Nous donnerons maintenant une idée des travaux que Sfondrate fit exécuter dans sa chère basilique, pour la rendre plus digne encore de servir de demeure à l'auguste patronne.
Il songea d'abord à l'autel de la Confession. Les colonnes du ciborium, polies de nouveau, reprirent leur ancienne beauté, et l'on établit sur l'autel un tabernacle de petite dimension, en bronze doré et enrichi de pierres précieuses. Quant à l'autel lui-même, Sfondrate avait voulu le dégager totalement du côté de la nef, afin d'y établir un monument digne de transmettre à la postérité les merveilles dont ses yeux avaient été témoins. Ce fut là, au-dessous de l'oeuvre d'Arnolfo di Lapo, qu'il fit pratiquer une niche oblongue dont tous les abords sont incrustés d'onyx, d'agates, de lapis-lazuli et des marbres les plus rares, et au centre de laquelle repose la statue si expressive que le cardinal avait confiée au ciseau d'Etienne Maderno.
L'inscription suivante explique au pèlerin saisi de respect et d'émotion la scène inattendue qui frappe ses yeux :
PAVLVS TT. S. CAECILIAE
EN TIBI SANCTISSIMAE VIRGINIS CAECILIAE IMAGINEM
QVAM IPSE INTEGRAM SEPVLCHRO IACENTEM VIDI
EANDEM TIBI PRORSVS EODEM CORPORIS SITV
HOC MARMORE EXPRESSI
Voici l'image de la tres sainte vierge Cécile que, moi Paul, du Titre de Sainte-Cécile, j'ai vue ainsi étendue dans son sépulcre. J'ai voulu que ce marbre exprimât jusqu'à la pose qu'il m'a été donné de reconnaître.
Une riche balustrade, à laquelle étaient suspendues quatre-vingt-dix lampes qui jour et nuit devaient brûler, défend l'approche de ce lieu sacré dont l'enceinte est pavée d'albâtre oriental et d'autres pierres précieuses. Le centre de cette élégante marqueterie présente une plaque de marbre noir, sur laquelle on lit en lettres d'or :
SVB HOC ALTARI REQVIESCVNT CORPORA
SS. MARTYRVM CAECILIAE VIRGINIS VALERIANI
TIBVRTII MAXIMI SOCIOR. LVCII ET VRBANI
EISDEM SANCTIS MARTYRIBVS CONSECRATO
Sous cet autel, qui leur est consacré, reposent les corps des saints martyrs, Cécile, vierge ; Valérien, Tiburce et Maxime, ses compagnons; Lucius et Urbain.
Sur les marbres qui supportent la balustrade s'étend à fleur de terre cette inscription :
CORPORA SANCTORVM
HIC IN PACE SEPVLTA SVNT
ET NOMINA EORVM VIVENT IN AETERNVM
Les corps des saints sont ici ensevelis dans la paix, et leurs noms vivront à jamais.
Sfondrate porta aussi tous ses soins sur la crypte elle-même, au centre de laquelle repose la grande martyre. Il y érigea sur son pourtour quatre autels : le premier, directement sous l'autel majeur, et dédié à sainte Cécile ; deux autres, à droite et à gauche, consacrés l'un à sainte Agnès et l'autre à sainte Catherine ; enfin un quatrième, en rapport avec celui de sainte Cécile, sous l'invocation des saints Valérien, Tiburce, Maxime, Urbain et Lucius. Le tableau de l'autel de sainte Cécile était du pinceau de Vanni, et représentait la vierge mourante.
D'antiques peintures exprimant diverses scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, dues au pinceau de Cavallini (Vasari, tome II, Vita di Pietro Cavallini), s'étendaient sur les murs de la grande nef ; on remarquait aussi les portraits des papes peints au-dessus des colonnes par ordre de Paschal. Sfondrate respecta ces précieux monuments de l'art chrétien, et se contenta de faire rafraîchir les couleurs des fresques, dont une partie remontait à la première invention du corps de Cécile. Il fut moins heureux dans son idée de faire disparaître de la nef les ambons qu'elle avait conservés ; mais il voulait que l'oeil du pèlerin ne fût arrêté par aucun obstacle, et qu'il pût se porter, dès l'entrée de la basilique, sur l'autel qui couvre le tombeau de la vierge et sur la statue qui la représente avec tant de vérité. Plusieurs fenêtres interceptées jusqu'alors, du côté du monastère, furent débouchées par les ordres de Sfondrate, et versèrent sur tout l'édifice une éblouissante lumière qui en faisait ressortir l'harmonieux ensemble.
Les colonnes de la grande nef étaient en simple pierre et avaient été endommagées par le temps. Cette considération détourna Sfondrate du projet qu'il avait eu d'abord de leur imposer le poids d'un soffito, avec peintures et caissons dorés. Il laissa donc à découvert l'antique charpente qu'elles soutenaient depuis Paschal, et il se contenta de les faire restaurer et de leur donner de nouvelles bases et de nouveaux chapiteaux en travertin. Les chapelles des nefs latérales furent décorées d'autels formés des marbres les plus rares, et reçurent toutes des tableaux remarquables. L'une d'elles, celle de la famille Ponziani, si touchante par les souvenirs de sainte Françoise Romaine et si remarquable par les peintures de la voûte qui rappellent la manière de Pinturicchio, fut destinée à servir désormais de sacristie. La chapelle du Bain reçut une décoration noble et sévère. L'autel, consacré en 1073 par Hubald, évêque de Sabine, fut restauré avec soin, et on y plaça une copie du martyre de sainte Cécile, par Guido Reni. Le vestibule de cette chapelle fut orné de fresques à paysages représentant les Pères des déserts, de la main de Paul Brill.
Les offrandes de Sfondrate en argenterie pour les vases sacrés et les lampes furent d'une magnificence digne d'un prince ; mais ce que le pieux cardinal offrit de plus précieux fut le riche trésor de reliques qu'il avait amassé, et qui avait été, comme nous l'avons vu, l'occasion de la découverte du corps de la martyre. Nous n'entreprendrons pas l'énumération de toutes ces châsses qui remplissent le trésor de la basilique ; mais nous devons donner quelques détails sur les reliquaires dans lesquels sont conservées les dépouilles de nos martyrs.
Nous avons dit que Sfondrate avait gardé toute sa vie le petit fragment d'ossement qui s'était trouvé adhérent aux linges sur lesquels fut reçu le sang qui coulait des plaies de Cécile. Il le légua à sa chère basilique, et nous avons tenu entre nos mains ce gage précieux de la reconnaissance de la sainte martyre envers son dévot serviteur. Il est contenu dans un petit reliquaire fort élégant, en bronze doré, en forme de tourelle, garni de cristaux et portant sur un pied.
Nous avons constaté sur les titres de la basilique l'existence d'un autre reliquaire contenant un morceau de la robe brochée d'or, et une partie des linges imbibés du sang de la vierge. Ce reliquaire ne se retrouve plus dans le trésor. Peut-être a-t-il disparu dans les spoliations dont nous parlerons plus loin ; peut-être en a-t-on disposé, à une époque plus ou moins éloignée. Ces précieux souvenirs de Cécile étaient renfermés dans un tube de cristal ; il ne reste aujourd'hui que quelques débris des linges sacrés dont nous parlons. Une partie est en toile fine, et le reste est un tissu clair, en manière de crêpe blanc. Des dons, faits à des particuliers, ont presque épuisé cet intéressant dépôt, qui n'était plus garanti contre une pieuse avidité par le reliquaire qui l'avait longtemps préservé.
Une autre châsse de bronze doré et ciselé en arabesques, montée sur un pied et ayant la forme d'une coupe très évasée, munie d'un couvercle scellé et pareillement ciselé, est désignée par une inscription gravée, sur la coupe même, comme contenant, avec un os de saint Blaise, le voile de sainte Cécile. C'est sans doute ce voile dont Maderno a entouré la tête de la sainte, sur la statue de la Confession, et qui aura été trouvé dans l'arche de cyprès autour de la tête de Cécile. Il y a d'autant moins lieu d'en douter, que le beau reliquaire qui contient ce voile est du nombre de ceux que Sfondrate offrit à la basilique.
Sfondrate fit faire trois châsses d'argent pour les chefs des trois saints martyrs, Valérien, Tiburce et Maxime : nous dirons plus loin ce que sont devenues ces châsses. Présentement, ces pieuses reliques sont contenues chacune dans un simple cylindre en cuivre, fermé d'un cristal que retient un cercle en argent. Le crâne de saint Tiburce est ferme et intact ; celui de saint Valérien est plus tendre et un peu fracturé ; quant à celui de saint Maxime, il est toujours remarquable par ses cheveux bruns et collés de sang.
Jusqu'ici nous avons suivi fidèlement Bosio dans la relation qu'il écrivit par ordre de Sfondrate sur la découverte du corps de sainte Cécile et qu'il fit paraître dès l'an 1600. Aux détails que nous avons extraits de ce récit très complet, nous avons ajouté diverses particularités qu'il a omises, et que nous avons recueillies soit dans les archives de la basilique et dans celles du Vatican, soit de nos propres observations. Bosio termine sa relation par le récit des actes de piété qui s'accomplirent dans la basilique de Sainte-Cécile, le 22 novembre 1600, anniversaire de la translation. Le concours des fidèles fut immense ; le sénateur de Rome vint offrir un calice d'or au tombeau de la martyre, au nom de la ville éternelle. Clément VIII se rendit en personne à la basilique, pour présenter à Cécile les hommages du chef de la chrétienté. Après avoir célébré le saint sacrifice, et baisé humblement la terre près de l'endroit où, l'année précédente, il avait déposé le corps de la vierge, il laissa en offrande les ornements précieux dont il s'était servi. Ce jour-là, on ne chanta pas la Messe conventuelle, par respect pour l'autel sur lequel le pontife avait célébré ; on se contenta d'exécuter divers motets ; mais les Vêpres furent chantées avec la plus grande solennité.
Sfondrate sollicita et obtint un décret du sénat et du peuple romain, par lequel la ville s'engageait à offrir tous les ans à la basilique un calice d'argent du prix de 30 écus, le jour de la fête de sainte Cécile. Ce décret est du 9 décembre 1600. (Archives de Santa Cecilia, dossier 56, n° 27.)
La piété fervente de Sfondrate, et le succès dont ses efforts avaient été récompensés par la découverte du tombeau de sainte Cécile, lui inspirèrent, quelques années après, la pensée de tenter des recherches dans la basilique de Sainte-Agnès hors les murs, sur la voie Nomentane, dans l'espoir de retrouver le corps de cette célèbre martyre. Il eut le bonheur de réussir. La translation des saintes reliques fut accomplie par Paul V, avec une solennité, qui, si elle n'égala pas celle dont sainte Cécile avait été l'objet, n'en fut pas moins un des événements intéressants de la vie du pontife.
Sfondrate ne se borna pas à révéler la gloire de Cécile dans la célèbre basilique où elle repose ; il voulut donner aux autres sanctuaires consacrés dans Rome à l'illustre vierge des marques de sa pieuse sollicitude.
DOM GUÉRANGER
SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 374 à 381)