ, ce n'est pas sacrifier sa jeunesse, mais la renouveler ; c'est donner un peu de boue pour acquérir de l'or, échanger une demeure étroite et vile contre un palais magnifique, offrir une chose périssable et recevoir en retour un bien immortel. Si aujourd'hui quelqu'un mettait à votre disposition un amas de pièces d'or, à la seule condition de lui donner en retour autant de pièces d'une vile monnaie de même poids, ne vous montreriez-vous pas empressés pour un échange aussi avantageux ? n'engageriez-vous pas vos parents, vos alliés, vos amis, à profiter comme vous de cette bonne fortune ? Ceux qui voudraient vous en détourner, en viendraient-ils jusqu'aux larmes, vous les réputeriez fous et malavisés. Cependant, tout votre empressement n'aurait abouti qu'à vous procurer un métal plus précieux, mais terrestre, en échange d'un autre métal plus grossier et à poids égal. Jésus-Christ, notre Dieu, ne se contente pas de donner ainsi poids pour poids ; mais ce qu'on lui offre, il le rend au centuple, et il ajoute encore la vie éternelle."

 

 Subjugués par ce discours, les assistants ne pouvaient plus contenir leur émotion. Dans le transport de son zèle d'apôtre, Cécile monte sur un marbre qui se trouvait près d'elle, et d'une voix inspirée, elle s'écrie : "Croyez-vous ce que je viens de vous dire ?" Tous répondent à la fois : "Oui, nous croyons que le Christ, Fils de Dieu, qui possède une telle servante, est le Dieu véritable. — Allez donc, reprit Cécile, et dites à ce malheureux Almachius que je demande un délai, que je le prie de retarder quelque peu mon martyre. Durant cet intervalle, vous reviendrez ici, et j'y aurai fait venir quelqu'un qui vous rendra participants de la vie éternelle."

 

Les officiers d'Almachius, déjà chrétiens dans le coeur, lui portèrent la nouvelle du refus qu'avait fait Cécile d'accéder à sa proposition et en même temps la demande qu'elle faisait d'un délai de comparution. Almachius s'abstint de donner l'ordre immédiat d'amener la vierge devant son tribunal.

 

Urbain ne tarda pas à recevoir un message de Cécile qui l'instruisait de son prochain martyre, et des nouvelles conquêtes qui se préparaient pour la foi du Christ. Non seulement les appariteurs d'Almachius, mais un grand nombre d'autres personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition, principalement de la région transtibérine, avaient ressenti l'ébranlement de la grâce divine, et aspiraient au baptême.

 

Urbain vint en personne recueillir une si riche moisson, et bénir une dernière fois la vierge héroïque qui, dans peu de jours, devait tendre du haut des cieux sa palme au saint vieillard, dont la présence fut pour elle, à un tel moment, une sensible consolation. Le baptême fut célébré avec splendeur et plus de quatre cents personnes reçurent la grâce de la régénération. Telle était la riche offrande que Cécile présentait au Christ, si peu d'heures avant d'aller au martyre. Un dernier soin la préoccupait, celui d'assurer à l'église romaine la possession de sa maison. Elle n'avait d'autre moyen pour cela, que d'en céder la propriété à une personne de confiance qui l'appliquerait à la destination fixée par la vierge. Elle arrêta son choix sur un des nouveaux baptisés, nommé Gordien, qui était décoré du titre de Clarissime. Ce fut avec ce patricien que Cécile, libre encore, passa le contrat qui garantissait à l'Eglise, sous la garde d'un nom nouveau, la jouissance du don que lui avait préparé la vierge. Un arrêt de confiscation des biens de Cécile après son martyre ne pouvait plus, dès lors, atteindre ce palais, que sa présence et celle de Valérien avaient sanctifié.

 

Urbain, malgré les périls, fixa sa demeure sous le toit de Cécile ; mais à peine y était-il établi, que la vierge reçut l'ordre formel de comparaître. On était à la veille des ides de septembre (12 septembre). Cécile, heureuse d'être arrivée au moment de confesser sa foi, s'était parée comme une noble patricienne. Le lieu où Almachius tenait son audience était situé au champ de Mars, à peu de distance de la maison des Caecilii, près de l'amphithéâtre de Statilius Taurus, dont les décombres ont formé l'éminence que l'on appelle Monte Giordano. Une église y fut bâtie pour rappeler le lieu où Cécile avait confessé la foi. Sur les anciens diplômes cités par Fonseca (de Basilica S. Laurentii in Damaso), on voit qu'elle était appelée, au moyen âge, Sainte-Cécile de Lupo Pacho, et aussi de Turre Campi.

 

C'est là que, la première et unique fois, notre héroïne vit en face l'homme dont les mains étaient teintes du sang de son époux et de son frère ; qu'elle se trouva au milieu d'un prétoire, où l'on apercevait de toutes parts les images impures des faux dieux ; mais jamais l'épouse du Christ, qui tenait le monde sous ses pieds, n'avait paru plus imposante par la dignité et la simplicité de son maintien. Ravie en celui qui possédait tout son coeur, et qui l'appelait enfin aux noces de l'éternité, ses regards s'abaissaient sur la terre avec un dédain sublime. Elle allait ouvrir la bouche pour répondre ; mais sa parole n'allait être qu'une protestation contre cette force brutale qui tentait d'arrêter les âmes dans leur essor vers le bien infini.

 

Sa mission d'apôtre était accomplie ; les martyrs qu'elle avait formés l'avaient précédée au ciel ; d'autres devaient bientôt l'y suivre ; il ne lui restait plus qu'à rendre le dernier témoignage dont le prix était la palme.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 174 à 178)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 19:00

La troupe héroïque se mit en marche aux accents inspirés de la vierge, dont la puissance surhumaine dominait encore cette scène sublime.

 

 Les deux confesseurs étaient conduits par le nouveau chrétien Maxime, escortés par des soldats dont le front était encore humide de la rosée baptismale. Les Actes ne nous disent pas si la vierge suivit son époux et son frère jusqu'au lieu du triomphe. Il est à croire qu'après les adieux d'une séparation qui ne devait pas durer un long temps, Cécile demeura dans Rome.

 

En peu d'heures elle allait être appelée à rendre les derniers honneurs aux martyrs du Christ que le glaive aurait immolés. Depuis l'ouverture de la persécution, ce pieux devoir marquait pour ainsi dire chacune de ses journées ; mais les martyrs dont elle allait bientôt recueillir et honorer la sainte dépouille, n'intéresseraient plus seulement sa foi ; ils devaient représenter les plus tendres affections de son coeur d'épouse et de soeur. Ce ne fut donc pas un sentiment de faiblesse ou de timidité qui retint la vierge dans la ville, au départ des deux jeunes héros. Que pouvait craindre Cécile sur la terre, elle qui, pour la garde de sa virginité, avait su braver le courroux d'un époux païen, et qui, sous peu de jours, défierait sur son tribunal le représentant de la loi romaine ?

 

 Les martyrs et leur pieuse escorte s'acheminèrent vers la voie Àppienne. Le long des tombeaux dont le luxe accompagnait cette voie durant plusieurs milles, leur marche se dirigeait vers le pagus Triopius. Le souvenir de Pierre rencontrant en ces mêmes lieux le Christ chargé de sa croix, redoubla l'ardeur des deux frères. A droite et à gauche, derrière la haie somptueuse des mausolées, les cryptes chrétiennes étendaient silencieusement sous terre leurs vastes et profondes galeries, et les martyrs purent saluer en passant le lit de leur glorieux repos. En prenant sur la gauche pour descendre vers le pagus, ils laissaient à droite le tombeau de Caecilia Metella qui rappelait à Valérien le nom de l'épouse qu'il avait reçue du ciel, et à laquelle il devait bien plus que le bonheur d'ici-bas. C'était de quelques jours seulement qu'il la devançait, et bientôt elle se réunirait à lui pour jamais dans leur unique patrie. Les fureurs d'Almachius faisaient assez pressentir que l'heure approchait pour la noble vierge. Le seul désir de Valérien en ce monde, à cette heure suprême, était désormais de reposer non loin d'elle, après la victoire, dans la cité des martyrs, loin du faste profane de leurs aïeux.

 

 On fut bientôt arrivé au pagus. Sur l'une des inscriptions d'Hérode Atticus en l'honneur d'Annia Regilla, il était appelé Hospitalier, ainsi que nous l'avons dit plus haut ; mais aux chrétiens il n'avait alors à offrir que le glaive ou l'apostasie. Les prêtres de Jupiter attendaient avec l'encens.

 

Martyre de Valérien et Tiburce - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne

Fresque de la vie de Sainte Cécile : scène 5 par Amico Aspertini

 

 Tiburce et Valérien furent invités à rendre leurs hommages à l'idole. Ils refusèrent, se mirent à genoux et tendirent le cou aux bourreaux. Les soldats devenus chrétiens ne pouvant tirer le glaive sur des martyrs, d'autres bras s'offrirent, car il y avait là des exécuteurs en permanence, et ces deux têtes glorieuses reçurent du même coup la mort et la couronne de vie.

 

À ce moment, le ciel s'ouvrit aux yeux de Maxime, et il entrevit un instant la félicité des saints. Il fut aisé à cet officier chrétien d'Almachius de soustraire les  corps  des  deux héros  et de les consigner aux mains de Cécile, en qui il vénérait la mère spirituelle qui, la nuit précédente, l'avait présenté au baptême. Cécile, qui s'était rendue dans sa villa de la voie Appienne, attendait avec transport l'arrivée  des  dépouilles triomphales. Elle les reçut avec une tendre vénération ; mais l'hypogée chrétien des Caecilii n'était pas encore assez avancé pour leur offrir un asile convenable. De l'autre côté de la voie, au cimetière de Prétextat, non loin de la tombe de Januarius, un cubiculum pouvait les recevoir. Cécile jugea que les martyrs y reposeraient avec plus d'honneur, et ce fut là  qu'elle ensevelit les corps de son époux et de son frère. Rien ne manqua à cette sépulture  chrétienne,  ni les larmes d'adieu et d'espérance, ni les parfums, ni la palme, ni la couronne,   symboles  de  la plus  éclatante  victoire.

 

 Les heureux témoins du martyre de Valérien et de Tiburce étaient rentrés dans Rome, pleins d'admiration pour le courage de ceux qui avaient été leurs initiateurs aux secrets de la vie éternelle, et tous aspiraient à les suivre au plus tôt. Maxime surtout se sentait brûler d'un feu divin, et il ne cessait de répéter qu'il avait entrevu l'aurore du jour éternel. "Au moment même où le glaive frappait les martyrs, disait-il en l'affirmant avec serment, j'ai vu les anges de Dieu resplendissants comme des soleils. J'ai vu l'âme de Valérien et celle de Tiburce sortir de leurs corps, semblables à de jeunes épouses parées pour la fête nuptiale. Les anges les recevaient dans leur sein, et, s'envolant vers le ciel, les emportaient avec eux". En disant ces paroles, il versait des larmes de joie et de désir. Beaucoup de païens se convertirent après l'avoir entendu ; ils renoncèrent aux idoles et se soumirent avec une foi sincère au Dieu unique, créateur de toutes choses.

 

 La conversion du greffier Maxime parvint aux oreilles d'Almachius. Il en fut d'autant plus irrité que cette défection courageuse avait eu de nombreux imitateurs, non seulement dans la famille de Maxime, mais encore au dehors. Le sort de cet officier de la justice romaine fut bientôt décidé. Il n'eut pas la tête tranchée comme les deux patriciens ; le juge ordonna qu'il fût assommé avec des fouets armés de balles de plomb : c'était le supplice des personnes d'un rang inférieur.

 

Le martyr rendit généreusement à Dieu l'âme dont Valérien et Tiburce lui avaient révélé le prix et les destinées. Cécile voulut l'ensevelir de ses propres mains. Sur le sarcophage qu'elle lui destina, la vierge fit sculpter l'emblème du phénix, en souvenir de l'allusion que Tiburce avait empruntée de cet oiseau merveilleux, pour donner à Maxime l'idée de la résurrection de nos corps. Par ses ordres, ce tombeau fut placé au cimetière de Prétextat, dans la crypte où reposaient déjà Valérien et Tiburce.

 

La sensation que dut produire dans la haute société de Rome l'exécution des deux jeunes patriciens était de nature à inquiéter le Palatin, où l'on ne pouvait se dissimuler l'action du christianisme sur un  grand nombre de membres  de l'aristocratie. Après l'application d'une sentence de mort,  avait lieu la confiscation  des biens ; mais cette sentence de mort avait été à peine prévue. Pour la provoquer, il avait fallu l'attitude méprisante que Tiburce et Valérien avaient témoignée envers le paganisme ; un procès capital avait remplacé ce qui ne devait être qu'une solennelle1 remontrance. On ne jugea donc pas à propos de mettre immédiatement la main sur les biens personnels des deux martyrs. Le palais des Valerii au Transtévère, avec son riche mobilier,  tentait l'avidité du fisc ; mais Cécile était héritière de la fortune de son époux. Le moyen efficace d'atteindre cette proie était d'amener la veuve du martyr à quelque démonstration hostile aux lois de l'Empire contre les chrétiens. On ne provoquerait pas Cécile à sacrifier aux dieux : son caractère était trop connu pour qu'on osât risquer une telle imprudence ; mais on pouvait essayer  de  la  compromettre,   en  même  temps qu'on emploierait les pièges de la légalité pour la dépouiller.

 

L'appréhension d'avoir à se mesurer avec cette jeune veuve dont l'énergie et l'indépendance chrétienne n'étaient ignorées de personne, fut cause que plusieurs mois s'écoulèrent avant que Cécile eût reçu aucune citation à comparaître devant Almachius, à qui le Palatin laissait le soin de terminer cette odieuse affaire.

 

Dans sa prévoyance, Cécile profita du répit qui lui était donné, pour distribuer aux pauvres les richesses mobilières qu'elle trouvait sous sa main. A la veille de son départ pour le ciel, elle voulait, selon l'Evangile, envoyer devant elle ses trésors. Quant à la maison qu'elle avait habitée avec Valérien, sa pieuse ambition était, en imitant Praxède et Pudentienne, d'en faire un nouveau Titre pour le service de l'église romaine.

 

Almachius, qui sentait le besoin de réparer son honneur compromis en pleine audience par les rudes répliques de Tiburce et de Valérien, imagina d'abord de tendre un piège à Cécile, en cherchant à provoquer de sa part, sans publicité, un acte de complaisance envers l'idolâtrie, espérant s'en couvrir comme d'un succès.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 166 à 173)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 19:00

Durant cette exécution, qui avait lieu en dehors du prétoire, les passions s'agitaient au dedans. Quelle serait la fin de cette cause, que l'inhabile magistrat avait menée avec tant d'imprudence ?

 

 Au lieu de deux jeunes gens qu'il n'avait voulu qu'intimider, il avait en face deux chrétiens, dignes, par leur mâle courage, d'être comparés aux plus héroïques martyrs qu'il venait d'envoyer à la mort. Laisserait-il se retirer, après un châtiment passager, ces hommes qui avaient insulté les divinités de l'Empire, bravé les lois, et défié un représentant de la puissance publique jusque sur son siège; ou sévirait-il contre eux jusqu'à la peine capitale ? Un conseil perfide, qui faisait appel à sa cupidité, fixa les incertitudes d'Almachius. Tarquinius, son assesseur, lui dit en particulier : "Finis-en avec eux : l'occasion est bonne. Si tu mets du retard, ils continueront de distribuer leurs richesses aux pauvres jusqu'à ce qu'elles soient épuisées, et, quand ils auront été enfin punis de la peine capitale, tu ne trouveras plus rien."

 

 Almachius comprit ce langage. Ses intérêts pouvaient être mêlés jusqu'à un certain point avec ceux du fisc ; il résolut donc de ne pas laisser échapper la proie. Les deux frères furent de nouveau amenés devant lui, Valérien, le corps ensanglanté par les verges, et Tiburce, saintement jaloux que son frère lui eût été préféré dans l'honneur de souffrir pour le Christ. La sentence fut immédiatement rendue ; elle était commune aux deux jeunes patriciens, et portait qu'ils seraient conduits au pagus Triopius, situé sur la voie Appienne, entre la troisième et la quatrième borne milliaire. Au bord de la route, s'élevait le temple de Jupiter, qui servait comme d'entrée au pagus. Valérien et Tiburce seraient invités à brûler de l'encens devant l'idole, et, s'ils refusaient de le faire, ils auraient la tête tranchée.

 

 C'en était fait : les deux frères, entraînés par la soldatesque, se mettaient en marche pour le lieu de leur martyre. Ils allaient s'éloigner de Rome, sans qu'il eût été donné à Valérien de revoir un instant son épouse, à Tiburce de prendre congé de sa soeur ; tant était rapide le mouvement qui les emportait l'un et l'autre vers la patrie des anges. Cécile n'avait pas été présente à l'interrogatoire des deux confesseurs ; mais l'ardeur de ses prières les avait assistés devant le juge, et ils s'étaient montrés dignes d'elle et de leur baptême. Dieu, cependant, qui voulait que la vierge survécût à leur départ pour le ciel, ménageait, à ce moment même, une entrevue pleine de consolation pour les trois amis.

 

 Maxime, greffier d'Almachius, avait été désigné pour accompagner les martyrs au lieu de l'épreuve. C'était à lui de rendre compte au juge de l'issue du drame. Il devait ramener libres Tiburce et Valérien, s'ils sacrifiaient aux dieux, ou certifier leur exécution, s'ils persistaient dans la profession du christianisme. A la vue de ces deux jeunes hommes qui marchaient d'un pas si léger vers le supplice, et s'entretenaient ensemble avec une joie tranquille et une ineffable tendresse, Maxime ne put retenir ses larmes, et leur adressant la parole : "Ô noble et brillante fleur de la jeunesse romaine ! s'écria-t-il ; ô frères unis par un amour si tendre ! vous vous obstinez donc dans le mépris des dieux, et, au moment de perdre toutes choses, vous courez à la mort comme à un festin !"

 

 Tiburce lui répondit : "Si nous n'étions pas assurés que la vie qui doit succéder à celle-ci durera toujours, penses-tu donc que nous montrerions tant d'allégresse à celte heure ? — Et quelle  peut  être  cette  autre  vie ?  dit Maxime. — Comme le corps est recouvert par les vêtements, reprit Tiburce, ainsi l'âme est revêtue du corps ; et de même que l'on dépouille le corps de ses vêtements, ainsi en sera-t-il de l'âme à l'égard du corps. Le corps, dont l'origine grossière est la terre, sera rendu à la terre ; il sera réduit en poussière pour ressusciter, comme le phénix, à la lumière qui doit se lever. Quant à l'âme, si elle est pure, elle sera transportée dans les délices du paradis, pour y attendre, au sein des plus enivrantes félicités, la résurrection du corps."

 

 Ce discours inattendu fit une vive impression sur Maxime.  C'était la première fois qu'il entendait un langage opposé au matérialisme, dans lequel l'ignorance païenne avait plongé sa vie tout entière. Il fit un mouvement vers cette lumière nouvelle qui se révélait à lui : "Si j'avais la certitude de cette vie future dont tu me parles, répondit-il à Tiburce, je sens que moi aussi je serais disposé à mépriser la vie présente". Alors Valérien, plein d'une sainte ardeur que lui communiquait   l'Esprit   divin,    s'adressa   ainsi   à Maxime : Puisqu'il ne te faut plus  que la preuve de la vérité que nous t'avons annoncée, reçois la promesse que je te fais en ce moment. A l'heure où le Seigneur va nous faire la grâce de déposer le vêtement de notre corps pour la confession de son nom, il daignera t'ouvrir les yeux, afin que tu voies la gloire dans laquelle nous entrerons. Une seule condition est mise à cette faveur, c'est que tu te repentes de tes erreurs passées. — J'accepte, dit Maxime, et je me dévoue aux foudres du ciel, si, dès l'heure même, je ne confesse pas le Dieu unique qui fait succéder une autre vie à celle-ci. C'est maintenant à vous de tenir votre promesse, et de m'en faire voir l'effet."

 

Par cette réponse, Maxime offrait déjà son nom à la milice chrétienne ; mais les deux frères ne voulaient pas quitter la terre avant qu'il eût obtenu, sous leurs yeux, le bienfait de la régénération. Ils lui dirent donc : "Persuade aux gens qui doivent nous immoler de nous conduire à ta maison ; ils nous y garderont à vue ; ce n'est que le retard d'un jour. Nous ferons venir celui qui doit te purifier, et, dès cette nuit, tu verras déjà ce que nous t'avons promis". Maxime ne balança pas un instant. Tous les calculs de la vie présente, ses craintes et ses espérances, n'étaient déjà plus rien à ses yeux. Il conduisit à sa maison les martyrs avec l'escorte qui les accompagnait, et tout aussitôt Tiburce et Valérien commencèrent à lui expliquer la doctrine chrétienne. La famille du greffier, les soldats eux-mêmes, assistaient à la prédication des deux apôtres, et tous, divinement éclairés par leur langage si vrai et si solennel, voulurent croire en Jésus-Christ.

 

Cécile avait été avertie de ce qui se passait par un message de Valérien. Ses ferventes prières avaient sans doute contribué à obtenir du ciel une si grande effusion de grâces ; mais il s'agissait de consommer l'oeuvre divine dans ces hommes si rapidement conquis à la foi chrétienne. Cécile disposa toutes choses avec cette vigueur et cette sagesse qu'elle savait mettre en tout, et, quand la nuit fut arrivée, elle entra dans la maison de Maxime, suivie de plusieurs prêtres qu'elle amenait avec elle.

 

Le langage des anges pourrait seul rendre la douceur de l'entrevue que la bonté de Dieu avait préparée pour les deux époux, sur la route de la patrie céleste. Les roses prophétiques de la couronne de Valérien allaient bientôt s'épanouir au soleil de l'éternité ; celles qui ornaient le front de Cécile devaient, quelques jours encore, exhaler leur parfum sur la terre. Il dut leur être doux de repasser ensemble la suite des desseins de Dieu sur eux, et les voies que la grâce leur avait fait parcourir, depuis  l'entretien  mystérieux de la chambre nuptiale, jusqu'à ce moment où  Valérien   n'avait  plus  qu'à  saisir la palme qui s'offrait à lui. Tiburce, le favori des anges, la seconde conquête de Cécile, ne pouvait manquer  de  mêler  à  ces   colloques   suprêmes toute l'effusion de son âme tendre et dévouée.

 

Mais les deux frères, mais la vierge, ne perdaient pas de vue cette moisson fortunée qui avait surgi tout a coup sur le chemin du martyre ; le moment pressait de la recueillir pour les greniers du Père céleste. Sous les yeux de Cécile, de son époux et de son frère, au milieu des vives actions de grâces qu'ils rendaient au Seigneur, Maxime et sa famille, tous les soldats, professèrent solennellement la foi chrétienne, et les prêtres répandirent sur leurs têtes l'eau qui purifie et renouvelle les âmes. Cette maison du greffier d'Almachius était devenue un temple, et tous ceux qui l'habitaient, durant ces heures dérobées au ciel, n'avaient entre eux qu'un coeur et qu'une âme.

 

Cependant la nuit avait achevé son cours, et l'aurore paraissait au ciel. C'était le jour du martyre pour Valérien et pour Tiburce, le 18 des calendes de mai (14 avril). Un silence solennel mit fin aux transports que la foi faisait naître dans ces coeurs unanimes. La voix de Cécile le rompit tout à coup, donnant par ces paroles du grand Paul le signal du départ : "Allons, s'écria-t-elle, soldats du Christ, rejetez les oeuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de la lumière. Vous avez dignement combattu, vous avez achevé votre course, vous avez gardé la foi. Marchez à la couronne de vie ; le juste juge vous la donnera, à vous et à tous ceux qui se réjouissent de son avènement."

 

La troupe héroïque se mit en marche aux accents inspirés de la vierge, dont la puissance surhumaine dominait encore cette scène sublime.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 160 à 165)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 19:00

Valérien et Tiburce ne tardèrent pas à être dénoncés à Almachius, et pour leurs largesses envers des personnes viles, et pour l'infraction qu'ils osaient faire à la défense d'inhumer les corps des martyrs. Ils furent donc accusés l'un et l'autre, et conduits devant le tribunal.

 

 Almachius n'avait pas l'intention de sévir contre ces deux jeunes patriciens qu'il avait fait mander à sa barre ; il voulait les intimider, et obtenir une satisfaction pour la violation publique qu'ils avaient osé faire de ses ordres. "Comment ! leur dit-il, vous qui, par votre naissance, avez droit au titre de clarissimes, pouvez-vous avoir dégénéré de votre sang, jusqu'à vous associer à la plus superstitieuse des sectes ? J'apprends que vous dissipez votre fortune en profusions sur des gens de condition infime, et que vous vous abaissez jusqu'à ensevelir avec toute sorte de recherches des misérables qui ont été punis pour leurs crimes. En faut-il conclure qu'ils étaient vos complices, et que c'est là le motif qui vous porte à leur donner ainsi une sépulture d'honneur ?"

 

 Le plus jeune des deux frères prit la parole. "Plût au ciel, s'écria Tiburce, qu'ils daignassent nous admettre au nombre de leurs serviteurs, ceux que tu appelles nos complices ! Ils ont eu le bonheur de mépriser ce qui paraît être quelque chose et cependant n'est rien. En mourant, ils ont obtenu ce qui ne paraît pas encore, et qui néanmoins est la seule réalité. Puissions-nous imiter leur vie sainte, et marcher un jour sur leurs traces !"

 

 Almachius, déconcerté par la fermeté de cette réponse,  chercha un incident pour rompre le discours du jeune homme. Il crut l'avoir trouvé, en relevant la ressemblance frappante qui existait entre les deux frères. "Dis-moi, Tiburce, quel est le plus âgé de vous deux ?" Telle fut la question du juge. Tiburce répondit : "Ni mon frère n'est plus âgé que moi, ni moi plus jeune que lui ; le Dieu unique, saint et éternel, nous a rendus tous deux égaux par la grâce."

 

" — Eh bien ! dit Almachius, dis-moi ce que c'est, ce qui parait être quelque chose et n'est rien. — Tout ce qui est en ce monde, repartit vivement Tiburce, tout ce qui entraîne les âmes dans la mort éternelle, à laquelle aboutissent les félicités du temps. — Maintenant, dis-moi, reprit Almachius, qu'est-ce que ce qui ne paraît pas encore et est néanmoins la seule réalité ? — C'est, dit Tiburce, la vie future pour les justes, et le supplice à venir pour les injustes. L'un et l'autre approchent, et par une triste dissimulation nous détournons les yeux de notre coeur, afin de ne pas voir cet inévitable avenir. Les yeux de notre corps s'arrêtent aux objets du temps, et, mentant à notre propre conscience, nous osons employer pour flétrir ce qui est bien les termes qui ne conviennent qu'au mal, et décorer le mal lui-même de ceux qui servent à désigner le bien."

 

 Almachius interrompit le jeune homme : " Je suis sûr, dit-il, que tu ne parles pas selon ton esprit. — Tu dis vrai, reprit Tiburce; je ne parle pas selon l'esprit que j'avais lorsque j'étais du siècle, mais selon l'esprit de celui que j'ai reçu au plus intime de mon âme, le Seigneur Jésus-Christ. — Mais sais-tu même ce que tu dis, repartit Almachius, contrarié d'entendre sortir de la bouche du jeune homme ce nom sacré qui attestait la profession du christianisme dans celui qui le proférait avec tant d'amour. — Et toi, dit Tiburce, sais-tu ce que tu demandes ? — Jeune homme, répondit Almachius, il y a chez toi de l'exaltation."

 

Tiburce répondit : " J'ai appris, je sais, je crois que tout ce que j'ai dit est réel. — Mais je ne le comprends pas, repartit le magistrat, et je ne saurais entrer dans cet ordre d'idées. — C'est, dit le jeune homme, empruntant les paroles de l'Apôtre, c'est que l'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu : mais l'homme spirituel juge toutes choses, et n'est jugé lui-même par personne."

 

 Almachius sourit avec dépit, dissimulant l'injure qu'il venait de recevoir, et, ne voulant pas laisser le jeune homme se compromettre davantage, il le fit écarter, et ordonna de faire avancer Valérien.

" — Valérien, lui dit-il, la tête de ton frère n'est pas saine ; toi tu sauras me donner une réponse sensée. — Il n'est qu'un seul médecin, répondit Valérien : c'est lui qui a daigné prendre soin de la tête de mon frère et de la mienne, en nous communiquant sa propre sagesse ; c'est le Christ, Fils du Dieu vivant. — Allons, dit Almachius, parle-moi raisonnablement. — Ton oreille est faussée, répondit Valérien ; tu ne saurais entendre notre langage."

 

 Le magistrat se contint, et, refusant toujours d'accepter la confession spontanée du christianisme que les deux frères aspiraient à faire devant son tribunal, il essaya l'apologie du sensualisme païen, auquel les Césars avaient été redevables de la soumission passive que leur prêtait l'Empire. "C'est vous-mêmes, dit-il, qui êtes dans l'erreur, et plus que personne. Vous laissez les choses nécessaires et utiles pour suivre des folies. Vous dédaignez les plaisirs, vous repoussez le bonheur, vous méprisez tout ce qui fait le charme de la vie ; en un mot vous n'avez d'attrait que pour ce qui est contraire au bien-être et opposé aux plaisirs."

 

 Valérien répondit avec calme :

" J'ai vu, au temps de l'hiver, des hommes traverser la campagne au milieu des jeux et des ris, et se livrant à tous les plaisirs. En même temps, j'apercevais dans les champs plusieurs villageois qui remuaient la terre avec ardeur, plantaient la vigne et écussonnaient des roses sur les églantiers ; d'autres greffaient des arbres fruitiers, ou écartaient avec le fer des arbustes qui pouvaient nuire à leurs plantations ; tous enfin se livraient avec vigueur aux travaux de la culture.

" Les hommes de plaisir, ayant considéré ces villageois, se mirent à tourner en dérision leurs travaux pénibles, et ils disaient : Misérables que vous êtes, laissez ces labeurs superflus ; venez vous réjouir avec nous, venez partager nos jeux et nos délices. Pourquoi se fatiguer ainsi à de rudes travaux ? Pourquoi user le temps de votre vie à des occupations si tristes ? Ils accompagnaient ces paroles d'éclats de rire, de battements de mains et d'insultantes provocations.

" À la saison des pluies et de la froidure succédèrent les jours sereins, et voilà que les campagnes, cultivées par tant d'efforts, s'étaient couvertes de feuillages touffus, les buissons étalaient leurs roses fleuries, la grappe descendait en festons le long du sarment, et aux arbres pendaient de toutes parts des fruits délicieux et agréables à l'oeil. Ces villageois, dont les fatigues avaient paru  insensées,   étaient  dans  l'allégresse ;  mais les frivoles habitants de la ville,  qui s'étaient vantés d'être les plus sages, se trouvèrent dans une affreuse disette, et regrettant, mais trop tard, leur molle oisiveté, ils se lamentèrent bientôt, et se disaient entre eux : Ce sont là pourtant ceux que nous poursuivions de nos railleries. Les travaux auxquels  ils  se livraient nous semblaient une honte ; leur genre de vie nous faisait horreur, tant il nous paraissait misérable. Leurs personnes nous semblaient viles, et leur société sans honneur. Le fait cependant a prouvé qu'ils étaient sages, en même temps qu'il démontre combien nous fûmes malheureux, vains et insensés. Nous autres, nous n'avons pas songé à travailler ; loin de venir à leur aide, du sein de nos délices nous les avons bafoués, et les voilà maintenant environnés de fleurs et brillants de l'éclat du succès."

 

C'est ainsi que le jeune patricien, dont le caractère grave et doux formait un si aimable contraste avec le naturel impétueux de son frère, imitait le langage de Salomon, et flétrissait les vanités du monde au sein même de la plus vaine et de la plus voluptueuse des cités. Almachius avait écouté jusqu'au bout le discours de Valérien ; reprenant à son tour la parole, il lui dit : "Tu as parlé avec éloquence, je le reconnais ; mais je ne vois pas que tu aies répondu à mon interrogation. — Laisse-moi achever, reprit Valérien. Tu nous as traités de fous et d'insensés, sous le prétexte que nous répandons nos richesses dans le sein des pauvres, que nous donnons l'hospitalité aux étrangers, que nous secourons les veuves et les orphelins, enfin que nous recueillons les corps des martyrs, et leur faisons d'honorables sépultures. Selon toi, notre folie consiste en ce que nous refusons de nous plonger dans les voluptés, en ce que nous dédaignons de nous prévaloir aux yeux du vulgaire des avantages de notre naissance. Un temps viendra, où nous recueillerons le fruit de nos privations. Nous nous réjouirons alors ; mais ils pleureront, ceux qui tressaillent maintenant dans leurs plaisirs. Le temps présent nous est donné pour semer ; or ceux qui, en cette vie, sèment dans la joie, moissonneront dans l'autre le deuil et les gémissements, tandis que ceux qui aujourd'hui sèment des larmes passagères recueilleront dans l'avenir une allégresse sans fin.

 

" — Ainsi, répliqua Almachius, nous et nos invincibles princes, nous aurons pour partage un deuil éternel, tandis que vous, vous posséderez à jamais la vraie félicité ? — Et qui êtes-vous donc, vous et vos princes ? s'écria Valérien. Vous n'êtes que des hommes, nés au jour marqué, pour mourir quand l'heure est venue. Encore aurez-vous à rendre à Dieu un compte rigoureux de la souveraine puissance qu'il a placée entre vos mains."

 

L'interrogatoire avait dépassé le but que le juge s'était proposé. En voulant seconder les mauvaises dispositions de l'Etat contre les chrétiens, et produire un effet sur les membres de la haute société romaine qui appartenaient à la religion proscrite, il avait dépassé le but et amené une complication inattendue. Deux patriciens avaient comparu devant lui, et bientôt, par l'imprudence du magistrat, des paroles offensantes pour la dignité impériale étaient sorties de leur bouche. La profession du christianisme était flagrante dans les deux frères ; elle avait retenti jusque dans le sanctuaire des lois. Almachius songea à sortir de cette situation difficile, en faisant à Tiburce et à Valérien une proposition qui, s'ils l'acceptaient, allait tout aussitôt les mettre hors de cause. Il leur dit donc : "Assez de ces discours inutiles ; plus de ces longueurs qui font perdre le temps. Offrez des libations aux dieux, et vous vous retirerez sans avoir subi aucune peine."

 

Il ne s'agissait ni de brûler de l'encens aux idoles, ni de prendre part à un sacrifice ; une simple libation, à peine aperçue des assistants, dégageait les deux frères de toutes poursuites, et mettait à couvert la responsabilité du magistrat et l'honneur des lois de l'Empire. Valérien et Tiburce répondirent à la fois : "Tous les jours nous offrons nos sacrifices à Dieu, mais non pas aux dieux. — Quel est, demanda Almachius, le dieu auquel vous rendez ainsi vos hommages ?" Les deux frères répondirent : "Y en a-t-il donc un autre, que tu nous fais une pareille question à propos de Dieu ? En est-il donc plus d'un ? — Ce dieu unique dont vous parlez, répliqua Almachius, dites-moi du moins son nom. — Le nom de Dieu, dit Valérien, tu ne saurais le découvrir, quand bien même tu aurais des ailes, et si haut que tu pusses voler. — Ainsi, répondit le magistrat, Jupiter, ce n'est pas le nom d'un dieu ? — Tu te trompes, Almachius, dit Valérien ; Jupiter, c'est le nom d'un corrupteur, d'un libertin. Vos propres écrivains nous le donnent pour un homicide, un personnage rempli de tous les vices, et tu l'appelles un dieu ! Je m'étonne de cette hardiesse ; car le nom de Dieu ne saurait convenir qu'à l'être qui n'a rien de commun avec le péché, et qui possède toutes les vertus. — Ainsi, reprit Almachius, le monde entier est dans l'erreur ; ton frère et toi, vous êtes les seuls à connaître le véritable Dieu ?"

 

A ces paroles, une noble et sainte fierté s'émut au coeur de Valérien, et, proclamant les immenses progrès de la foi chrétienne, il osa répondre : "Ne te fais pas illusion, Almachius ; les chrétiens, ceux qui ont embrassé cette doctrine sainte, ne peuvent déjà plus se compter dans l'Empire. C'est vous qui formerez bientôt la minorité ; vous êtes ces planches disjointes qui flottent sur la mer après un naufrage, et qui n'ont plus d'autre destination que d'être jetées au feu."

 

Almachius, irrité de la généreuse audace de Valérien, commanda qu'il fût battu de verges ; il hésitait encore à prononcer contre lui la peine de mort que requéraient les lois de l'Empire. Les licteurs dépouillèrent aussitôt le jeune homme, et sa joie de souffrir pour le nom de Jésus-Christ éclata par ces courageuses paroles : "Voici donc arrivée l'heure que j'attendais avec tant d'ardeur ; voici le jour qui m'est plus agréable que toutes les fêtes du monde !" Pendant qu'on frappait cruellement l'époux de Cécile, la voix d'un héraut faisait retentir ces paroles : "Gardez-vous de blasphémer les dieux et les déesses !" En même temps, et à travers le bruit des coups de verges, on entendait la voix énergique de Valérien, qui s'adressait à la multitude : "Citoyens de Rome, s'écriait-il, que le spectacle de ces tourments ne vous empêche pas de confesser la vérité. Soyez fermes dans votre foi ; croyez au Seigneur qui seul est saint. Détruisez les dieux de bois et de pierre auxquels Almachius brûle son encens ; réduisez-les en poudre, et sachez que ceux qui les adorent seront punis par des supplices éternels."

 

Durant cette exécution, qui avait lieu en dehors du prétoire, les passions s'agitaient au dedans. Quelle serait la fin de cette cause, que l'inhabile magistrat avait menée avec tant d'imprudence ?

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 150 à 159)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 19:00

Valérien rendait grâces à Dieu de l'avoir uni à une épouse dont toute la vie était pour lui comme un éclatant flambeau qui lui révélait toutes les vertus, et Cécile, témoin des saintes oeuvres de son époux, bénissait le ciel d'avoir créé pour eux deux ce lien chaste et sacré qui les établissait dès ce monde dans les conditions de la vie céleste.

 

 Au début de l'année 178, le charme d'une telle union ne s'offrait pas aux deux époux avec le calme qui, dans d'autres siècles, a entouré l'existence de leurs imitateurs.

 

Nous avons vu, dès l'année précédente, les dispositions du Palatin à l'égard des chrétiens de Lyon. Les Actes de saint  Symphorien  d'Autun,   qui  sont  comptés parmi les sincères, contiennent un rescrit impérial de la même époque, qui traduit parfaitement les dispositions et le caractère du chef de l'Empire à l'égard de l'Eglise. "Nous avons reconnu, y est-il dit, que les préceptes légaux sont violés de notre temps par les chrétiens. Punissez-les de supplices divers, quand ils ont été arrêtés, à moins qu'ils ne sacrifient à nos dieux, afin que la sévérité vienne à l'appui de la justice, et que cette rigueur qui consiste à couper court au crime arrive promptement à son terme". Cette recrudescence de la persécution qui paraissait se montrer avec un certain regret hypocrite, avait pour ministre, ainsi que nous l'avons dit plusieurs fois, l'irritation populaire qui fournissait au besoin un prétexte à la violation des engagements quelconques, pris à l'occasion du miracle de la légion Fulminante. On fut sourd aux réclamations d'Athénagore et, jusque dans Rome, les sévices recommencèrent avec parti pris. Marc-Aurèle tenait à terminer sa carrière comme il l'avait commencée, et naturellement il ne devait pas rencontrer d'obstacles chez son jeune fils Commode.

 

 La liste des préfets de Rome présente malheureusement beaucoup de lacunes au temps où nous sommes arrivés. Les Actes de sainte Cécile nous donnent un Turcius Almachius, qui aurait géré cette haute magistrature à l'époque du martyre de l'illustre Romaine. Comme la plupart des monuments de cette nature, ces Actes qui s'encadrent si parfaitement dans l'histoire et sont confirmés jusque dans les détails les plus minutieux par les faits archéologiques, reçurent, de la part de leur compilateur, quelques légères interpolations qu'il est aussi aisé de corriger que de reconnaître. Dom Ruinart, dans ses Acta sincera, en a relevé grand nombre du même genre, qui ne diminuent point la valeur et l'autorité des documents qu'un copiste malhabile a cru quelquefois perfectionner, en ajoutant de son fonds certaines particularités, soit sur la chronologie, soit sur les offices dont furent revêtus les personnages qu'il met en scène d'après les monuments certains et originaux.

 

Constatons d'abord que Turcius Almachius n'a pu être préfet de Rome. Le savant Borghesi a prouvé que cette charge, l'une des plus importantes du régime impérial, n'était jamais conférée qu'à des personnages de la plus haute distinction, et honorés, au moins une fois déjà, de la dignité consulaire. Dion Cassius (lib. LXXVIII, 14) rapporte qu'une des mesures qui révoltèrent le plus la noblesse romaine contre le gouvernement éphémère de Macrin (217), fut qu'il avait confié la préfecture urbaine à un personnage qui n'avait pas encore été consul, comme s'il eût voulu, dit l'historien, "souiller ainsi le sénat". Personne n'ignore que le nom de Turcius Almachius est complètement absent des fastes consulaires durant les trois premiers siècles. Le Turcius des Actes de sainte Cécile n'a donc pu être qu'un magistrat inférieur, préteur peut-être, ou mieux encore délégué du préfet de Rome aux causes religieuses. Il est même possible que cette délégation soit venue à Turcius du propre mouvement de Marc-Aurèle qui, au rapport de Capitolinus (in M. Anton., X), confiait volontiers la décision  de  certaines  affaires  à  d'anciens  préteurs. Le même historien nous apprend que ces favoris du prince ne se recommandaient pas toujours par l'illustration de leur origine. Ainsi un certain Vetrasinus, ancien gladiateur, se voyant éconduit de la préture sous le prétexte que l'opinion publique était à ménager,   osa  répondre, sans être démenti par Marc-Aurèle, qu'il retrouvait parmi les préteurs bon nombre de ses anciens camarades de l'arène. A l'appui de ce que nous disons,  certains traits  de  l'interrogatoire de Cécile témoignent dans le juge d'une vulgarité qui ne se fût pas rencontrée chez un préfet de Rome,  et dans les réponses de Cécile elle-même un accent qui dénote en celle qui parle le sentiment de la supériorité du rang.

 

Le nomen Turcius se trouve encore assez aisément au quatrième siècle, et une fois même vers la fin du troisième ; mais on s'accorde assez généralement à regarder le cognomen Almachius comme étranger par sa conformation même au génie de la langue latine.  Sirmond et Mazochi en ont été frappés. M. de Rossi produit l'inscription d'un certain Amachius dont peut-être le nom altéré aurait produit celui qu'on lit dans les Actes. Nous devons signaler ici, sur l'un des monuments de la tribu Succusana, le nom d'un L. Lartius Aoemachus. Ce nom traduit du grec  ('Αεί μάχη', qui combat sans relâche), forme une appellation qui, passée au moule romain, n'a du moins rien d'étrange. Amachius (qui ne combat pas) est peut-être une corruption en même temps qu'un contresens d'Aoemachus. Quoi qu'il en soit, on ne peut nier que ce cognomen, devenu avec le temps Almachius, ne sente un peu le gladiateur. Dans notre récit nous maintiendrons, ces réserves faites, l'appellation vulgaire.

 

 Ce personnage fut donc choisi, vers l'année 178, pour présider aux violences qui s'exercèrent contre les chrétiens dans Rome, et donnèrent lieu aux réclamation d'Athénagore. Ces violences sont exprimées d'une façon très énergique dans les Actes de sainte Cécile. Elles avaient de préférence pour objet des chrétiens d'une condition inférieure. M. de Rossi établit qu'une hécatombe entre autres eut lieu sur la voie Appienne. C'était non loin des cryptes de Prétextat, de celles de Lucine et du cimetière que l'on creusait à ce moment même aux frais des Caecilii chrétiens, dans la région fameuse en martyrs sur laquelle Urbain exerçait sa sollicitude. Après chaque exécution, venait pour les chrétiens le soin de la sépulture des victimes de la foi. Almachius, disent les Actes, non content de déchirer par toutes sortes de tortures les membres des chrétiens, voulait que leurs corps demeurassent sans sépulture.

 

Valérien et Tiburce, animés par Cécile, se dévouèrent à recueillir les saintes dépouilles des soldats du Christ, et à les entourer d'honneurs. Souvent il leur fallait racheter à prix d'or ces corps immolés par la fureur païenne, et rien n'était épargné pour rendre la sépulture complète. On réunissait avec amour les membres séparés par le glaive, on recherchait jusqu'aux instruments du supplice, afin de conserver à la postérité chrétienne le témoignage complet de la victoire. Le sang de ces glorieuses victimes était gardé avec un soin particulier. On le recueillait avec des éponges, que l'on pressait ensuite sur des fioles ou des ampoules. Aucun péril n'arrêtait la sollicitude fraternelle des deux jeunes patriciens envers ces morts vénérés, pauvres, la plupart, selon la chair, mais déjà rois dans les palais du ciel. Jaloux de témoigner leur respect envers de si glorieuses dépouilles, ils n'épargnaient pas même les parfums les plus précieux, en même temps qu'ils subvenaient par d'abondantes aumônes, et par toutes les oeuvres de la miséricorde, aux familles chrétiennes que la perte de leurs chefs ou de leurs principaux membres avait laissées dépourvues des ressources nécessaires à la vie.

 

 Les corps des nombreuses victimes de la cruauté d'Almachius furent recueillis furtivement dans les divers cimetières déjà ouverts sur la plupart des voies qui sortaient de la ville ; mais il paraît certain que celui qui se construisait à ce moment par les soins des Caecilii, sur la voie Appienne, en reçut un certain nombre dans ses galeries à peine ébauchées. Le feu ayant été le supplice d'une partie de ces chrétiens, leur sépulture devait exiger moins de place. Tous les anciens Martyrologes ont conservé la mémoire de plusieurs centaines de martyrs qui auraient ainsi reposé dans ces cryptes nouvelles, qui sont appelées ad sanctam Caeciliam. Avec quel tendre respect Cécile accueillait les restes inanimés de ces valeureux athlètes, avec quelle ardeur elle enviait le sort de ceux qui avaient déjà rendu au Christ le témoignage du sang, avec quelle sainte fierté elle contemplait le courage de son époux et de son frère, initiés seulement depuis quelques jours à la foi chrétienne, et déjà si dévoués aux oeuvres laborieuses qu'elle imposait alors aux plus généreux de ses disciples !

 

Valérien et Tiburce ne tardèrent pas à être dénoncés à Almachius, et pour leurs largesses envers des personnes viles, et pour l'infraction qu'ils osaient faire à la défense d'inhumer les corps des martyrs. Ils furent donc accusés l'un et l'autre, et conduits devant le tribunal.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 144 à 149)

 

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 19:00

Ainsi parla la vierge.

 

Cette sublime harangue, dans laquelle respire toute l'énergie de la foi et toute l'ardeur du  zèle,   nous  révèle  en  entier l'âme de la fille chrétienne des Caecilii. A travers ces flots d'éloquence et de poésie, on suit le travail de la pensée chez la jeune vierge qui, dès ses premières années, a jugé toutes choses à la lumière du saint Evangile, s'assurant en même temps de la certitude de sa croyance et de la réalité des devoirs qu'impose la foi du Christ.

 

On retrouve dans son langage la trace des impressions que devait déposer dès l'enfance dans l'âme des chrétiens le langage muet et expressif des peintures murales des catacombes. Ainsi préparée, Cécile devait vaincre, et son discours rapide avait renouvelé l'âme de Tiburce. Les larmes du jeune païen coulaient avec abondance, et il éclatait en sanglots. Son âme encore neuve n'avait point cette écorce impénétrable que le vice forme et entretient chez les hommes blasés par les plaisirs ou par la cupidité. "Oh ! si jamais, s'écria-t-il, en se jetant aux pieds de Cécile, mon coeur et ma pensée s'attachent à la vie présente, je consens à ne pas jouir de celle qui doit lui succéder. Que les insensés recueillent, s'il leur convient, les avantages du temps qui passe ; moi, qui jusqu'à cette heure ai vécu sans but, je ne veux plus qu'il en soit ainsi."

 

 Après cette promesse faite entre les mains de la vierge dont le coeur d'apôtre tressaillait de bonheur, Tiburce se tourna vers Valérien : "Frère chéri, lui dit-il, prends pitié de moi. Point de délai : tout retard m'effraye, et je ne puis plus supporter le poids qui m'accable. Conduis-moi tout de suite à l'homme de Dieu, je t'en supplie, afin qu'il me purifie, et me rende participant de cette vie dont le désir me consume."

 

 Deux jours ne s'étaient pas écoulés depuis les noces dont l'approche avait causé tant d'alarmes à Cécile, et déjà la virginité chrétienne, toujours féconde pour les âmes, avait produit de si glorieux fruits. "La femme fidèle, comme parle l'Apôtre, avait sanctifié le mari infidèle" (I Cor., VII), et celui-ci, par le mérite de sa foi, avait obtenu l'âme de son frère.

 

Valérien et Tiburce prirent congé de Cécile, dont la présence en cette maison, naguère encore païenne, avait été le gage de tant de faveurs, et ils partirent en hâte pour se rendre auprès d'Urbain. Qu'elle était belle aux yeux des anges, cette marche des deux frères se dirigeant sur la voie Appienne, l'un couvert encore de la robe blanche   de   son   baptême,   et   l'autre   haletant comme le cerf après l'eau de la fontaine ! Arrivés aux pieds  du  saint évêque,   ils  racontèrent ce qui s'était passé depuis le retour du néophyte auprès de son épouse, et le vieillard rendit grâces au Seigneur qui avait ménagé de si doux triomphes à sa fidèle servante. Il reçut Tiburce avec allégresse, et le jeune homme descendit bientôt dans la piscine du salut, d'où il remonta purifié et respirant avec délices l'air pur de cette nouvelle vie qu'il avait si ardemment ambitionnée.

 

 Valérien  revint auprès de son épouse ; mais Urbain retint Tiburce, les sept jours entiers durant lesquels  les  néophytes  devaient porter  la robe blanche. L'onction du Saint-Esprit, dans le sacrement de confirmation,  consacra soldat du Christ le jeune athlète, et il goûta cette nourriture mystérieuse qui divinise l'homme, et dont Valérien   lui  avait  révélé  l'ineffable  harmonie avec le lis et la rose. Devenu un homme nouveau, Tiburce fit enfin ses adieux au vieillard, et vint retrouver Cécile et Valérien.  Il  était tout rayonnant de la grâce céleste ; une ardeur inconnue transportait son âme, et un ineffable pressentiment l'avertissait que de hautes destinées lui étaient réservées.  En  attendant ce dénouement glorieux,  les anges de Dieu se faisaient voir à lui, et il conversait avec eux. S'il témoignait au ciel un désir, ces aimables messagers s'empressaient de l'obtenir pour celui qu'ils regardaient déjà comme leur frère.

 

Cécile et Valérien admiraient les merveilles de la puissance et de la bonté de Dieu dans ce jeune patricien que le paganisme et l'amour de cette vie semblaient avoir captivé pour jamais, et les liens qui unissaient les trois amis devenaient de jour en jour plus étroits et plus doux. Cécile dominait tout cependant par l'autorité de son caractère et par la mâle éloquence de sa parole. Armée pour tous les genres de lutte, prête à tous les combats comme à tous les dévouements, elle était plus que jamais, malgré sa jeunesse, l'un des plus solides appuis de la chrétienté de Rome.

 

 Avant de voir s'ouvrir la lice dans laquelle devaient vaincre et triompher les trois héros, arrêtons-nous un moment à contempler le sublime spectacle qu'offrait au ciel et à la terre l'amour des deux époux que l'ange était venu couronner. La grâce par laquelle Dieu sanctionne l'union conjugale était descendue sur eux ; elle avait confondu leurs coeurs dans une ineffable tendresse, forte comme la mort, affranchie de la servitude des sens ; affection plus intime que celle qui lie le frère à une soeur chérie, et semblable en quelque chose à celle qui au ciel unit les anges épris en commun de la beauté divine. Nous avons entendu saint Justin révéler aux Césars, dans son Apologie, qu'un tel amour se rencontrait souvent alors chez des époux chrétiens, et déclarait ainsi l'indépendance de l'âme à l'égard de l'attrait sensuel.

 

L'Eglise chrétienne devait garder en son sein ce mystérieux élément qui fait apparaître la dignité humaine dans tout son éclat, et renverse les vulgaires pensées de l'homme charnel.  Aux yeux du chrétien, le mariage est avant tout l'alliance de deux âmes ; le monde n'y voit et n'y cherche que le côté sensuel. Il a fallu que l'humanité, redressée par le Christ, en vînt à comprendre que l'essence de l'amour est dans les sentiments, et qu'on en profane le nom en l'appliquant exclusivement à  un  attrait si souvent volage et toujours passager. C'est pour cela que l'Esprit-Saint a semé sur la route de l'Eglise les exemples les plus éloquents : au sein de Rome païenne, Valérien et Cécile ; sur le trône impérial de Constantinople, sainte Pulchérie et Marcien ; sur celui d'Occident, l'empereur saint Henri et sainte Cunégonde ; en Angleterre, saint Edouard et Edith ; en Pologne, Boleslas V et une autre sainte Cunégonde ; en Hongrie, Coloman et Salomé ; au midi de la France, saint Elzéar de Sabran et sainte Delphine de Glandève ; en Bretagne, le duc Pierre II et la bienheureuse Françoise d'Amboise ; dans le Maine, le comte Robert de Sillé et la bienheureuse Jeanne de Maillé, etc. Telle fut l'alliance plus angélique qu'humaine dont la demeure des Valerii  fut l'heureux témoin.

 

 Valérien et Cécile y goûtèrent cet amour qui procède de Dieu même, auteur du lien conjugal. Là véritablement se réalisait ce tableau de l'union des époux chrétiens tracé par Tertullien, peu d'années après. "Ensemble ils prient, ensemble ils se prosternent, ensemble ils jeûnent ; l'un l'autre ils s'instruisent, ils s'exhortent, ils se soutiennent. De compagnie on les voit à l'église, de compagnie au banquet divin ; les épreuves et les joies, ils les partagent également. Nul secret à se dérober, jamais d'isolement, jamais de dégoût. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents. Leurs aumônes sont sans discussion, leurs sacrifices sans froissement, leurs pratiques pieuses sans entraves. Chez eux pas de signes de croix furtifs, pas de timidité dans leurs pieux transports, pas de muettes actions de grâces. Ils chantent à l'envi les psaumes et les cantiques, et s'ils sont rivaux en quelque chose, c'est à qui célébrera le mieux les louanges de son Dieu." (Ad uxorem, lib. II.)

 

 La situation des deux époux dans Rome leur imposait nécessairement des habitudes en rapport avec leur rang. Riche de grands biens, parmi lesquels était la villa du Numidique, sur la voie Tiburtine, Cécile était devenue la dispensatrice d'une opulente fortune, et elle en profitait pour satisfaire son ardent amour envers les pauvres du Christ. Sans rien perdre de l'humilité et de la modestie d'une chrétienne, elle retint les parures dont usaient les dames romaines de sa condition. Les Actes nous apprennent qu'elle portait une robe brodée d'or, dès le temps qui précéda son mariage. Ce vêtement qui fut empourpré de son sang a reparu deux fois aux regards attendris des fidèles, en 821 et en 1099. A cette dernière date, on prit soin d'en prendre le dessin en couleur, et il en existe au moins deux peintures, de mains diverses, mais conformes pour le fond et les détails. L'une, sur marbre, se conserve à Rome au musée Kircher (note : les  collections ont été dispersées en 1912, ce qui reste du Musée d'Athanase Kircher se trouve aujourd'hui -2011- au Musée des Thermes et dans le Palais Massimo) ; l'autre, sur bois, de plus petite dimension et plus soignée, se garde à l'abbaye de Solesmes, où elle est arrivée après avoir séjourné plus ou moins longtemps à Cologne.

 

 Il est certain que, sous les premiers Césars, les dames romaines n'étaient pas autorisées à porter des tuniques brodées ou brochées d'or. Ce luxe ne commence à s'établir que sous les Antonins. Le premier exemple qu'on en trouve est celui de l'impératrice Faustine, femme de Marc-Aurèle. En 172, à la veille de l'expédition contre les Quades et les Marcomans, cet empereur, voulant subvenir aux besoins de la guerre, mit en vente un grand nombre de choses précieuses, entre lesquelles se trouvaient des joyaux et des objets de parure à l'usage de l'impératrice. Parmi ceux-ci, Julius Capitolinus (in Antonin. Philosoph., cap. XVII) signale des robes de soie brodées d'or. Il ajoute que, ces vêtements ayant sans doute tenté d'imitation les dames romaines, Marc-Aurèle, trois ans après, dérogeant à la sévérité des lois somptuaires, permit aux femmes du plus haut rang d'en user désormais. Qu'une fille des Metelli, entourée d'une famille qui devait être fière d'un tel rejeton, ait dû se conformer aux exigences de son rang, rien n'est plus naturel ; nous verrons d'ailleurs les circonstances les plus ordinaires de la vie de notre héroïne s'encadrer constamment avec les usages du temps où elle a vécu.

 

Sur les deux peintures dont nous parlons, la teinte du vêtement de Cécile, gravement altérée par le temps, paraît avoir été la couleur verte ; et il est à remarquer que cette couleur est maintenue par Paul Véronèse dans son touchant tableau de la mort de la martyre. La robe est celle que les anciens nommaient cyclade, à cause du cercle en broderie qu'elle avait dans sa partie inférieure ; mais on voit que le luxe de Faustine et de ses imitatrices avait enchéri sur la cyclade primitive, qui d'abord était unique au bas du vêtement. La robe de la martyre reproduit ce cercle de distance en distance dans toute la hauteur. Les manches offrent aussi la cyclade, répétée plusieurs fois dans leur longueur. Au rapport de Bosio, l'or de toutes ces broderies jetait encore un éclat très vif en 1599.

 

Sainte Agnès, qui appartient au siècle suivant, rend grâces à l'Epoux divin, dans ses Actes, de l'avoir revêtue d'une cyclade tissue d'or. Plus d'un siècle écoulé depuis l'époque où nous sommes arrivés, avait dû étendre l'usage de cette parure.

 

En se prêtant ainsi aux convenances de la société à laquelle elle appartenait, Cécile, toujours vigilante et forte contre elle-même, continuait de mortifier son corps par l'âpreté du cilice qu'elle cachait sous la richesse et la mollesse apparente de ses vêtements.

 

Valérien rendait grâces à Dieu de l'avoir uni à une épouse dont toute la vie était pour lui comme un éclatant flambeau qui lui révélait toutes les vertus, et Cécile, témoin des saintes oeuvres de son époux, bénissait le ciel d'avoir créé pour eux deux ce lien chaste et sacré qui les établissait dès ce monde dans les conditions de la vie céleste.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 134 à 142)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 19:00

Leur conversation sainte durait encore, lorsque Tiburce, impatient de revoir son frère, entra et vint suspendre ce colloque digne des anges.

 

 Epouse de son frère chéri, Cécile était devenue sa soeur. Tiburce l'aborda par un baiser fraternel ; mais quelle fut sa surprise de sentir émaner des cheveux de la vierge un parfum qui rappelait celui des fleurs les plus fraîches du printemps ! L'hiver régnait encore à ce moment, où, s'il tempérait déjà ses rigueurs, la nature n'avait pas repris sa vie et son éclat.

 

" D'où vient, Cécile, cette odeur de roses et de lis en la saison où nous sommes ? s'écrie le jeune homme. Quand je tiendrais en ce moment dans mes mains le plus odorant faisceau de ces fleurs, il ne répandrait pas un parfum égal à celui que je respire. Cette merveilleuse senteur me transporte ; il me semble qu'elle renouvelle tout mon être.

" — C'est moi, ô Tiburce ! répond Valérien, c'est moi qui ai obtenu pour toi la faveur de sentir cette suave odeur ; si tu veux croire, tu mériteras même de voir de tes yeux les fleurs dont elle émane. C'est alors que tu connaîtras celui dont le sang est vermeil comme les roses, et dont la chair est blanche comme le lis. Cécile et moi, nous portons des couronnes que tes yeux ne peuvent apercevoir encore ; les fleurs dont elles sont tressées ont l'éclat de la pourpre et la pureté de la neige.

" — Est-ce un songe, ô Valérien, s'écria Tiburce, ou parles-tu selon la vérité ? — Jusqu'ici, répond l'époux de Cécile, notre vie n'a été qu'un songe ; maintenant, nous sommes dans la vérité, et il n'y a rien de menteur en nous ; car les dieux que nous adorions ne sont que des démons.

" — Comment le sais-tu ? répondit Tiburce. — Valérien reprit : L'ange de Dieu m'a instruit, et tu pourras voir toi-même cet esprit bienfaisant, si tu veux te purifier de la souillure des idoles. — Et combien de temps, répliqua Tiburce, devrai-je attendre cette purification qui me rendra digne de voir l'ange de Dieu ? — Elle sera prompte, reprit Valérien ; jure-moi seulement que tu renonces aux idoles, et qu'il n'est qu'un seul Dieu dans les cieux. — Je ne comprends pas, dit Tiburce, à quelle fin tu exiges de moi cette promesse."

 

 Cécile avait gardé le silence durant ce dialogue des deux frères ; elle avait dû laisser la parole au néophyte, dans l'ardeur du zèle qui le pressait. D'ailleurs, il était juste que Valérien parlât le premier à Tiburce ; mais la vierge, nourrie dès ses plus jeunes années de la doctrine évangélique, possédait mieux que son époux le langage qu'il fallait tenir à un païen pour le détacher des idoles. Empruntant donc les arguments des anciens prophètes, des apologistes chrétiens, et des martyrs devant leurs juges, sur la vanité de ces simulacres aux pieds desquels le monde se prosternait, elle prit ainsi la parole :

" Je m'étonne, ô Tiburce, que tu n'aies pas compris déjà que des statues de terre, de bois, de pierre, d'airain ou de tout autre métal, ne sauraient être des dieux. Ces vaines idoles sur lesquelles les araignées tendent leurs toiles, et les oiseaux déposent leurs nids et leurs ordures, ces statues dont la matière est tirée des entrailles de la terre par la main des malfaiteurs condamnés aux mines, comment peut-on les estimer des dieux, et placer sa confiance dans de tels objets ? Dis-moi, Tiburce, y a-t-il une différence entre un cadavre et une idole ? Un cadavre a encore tous ses membres, mais il n'a plus ni souffle, ni voix, ni sentiment ; de même l'idole a aussi tous les membres, mais ces membres sont inhabiles à l'action, et encore au-dessous de ceux d'un homme mort. Du moins, pendant que l'homme jouissait de la vie, ses yeux, ses oreilles, sa bouche, son odorat, ses pieds, ses mains, remplissaient leur office ; mais l'idole a commencé par la mort, et demeure dans la mort ; elle n'a jamais vécu ni même pu vivre."

 

Tiburce, frappé tout à coup de la vanité des simulacres auxquels il avait jusque-là brûlé son encens, s'écria vivement : "Oui, il en est ainsi, et qui ne le comprend pas est descendu jusqu'à la brute". Transportée de joie à cette réponse, Cécile se lève et serre dans ses bras ce païen qui commence à goûter la lumière : "C'est aujourd'hui, lui dit-elle, que je te reconnais pour mon frère. L'amour du Seigneur a fait de ton frère mon époux ; le mépris que tu professes pour les idoles fait de moi ta véritable soeur. Le moment est venu où tu vas croire ; va donc avec ton frère pour recevoir la régénération. C'est alors que tu verras les anges, après avoir obtenu le pardon de toutes tes fautes."

 

Alors Tiburce, s'adressant à Valérien : " Quel est l'homme vers lequel tu vas me conduire ? — Un grand personnage, reprend Valérien ; il se nomme Urbain, vieillard aux cheveux blancs, au visage angélique, aux discours véritables et remplis de sagesse. — Ne serait-ce pas, dit Tiburce, cet Urbain que les chrétiens appellent leur pape ? J'ai entendu dire qu'il a déjà été condamné deux fois, et qu'il est réduit à se tenir caché. S'il est découvert, il sera livré aux flammes ; et nous, si l'on nous trouve avec lui, nous partagerons son sort. Ainsi nous aurons voulu chercher une divinité qui se cache dans les cieux, et nous rencontrerons sur la terre un supplice cruel."

 

Pour avoir appris à dédaigner les idoles, Tiburce n'en était pas encore à dédaigner les souffrances d'ici-bas ; Cécile vint à son secours. "En effet, lui dit-elle, si cette vie était la seule, s'il n'en était pas une autre, ce serait avec raison que nous craindrions de la perdre ; mais s'il est une autre vie qui ne finira jamais, faut-il donc tant redouter de perdre celle qui passe, quand, au prix de ce sacrifice, nous nous assurons celle qui durera toujours ?

 

 Un tel langage était bien nouveau à un jeune homme élevé dans cette société romaine du deuxième siècle, où régnaient à la fois les plus humiliantes superstitions, la corruption des moeurs la plus éhontée, et toutes les aberrations d'une philosophie sceptique. Il répondit donc à la vierge : "Jamais je n'ai rien entendu de semblable ; y aurait-il donc une autre vie après celle-ci ? — Mais, reprit Cécile, peut-on même appeler vie celle que nous passons en ce monde ? Jouet de toutes les douleurs du corps et de l'âme, elle aboutit à la mort qui met fin aux plaisirs comme aux angoisses. Quand elle est terminée, on dirait qu'elle n'a pas même été ; car ce qui n'est plus est comme rien. Quant à cette autre vie qui succède à la première, elle a des joies sans fin pour les justes et des supplices éternels pour les pécheurs. — Mais, répliqua Tiburce, qui est allé dans cette vie ? qui en est revenu pour nous apprendre ce qui s'y passe ? sur quel témoignage pouvons-nous y croire ?"

 

 Alors Cécile, se levant avec la majesté d'un apôtre, fit entendre ces imposantes paroles : "Le Créateur du ciel, de la terre et des mers, l'auteur du genre humain et de tous les êtres que nous voyons, a engendré de sa propre substance un Fils, avant toute création, et il a produit par sa vertu divine l'Esprit-Saint ; le Fils par lequel il devait créer toutes choses, l'Esprit-Saint par lequel il les vivifie. Tout ce qui existe, le Fils de Dieu, engendré du Père, l'a créé ; tout ce qui est créé, l'Esprit-Saint, qui procède du Père, l'a animé."

" — Comment, s'écria Tiburce, tout à l'heure tu disais, ô Cécile, que l'on ne doit croire qu'un seul Dieu, qui est dans le ciel, et maintenant tu parles de trois ! Cécile répondit : Il n'est qu'un seul Dieu dans sa majesté, et si tu veux concevoir comment ce Dieu existe dans une Trinité sainte, écoute cette comparaison. Un homme possède la sagesse ; par sagesse nous entendons le génie, la mémoire et l'intelligence : le génie qui découvre les vérités, la mémoire qui les conserve, l'intelligence qui les explore. Reconnaîtrons-nous pour cela plusieurs sagesses dans le même homme ? Si donc un mortel possède trois facultés dans la seule sagesse, devrons-nous hésiter à reconnaître une Trinité majestueuse dans l'essence unique du Dieu tout-puissant ?"

 

Tiburce, ébloui de l'éclat d'un si haut mystère, s'écria : " ô Cécile ! la langue humaine ne saurait s'élever à de si lumineuses explications : c'est l'ange de Dieu qui parle par ta bouche."  Tant   était   vive   la   reconnaissance   du   jeune homme envers cette divine lumière dont les rayons commençaient à descendre jusqu'à lui : il n'osait plus s'adresser à la vierge, interprète du ciel ; mais se tournant vers son frère : "Valérien, lui dit-il, je le confesse, le mystère d'un seul Dieu n'a plus rien qui m'arrête ; je ne désire qu'une chose, c'est d'entendre la suite du discours qui doit satisfaire à mes doutes. — C'est à moi, Tiburce, que tu dois t'adresser, reprit Cécile. Ton frère, encore revêtu de la robe blanche, n'est pas en mesure de répondre à toutes tes demandes ; mais moi, instruite dès le berceau dans la sagesse du Christ, tu me trouveras prête sur toute question qu'il te plaira de proposer. — Eh bien ! dit Tiburce, je demande quel est celui qui vous a fait connaître cette autre vie que vous m'annoncez l'un et l'autre ?"

 

 La vierge, reprenant son discours avec un enthousiasme tout divin, continua ainsi :

" Le Père a envoyé des cieux sur la terre son propre Fils unique, et une vierge l'a conçu. Ce Fils de Dieu, debout sur la montagne sainte, a fait entendre à haute voix ces paroles : "Peuples, venez tous à moi". Alors sont accourus vers lui tous les âges, les deux sexes, toutes les conditions. Il leur a dit à tous : Faites pénitence pour l'ignorance dans laquelle vous êtes tombés ; car le royaume de Dieu, qui doit mettre fin au règne des hommes, est arrivé. Dieu veut faire part de son  royaume à ceux qui croiront, et celui qui sera le plus saint y recevra le plus d'honneurs. Les pécheurs seront tourmentés par des supplices éternels, et des feux les dévoreront sans relâche. Quant aux justes, ils seront environnés d'une éternelle splendeur de gloire, et des délices sans fin seront leur partage. Ne cherchez donc plus, enfants des hommes, les joies fugitives de cette vie ; mais assurez-vous l'éternelle félicité de la vie à venir. La première est courte, la seconde dure toujours.

 

" Les peuples ne crurent pas d'abord à cet oracle, et ils dirent aussi : Quel est celui qui est entré dans cette vie, et en est revenu pour nous certifier la vérité de ce que vous dites ? Le Fils de Dieu leur a répondu : Si je vous fais voir des morts que vous-mêmes avez vu ensevelir, rendus à la vie, persévérerez-vous à ne pas croire la vérité ? Si vous ne croyez pas à mes paroles, croyez du moins à mes prodiges.

 

" Afin d'ôter tout prétexte au doute, il se rendait avec les peuples près des tombeaux, et il rappelait à la vie des morts ensevelis depuis trois et quatre jours, et exhalant déjà l'odeur des cadavres. Il marchait à pied sec sur les flots de la mer ; il commandait aux vents ; il apaisait les tempêtes. Aux aveugles il rendait la vue, aux muets la parole, l'ouïe aux sourds, l'usage de leurs membres aux boiteux et aux paralytiques ; il délivrait les possédés, il mettait en fuite les démons.

 

" Mais les impies s'irritèrent de ces prodiges ; car les peuples les quittaient pour s'attacher à sa suite, et jetaient leurs vêtements sous ses pas, en criant : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Des hommes appelés pharisiens, jaloux de ses triomphes, le livrèrent au gouverneur Pilate, disant qu'il était un magicien et un homme couvert de crimes. Ils excitèrent une sédition tumultueuse, au milieu de laquelle ils le crucifièrent. Lui, connaissant que sa mort devait opérer le salut du monde, se laissa prendre, insulter, fouetter et mettre à mort. Il savait que sa Passion seule pouvait enchaîner le démon, et retenir dans les flammes de leurs supplices les esprits immondes.

 

" Il fut donc chargé de chaînes, celui qui n'a point commis Je péché, afin que le genre humain fût affranchi des liens du péché. Il fut maudit, celui qui est béni à jamais, afin que nous fussions arrachés à la malédiction. Il souffrit d'être le jouet des méchants, afin de nous enlever à l'illusion des démons dont nous étions le jouet nous-mêmes. Il reçut sur la tête une couronne d'épines, pour nous soustraire à la peine capitale que les épines de nos péchés avaient méritée. Il laissa porter le fiel à sa bouche, pour rétablir dans l'homme le sens du goût que le premier père avait faussé, au jour où la mort envahit le monde. Il fut abreuvé de vinaigre pour attirer en lui toute l'âcreté dont notre sang était brûlé, voulant boire lui-même le calice que nous avions mérité. Il fut dépouillé, pour couvrir d'un vêtement éclatant de blancheur la nudité produite chez nos premiers ancêtres, par leur docilité aux perfides conseils du serpent. Il fut suspendu au bois de sa Passion, pour enlever la prévarication qui était venue par le bois. Il laissa la mort approcher de lui, afin qu'elle fut renversée dans la lutte, et que celle qui avait régné par le serpent devînt la captive du Christ, ainsi que le serpent lui-même.

 

" Enfin, lorsque les éléments contemplèrent leur créateur élevé sur la croix, un tremblement d'horreur les saisit : la terre s'ébranla, les rochers se fendirent, le soleil épouvanté s'obscurcit, et un voile lugubre couvrit le monde. Un nuage sanglant intercepta les pâles rayons de la lune, et les étoiles s'enfuirent du ciel. Gémissante comme d'un enfantement, la terre rendit les corps de plusieurs saints qui sortirent de leurs sépulcres, pour attester que le Sauveur était descendu aux enfers, qu'il avait arraché le sceptre au démon, et qu'en mourant il avait dompté la mort, désormais enchaînée et abattue sous les pieds de ceux qui croiraient en lui.

 

" Voilà pourquoi nous nous réjouissons lorsque nous sommes maltraités pour son nom, pourquoi nous trouvons notre gloire dans les persécutions. Il en doit être ainsi, puisque nous savons que notre vie caduque et misérable fait place à cette vie éternelle que le Fils de Dieu, ressuscité d'entre les morts, a promise à ses apôtres qui l'ont vu monter au ciel. Le témoignage de trois personnes suffit pour asseoir la conviction d'un homme sage ; mais le Christ ressuscité ne s'est pas montré seulement à ses disciples qu'il avait choisis au nombre de douze, il s'est fait voir à plus de cinq cents personnes, et n'a pas voulu laisser le plus léger prétexte au doute sur un si étonnant prodige. Ses disciples, envoyés par lui pour prêcher toutes ces merveilles dans le monde entier, ont appuyé leur prédication sur les plus évidents miracles. Ils ont, en son nom, guéri toutes les maladies, mis en fuite tous les démons et rendu la vie aux morts.

 

" Maintenant, ô Tiburce, je pense n'avoir rien omis pour satisfaire à ta demande. Vois s'il n'est pas juste de mépriser du fond de son coeur cette vie présente, et de rechercher avec ardeur et courage celle qui doit la suivre. Celui qui a la foi dans le Fils de Dieu et qui s'attache à ses commandements, ne sera pas même touché par la mort, quand il déposera ce corps périssable ; il sera reçu par les saints anges, et conduit dans l'heureuse région du paradis. Mais la mort s'unit au démon pour enchaîner les hommes par mille distractions, et préoccuper leur imprudence d'une foule de nécessités qu'elle leur suggère. Tantôt c'est un malheur à venir qui les intimide, tantôt un gain à saisir qui les captive ; c'est la beauté sensuelle qui les charme,  c'est l'intempérance qui les entraîne ; enfin, par tous genres d'appâts, la mort fait en sorte que, pour leur malheur,  ils ne songent qu'à la vie présente, afin que leurs âmes, à la sortie du corps, soient trouvées entièrement nues, et n'ayant sur elles que le poids de leurs péchés.

 

" Je le sens, ô Tiburce ! je  n'ai  fait  que  toucher  quelques points d'un si vaste sujet ; si tu veux m'entendre davantage, je suis prête."

 

Ainsi parla la vierge.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 123 à 133)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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