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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

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SALVE REGINA

28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 19:00

Désormais,   rentrant  dans  les  limites d'une monographie, il ne nous reste plus qu'à suivre les traces de notre héroïne à travers les âges,  montrant tout ce que sa mémoire a recueilli d'hommages dans la suite des siècles, tout ce qui est demeuré attaché de charme et de grandeur au souvenir de celle qui ne résuma en elle-même toutes les splendeurs de Rome antique, que pour en faire l'un des plus insignes trophées de la Rome nouvelle.

 

 L'église romaine avait à peine installé Zéphyrin sur le siège apostolique, qu'elle le vit tout aussitôt choisir pour archidiacre  Calliste, l'exilé d'Antium,  et,   durant son pontificat  de dix-huit ans, il l'entoura de sa confiance.

 

C'est ce qu'attestent les Philosophumena, mais l'histoire n'a aucun besoin d'épouser les colères personnelles de l'auteur d'un pamphlet ; il lui suffit de se tenir sur le terrain des faits. L'auteur anonyme nous apprend que Calliste, entre les attributions de sa charge, fut préposé au Cimetière. Cette expression, commentée à l'aide des documents archéologiques par M. de Rossi, jette une vive lumière sur l'histoire de Rome souterraine. On savait que,  durant la période des persécutions,  les cimetières  chrétiens  furent l'un des principaux objets de la sollicitude du clergé et des fidèles de Rome. Ils étaient désignés tantôt par le nom de la personne qui les avait fait construire, tantôt par celui d'un martyr principal que l'on y avait enseveli. Il s'agit ici du Cimetière sans appellation secondaire, et ce cimetière est tellement réservé, que l'archidiacre en reçoit la direction des mains du pontife lui-même.  Les autres   catacombes   se   rattachaient   chacune   à quelqu'un des titres de la ville,  et les prêtres chargés   de   desservir   celui-ci   étendaient   leurs soins sur celle qui était ainsi unie à leur église. Il est aisé de reconnaître à la désignation qu'emploient les Philosophumena l'hypogée principal, celui  dans lequel  reposaient les  pontifes.

 

Jusqu'ici nous avons vu chacun des successeurs de saint Pierre, après les labeurs de sa charge pastorale, aller tour a tour prendre place au cimetière Vatican, ouvert dès le premier siècle par les soins des Cornelii chrétiens. Désormais, dans le cours du troisième siècle, nous n'en verrons plus un seul enseveli dans cet hypogée vénérable. Les papes de ce siècle iront reposer sur la voie Appienne, dans un autre cimetière qui deviendra ainsi, jusqu'à la paix de l'Eglise, la nécropole des pontifes. C'est là le Cimetière proprement dit, qui fut achevé, décoré et disposé par les soins de Calliste, dont le nom lui demeurera attaché.

 

 Il est difficile aujourd'hui d'assigner le motif qui porta les papes, dès le commencement du troisième siècle, à renoncer à l'honneur d'avoir leur sépulture autour de la tombe du prince des apôtres. Il nous faudrait entrer dans les récits de cette époque pour raconter à loisir et apprécier une telle mesure. Il eût été intéressant de parler aussi des corps de saint Pierre et de saint Paul transférés sur la voie Appienne par Calliste devenu souverain pontife, de raconter leur déposition dans le lieu même où ils furent cachés par les Orientaux au lendemain du martyre des deux apôtres, ainsi que de leur rétablissement à leurs places respectives par le pape Cornélius ; mais ces narrations, si émouvantes d'ailleurs, nous entraîneraient trop loin ; et la nécessité seule de retrouver les traces de notre héroïne nous oblige à quelques excursions dans ce siècle qui n'est déjà plus le sien.

 

Il se trouve que la salle où reposeront désormais les pontifes est celle-là même où Urbain a déposé, il y a vingt ans, le corps de Cécile. Par une attraction mystérieuse, la tombe de la grande martyre appellera près d'elle le sénat majestueux des vicaires du Christ, durant une période tout entière de l'histoire des catacombes. Il a fallu pour cela que les Caecilii, ayant connaissance de la nécessité où se trouvait l'église romaine de changer le domicile funéraire des pontifes, aient mis à la disposition du pape leur propre hypogée, qu'ils ont ouvert et qu'ils poursuivent à leurs frais, et sur lequel plane déjà avec une gloire incomparable le grand nom de Cécile.

 

 La modeste area qu'avait préparée cette famille, longe la voie Appio-Ardéatine, et s'étend sur un espace de 250 pieds de face sur cette voie, et de 100 pieds de largeur dans la campagne : In fronte pedes CCL, in agro pedes C, pour nous servir du texte officiel dans le mesurage des areae funéraires. Plus régulière que les autres, cette catacombe inachevée a tracé ses corridors en ligne directe, et jusque-là les cubicula y apparaissent à peine.

 

 Le travail de Calliste va consister maintenant à disposer cet hypogée pour la fin à laquelle il devra désormais servir. Il faut qu'on y célèbre les saints mystères au milieu des tombes sacrées que la mort remplira successivement, et que le lieu soit digne de la majesté des pontifes. Au fond de la salle, en face de la porte d'entrée, repose le sarcophage de Cécile. Il est devenu nécessaire de le transférer, afin d'établir à cette même place l'autel et la chaire du pontife qui viendra célébrer les divins mystères dans cet imposant sanctuaire ; Calliste aura donc à faire construire en dehors de la salle des pontifes un nouveau cubiculum contigu à celui-ci, et destiné à recevoir le corps de la martyre. Mais il convient de donner tout d'abord au lecteur une idée de la disposition première.

 

 Si l'on jette les yeux sur la planche XXIX du tome II de la Rome souterraine (De Rossi), le spectateur a devant soi la porte de l'hypogée. Sa vue le traverse, et va s'arrêter au fond de la salle sur un réduit à fleur de terre, longtemps intercepté par une cloison en brique, en partie écroulée. C'est là que reposa d'abord le sarcophage de Cécile ; c'est de là qu'il a été tiré pour être placé dans le voisinage. On voit avec évidence que l'arcature ne contenait plus rien, quand elle fut murée, et qu'elle n'avait eu d'autre raison d'être que celle de recevoir un sarcophage. Cécile a laissé la place d'honneur aux pontifes, et le lieu où elle a reposé primitivement est devenu le point central de la noble crypte, l'endroit où s'élèveront la chaire et l'autel.

 

Lorsque la crypte papale, si longtemps ignorée des explorateurs des catacombes, apparut tout à coup, ainsi que nous le racontons plus loin, aux regards de la commission d'archéologie sacrée, la  dévastation y était au comble ; mais,  chose merveilleuse ! tout était reconnaissable. Le lucernaire étant débouché, on pouvait suivre, à l'aide des débris de toutes sortes, le plan et la disposition de cet auguste sanctuaire, tel qu'il était lorsqu'il sortit des mains de Calliste.  Au fond de l'hypogée, sur la gauche, s'ouvrait une porte qui conduisait à la crypte contiguë que Calliste avait fait creuser pour recevoir dignement le corps de Cécile ; et là, peintures et inscriptions, tout annonçait le séjour de la martyre jusqu'au neuvième siècle.  Aidé par les débris considérables demeurés en  place,  plus encore par ceux qui jonchaient le sol, M. de Rossi a pu dresser le plan exact de ce sanctuaire tant visité par les pèlerins des premiers siècles dont les noms innombrables, gravés au poinçon sur le stuc, se lisent encore aux deux côtés de la porte d'entrée et sur les murs voisins.   C'est donc avec une pleine certitude d'avoir rencontré la véritable disposition d'un lieu si vénérable, que le savant archéologue a pu donner l'intéressante restitution qu'il en a faite. (Roma sotterr., t. II, tav. I, A.)

 

Calliste ne se borna pas à préparer la crypte des pontifes avec son autel, sa chaire, ses niches à fleur de sol, ses loculi superposés, ses peintures et ses revêtements en marbre, tout ce luxe d'ornementation qui fut plus tard complété par Damase ; il ne se contenta pas d'avoir établi la dépouille de Cécile dans une demeure digne d'elle, et aussi voisine que possible de son premier tombeau ;  il acheva de  creuser l’area tout entière qu'avaient préparée les Caecilii,  continuant de suivre les longues avenues qui correspondent aux ambulacres avec une régularité, on peut même dire une monotonie,  que l'on ne retrouve pas dans les autres cimetières,  ainsi qu'on peut le voir dans la Rome souterraine. (T. II, tav. LIII, fig. 2.)

 

L'area cécilienne était trop insuffisante pour le cimetière principal de Rome : deux autres lui furent adjointes successivement dans la première moitié du troisième siècle. Il est naturel que l'importance des travaux de Calliste ait fini par attacher son  nom à l'ensemble de cette vaste nécropole.

 

Après un pontificat de dix-huit ans, Zéphyrin alla jouir du bonheur des justes, et, selon l'expression remarquable du Liber pontificalis, "il fut enseveli dans son propre cimetière auprès du cimetière de Calliste". Ces expressions annoncent que l'on faisait à l'origine une distinction entre l'hypogée cécilien qui forma la crypte papale où Zéphyrin fut déposé le premier, et les chambres et corridors qui avaient dû leur origine ou leur continuation aux travaux de son archidiacre.

 

L'église romaine, après la mort de Zéphyrin, appela  Calliste  sur le  siège apostolique (215).

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 225 à 231)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 19:00

La tranquillité dont jouissait l'Eglise de la part des païens sous Victor, continuait d'être troublée au dedans par les hérésies, dont le flot montait sans cesse.

 

 Les montanistes intriguaient pour obtenir du pontife quelques marques de bienveillance dont ils auraient abusé ; ils furent repoussés. Le danger de cette secte exaltée et rigoriste dut être considérable lorsqu'on voit un homme aussi éminent que Tertullien, prêtre de Carthage, venu à Rome comme au centre du christianisme pour en approfondir mieux la doctrine, glisser à son tour dans l'erreur, et perdre au profit des nouveaux illuminés la plus grande partie des talents qu'il avait reçus pour être le soutien et la lumière de l'Eglise.

 

D'autre part,  une attaque plus  formidable encore  se préparait. Sabellius commençait déjà ses ravages en Asie, et dans son système, il ne s'agissait de rien moins que d'enlever la distinction des personnes dans l'essence divine, et d'abolir la foi à la Trinité sur laquelle le christianisme s'appuyait tout entier. Le troisième siècle vit ces grands combats, et Calliste eut la gloire de formuler la profession de foi qui conciliait l'unité de la divine essence avec la distinction des personnes. Son ennemi se trouva frappé par cette sentence doctrinale, et, s'il ne se soumit pas, son aveu n'en est pas moins formel, que le monde entier accepta la définition de Calliste. C'est tout ce qu'il fallait à l'Eglise. Il était à prévoir que l'arianisme naîtrait un jour de ces discussions sur la Trinité ; mais, en attendant le symbole de Nicée, la formule que Calliste élabora dans son concile romain suffit à préserver dans toute l'Eglise la foi qu'avaient enseignée les apôtres, et que la formule même du baptême instituée par le Christ devait protéger toujours. Trois personnes distinctes dans une essence unique, tel avait été, tel resta le symbole du christianisme en tous lieux.

 

 En attendant, l'église romaine, sous Victor ne manquait ni de vigilance ni de lumière. Le pontife avait la science en partage ; il sut démêler un précurseur direct d'Arius dans la personne d'un certain Théodote, venu de Byzance, et qui, après avoir renié le Christ durant la persécution de Marc-Aurèle,  avait trouvé moyen  de  se mêler parmi les fidèles de l'église de Rome. Théodote niait expressément la divinité de Jésus-Christ, et Victor le sépara de l'Eglise. Un ancien auteur contemporain, cité par Eusèbe au sujet de cette nouvelle école de blasphème,  fait appel contre elle au témoignage des auteurs chrétiens qui ont précédé, et invoque en passant le témoignage des chants liturgiques. "Les psaumes  et les  cantiques de nos frères, composés depuis longtemps déjà, ne  célèbrent-ils  pas le Christ, Verbe de Dieu ?  ne reconnaissent-ils pas sa  divinité ?" (Hist.   eccles.,  lib.  V,  cap.  XXXVIII.)  Cet appel fait aux chants liturgiques, comme exprimant la foi, est digne de remarque, en même temps qu'il rappelle ces hymnes au Christ que chantaient le dimanche les chrétiens de Bithynie, selon le rapport de Pline le Jeune, dans sa lettre à Trajan.

 

 Cependant le triste règne de Commode touchait à sa fin. L'année 192 vit périr honteusement le fils de Marc-Aurèle, et la dynastie des Antonins s'éteindre dans la honte et l'impuissance. Si l'on s'en rapporte aux historiens, Marcia n'aurait pas été exempte de complicité dans la mort de Commode ; elle l'eût fait tuer pour sauver sa propre vie. En ce cas, la question de savoir si cette princesse a appartenu au christianisme se trouverait résolue par la négative, Tertullien n'ayant pas craint, peu d'années après, d'avancer, dans son Apologétique, que nul chrétien n'avait jamais trempé dans le meurtre d'un César.

 

 L'Empire, après avoir vu passer comme des ombres Helvius Pertinax, Didius Julianus et Pescennius Niger, se donna enfin à Septime Sévère, soldat africain, ami des lettres, et en même temps assez fort et assez habile pour relever un moment l'Empire affaissé.

 

 Ce nouveau César montait sur le trône avec des dispositions presque favorables à la religion chrétienne. Dans son enfance, il avait été guéri d'une maladie grave par un esclave  chrétien, nommé Proculus Torpacion, qui avait fait sur lui une onction au nom du Christ. Devenu empereur, il se souvint de ce chrétien, le fit chercher, et le garda dans son palais tant qu'il vécut.

 

L'influence de Proculus fit choisir une chrétienne pour nourrice de Caracalla, fils aîné de Sévère. Cet empereur n'avait pas  été sans remarquer qu'aucun chrétien ne s'était trouvé mêlé aux mouvements politiques de Niger et d'Albin, qui lui  avaient disputé l'Empire.  D'un  autre côté, le nombre considérable des membres de la haute société romaine, qui avaient donné leurs noms au christianisme, surtout depuis l'immolation de Cécile, faisait comprendre à un homme nouveau le besoin d'avoir quelques égards pour une croyance dont les adhérents devenaient toujours plus nombreux, et se recrutaient autant dans l'aristocratie que dans le peuple.

 

L'importance qu'il mettait à ménager cet élément avec lequel l'Empire, s'il avait une politique sensée, devait songer à compter désormais, l'amena au début de son règne (190) jusqu'à risquer sa popularité, ainsi que nous l'avons dit déjà, en lui faisant couvrir de sa protection des sénateurs et des sénatrices contre lesquels des cris menaçants se faisaient entendre. (Tertull., Ad Scapulam.) L'abstention de ces clarissimes, à l'égard de certaines fêtes civiques entachées de paganisme, avait sans doute irrité le vulgaire idolâtre. Tels furent les débuts de l'empire de Sévère à l'égard du christianisme ; dix ans après, il s'inscrivait parmi ses plus ardents persécuteurs, et publiait un édit qui produisit dans toute l'Eglise un nombre immense de martyrs.

 

 Durant la trêve, Victor poursuivait le cours de son tranquille pontificat. Ce fut dans ses dernières années qu'il résolut de terminer enfin la grande affaire de la Pâque. Depuis le Constitutum de Pie Ier, les pontifes auxquels succédait Victor  avaient   préparé   les   voies.   Nous  avons dit les ménagements dont Anicet crut devoir user envers le vénérable évêque de Smyrne ; mais Soter et Eleuthère, qui vinrent après, reprirent la ligne de conduite que Pie avait tracée, et s'ils ne crurent  pas  devoir presser les  évêques  de l'Asie   Mineure,   il   était,   aisé   de   voir   qu'ils n'avaient rien de plus à coeur que de faire disparaître cette origine de judaïsme qui concernait encore plusieurs des florissantes   chrétientés   de l'Orient. Avant de renouveler le Constitutum de Pie, dont l'indulgence d'Anicet avait suspendu l'effet,  Victor résolut de provoquer une manifestation du sentiment des diverses églises, afin de confondre les récalcitrants par la vue de leur petit nombre. Il ordonna donc que l'on tînt de nombreux conciles dans l'Eglise.

 

Eusèbe, de qui nous tenons ces faits, a eu entre les mains les Actes de plusieurs de ces assemblées. Nous savons en particulier par cet historien,  que l'on réunit à ce sujet plusieurs conciles dans les Gaules ce qui renverse de fond en comble le système de ceux qui voudraient faire croire que le christianisme n'a été prêché dans ce pays qu'au milieu du troisième siècle. Le dissentiment sur le jour de célébration de la Pâque se manifesta seulement dans l'Asie Mineure, et des plaintes se firent jour par une lettre de Polycrate, évêque d'Ephèse, qui voulait à tout prix conserver la tradition judaïque. Victor pensa qu'il ne pouvait plus hésiter, et il déclara retranchés de l'unité de l'Eglise les évêques de cette contrée. Cette sentence parut trop rigoureuse à plusieurs, entre autres à saint Irénée. Eusèbe a conservé un fragment de la lettre par laquelle le saint évêque de Lyon essaya d'adoucir la sévérité du pontife.

 

Au reste, les églises de l'Asie Mineure ne persévérèrent pas longtemps dans leur pratique erronée, et la sentence de Victor obtint le but que se proposait le pontife. Dès le commencement du troisième siècle, selon le témoignage de saint Athanase, les restes de la secte des quartodécimans ne se rencontraient plus que dans la Syrie, dans la Cilicie et dans la Mésopotamie. (Epist. de Synod. Ariminensi et Seleuciensi.) Victor survécut peu de temps à cette grave mesure, dans laquelle il n'avait fait que suivre la ligne tracée par ses prédécesseurs. Il mourut en 197, après douze années de pontificat, et il fut le dernier des papes ensevelis dans la crypte Vaticane.

 

L'église romaine lui donna pour successeur Zéphyrin, romain de naissance et fils d'un certain Abundius. Les premières années de ce nouveau pontife s'écoulèrent dans la paix dont l'Eglise avait joui au temps de Victor. Les dispositions favorables de Sévère envers les chrétiens duraient encore, et en l'année 197 rien ne faisait présager la tempête.

 

Nous arrêtons ici l'essai que nous nous étions proposé d'écrire sur la société romaine aux deux premiers siècles, dans ses rapports avec le christianisme. Les faits que nous avons rassemblés nous semblent avoir mis dans tout son jour l'influence providentielle, par laquelle Dieu voulut que le patriciat romain aidât à l'avènement du christianisme. Nul homme de bonne foi ne pourra dire, en  présence de tels faits, que le christianisme ne fut dans ses débuts qu'une secte vulgaire, ignorante et superstitieuse. Les Ecritures du Nouveau Testament, soumises aux regards de tant de personnes appartenant à la plus haute civilisation, et recevant de leur part un respect et une adhésion qu'on ne saurait contester, apparaissent désormais comme originales et authentiques. Il n'était pas permis d'oublier que la civilisation romaine ne s'éleva jamais plus haut qu'au siècle d'Auguste et au siècle des Antonins, et il faut, bon gré, mal gré, convenir que l'élite de cette société fournit dès le début et sans interruption des fidèles à l'Eglise chrétienne.

 

S'il nous eût été possible de continuer les mêmes études sur le troisième siècle, nul doute que nous n'eussions eu à signaler une foule de traits dans lesquels se fût révélée la prépondérance pacifique du christianisme, à cette époque qui touche de si près à son triomphe définitif. Mais les adversaires que nous avons en vue, consentant à reconnaître qu'alors le christianisme s'organise enfin et commence à prendre la forme qu'il conservera désormais, nous avons préféré montrer que, dès son origine jusqu'au troisième siècle exclusivement, il avait été en tout semblable à lui-même, complet dans ses croyances, intègre dans ses monuments, et fixé dans son organisation.

 

Nous voulions aussi faire voir à quel degré la Rome antique fut providentiellement chargée de donner la main à la Rome nouvelle.  Cette thèse demandait que nos récits ne s'étendissent pas au delà du terme où nous nous arrêtons. L'extinction successive des anciennes familles du patriciat romain est un fait dans la nature des choses comme dans la réalité historique, et l'aristocratie du troisième siècle n'est déjà plus celle des beaux temps de Rome. Une narration, qui s'étend du centurion Cornélius à Cécile, se trouve  donc  renfermer dans  les  noms  qu'elle relate la dernière époque de la vraie aristocratie romaine.

 

Désormais,   rentrant  dans  les  limites d'une monographie, il ne nous reste plus qu'à suivre les traces de notre héroïne à travers les âges,  montrant tout ce que sa mémoire a recueilli d'hommages dans la suite des siècles, tout ce qui est demeuré attaché de charme et de grandeur au souvenir de celle qui ne résuma en elle-même toutes les splendeurs de la Rome antique, que pour en faire l'un des plus insignes trophées de la Rome nouvelle.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 216 à 224)

 

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 19:00

Vers ce même temps, arrivait à Eleuthère une députation venue de l'île des Bretons, et chargée de lui demander des prédicateurs de l'Evangile pour cette terre isolée par la mer du reste de l'Empire.

 

 Elle était envoyée par Lucius, qui portait le titre de roi dans cette île dont il gouvernait une portion,  sous l'investiture de la puissance romaine. Ce recours au successeur de Pierre de la part d'un prince dont le nom seul est resté, reporte la pensée vers les origines apostoliques de la foi dans cette île. Le succès qu'y obtinrent les missionnaires envoyés par Eleuthère est attesté par le témoignage des plus illustres contemporains, saint Irénée, Tertullien, Origène.

 

Mais, tandis que le saint pape étendait ainsi dans l'Occident le domaine de la foi, il avait la douleur de voir l'ivraie de l'hérésie s'implanter dans la mission si florissante qu'il cultivait dans Rome. Non seulement le montanisme faisait çà et là des victimes, mais les dernières années du pontife virent la chute lamentable de deux prêtres de l'église romaine. L'un était Florin, autrefois attaché comme officier à la cour des Antonins. Il  avait eu en Asie des rapports intimes avec saint Polycarpe, auprès duquel il avait connu saint Irénée. Celui-ci fut à même de le retrouver à Rome, durant le séjour qu'il y fit. Florin était alors honoré du sacerdoce ; mais bientôt Eleuthère se vit contraint de l'écarter des fonctions sacrées. L'infidèle disciple du grand Polycarpe, s'égarant à la suite d'un si grand nombre de ses contemporains sur la question de l'origine du mal, osa lui donner Dieu même pour auteur, et devint chef d'une secte obscure dont les restes existaient encore au temps de saint Augustin. Irénée adressa du fond des Gaules à son ancien ami une lettre polémique, dont Eusèbe nous a conservé un fragment. Florin ne se rendit pas, et bientôt il alla se perdre dans les systèmes fantastiques des valentiniens. Le zèle d'Irénée l'y poursuivit encore, en opposant à ses erreurs un livre également disparu.

 

 L'autre prêtre infidèle était Blastus, qu'Eleuthère dut aussi dégrader de l'honneur du sacerdoce. Sa tendance le poussait vers le judaïsme. Elle l'entraîna dans la rébellion sur la question de la Pâque, et il ne craignit pas de faire schisme sur ce point au sein même de l'église romaine. Cette question de la Pâque avait pris des proportions considérables, et elle éclata sous le pontificat suivant. Blastus semble d'ailleurs avoir eu des tendances favorables au montanisme, dont les sectateurs affectaient aussi de judaïser dans la Pâque. Irénée s'émut du scandale, et publia contre le prêtre romain un écrit dont nous avons à regretter la perte.

 

 Mais ces polémiques de détail n'épuisaient pas la vigueur du grand évêque de Lyon. On le vit bientôt déclarer une attaque générale contre toutes les hérésies à la fois, lorsqu'il publia ses cinq livres Adversus Haereses. Il y réfute l'un après l'autre tous les systèmes d'erreur que l'enfer avait tenté d'opposer a la véritable doctrine du Christ et des apôtres. Il y montre l'Eglise toujours une, toujours pure, au milieu de ces défections continuelles qui n'altèrent jamais son symbole,  parce qu'elle  chasse  immédiatement de son sein quiconque porte la plus légère atteinte à la vérité dont elle est dépositaire. Il relève le principe d'unité, qui exige essentiellement l'accord de toute église particulière et de tout fidèle avec l'église romaine, "à cause de sa puissante principauté, par laquelle l'enseignement divin se maintient immuable et en son entier sur la terre". (Lib. III, cap. III.) Ce témoignage célèbre sur la monarchie pontificale dans le christianisme, énonçait la tradition doctrinale non seulement de l'église des Gaules, mais aussi des églises d'Asie que représentait Irénée. On voit, par la liste des papes insérée dans cet ouvrage, qu'Eleuthère occupait encore le siège apostolique. Le saint pontife survécut peu de temps à la publication du livre de l'évêque de Lyon. Il mourut en 185, ayant occupé la Chaire de saint Pierre durant quinze années. Le Liber pontificalis ne dit pas qu'il ait été martyr, et en effet, au moment où il mourut, il ne paraît pas que l'église romaine ait été agitée par la persécution. On l'ensevelit dans la crypte Vaticane comme ses prédécesseurs, et Victor fut élu pour lui succéder.

 

 Ce pontife était africain de naissance, et son père se nommait Félix. Sous son administration, qui fut d'environ douze années, l'église de Rome vit s'accroître encore la tranquillité dont elle avait joui dans les derniers jours d'EIeuthère. L'insouciance de Commode avait pu déjà ralentir la persécution ; elle cessa totalement, grâce à l'influence d'une femme que cet empereur affectionnait. Après avoir exilé, puis fait périr sa femme Crispina coupable d'adultère, il se passionna pour Marcia, qu'avait laissée libre en mourant le sénateur Quadratus, victime d'une conspiration dans laquelle il s'était trouvé impliqué. Marcia était douée d'une grande beauté qui fit sa fortune ; mais, étant sortie d'une famille d'affranchis, elle n'obtint ni le titre d'Auguste, ni certains honneurs réservés aux impératrices. Elle fut la seule femme en titre auprès de Commode depuis l'an 183 jusqu'à la mort de ce prince. Il l'aima jusqu'à changer en son honneur le nom du mois de décembre en celui d'Amazonius, parce que Marcia, pour lui complaire, aimait à paraître en costume d'amazone. Il nous est resté une médaille de la dix-septième année tribunitienne de Commode, sur laquelle sont réunies les deux têtes de cet empereur et de Marcia ; celle-ci est coiffée d'un casque.

 

Dion Cassius nous apprend que cette femme, qui sut se maintenir si longtemps dans la familiarité et les bonnes grâces de Commode, portait le plus vif intérêt aux chrétiens, et s'employa avec efficacité à adoucir leur sort. Au témoignage de cet historien païen, est venu se joindre celui de l'anonyme contemporain, dont le livre, connu sous le nom de Philosophumena et publié pour la première fois en 1851, a fait connaître diverses particularités qui se rapportent aux pontificats de Victor, de Zéphirin et de Calliste. Cet auteur raconte, dans le neuvième livre de son ouvrage, "que Marcia, femme de Commode, personne aimant Dieu, voulant accomplir une bonne action, appela auprès d'elle le bienheureux Victor, évêque de l'église à cette époque, et lui demanda les noms des confesseurs exilés en Sardaigne ; que Victor lui en ayant remis la liste, elle obtint de l'empereur des lettres de délivrance qu'elle confia à un vieil eunuque nommé Hyacinthe, qui l'avait élevée elle-même dans son enfance ; qu'enfin Hyacinthe, après avoir signifié les lettres au gouverneur de Sardaigne, rendit à la liberté les martyrs qui étaient employés dans cette île au travail des mines." (Lib. IX.)

 

L'accord de ces deux sources historiques ne laisse aucun doute sur l'influence bienfaisante de Marcia dans les affaires des chrétiens, et les années de paix dont ils jouirent sous le reste du règne de Commode s'expliquent d'autant plus aisément. Marcia elle-même était-elle chrétienne, ou simplement favorable aux chrétiens ? La réponse est plus difficile. Il n'y aurait pas lieu de s'étonner qu'elle eût embrassé le christianisme, à ce moment où les conversions devenaient de plus en plus nombreuses dans la société romaine, ainsi que nous venons de le constater par le témoignage d'Eusèbe. Le vieil eunuque qui l'avait élevée, et qui exécute ses commissions en faveur des chrétiens, pourrait bien avoir été chrétien lui-même, et ce fait expliquerait l'attachement de Marcia pour une religion qu'elle aurait vu pratiquer dès son enfance. M. de Rossi démontre que l'on ne pourrait tirer un argument de l'épithète Φιλόθεος que l'auteur applique à cette princesse ; cette qualification ayant été donnée plus d'une fois à des païens par le seul motif qu'ils avaient rendu service à la cause du vrai Dieu. Quoi qu'il en soit, la faveur que Marcia accordait aux chrétiens fut utile à l'Eglise, et lui valut la tranquillité ; c'est plus que jamais un point acquis à l'histoire.

 

 Parmi les confesseurs exilés en Sardaigne, se trouvait un  homme  appelé  dans la suite  aux plus hautes  destinées dans l'Eglise, et que le neuvième livre des Philosophumena est employé tout entier à décrier de la manière la plus atroce. Son  nom  était  Calliste.  Il  nous  serait impossible de  discuter  ici  les  charges  que le pamphlétaire accumule contre lui,  sous le rapport de la morale comme sous celui de la foi. La passion et les froissements de l'orgueil paraissent trop visiblement dans cette diatribe,  pour que l'historien en puisse tenir un compte sérieux, et d'ailleurs les faits donnent un trop solennel démenti aux calomnies de l'ennemi de Calliste, pour qu'il soit possible d'ajouter foi à ses récits. Zéphyrin succéda à Victor et ses premières faveurs furent pour Calliste. Après la mort de ce pontife, Calliste fut appelé à lui succéder dans le pontificat. Il faudrait ignorer la gravité avec laquelle s'accomplissait à Rome par le clergé et par le peuple l'élection des diacres, des prêtres et du pontife lui-même, pour croire qu'un personnage aussi décrié que l'aurait été Calliste ait pu s'élever, sous les yeux et avec le concours de la société chrétienne de Rome, au faîte des honneurs et de la puissance. Le bon sens et l'équité la plus vulgaire obligent donc de renvoyer aux calomnies les charges que le diffamateur anonyme a voulu faire peser sur sa victime. L'Eglise lui a répondu en accordant les honneurs du culte religieux à Calliste, et l'histoire, aidée même des renseignements fournis par le pamphlet, a droit de l'enregistrer parmi les pontifes qui ont le mieux mérité de la société chrétienne.

 

Il nous est impossible de nous étendre ici davantage sur Calliste dont le pontificat appartient au troisième siècle, au delà, par conséquent, de l'époque où nous nous arrêtons. Il ne figurera désormais dans nos récits qu'en ce qui touche directement l'histoire posthume de la vierge Cécile.

 

La tranquillité dont jouissait l'Eglise de la part des païens sous Victor, continuait d'être troublée au dedans par les hérésies, dont le flot montait sans cesse.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 209 à 215)

 

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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 19:00

Nul doute que la mort glorieuse de Cécile et l'exemple de Valérien et de Tiburce, n'eussent profondément ébranlé la société romaine en ces années, et n'aient eu la principale influence dans ces éclatantes conversions que l'historien enregistre dès le début du règne de Commode.

 

Les inscriptions de la première area du cimetière de Calliste offrent en si grand nombre les noms des Aurelii et des Aelii, qu'il est naturel de penser que ces familles impériales auront eu grande part dans le mouvement attesté par Eusèbe. Quant aux Annii que nous avons signalés comme ayant donné leurs noms au christianisme vers ce temps, ils avaient leurs sépultures au cimetière de Lucine, en union avec les Pomponii, premiers propriétaires de ce cimetière.

  

 Nul doute que les familles simplement opulentes n'aient ressenti à ce moment une impulsion du même genre. M. de Rossi a récemment découvert au cimetière de Prétextat, dans une salle monumentale, une inscription concernant la propre fille d'Hérode Atticus, le fondateur du pagus Triopius. Ce personnage, s'ennuyant de son veuvage, avait fini par épouser une Vibullia Alcia, dont il eut plusieurs enfants. Le marbre récemment découvert nous apprend qu'une de ses filles, nommée Uranie, fut chrétienne. Cette inscription où le mot  ευμοιρείτω est écrit selon la prononciation,  doit être lu comme  il suit  : Bonam  sortem  habeat  Vrania,  filia  Herodis.

 

Quoi de plus touchant que de voir une fille d'Hérode Atticus lui-même devenue chrétienne, et ensevelie près des martyrs du pagus Triopius ! Et si l'on  fait réflexion au nom de sa mère, Vibullia, il est impossible de ne pas se rappeler que le L. Caecilius Pius,  consul en 137, et qui dut être au moins l'aïeul, sinon le père de Cécile, portait aussi parmi ses noms celui de Vibullius. Celte parenté entre Cécile et Urania jetterait un intérêt de plus sur cette récente découverte, et n'offrirait rien  d'étonnant à ceux  qui  se  sont donné la peine d'étudier Rome souterraine au point de vue des généalogies.

 

 Une autre découverte de M. de Rossi au cimetière de Prétextat, a eu pour objet l'inscription d'une Armenia. Ne serait-il pas permis de reconnaître ici, soit la pieuse dame qui ensevelit  Urbain, soit quelqu'un de sa famille ? Les Actes de saint Urbain, rédigés fort tard, écrivent Marmenia ; mais, outre que le nom n'est pas romain et a été certainement défiguré, Marini et M. Letronne ont constaté l'existence d'une famille Armenia honorée et illustre aux siècles de l'Empire.

 

 Le glaive cependant n'était pas rentré dans le fourreau, et le baptême pouvait encore être le chemin du martyre. Un sénateur nommé Apollonius, probablement un des néophytes dont nous venons de parler, fut déféré comme chrétien au préfet Perennis qui renvoya sa cause devant le sénat.  Apollonius lut, en présence de cette assemblée, un  mémoire  dans  lequel  il  exposait avec force et éloquence les motifs de sa conversion au christianisme. Cette harangue, dont Eusèbe loue la beauté,  et qu'il dit avoir insérée dans ses Passions des anciens martyrs, ouvrage malheureusement perdu, fut la confession de foi par laquelle le généreux sénateur scella sa conversion.  On  l'écouta ; mais la loi de l'Empire contre les chrétiens lui fut appliquée, et il eut la tête tranchée par ordre du sénat.

 

On doit cependant remarquer dans la suite du récit d'Eusèbe, que le dénonciateur, nommé Sévère, s'attira le châtiment dont le décret d'Antonin avait frappé les délateurs. Du vivant de Marc-Aurèle, les martyrs eussent été moins nombreux, s'il eût fallu payer de sa tête chaque dénonciation faite au magistrat ; elles étaient non seulement impunies, mais encouragées, comme nous l'avons vu dans  l'interrogatoire de  Cécile, où  Almachius parle avec une sorte de  bienveillance de ceux dont la délation avait amené devant lui la martyre. Cette seule différence dans la manière d'agir vis-à-vis de ceux qui poursuivaient les chrétiens devant les magistrats, a fait regarder dans l'antiquité le règne de Commode comme ayant été favorable à l'Eglise, de même qu'il n'a fallu à Marc-Aurèle, pour mériter le titre de persécuteur, que d'assurer, contrairement à l'édit d'Antonin, l'impunité aux dénonciateurs.

 

 Le génie païen de l'Empire n'en était pas moins vivace. Il parut, entre autres, dans une circonstance solennelle sous le règne de Commode. Cet empereur avait à inaugurer la colonne Antonine, destinée à rappeler les victoires de son père. L'un des épisodes qu'on y devait retracer, était la défaite des Quades et des Marcomans, défaite qui fut attribuée, comme on l'a vu, par Marc-Aurèle lui-même à la pieuse intervention des chrétiens. Il y avait lieu de se demander sous quels traits serait représenté le prodige qui s'accomplit aux regards de toute l'armée, lorsqu'on vit le ciel lancer ses foudres sur les Barbares, et répandre sur les Romains par torrents une pluie bienfaisante. Le monument élevé par Commode décrivait l'épisode dans un sens uniquement païen, et l'on ne fera pas tort à Marc-Aurèle en supposant que de bonne heure il en avait, sinon suggéré, du moins approuvé l'idée. La scène est rendue d'une façon assez dramatique, et conforme à l'histoire. Les foudres du ciel éclatent sur les Barbares, la pluie vient rafraîchir les Romains ; mais au-dessus de la scène plane, avec ses grandes ailes, le Jupiter Pluvius à qui et non à tout autre dieu, est déféré l'honneur du prodige. Il fallait y compter ; mais Rome païenne, qui persistait à être insensible au progrès que le christianisme faisait dans son sein, pouvait bien s'attendre qu'un jour, de moins en moins éloigné, elle verrait ces mêmes barbares que le bras seul de Dieu pouvait comprimer, s'installer dans son sein, et se partager les dépouilles du monde entier qu'elle y avait accumulées.

 

 Le pontificat d'Eleuthère, sous lequel les chrétiens avaient eu tant à souffrir, se poursuivit sous ces jours de paix relative ; mais l'Eglise n'avait pas seulement à sentir le glaive des persécuteurs, l'hérésie suscitait dans son sein d'autres ravages. Le montanisme se glissait adroitement dans les chrétientés, sous couleur d'une plus haute perfection morale. La Gaule n'en fut pas exempte, et l'intrigue de ces sectaires avait cherché à faire des ravages jusque chez les confesseurs qu'attendait un si glorieux martyre dans la ville de Lyon. Les relations d'origine qu'entretenait l'Eglise de cette ville avec les chrétientés de l'Asie Mineure, amenaient fréquemment ces communications, dont nous voyons un exemple dans la lettre des églises de Vienne et de Lyon à celles de l'Asie et de la Phrygie, sur le martyre du saint évêque Pothin et de ses glorieux compagnons.

 

L'hérésie de Montan était née en ces contrées de l'Orient, et, à la faveur des relations fraternelles qui n'avaient jamais cessé, une dangereuse estime à l'endroit des  nouveaux prophètes s'était introduite jusque dans nos régions. Les confesseurs de la foi attendant le martyre dans les prisons de Lyon, et d'autres chrétiens gaulois, au rapport d'Eusèbe, s'inquiétèrent de ces nouveautés, et avec d'autant plus de fondement qu'il était aisé de voir, au milieu des prophéties de ces prétendus contemplatifs, certaines doctrines qui étaient loin de s'accorder avec la foi de l'Eglise. Le prêtre Irénée fut donc envoyé à Rome, et chargé de plusieurs lettres de consultation. Eusèbe nous a conservé un court fragment de celle des confesseurs lyonnais. Ils recommandaient leur envoyé à Eleuthère comme "un fervent défenseur du Testament du Christ", et priaient le pontife d’employer son autorité à rétablir la paix troublée par les novateurs de l'Asie Mineure et de la Phrygie. L'esprit de parti pourrait seul ne pas reconnaître ici encore la conviction répandue dans la société chrétienne tout entière, que les controverses de doctrine devraient être amenées au tribunal de l'évêque de Rome, et terminées par sa sentence.

 

L'église romaine avait déjà connaissance de l'hérésie de Montan ; Soter l'avait directement combattue. Eleuthère porta contre elle une nouvelle décision. Un des confesseurs  de Lyon, nommé Alcibiade, affectait un genre d'abstinence systématique qui pouvait l'entraîner dans les aberrations des gnostiques. Déjà le martyr Attale, après sa première épreuve dans l'amphithéâtre, avait appris d'une révélation céleste, "qu'Alcibiade n'agissait pas selon la rectitude, en n'usant pas des créatures que Dieu a faites". La décision d'Eleuthère contre le montanisme confirma la même doctrine. Le Liber pontificalis nous apprend que le pontife donna un décret, dans lequel il enseignait que "les chrétiens ne devaient repousser aucune sorte d'aliments, Dieu les ayant tous créés."

 

Irénée put rencontrer à Borne le célèbre Hégésippe, premier historien de l'Eglise, dont les écrits ont malheureusement péri, sauf les rares et courts fragments qui nous ont été conservés par Eusèbe. Ce pieux personnage avait entrepris de démontrer par les témoignages la perpétuité de la doctrine des apôtres dans les églises, et en ce but il avait visité les plus célèbres parmi celles qu'ils avaient fondées. C'était en recueillant les noms des évêques qui s'étaient succédé sur les divers sièges, et en constatant la doctrine de chacun d'eux, qu'il arrivait à démontrer la permanence de l'enseignement apostolique.

 

Mais il importait surtout à Hégésippe de constater la foi de l'église romaine, mère et maîtresse de toutes les autres ; c'est ce qui le porta à se rendre à Rome dès le temps d'Anicet, et il y séjourna sous le pontificat de Soter et sous celui d'Eleuthère. Le futur docteur de l'église des Gaules qui devait plus tard, dans son grand ouvrage contre les Hérésies, s'appuyer sur l'argument d'Hégésippe, et confondre les novateurs par le seul fait de la tradition conservée dans les églises de fondation apostolique, fut à même de conférer avec ce pieux pèlerin des origines chrétiennes. A l'ombre de la chaire de saint Pierre, l'un et l'autre sentirent que là est la vraie solidité du christianisme. Si l'avenir eût été ouvert à leurs yeux, ils auraient vu toutes ces églises qui devaient leur création aux apôtres sombrer dans l'hérésie, sauf celle que Pierre lui-même avait choisie pour siège. Mais leur foi n'aurait pas été ébranlée, parce qu'ils reconnaissaient dans l'église de Rome un don spécial et incommunicable, émanant d'une promesse positive du Christ, sur laquelle est fondé le christianisme tout entier.

 

Irénée, ayant accompli sa légation, revint à Lyon et ne tarda pas à monter sur le siège épiscopal de cette ville, devenu vacant par le martyre de saint Pothin.

 

Vers ce même temps, arrivait à Eleuthère une députation venue de l'île des Bretons, et chargée de lui demander des prédicateurs de l'Evangile pour cette terre isolée par la mer du reste de l'Empire.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 201 à 208)

 

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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 19:00

Elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son âme se détacha doucement de son corps. On était au 16 des calendes d'octobre (16 septembre).

 

 Il appartenait à Urbain, l'hôte de Cécile, de rendre les derniers devoirs à la fille des Metelli. Assisté du ministère des diacres, il présida aux funérailles d'une si grande martyre. On ne toucha pas aux vêtements de la vierge, plus riches encore par la pourpre du sang glorieux dont ils étaient imbibés que par les broderies d'or dont ils étaient relevés ; on respecta jusqu'à l'attitude dans laquelle elle avait expiré. Le corps, réduit par la souffrance, fut déposé dans un cercueil formé de planches de cyprès que l'on avait eu le loisir de préparer à l'avance, et l'on plaça aux pieds de la jeune matrone les linges et les voiles dans lesquels les fidèles avaient recueilli son sang.

 

 La sépulture de Cécile devait consacrer le nouveau cimetière de la voie Appienne. Cette crypte des Caecilii n'avait pas semblé suffisamment disposée encore pour recevoir les corps de Valérien et de Tiburce après leur martyre, et Cécile avait dû les ensevelir de préférence au cimetière de Prétextat. C'est là aussi qu'elle avait déposé avec un intérêt tout maternel la dépouille de Maxime. Les corridors du nouveau cimetière étaient à peine ébauchés. Une seule salle funéraire, appelée bientôt aux plus hautes destinées, et dépourvue encore de tout ornement, se trouvait assez achevée pour recevoir l'auguste dépôt. Au fond de cette salle, dans le lieu principal, en face de la porte, s'ouvrait à fleur de terre une arcature légèrement cintrée et destinée à recevoir un sarcophage. Le lecteur apprendra plus tard le motif pour lequel cette arcature, vide de son précieux dépôt, fut ensuite fermée par une cloison de briques qui, en s'écroulant, a révélé la destination première.

 

 Urbain fit établir le sarcophage sous cette arcature,  et il y renferma l'arche de cyprès où dormait la martyre. Le couvercle de marbre fut cellé sur le sarcophage, et protégea le mystérieux trésor. En attendant d'autres honneurs, Cécile devint ainsi le centre d'un groupe de martyrs que la persécution de Marc-Aurèle accroissait chaque jour, et dont les restes étaient admis dans les loculi des galeries que l'on creusait à la hâte. C'est pour cette raison que cette région de Rome souterraine fut appelée par les chrétiens : Ad sanctam Caeciliam, jusqu'au moment où un nom plus solennel lui fut imposé : mais les anciens martyrologes conservèrent la trace de cette appellation première.

 

Les événements que nous venons de raconter s'accomplirent pendant qu'Eleuthère occupait la chaire apostolique. Si nous ne l'y voyons pas figurer en personne, c'est que nous n'avons pas d'autres mémoires que les Actes eux-mêmes, dont le rédacteur, selon l'usage de ceux qui l'ont précédé et suivi, se concentre uniquement sur le personnage dont il a entrepris de raconter le martyre, et ne s'inquiète aucunement de donner à son récit l'encadrement historique que la science devra suppléer dans les âges postérieurs. Ce système regrettable s'applique aux Actes les plus authentiques des martyrs de Rome, tels que ceux de sainte Félicité et de saint Justin, dont il faut que l'historien de l'Eglise comble les lacunes par de laborieuses recherches.

 

Au milieu de la tempête qui agitait l'église de Rome, Eleuthère, qui représentait les intérêts du christianisme tout entier, put tenir le gouvernail de l'Eglise durant quinze ans, sans être atteint par les poursuites de la puissance publique. Urbain, son vicaire, semble avoir été plus à découvert, et ses relations avec les Caecilii chrétiens l'exposaient en première ligne aux recherches de la police impériale, à la suite des événements tragiques qui venaient d'avoir lieu. La précaution qu'avait prise Cécile de disposer de sa maison, rendait illusoire de ce côté la sentence de confiscation. L'argent et le riche mobilier distribués aux pauvres par Cécile ne s'y trouvaient plus ; Almachius dut croire qu'elle pouvait avoir consigné ses trésors entre les mains d'Urbain. Il  fallait donc à tout prix mettre la main sur ce vieillard, qui deux fois déjà avait comparu devant la justice romaine sous la prévention de christianisme. On finit par le découvrir avec deux prêtres et trois diacres dans une grotte où il se tenait caché.

 

Les Actes de saint Urbain sont trop récents pour avoir dans toute leur teneur une valeur historique ; mais, comme tant d'autres, ils renferment diverses particularités qui viennent de plus haut, et ont leur prix pour l'historien. Ainsi Almachius insiste sur le grand nombre de chrétiens qui ont été suppliciés depuis quelque temps, et nous avons vu les traces de ce carnage dans les Actes mêmes de la martyre, Almachius en vint bientôt à réclamer les richesses de Cécile, dont il accuse Urbain d'être dépositaire. "C'est, dit-il, le vain espoir d'une autre vie, qui a si tristement séduit Cécile, son mari et son beau-frère, et leur a fait sacrifier l'existence la plus brillante. En mourant, ils t’ont laissé, dit-il en s'adressant à Urbain, d'immenses trésors ; il s'agit de les restituer. — Insensé, répondit le vieillard, rends plutôt hommage au Créateur, pour lequel ceux dont tu parles ont donné leur vie, après avoir distribué aux pauvres tous leurs biens."

 

A la suite d'un interrogatoire, dans le cours duquel Almachius fit battre les compagnons d'Urbain pour les punir de la fermeté de leurs réponses, les martyrs furent reconduits en prison. Peu après on les ramena de nouveau devant le juge, et, par son ordre, ils furent conduits au pagus Triopius, dans l'espoir qu'ils consentiraient à brûler de l'encens devant l'idole de Jupiter. Il est évident que le motif d'Almachius, en choisissant de préférence ce pagus, était de donner plus d'éclat à l'apostasie d'Urbain, s'il venait à abjurer le christianisme dans les lieux mêmes qui étaient le centre de son action, et aussi sans doute plus de solennité à son exécution, s'il refusait de sacrifier aux dieux dans une région si fréquentée par les chrétiens.

 

 L'essai tenté par Almachius n'ayant pas réussi à son gré, on ramena dans Rome Urbain et ses compagnons, et la sentence définitive fut qu'ils seraient conduits à un temple de Diane, avec ordre aux soldats de leur trancher la tête, s'ils refusaient de sacrifier. Urbain et ses compagnons s'étant montrés fermes jusqu'à la fin, ils furent aussitôt mis à mort.

 

Il est probable que ce temple de Diane était lui-même situé sur la voie Appienne, car les Actes de saint Urbain, d'accord en cela avec tous les monuments, affirment que le corps du saint évêque fut enseveli au cimetière de Prétextat. Une riche chrétienne que les Actes désignent sous le nom de Marmenia, et qui possédait un praedium sur le sol même au-dessous duquel s'étendaient les cryptes chrétiennes, fit disposer une vaste salle en maçonnerie, dont le tombeau du saint évêque occupait le centre. Elle y employa les marbres les plus précieux, et la salle tout entière en était revêtue avec le plus grand luxe. Les fouilles récentes de M. de Rossi, au cimetière de Prétextat, qui nous ont déjà rendu le tombeau de saint Januarius, et ouvert un vaste ambulacre du deuxième siècle où se trouvent les débris de tombeaux d'une grande importance, nous restitueront, espérons-le, lorsqu'elles pourront être reprises, l'important hypogée que Marmenia construisit pour Urbain.

 

 Sur les débris du pagus Triopius, près du nymphée d'Egérie, s'élève encore de nos jours un temple païen, transformé depuis de longs siècles en une église dédiée à saint Urbain. Ainsi que nous l'avons dit, cette appellation jointe au fait incontestable de la sépulture du saint évêque à quelques pas de là, au cimetière de Prétextat, est un monument du séjour qu'il fit dans ces parages, et vient confirmer les relations qu'il fut à même d'entretenir avec les Caecilii chrétiens. On ne s'accorde pas sur le nom de la divinité à laquelle cet édifice fut dédié. Longtemps on l'a appelé le temple des Camènes, maintenant on le désigne sous le nom de temple de Bacchus. Nous ferons plus loin mention des peintures relatives à saint Urbain, dont il fut décoré au moyen âge.

 

 Dès le mois d'août 178, Marc-Aurèle s'était vu obligé de repartir pour les bords du Danube, où les Quades et les Marcomans recommençaient à inquiéter l'Empire. Il ne fut donc pas présent à Rome,  lorsque le juge  Almachius termina au mois de septembre, par l'immolation de Cécile, la tragédie qu'il avait ouverte au mois d'avril par la mort de Valérien et de Tiburce.

 

L'empereur ne revint pas de cette campagne, mais il mourut loin de Rome, en 180, laissant l'Empire à Commode. Depuis Vespasien, nul César n'avait transmis le sceptre du monde à son fils ; mais le rejeton de l'empereur philosophe ne fit pas plus d'honneur à son père, que Domitien n'avait recommandé le sien par sa manière de vivre et de régner. Toutefois le nouvel empereur, entre ses défauts, ou ses vices pour mieux parler, n'avait pas celui d'aimer à poser en sage, et il ne se piquait pas de rivalité avec les gens vertueux. Les progrès du christianisme n'étaient pas de nature à inquiéter beaucoup son indifférence, et, sans les excitations de son père, il eût volontiers laissé les chrétiens en paix.

 

Aussitôt après la mort de Marc-Aurèle, le feu de la persécution se ralentit de lui-même. Eusèbe (lib. V, cap. XXI) atteste, au moment même de l'avènement de Commode comme seul empereur, la conversion  simultanée à Rome d'un  grand nombre de personnes illustres par leur naissance et puissantes par leurs richesses. Il raconte même que des familles entières du patriciat se déclarèrent tout à coup pour la religion proscrite.

 

Nul doute que la mort glorieuse de Cécile et l'exemple de Valérien et de Tiburce, n'eussent profondément ébranlé la société romaine en ces années, et n'aient eu la principale influence dans ces éclatantes conversions que l'historien enregistre dès le début du règne de Commode.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 193 à 200)

 

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 19:00

Ce furent les dernières paroles de Cécile devant l'homme qui représentait la puissance païenne.

 

 Elle voulut flétrir publiquement le grossier fétichisme qui, depuis si longtemps, asservissait le monde racheté du sang d'un Dieu. Libre à l'égard de tout ce qui passe, le martyre était sa seule ambition ; mais avant de présenter sa tête au glaive, elle voulut faire un dernier et solennel appel à la conscience de ceux qui l'entendaient. Ses paroles demeurèrent après elle, et éveillèrent dans plus d'un coeur des sentiments qui ne pouvaient trouver leur expansion que dans le christianisme. Elles devinrent un héritage pour les fidèles de Rome ; et, peu d'années après, l'argument qu'avait fait valoir Cécile contre l'injustice et la déraison de la loi qui régissait les procès des chrétiens, reparaissait dans l'Apologétique de Tertullien, relevé encore, mais non créé, par le génie et l'éloquence du célèbre Africain.

 

 Almachius et ceux qui le mettaient en mouvement n'avaient pas été sans prévoir l'issue d'une cause dont Rome tout entière devait retentir. Quelle peine imposer à une jeune dame romaine d'un tel caractère et d'un tel rang ? Il avait été résolu que Cécile ne périrait pas sous le glaive. On l'enfermerait dans la salle des bains de son palais, que les Romains appelaient le caldarium. On maintiendrait un feu violent et continu dans l'hypocauste, et la vierge, laissée sans air sous la voûte ardente, aspirerait la mort avec la vapeur embrasée, sans qu'il fût besoin de l'épée d'un licteur pour l'immoler. Ce supplice arbitraire qui n'avait pas, il est vrai, son fondement exprès dans la pénalité romaine, avait l'avantage de faire éviter l'éclat et le tumulte. La philosophie couronnée triomphait dans l'extermination d'une chrétienne, dont le rang, l'éloquence vive et le caractère sympathique étaient dans Rome une gêne pour le paganisme. Le patriciat d'ailleurs ne pourrait voir un déshonneur dans ce supplice employé déjà contre une impératrice. Octavie n'avait-elle pas été ainsi livrée aux ardeurs dévorantes du caldarium par ordre de son mari Néron ? On sait que cette manière privilégiée de sortir violemment de la vie fut plus tard imposée par Constantin à sa femme Fausta.

 

 Cécile fut donc reconduite à cette maison que le Ciel avait prédestinée à devenir le théâtre de toutes ses gloires. En la léguant à l'Eglise, il y avait peu de jours, la vierge ignorait qu'elle devait d'abord la consacrer par son sang. En la quittant tout à l'heure pour se rendre à l'audience d'Almachius, elle pensait n'avoir plus à en franchir le seuil. Son coeur tressaillait en saluant l'arène, quelle qu'elle fût, où elle allait avoir à soutenir la lutte contre l'ennemi de Dieu ; et voici qu'on l'entraînait vers cette demeure sacrée, où son zèle avait conquis au Christ Valérien et Tiburce ; où, venu du ciel, un ange avait ceint son front d'une fraîche et odorante couronne. Ce fut donc avec une sainte allégresse qu'elle se vit enfermée dans l'étroit réduit où elle devait laisser cette vie mortelle et commencer la vie qui ne finit pas.

 

 Mais une si grande martyre ne pouvait être immolée sans l'effusion de son sang, et le stratagème dont s'applaudissait la politique n'était pas appelé à réussir. Cécile, enfermée dans le caldarium, y passa le reste du jour et la nuit suivante,  sans que l'atmosphère enflammée qu'elle respirait eût seulement fait distiller de ses membres la plus légère moiteur. Une rosée céleste, semblable à celle qui rafraîchit les trois enfants dans la fournaise de Babylone, tempérait délicieusement les feux de cet ardent séjour, et l'on pouvait dire de la vierge ce que, plus tard, saint Léon le Grand a dit de l'intrépide archidiacre Laurent, "que le feu de l’ amour, qui le consumait au dedans ôtait sa force au feu matériel qui l'environnait au dehors".

 

En vain les ministres de la cruauté légale attisaient l'incendie par le bois dont ils alimentaient sans cesse le brasier ; en vain un souffle dévorant s'échappait sans relâche par les bouches de chaleur, et versait dans l'étroite enceinte les bouillantes vapeurs des chaudières ; Cécile demeurait invulnérable, et attendait avec calme qu'il plût à l'Epoux divin de lui ouvrir une autre route pour monter jusqu'à lui.

 

 Ce prodige renversa l'espoir qu'on avait conçu de ne pas en venir jusqu'à verser le sang d'une si illustre dame ; mais il n'était plus possible de s'arrêter dans la voie funeste où l'on s'était engagé. Un licteur fut envoyé avec ordre de trancher la tête de Cécile, dans ce lieu même où elle se jouait avec la mort. La vierge le vit entrer pleine de joie comme celui qui venait lui apporter la couronne nuptiale. Elle s'offrit au martyre sanglant, avec l'empressement que l'on pouvait   attendre   de   celle   qui,   jusqu'alors,   avait triomphé de tout ce qui effraye et de tout ce qui séduit la nature humaine.

 

 Le licteur brandit son glaive avec vigueur ; mais son bras mal assuré n'a pu, après trois coups, abattre encore la tête de Cécile. Il laisse étendue à terre et baignée dans son sang la vierge sur laquelle la mort semble craindre d'exercer son empire, et il se retire avec terreur. Une loi défendait au bourreau qui, après trois coups, n'avait pas achevé sa victime, de la frapper davantage.

 

 Les portes de la salle du bain étaient demeurées ouvertes, après le départ du licteur ; la foule des chrétiens qui attendaient au dehors la consommation du sacrifice, s'y précipite avec respect. Un spectacle sublime et lamentable s'offre à leurs regards : Cécile, aux prises avec le trépas et souriant à ces pauvres qu'elle aimait, à ces néophytes auxquels sa parole avait ouvert le chemin de la véritable vie. On s'empresse de recueillir sur des linges le sang virginal qui s'échappe de ses blessures mortelles ; tous lui prodiguent les marques de leur vénération et de leur amour. D'un instant à l'autre, ils s'attendent à voir s'exhaler cette âme si pure, brisant les faibles et derniers liens qui la retiennent encore. La couronne est suspendue au-dessus de la tête de Cécile ; elle n'a plus qu'à étendre la main pour la saisir, et cependant elle tarde. Les fidèles ignoraient encore le délai qu'elle avait sollicité et obtenu.

 

Durant trois jours entiers, ils l'entourèrent gisante sur les dalles du caldarium inondées de son sang. Partagés entre l'espoir et la crainte, ils adoraient en silence les mystérieuses volontés du Seigneur sur son héroïque servante. De temps en temps la voix affaiblie de Cécile se faisait entendre ; elle les exhortait à demeurer fermes dans le Christ. D'autres fois, la martyre faisait approcher d'elle les pauvres ; elle leur prodiguait les marques les plus touchantes de son affection, et veillait à ce qu'on leur distribuât ses dernières aumônes. Les agents de l'autorité ne se présentèrent pas ; ils savaient que la victime respirait encore ; et d'ailleurs cette maison ensanglantée devait paraître aussi redoutable aux païens, qu'elle semblait auguste aux fidèles qui la vénéraient comme la glorieuse arène où Cécile avait conquis la palme.

 

Il y eut un moment où le flot du peuple fidèle s'écoula. La vierge mourante allait enfin recevoir la visite d'Urbain qui, depuis quelques jours, comme nous l'avons dit, abritait son exil dans la maison de Cécile. Jusqu'à cette heure désirée, la prudence n'avait pas permis au vieillard d'approcher de la martyre qui l'attendait avec ardeur pour monter au ciel. Cécile voulait faire une remise solennelle, entre les mains d'Urbain, de celte maison devenue sacrée à tant de titres. Avant de partir pour le prétoire, elle en avait assuré la propriété légale au fidèle Gordien ; elle désirait la consigner elle-même à l'église romaine en la personne du vicaire d'Eleuthère. Urbain pénétra dans la salle du bain, et ses regards attendris s'arrêtèrent sur Cécile étendue comme l'agneau du sacrifice sur l'autel inondé de son sang.

 

La vierge tourna vers lui son oeil mourant, où se peignaient encore la douceur et la fermeté de son âme : "Père, lui dit-elle, j'ai demandé au Seigneur ce délai de trois jours, afin de remettre entre vos mains et ces pauvres que je nourrissais, et cette maison pour être consacrée en église à jamais."

 

Après ces paroles, la vierge se recueillit en elle-même, et ne songea plus qu'à la félicité de l'Epouse qui va être admise auprès de l'Epoux. Elle remercia le Christ de ce qu'il avait daigné l'associer à la gloire de ses athlètes, et réunir sur sa tête les roses du martyre aux lis de la virginité.

 

Les cieux s'ouvraient déjà au-dessus d'elle, et une dernière défaillance annonça les approches du trépas. Elle était couchée sur le côté droit, les genoux réunis avec modestie. Au moment suprême, ses bras s'affaissèrent l'un sur l'autre ; et, comme si elle eût voulu garder le secret du dernier soupir qu'elle envoyait au divin objet de son unique amour, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son âme se détacha doucement de son corps.

 

Santa Cecilia

 

 

On était au 16 des calendes d'octobre (16 septembre).

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 186 à 192)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 19:00

Sa mission d'apôtre était accomplie ; les martyrs qu'elle avait formés l'avaient précédée au ciel ; d'autres devaient bientôt l'y suivre ; il ne lui restait plus qu'à rendre le dernier témoignage dont le prix était la palme.

 

 L'interrogatoire de Cécile nous est parvenu en son entier, portant la trace visible de son authenticité, dans le style parfaitement contemporain qui y règne d'un bout à l'autre, et qui contraste si évidemment avec la diction vulgaire du compilateur des Actes.

 

Les paroles de la martyre et d'Almachius furent recueillies par les greffiers du tribunal, comme on avait coutume de le faire, et la Providence divine a veillé sur la conservation d'un document de si haut intérêt. Mais, comme tant d'autres monuments, ce précieux interrogatoire avait souffert en certains endroits d'indiscrètes superfétations, qui sans doute n'en altéraient pas la substance, mais en rompaient l'unité et parfois le caractère. Ces additions, dues à quelques copistes peu éclairés du moyen âge, ont été reproduites dans les éditions des Actes données par Bosio et par Laderchi. Nous devions avant tout donner dans sa pureté primitive un texte si capital.

 

Pour cela, nous avons trouvé le travail déjà tout fait par M. de Rossi, à qui l'histoire de sainte Cécile est si redevable. Ses additions maladroites et invraisemblables ont pu être constatées par la confrontation avec de nombreux manuscrits des Actes. Une trentaine de ces manuscrits, pris dans les bibliothèques de l'Italie, de la France et de la Suisse, s'accordent à repousser ces fourrures qui du reste, nous en convenons, laissent subsister le texte entier de l'interrogatoire. On a été à même de constater l'époque à laquelle elles ont été insérées, par la traduction grecque que Siméon Métaphraste fit des Actes de sainte Cécile au dixième siècle. Cette traduction, très exacte d'un bout à l'autre, est totalement exempte des superfétations que les nombreux manuscrits latins dont nous venons de parler ne contiennent pas. Au seizième siècle, Mombritius et Surius donnèrent dans leurs collections des Actes des saints ceux de sainte Cécile, en retraduisant en latin la version de Métaphraste, et en se conformant aux plus anciens manuscrits.

 

Ce sont eux que nous allons suivre, désireux de laisser dans toute sa pureté un monument aussi sacré, qui a fait partie de ces actes publics dont les chrétiens se procuraient des copies, et qui étaient ensuite transcrits par les notaires de l'église romaine :

 

 Almachius frémit à la vue de sa victime si douce et si fière. Cherchant à se donner de l'assurance, il feignit de ne pas reconnaître l'héritière des Caecilii, et il osa ouvrir ainsi l'interrogatoire : 

ALMACHIUS. — Jeune fille, quel est ton nom ?

CÉCILE. — Caecilia.

ALMACHIUS. — Quelle est ta condition ?

CÉCILE. — Libre, noble, clarissime.

ALMACHIUS. — C'est sur ta religion que je t'interroge.

CÉCILE. — Ton interrogation n'était donc pas précise, si elle donnait lieu à deux réponses.

ALMACHIUS. — D'où te vient cette assurance ?

CÉCILE, se servant d'un texte de saint Paul. — "D'une conscience pure et d'une foi sans déguisement." (I Tim., I.)

 ALMACHIUS. — Ignores-tu quel est mon pouvoir ?

CÉCILE. — C'est toi-même qui ignores ce qu'est ton pouvoir. S'il te plaît de m'interroger à ce sujet, je puis te montrer la vérité avec évidence.

ALMACHIUS. — Eh bien ! parle ; je serai charmé de t'entendre.

CÉCILE. — La puissance de l'homme est semblable à une outre remplie de vent ; qu'on vienne à percer l'outre avec une simple aiguille, soudain elle s'affaisse, et tout ce qu'elle semblait avoir de consistance a disparu.

ALMACHIUS. — Tu as débuté par l'injure, et tu continues sur le même ton.

CÉCILE. — Il n'y a injure que lorsqu'on allègue des choses qui n'ont pas de fondement. Démontre que j'ai dit une fausseté, je conviendrai alors de l'injure ; autrement, le reproche que tu m'adresses est une calomnie.

 

 Ce début de l'interrogatoire montre à quel point l'antique fierté romaine vivait encore à Rome chez les chrétiens de grande race, au moment où toute dignité tendait à disparaître sous l'abaissement de l'Empire. En face du parvenu qui osait tenir à sa barre la fille des Metelli, le Numidique eût reconnu son sang. Une des additions au texte de l'interrogatoire consiste à faire donner par Cécile à Almachius le titre de préfet. Ni les trente manuscrits, ni la version grecque de Métaphraste, ne reproduisent ce mot qui n'a pu se trouver sur l'interrogatoire, puisque Turcius Almachius ne fut jamais préfet de Rome, mais un simple magistrat subalterne. Au reste, son ton et la maladresse de son langage dénotent assez l'homme vulgaire qui n'a rien de commun avec le Praefectus urbis, lequel, à cette époque et longtemps après, était toujours, comme nous l'avons dit, un personnage consulaire.

 

 Almachius changea de discours, et s'adressant à Cécile :

" Ignores-tu donc, lui dit-il, que nos maîtres, les invincibles empereurs, ont ordonné que ceux qui ne voudront pas nier qu'ils sont chrétiens, soient punis, et que ceux qui consentiront à le nier soient acquittés ?"

 

 Le lecteur doit remarquer que les termes dont se sert ici Almachius, en citant le texte officiel qui frappait les chrétiens, sont identiques à ceux qu'on lit dans les Actes des martyrs de Lyon, comme étant la réponse officielle du Palatin consulté sur le sort des confesseurs retenus dans les prisons. Cette relation entre les deux documents est une preuve de plus de l'authenticité et de la contemporanéité de l'un et de l'autre.

 

CÉCILE. — Vos empereurs se trompent, et ton Excellence avec eux. L'ordre que tu attestes toi-même avoir été porté par eux, prouve seulement que vous êtes cruels et que nous sommes innocents. Si le nom de chrétien était un crime, ce serait à nous de le nier, et à vous de nous obliger par les tourments à le confesser.

ALMACHIUS. — Mais c'est dans leur clémence que les empereurs ont statué cette disposition ; ils ont voulu par là vous assurer un moyen de sauver votre vie.

CÉCILE. — Est-il une conduite plus impie et plus funeste aux innocents que la vôtre ? Vous employez les tortures pour faire avouer aux malfaiteurs la qualité de leur délit, le lieu, le temps, les complices ; s'agit-il de nous, tout notre crime est dans notre nom ; car vous savez que nous sommes innocents. Mais nous connaissons tous la grandeur de ce nom sacré, et nous ne pouvons en aucune façon le renier. Mieux vaut donc mourir pour être heureux, que vivre pour être misérables. Vous voudriez nous extorquer un mensonge ; mais, en proclamant la vérité, c'est nous qui vous infligeons la plus cruelle torture.

ALMACHIUS. — Choisis l'un de ces deux partis : ou sacrifie aux dieux, ou nie simplement que tu sois chrétienne, et tu pourras te retirer.

 

A cette proposition, un sourire de compassion parut sur les lèvres de Cécile.

 

" Quelle humiliante situation pour un magistrat ! dit-elle ; il veut que je renie un nom qui témoigne de mon innocence, et que je me rende coupable d'un mensonge. Il consent à m'épargner, et il est prêt à sévir contre moi ; il semble ne rien voir, et rien n'est plus précis que son regard. Si tu as envie de condamner, pourquoi exhortes-tu à nier le délit ? Si ton intention est d'absoudre, pourquoi ne te donnes-tu pas la peine de t'enquérir ?

ALMACHIUS. — Mais voici les accusateurs ; ils déposent que tu es chrétienne. Nie-le seulement, et toute l'accusation est mise à néant ; mais si tu persistes, tu reconnaîtras ta folie, lorsque tu auras à subir la sentence.

CÉCILE. — Une telle accusation était l'objet de mes voeux, et la peine que tu me réserves sera ma victoire. Ne me taxe pas de folie ; fais-toi plutôt ce reproche, pour avoir pu croire que tu me ferais renier le Christ.

ALMACHIUS. — Malheureuse femme, ignores-tu donc que le pouvoir de vie et de mort m'a été conféré par les invincibles princes ? Comment oses-tu me parler avec orgueil ?

CÉCILE. — Autre chose est l'orgueil, autre chose est la fermeté ; j'ai parlé avec fermeté, non avec orgueil ; car nous avons ce vice en horreur. Si tu ne craignais pas d'entendre encore une vérité, je te montrerais que ce que tu viens de dire est faux.

ALMACHIUS. — Voyons, qu'ai-je dit de faux ?

CÉCILE. — Tu as prononcé une fausseté, quand tu as dit que tes princes t'avaient conféré le pouvoir de vie ou de mort.

ALMACHIUS. — Comment ai-je menti en disant cela ?

CÉCILE. — Oui, et si tu me l'ordonnes, je prouverai que tu as menti contre l'évidence même.

ALMACHIUS. — Alors, explique-toi. 

CÉCILE. — N'as-tu pas dit que tes princes t'ont conféré le pouvoir de vie et de mort ? Tu sais bien cependant que tu n'as que le seul pouvoir de mort. Tu peux ôter la vie à ceux qui en jouissent, j'en conviens ; mais tu ne saurais la rendre à ceux qui sont morts. Dis donc que tes empereurs ont fait de toi un ministre de mort, et rien de plus ; si tu ajoutes autre chose, c'est mentir, et mentir en vain.

ALMACHIUS. — Assez d'audace : sacrifie aux dieux.

 

En prononçant ces paroles, le juge désignait les statues qui remplissaient le prétoire.

 

CÉCILE. — Je ne sais vraiment ce qui est arrivé à tes yeux, où et comment tu en as perdu l'usage. Les dieux dont tu parles, moi et tous ceux qui ici ont la vue saine, nous ne voyons en eux que de la pierre, de l'airain ou du plomb.

ALMACHIUS. — En philosophe, j'ai dédaigné tes injures, quand elles n'avaient que moi pour but ; mais l'injure contre les dieux, je ne la puis supporter.

CÉCILE. — Depuis que tu as ouvert la bouche, tu n'as pas dit une parole dont je n'aie fait voir l'injustice, la déraison, la nullité; maintenant, afin que rien n'y manque, te voilà convaincu d'avoir perdu la vue. Tu appelles des dieux ces objets que nous voyons tous n'être que des pierres, et des pierres inutiles. Palpe-les plutôt toi-même, tu sentiras ce qu'il en est. Pourquoi t'exposer ainsi à la risée du peuple ? Tout le monde sait que Dieu est au ciel. Quant à ces statues de pierre, elles feraient meilleur service si on les jetait dans une fournaise pour les convertir en chaux ; elles s'usent dans leur oisiveté, et sont impuissantes à se défendre des flammes, aussi bien qu'à t'arracher toi-même à ta perte. Le Christ seul sauve de la mort, seul il délivre du feu l'homme coupable.

 

Ce furent les dernières paroles de Cécile devant l'homme qui représentait la puissance païenne.

 

Cécile répondant à l'interrogatoire d'Almachius - Oratoire de Sainte Cécile, Église Saint-Jacques le Majeur à Bologne 

Fresque de la vie de Sainte Cécile scène 7 

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 179 à 185)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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