SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE : Ad Catacumbas

L'église romaine, après la mort de Zéphyrin, appela  Calliste  sur le  siège apostolique (215).

 

 Nous ne pouvons nous étendre sur les événements si pleins d'intérêt de son pontificat, ni sur les luttes qu'il eut à subir ; mais, dans cet ouvrage consacré en grande partie aux traditions de Rome souterraine, nous devons rappeler que c'est lui-même qui, dans un moment de péril, leva de leurs tombeaux les corps de saint Pierre et de saint Paul, et les transporta sur la voie Appienne, au lieu même où les avaient cachés les Orientaux, lorsqu'ils  voulurent  les  enlever  à   la   ville  de Rome.

 

Comme il s'agissait de prendre toutes les précautions pour soustraire ce trésor aux profanes, Calliste ne plaça point les dépouilles des saints apôtres dans quelque cubiculum apparent ; il fit fabriquer un puits, au fond duquel se trouve une chambre sépulcrale, où l'emplacement des deux sarcophages est encore visible aujourd'hui, par la disposition des dalles employées dans le carrelage de ce mystérieux réduit. Autour de ce monument s'ouvrirent bientôt des galeries et des cubicula, et cette région de Rome souterraine, située autour de l'espace qu'occupe la basilique de Saint-Sébastien,  fut enviée,  comme lieu de sépulture, par un grand nombre de fidèles qui désiraient reposer près  des  tombes  des  saints apôtres. Cette dévotion persista même après que leurs dépouilles sacrées eurent été rapportées dans les cryptes d'où elles avaient été tirées. Ce lieu fut appelé dans la plus haute antiquité Ad Catacumbas (Kata tumbas), c'est-à-dire près des tombes des Apôtres, et ce n'est qu'improprement que l'on a étendu beaucoup plus récemment l'appellation générale de catacombes aux cimetières de Rome.

 

 Tant de travaux sur la voie Appienne semblaient donner à Calliste un droit spécial de reposer dans le noble hypogée où l'attendait Zéphyrin.

 

 La divine Providence en avait autrement disposé. Sous le règne bienveillant d'Alexandre Sévère, il perdit la vie au quartier du Transtévère, dans une sédition des païens contre lui. La cause de cet attentat fut sans doute l'acquisition qu'il avait faite d'une ancienne taberna meritoria, située dans cette région, et qu'il consacra en église. C'est l'auguste basilique de Sainte-Marie trans Tiberim. La propriété en fut disputée à Calliste, et la cause référée à l'empereur, qui décida pour les chrétiens. (LAMPRIDIUS, in Alexandre Severo, cap. XIX.) La mort violente de Calliste semble une vengeance de ses adversaires, et elle eut lieu tout près de l'édifice que sa fermeté avait conservé à l'Eglise. Les séditieux précipitèrent le pontife dans un puits, que l'on voit encore dans l'église de Saint-Calliste, à quelques pas seulement de la basilique Transtibérine. La sédition ne permit pas, à ce qu'il paraît, de transporter le corps du martyr sur la voie Appienne, et on alla le déposer dans un cimetière déjà ouvert sur la voie Aurélia, où sa sépulture donna origine à un nouveau centre historique dans cette partie de Rome souterraine.

 

 Le successeur de Calliste fut Urbain (222), dont le pontificat s'écoula tout entier sous Alexandre Sévère. La ressemblance des noms l'a fait prendre pour l'évêque Urbain, qui figure dans la vie de Cécile ; nous expliquerons bientôt comment et à quelle époque la confusion eut lieu. L'Urbain dont il est question dans les Actes de la martyre reposait depuis cinquante ans déjà au cimetière de Prétextat, et l'on ne saurait assigner la raison pour laquelle on n'eût pas enseveli un pape dans la crypte des pontifes qui est en face de ce cimetière. Un monument précis vient confirmer cette conclusion. Dans l'hypogée papal, M. de Rossi a trouvé le fragment d'un bord de sarcophage, sur lequel on lit : ΟΥΡΒΑΝΟС (Roma sotterr., t. II, tav. II, 3.) Tout porte à croire que le trait arqué qui vient après le nom est le commencement de la première lettre du mot ΕΠΙ СΚΟΠOC. La forme même du fragment montre avec évidence qu'il a été détaché du couvercle d'un sarcophage. Les autres inscriptions de la crypte papale que l'on a retrouvées, ont servi à fermer les simples loculi qui sont en bien plus grand nombre dans la salle, ainsi qu'on peut le voir sur le plan général. Celui-ci, étant détaché d'un sarcophage, annonce une des premières sépultures faites dans l'hypogée, et pour lesquelles on aura employé les alvéoles ouvertes près du sol, dans lesquelles seules il était possible d'établir les sarcophages. Pour peu que l'on se rappelle qu'à la mort d'Urbain, Zéphyrin reposait encore seul dans la crypte papale, il est aisé de comprendre que le corps du successeur immédiat de Calliste ait été placé dans un sarcophage de préférence à un loculus. D'autres arguments viendront confirmer l'existence du tombeau du saint pontife en ce lieu, et non sur la gauche de la voie Appienne, où la présence d'un autre Urbain est aussi formellement constatée.

 

 Pontien succéda à Urbain (230). L'Empire changea de mains, et passa au pouvoir de Maximin dès le 18 mars 235. Une sentence impériale déporta le pontife des chrétiens, avec le prêtre Hippolyte, dans l'île de Bucina, où il souffrit d'indignes traitements qui lui valurent la couronne du martyre. De bonne heure il avait voulu pourvoir au gouvernement de l'église romaine, en abdiquant la papauté. Son corps demeura dans cette île de la Méditerranée jusqu'au pontificat de saint Fabien qui l'alla chercher, accompagné de ses prêtres, et le réunit aux autres papes qui dormaient déjà sous les voûtes de l'hypogée cécilien.

 

 Anteros (235), qui ne fit que passer sur le siège de Rome, eut la même sépulture. On a pu réunir les fragments de l'inscription de son loculus, et son nom Anteros s'y lit aisément. Il eut pour successeur Fabien (236), duquel le Liber pontificalis raconte qu'il fit faire de nombreuses constructions dans les cimetières. La crypte des pontifes dans laquelle il fut enseveli nous a rendu son inscription tumulaire, fracturée comme celles que nous avons citées jusqu'ici, mais non moins importante. Parmi ses constructions, il est permis de compter le petit édifice à trois absides qui s'élève au-dessus de la seconde area callistienne, et qui, par les pèlerins du quatrième siècle et des suivants, fut appelé la basilique de Sainte-Cécile et de Saint-Sixte, à cause du voisinage de leurs tombeaux, les plus célèbres de tous.

 

Le successeur de Fabien fut un Cornélius (251). Dans ce rapide parcours de l'histoire pontificale du troisième siècle, il nous est agréable de rencontrer ce grand nom. Une seconde Lucine apparaît aussi auprès de ce nouveau pontife, zélée comme la première pour la sépulture des martyrs, et exerçant des droits sur le cimetière qu'avait creusé la première Lucine. Nous ne faisons aucun doute qu'elle n'appartînt également aux Pomponii qui, comme nous l'avons dit plus haut, avaient des liens avec les Cornelii. Dans ce récit abrégé, où nous ne parlons des pontifes que dans leurs rapports avec les cimetières de la voie Appienne, nous ne devons pas cependant omettre l'acte important que Cornelius accomplit, à l'instigation de Lucine : ce fut de retirer du puits où les avait placés Calliste les corps des deux grands apôtres de Rome, qui avaient reposé plus de trente ans dans ce sombre asile. Cette translation s'opéra secrètement et à la faveur des ombres de la nuit. Lucine se chargea de faire replacer le corps de saint Paul dans son ancienne Confession, située près de la voie d'Ostie, sur le praedium de la première Lucine. Quant au corps de saint Pierre, Cornélius prit soin de le faire replacer dans l'antique crypte des Cornelii au Vatican, où l'attendaient ses successeurs du premier et du second siècle, et où, depuis lors, il est demeuré immobile dans toute la majesté apostolique : "près du lieu où il avait été crucifié", ainsi que le répète pour la seconde fois, à cette nouvelle occasion, le Liber pontificalis.

 

Saint Cyprien a célébré l'intrépidité avec laquelle Cornélius accepta et occupa la chaire pontificale, dans un moment où Decius était possédé d'une telle fureur contre l'Eglise, "qu'il eût préféré voir s'élever dans l'Empire un compétiteur, que de laisser remplacer dans Rome le pontife des chrétiens". (Epist. ad Antonian.) La carrière du saint pape ne pouvait se terminer que par le martyre, mais le crédit de Lucine était tel en ces lieux, qu'elle obtint que ce membre de la race des Cornelii ne serait pas enseveli dans la crypte ordinaire des pontifes : elle lui donna donc la sépulture au cimetière voisin, décoré d'un nom qui rappelait de si grands souvenirs.

 

Le seul fait de cette sépulture insolite pour un pape au troisième siècle, suffirait à attester le lien de parenté qui devait exister entre Cornélius et la noble héritière de Pomponia Graecina, et il confirme pleinement ce que nous avançons ici sans aucun doute sur l'origine du saint pontife. L'épitaphe tumulaire placée sur son monument particulier au cimetière de Lucine, était en langue latine. Il est permis de penser que, de même que Lucine avait voulu que Cornélius fût enseveli au milieu des siens, elle aura repoussé la langue grecque, lorsqu'il se sera agi de tracer l'épitaphe d'un pontife dont le nom seul rappelait ce que le Latium avait produit de plus illustre.

 

Le retour que nous venons de faire au cimetière de Lucine nous donne lieu de jeter un regard sur les marbres céciliens du troisième siècle qu'on y a retrouvés. La sépulture de Cécile dans une crypte nouvelle n'entraîna pas l'abandon de la catacombe de Lucine par les familles qui déjà y étaient représentées dans leurs membres chrétiens. Ainsi, vers la fin du deuxième siècle, on y ensevelit une Caeciliana Paulina, dont le marbre s'est retrouvé récemment. Au troisième siècle, c'est le tombeau d'un enfant qualifié de puer clarissimus, et nommé Q. Caecilius Maximus. La gens Valeria est une des rares familles, et la première, qui furent honorées par le peuple romain du surnom de Maximus. Il est peut-être permis de reconnaître ici une suite de l'alliance des Valcrii Maximi et des Caecilii dans la personne de Cécile et de Valérien. Avant cette époque, on ne rencontre pas sur les inscriptions le cognomen Maximus donné aux Crecilii. Au quatrième siècle, les Caecilii font défaut dans les cryptes de Lucine ; mais les premières années du cinquième nous donnent l'inscription d'une enfant qui ne vécut que quelques mois. Elle est appelée Pompeïa Octavia Attica Ceciliana, c. p. (clarissima puella). Les épitaphes du père et de la mère ont été presque en même temps découvertes par M. de Rossi, au cimetière de Calliste, l'un et l'autre ayant voulu reposer près de la grande martyre. Le père est appelé Octavius Caecilianus, v. c. et la mère Pompeïa Attica, c. f. (clarissima faemina) : l'enfant avait réuni les noms de l'un et de l'autre. On voit par d'autres monuments encore que les Caecilii se partagèrent entre les deux cimetières jusqu'à la fin. Les uns étaient attirés par les sépultures antérieures de la famille dans les cryptes de Lucine, les autres optaient pour le voisinage de Cécile. Parmi ces derniers, il faut compter une Caecilia Fausta du troisième siècle, dont l'inscription est encore entière à sa place.

 

Elle est ainsi conçue : 

SERGIVS   ALEXANDER

CAECILIE   FAVSTAE

CONIVGI   SVE   BENE

MERIENTI   FECIT.

 

Cette épitaphe, dont nous avons conservé l'orthographe fautive, montre la continuité de l'alliance entre les Sergii et les Caecilii. Nous avons déjà mentionné comme ayant eu sa sépulture, au même siècle, près du tombeau de Cécile, un Septimius Praetextatus Caecilianus. Le quatrième siècle nous donne, dans la même région, les inscriptions d'une Caeciliana, C. F., et d'une Caecilia, H. F. (honesta faemina).

 

Nous terminerons cette énumération des Caecilii chrétiens ensevelis dans ces cryptes, par un Caecilius Cornelianus retrouvé dans la seconde area callistienne, et qui se trouve réunir en sa personne les deux plus grands noms de notre histoire.

 

Jusqu'ici Rome souterraine ne nous a plus rien transmis en fait de monuments funéraires des Caecilii.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 232 à 239)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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