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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

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beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

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Cathédrale de Cambrai

 

 

 

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

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SALVE REGINA

9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 11:30

Les factieux du Temple, qui ne cessaient de repousser ouvertement tous les jours les Romains vers leurs terrasses, imaginèrent le vingt-septième jour de ce mois de Panemos (15 août 70) la ruse que voici. Ils remplissent, dans le portique oriental, l'intervalle des poutres et du faîtage avec du bois sec, du bitume et de la poix ; puis ils se retirent, affectant d'être épuisés. Là-dessus beaucoup de Romains téméraires, emportés par leur ardeur, pressèrent les ennemis dans leur retraite et s'élancèrent jusqu'au portique, après y avoir appliqué des échelles : les plus prudents restèrent, ne s'expliquant pas la fuite des Juifs. Le portique était donc rempli des soldats qui l'avaient escaladé, lorsque les Juifs y mirent le feu partout. La flamme éclata soudain de toutes parts ; les Romains, demeurés hors de péril, furent saisis d'une cruelle angoisse ; ceux que surprenait la flamme, d'un égal désespoir. Entourés par l'incendie, les uns se précipitaient de la hauteur dans la ville, les autres se laissaient tomber au milieu des ennemis : beaucoup qui, dans l'espérance de se sauver, s'élançaient du côté de leurs camarades, se brisaient les membres. Mais la plupart, dans leurs tentatives d'échapper, furent prévenus par les flammes et quelques-uns, pour ne pas être brûlés vifs, se percèrent de leur épée. Le feu, se répandant sur une vaste étendue, entoura bientôt ceux que menaçaient d'autres genres de mort.

 

César, quoique irrité contre ceux qui périssaient pour être montés sur le portique sans ordre, éprouva pourtant une vive compassion pour ces hommes : nul ne pouvait leur porter secours, mais c'était une consolation pour ces soldats qui mouraient de voir la douleur de celui au service duquel ils rendaient l'âme. On le voyait en effet nettement s'agiter en poussant des cris, exhortant ceux qui l'entouraient à tout tenter pour sauver ses soldats. Chacun expirait sans plainte, emportant ces cris et cette sollicitude de César comme de brillantes funérailles. Quelques-uns parvinrent au toit du portique, qui était large, échappant ainsi au feu : entourés par les Juifs et percés de coups ils résistèrent longtemps, mais enfin tous tombèrent. Le dernier fut un jeune homme nommé Longus, qui répandit comme un lustre sur ce désastre et, parmi ces nombreux morts dignes de mémoire, parut le plus brave. Les Juifs qui admiraient sa vaillance et se trouvaient d'ailleurs dans l'impossibilité de le tuer, l'invitèrent, avec des promesses, à descendre vers eux ; d'un autre côté, son frère Cornelius l'exhortait à ne pas souiller leur gloire et celle de l'armée romaine. Longus suivit ce conseil et, levant son épée à la vue des deux troupes, il se tua de sa propre main. Un de ceux que les flammes entouraient, Artorius, dut son salut à une ruse : il appelait à haute voix un des soldats, Lucius, son camarade de tente : "Je te fais héritier de mes biens, dit-il. Si tu viens pour me recevoir dans ma chute". Le soldat accourut avec empressement, et Artorius, se laissant tomber sur lui, survécut ; mais celui qui le reçut fut écrasé par ce poids contre le pavé de mosaïque et succomba aussitôt.

 

Cet échec produisit sur le moment quelque découragement parmi les Romains : il eut pourtant cet avantage pour l'avenir qu'il les rendit plus circonspects à l'égard des ruses des Juifs ; leur ignorance des lieux et le caractère même de leurs ennemis faisaient que ces stratagèmes étaient le plus souvent désastreux pour les Romains. Le portique fut donc brûlé jusqu’à la tour de Jean, que celui-ci, pendant sa lutte avec Simon, avait élevé au-dessus des portes conduisant au-dessus du Xyste ; le reste fut abattu par les Juifs, après la mort des Romains qui y montèrent. Le lendemain, les Romains incendièrent, à leur tour, le portique du nord tout entier, jusqu'à celui de l'est : l'angle qui les unissait l'un à l'autre s'élevait au-dessus de la vallée du Cédron, dont la profondeur sur ce point était effrayante. Telles étaient à ce moment les opérations au voisinage du Temple.

 

Cependant la population de la ville était consumée par la faim : innombrables étaient ceux qui tombaient ; les  maux qu'ils souffraient ne peuvent se raconter, car, dans chaque maison, s'il apparaissait quelque ombre de nourriture, il y avait lutte ; les êtres les plus étroitement unis en venaient aux mains, s’arrachant ces pauvres soutiens de leur vie.

 

Les mourants même étaient suspects d'être dans l'abondance et les brigands fouillaient ceux qui rendaient l'âme, craignant que l'un de ces malheureux ne feignit de mourir en cachant de la nourriture dans son sein. Et les affamés aux aguets, semblables à des chiens enragés, marchaient en chancelant : ils passaient, s'abattant contre les portes comme des ivrognes, et, poussés par le désespoir, se précipitaient deux ou trois fois par heure dans les mêmes maisons. La nécessité leur faisait mettre sous la dent toutes sortes de choses : ils ramassaient et se résignaient à manger ce qui n'eût pas même convenu aux plus immondes des animaux privés de raison ; en dernier lieu, ils usèrent du cuir de leurs ceintures et de leurs sandales ; ils grattèrent, pour la mâcher, la peau de leurs boucliers. D'autres se nourrirent de brindilles de vieux foin ; plusieurs en ramassèrent des fibres et en vendirent au  prix de quatre Attiques un très léger poids. Mais pourquoi faut-il parler de cette faim sans scrupules qui se prend à des objets inanimés, quand je vais relater un fait sans exemple ni chez les Grecs, ni chez les Barbares, fait horrible à dire, et qui trouve difficilement créance. Moi-même, pour ne pas paraître aux yeux de la postérité comme un inventeur de récits merveilleux, j'aurais volontiers omis ce drame si je n'en avais eu des témoins nombreux parmi mes contemporains. Ce serait d'ailleurs un faible titre à la reconnaissance de ma patrie que de reculer devant le récit des maux qu’elle a réellement soufferts.

 

Une femme, appartenant aux tribus d'au-delà du Jourdain, nommée Marie, fille d'Eléazar, du bourg de Bethezyba (ce mot signifie 'maison aux hysopes'), distinguée par sa naissance et ses richesses, vint avec le reste de la multitude se réfugier à Jérusalem et y subit le siége. Les tyrans lui prirent la plupart des biens qu'elle avait apportés de la Pérée et introduits dans la ville : le reste de ses objets précieux, et le peu de nourriture qu'elle avait pu réunir lui furent ravis dans les incursions quotidiennes des sicaires. Profondément indignée, cette pauvre femme se répandait en injures et malédictions, irritant encore davantage les ravisseurs. Mais comme personne ne consentait à la tuer dans un mouvement de fureur ou de piété, qu’elle était lasse de chercher la moindre nourriture pour le profit des autres, que d'ailleurs il était déjà impossible d'en trouver nulle part, que la faim courait par ses entrailles et ses nerfs, alors, enflammée par la colère plus encore que par la faim, écoutant autant sa rage que son besoin, elle fit affront à la nature et saisissant le fils qu'elle avait à la mamelle : "Malheureux enfant, dit-elle, pour qui dois-je te conserver, au milieu de la guerre. De la famine, de la sédition ? Chez les Romains, à supposer que nous vivions jusque-là, l'esclavage nous attend : mais la faim prévient l'esclavage, et les factieux sont plus cruels que l'un et l'autre maux. Va donc et deviens ma nourriture : sois en même temps la furie vengeresse attachée aux factieux et, aux yeux de l'humanité entière, le héros de la seule aventure qui manquât encore aux malheurs des Juifs". En parlant ainsi, elle tua son fils, puis le fit rôtir et mangea la moitié de ce corps, dont elle cacha et mit en réserve le reste. Bientôt arrivèrent les factieux, qui, aspirant l'odeur de cette graisse abominable, menacèrent la femme de l'égorger sur-le-champ si elle ne leur montrait le mets qu’elle avait préparé. Elle répondit qu'elle leur en avait réservé une belle part et découvrit à leurs yeux les restes de son fils. Aussitôt, saisis d'horreur et de stupeur, ces hommes s'arrêtèrent épouvantés. "Voilà, dit-elle, mon propre fils, et voici mon oeuvre. Mangez-en, j'en ai mangé moi-même. Ne soyez pas plus faibles qu'une femme, ni plus compatissants qu'une mère. Mais si vous êtes pieux et que vous vous détourniez de ma victime, j’en ai goûté pour vous, laissez-m'en le reste !" A ces mots, les factieux sortirent en tremblant, lâches dans cette seule circonstance, abandonnant non sans regret même cette nourriture à la mère. La connaissance de ce crime se répandit dans la ville entière, et chacun, se représentant ce forfait par la pensée, frissonnait comme s'il l'eût commis lui-même. Il y eut alors, chez les gens qui souffraient de la faim, l'impatience de la mort : ils jugeaient heureux ceux qui étaient partis les premiers, avant d'avoir appris ou contemplé de pareilles horreurs.

 

Ce malheur arriva bientôt aux oreilles des Romains. Les uns refusaient d'y croire, d'autres le déploraient, la plupart n'en haïssaient que plus notre nation. César s'en justifiait devant Dieu, disant qu'il offrait aux Juifs la paix, l'indépendance, une amnistie générale de leurs insolences passées, mais qu'ils préféraient à la concorde la sédition, à la paix la guerre, à l'abondance et à la prospérité la famine. C'est de leurs propres mains qu'ils ont commencé à brûler leur sanctuaire, que voulaient conserver les Romains : ils méritent bien une telle nourriture ! Pour lui ; certes, il couvrira des ruines mêmes de leur patrie ce crime sacrilège qui se repaît de la chair d'un enfant. Il ne laissera pas le soleil contempler sur terre une ville où les mères se repaissent ainsi. Une pareille nourriture convient cependant moins aux mères qu'aux pères, à ces gens, qui, après des malheurs si affreux, restent en armes.

 

Tout en parlant ainsi, il réfléchissait au désespoir des Juifs ; il n'y avait plus de raison à attendre de ceux qui avaient déjà enduré tous les maux dont la crainte seule eût dû les amener à d'autres sentiments.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre VI, III Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

Arch of Titus, Menorah

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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 11:30

Titus ordonna aux troupes qu'il avait avec lui de saper les fondements de l'Antonia, et de préparer ainsi pour toute l'armée une escalade facile. Lui-même fit venir Josèphe, car il savait que ce jour-là, qui était le dix-septième de Panemos (août), le sacrifice appelé 'perpétuel' n'avait pu, faute d'hommes, être offert à Dieu et que le peuple en était vivement contristé. Titus lui ordonna donc de redire à Jean ce qu'il lui avait déjà fait savoir : "S'il avait encore quelque mauvais désir de combattre, il pouvait s'avancer pour livrer bataille avec autant de soldats qu'il voudrait, sans perdre, en même temps que lui, la ville et le Temple. Surtout, qu'il cesse de souiller le sanctuaire et d'offenser Dieu ! César lui permet de célébrer les sacrifices qui restent en suspens, avec ceux des Juifs qu'il voudra choisir". - Alors Josèphe, pour se faire entendre, non seulement de Jean, mais du plus grand nombre, proclama en hébreu le message de César ; il supplia longuement les Juifs d'épargner leur patrie, d'écarter le feu qui déjà menaçait le Temple, et d'offrir à Dieu les sacrifices d'expiation. Le peuple l'entendait dans l'abattement et le silence, mais le tyran [Jean] chargea Josèphe d'injures et de malédictions, et ajouta enfin qu'il ne redouterait jamais la prise de la ville, puisqu'elle appartenait à Dieu.


Josèphe s'écria alors :

« Tu l'as donc gardée à Dieu toute pure, et le sanctuaire reste sans souillure ! Tu n'as commis aucune impiété contre Celui dont tu espères le secours, et qui reçoit les sacrifices accoutumés ! Si quelqu'un, ô le plus scélérat des hommes, t'enlève ta nourriture quotidienne, tu le considères comme un ennemi : et ce Dieu même que tu as privé de son culte perpétuel, tu espères qu'il t'assistera dans la lutte ! attribues-tu donc tes crimes aux Romains, qui, maintenant encore, ont le souci de nos lois, et s'efforcent de faire rendre à Dieu les sacrifices dont tu as interrompu le cours ? Qui ne gémirait, qui ne plaindrait la ville d'une si extraordinaire inversion des rôles, quand des étrangers, des ennemis corrigent ton impiété, alors que toi, un Juif nourri dans nos lois, tu te montres plus hostile à elles que ceux-là ?


« Et pourtant, Jean, il n'est pas honteux de se repentir de ses crimes, même dans l'extrême péril. Si tu veux sauver la patrie, tu as sous les yeux le bel exemple du roi des Juifs, Jéchonias, qui jadis, ayant attiré sur lui l'envahisseur babylonien, sortit de la ville de son plein gré, avant qu'elle fût prise, et souffrit, avec sa famille, une captivité volontaire, pour ne pas livrer aux ennemis ces objets sacrés ni voir incendier la maison de Dieu. Aussi est-il célébré par les récits sacrés de tous tes Juifs ; la renommée, passant d'âge en âge et toujours fraîche, transmet à la postérité son souvenir immortel. Noble exemple, Jean, même s'il y a danger à le suivre ; pour moi, je me porte garant du pardon des Romains. Souviens-toi que je t'adresse ces exhortations en compatriote, que je fais cette promesse, étant Juif ; car il est juste de se demander qui donne le conseil et d'où il vient. Puissé-je ne jamais vivre captif au point de désavouer mon origine et d'oublier les intérêts de ma patrie !


« Voici que de nouveau tu t'irrites, tu me cries des insultes ; j'en mérite sans doute de plus graves encore, moi qui t'exhorte en dépit du Destin et m'efforce de sauver des hommes condamnés par Dieu. Qui ne connaît les écrits des anciens prophètes, l'oracle qui menace cette malheureuse ville, et dont l'effet est déjà imminent ? On a prédit alors la prise de cette cité pour le jour où quelqu'un commencerait à répandre le sang de ses concitoyens. La ville, le Temple entier ne sont-ils pas pleins de tes victimes ? C'est donc Dieu, Dieu lui-même qui apporte, avec les Romains, le feu pour purifier le Temple et exterminer une ville si profondément souillée.»

 

Josèphe parlait ainsi avec des gémissements et des larmes bientôt des sanglots étouffèrent sa voix. Les Romains plaignirent sa douleur, et admirèrent sa constance ; mais les compagnons de Jean n'en furent que plus irrités contre les Romains et désiraient s'emparer de sa personne. Cette harangue toucha un grand nombre de Juifs de qualité ; quelques-uns, par crainte des postes que les factieux avaient établis, restèrent où ils étaient, bien que prévoyant leur propre perte et celle de la ville ; plusieurs pourtant, épiant le moment où ils pourraient s'enfuir sans danger, cherchèrent un refuge auprès des Romains. Parmi ceux-ci étaient les grands-prêtres Joseph et Jésus, et des fils de grands-prêtres, trois de cet Ismaël qui fut décapité à Cyrène, quatre de Matthias, un fils d'un autre Matthias, qui s'enfuit après la mort de son père, tué, comme nous l'avons dit, par Simon, fils de Gioras, avec trois de ses enfants. Beaucoup d’autres Juifs bien nés passèrent ainsi aux Romains avec les grands-prêtres. César les reçut avec bienveillance, mais, sachant qu'ils mèneraient une existence peu agréable parmi des étrangers de mœurs différentes, il les envoya à Gophna, et les engagea à y rester en attendant qu'il restituât à chacun ses biens quand il en aurait le loisir, après la guerre. Ils se rendirent donc volontiers et en pleine sécurité dans cette bourgade qui leur était assignée. Comme ils ne reparaissaient plus, les factieux répandirent de nouveau le bruit que les transfuges étaient égorgés par les Romains : c'était pour effrayer les autres et les détourner de fuir. Cet artifice réussit pour un temps aux séditieux comme auparavant ; la crainte arrêta la désertion.

 

Un peu plus tard, quand Titus rappela ces Juifs de Gophna et leur prescrivit de faire avec Josèphe le tour des murailles et de se montrer au peuple, un très grand nombre d'habitants s'enfuirent auprès des Romains. Réunis en un groupe devant les lignes romaines, ils suppliaient les factieux, avec des gémissements et des larmes, d'abord de recevoir les Romains dans toute la ville et de sauver ainsi la patrie ; sinon, d'évacuer du moins complètement le Temple afin de le conserver intact pour eux-mêmes, car les Romains n’oseraient pas, à moins d'une extrême nécessité, incendier les lieux saints. Mais les révoltés n'en furent que plus exaltés contre ces gens ; ils proférèrent un torrent d'injures contre les transfuges et établirent au-dessus des portes sacrées leurs oxybèles, leurs catapultes et leurs onagres, en sorte que tout le pourtour du Temple, sous l'amoncellement des cadavres, ressemblait à un cimetière et le Temple même à une citadelle. Ils s'élançaient tout armés dans l’enceinte sacrée et inaccessible aux profanes, les mains encore chaudes du meurtre de leurs compatriotes ; ils poussèrent à un tel point la scélératesse que l'indignation qui eût dû être justement ressentie par les Juifs, si les Romains avaient exercé contre eux de pareilles violences, était alors inspirée aux Romains par les Juifs, coupables de sacrilèges contre leur propre culte. Il n'y avait pas un soldat qui n'élevât ses regards vers le Temple avec un sentiment de crainte et de révérence, pas un qui ne suppliât les brigands de se repentir avant l'irréparable calamité.

 

Titus, profondément affligé, invectiva à son tour les compagnons de Jean : « N'est-ce pas vous, ô les plus scélérats des hommes, qui avez établi cette balustrade devant les saints lieux ? N'est-ce pas vous qui avez dressé là des stèles, portant des inscriptions gravées en lettres grecques et dans notre langue, qui défendent à tout homme de franchir cette barrière ? Ne vous avons-nous pas nous-même autorisés à punir de mort ceux qui la franchiraient, fussent-ils Romains ? Pourquoi donc, sacrilèges, est-ce dans cette enceinte que vous foulez aux pieds des cadavres ? Pourquoi souillez-vous le Temple du sang d’étrangers et de vos concitoyens ? J'atteste les dieux de mes père et le Dieu qui jadis a pu protéger cette contrée, car maintenant je ne pense pas qu'il en soit ainsi : je prends aussi à témoin mon armée et les Juifs qui se trouvent auprès de moi et vous-même, que ce n'est pas moi qui vous contrains à commettre de telles profanations. Si vous choisissez un autre champ de bataille, nul Romain n'envahira ni n'outragera les saints lieux, et je vous conserverai votre Temple même malgré vous.»

 

Tandis que Josèphe traduisait cette allocution d'après les paroles mêmes de César, les brigands et le tyran reçurent avec hauteur ces exhortations, qu'ils attribuaient non à la bienveillance, mais à la peur. Titus comprit donc que ces gens n'avaient ni pitié d'eux-mêmes ni souci d'épargner le Temple et revînt malgré lui à la politique d'action guerrière. Comme il lui était impossible, vu l'insuffisance du terrain, de conduire contre les rebelles toute son armée, il choisit dans chaque centurie les trente meilleurs soldats, en donna à chaque tribun mille, qu'il plaça sous le commandement de Céréalis : puis il ordonna l'attaque contre les corps de garde vers la neuvième heure de la nuit. Lui-même était en armes, tout prêt à marcher avec ses troupes, mais il fut retenu par ses amis qu'alarmait la grandeur du péril, et par les conseils de ses officiers : son action, disaient-ils, serait plus efficace s'il restait sur la tour Antonia pour diriger les opérations des soldats que s'il descendait et, prenant leur tête, partageait leurs dangers ; tous, sous les yeux de César, se montreraient de braves combattants. César se laissa persuader, il dit aux soldats qu'il restait à l'écart dans le seul dessein de juger leurs prouesses et de ne laisser sans récompense aucun brave, sans punition aucun homme dont la conduite serait différente ; il serait témoin oculaire, arbitre de toutes leurs actions, lui, le maître absolu de punir et de récompenser. Il les envoya donc exécuter leur entreprise à l'heure que nous avons indiquée : lui-même se dirigea vers le poste d'observation de la tour Antonia et attendit les événements.

 

Cependant le détachement ne trouva pas, comme il l'espérait, les gardes endormis : ceux-ci s'élancèrent en poussant des cris et la lutte commença aussitôt ; aux clameurs des soldats de garde, les autres accoururent de l'intérieur en rangs serrés. Les Romains reçurent de pied ferme les attaques des premiers ; ceux qui vinrent ensuite se heurtèrent contre leur propre troupe, et beaucoup prirent leurs camarades pour des ennemis. Car les cris que poussaient confusément les deux partis empêchaient de se reconnaître à la voix, comme la nuit ne permettait pas de se reconnaître à l'aspect. L'ardeur des uns, l'effroi des autres ajoutaient à l'aveuglement ; chacun frappait indistinctement celui qu'il trouvait devant soi. Les Romains, qui serraient leurs boucliers les uns contre les autres et s'élançaient par pelotons, étaient moins éprouvés par ce genre de méprise et tous se souvenaient de leur mot d'ordre. Mais les Juifs, toujours dispersés, attaquant et se retirant à l'aventure, prenaient souvent les uns pour les autres l'apparence d'ennemis ; trompés par l'obscurité, ils croyaient subir l'attaque d'un Romain quand un de leurs camarades reculait vers eux. Plus de Juifs furent ainsi blessés par les leurs que par les Romains.

 

Enfin le jour parut et la vue permit de reconnaître l'état du combat ; les deux adversaires, reprenant leur distance, lançaient leurs traits et se défendaient en bon ordre. De part et d'autre on ne reculait pas et l'on ne montrait aucune lassitude. Les Romains, sachant que César les voyait, rivalisaient entre eux, individuellement ou par sections ; chacun considérait ce jour comme le commencement de sa fortune, s'il se comportait avec bravoure. L'audace des Juifs était soutenue par la crainte qu'ils concevaient pour eux-mêmes et pour le Temple, et aussi par la surveillance du tyran qui encourageait les uns, fouettait les autres ou les excitait à l'action par ses menaces. Longtemps le combat fut indécis : en peu d'instants et soudainement, les chances tournaient, car tous manquaient de champ pour fuir et poursuivre. Aux péripéties de la lutte répondaient, du haut de la tour Antonia, des rumeurs diverses : à leurs camarades vainqueurs, les Romains criaient de s'enhardir ; s'ils reculaient, de tenir bon. C'était comme une guerre sur le théâtre, où aucune circonstance du combat n'échappait ni à Titus ni à son entourage. Enfin, les deux partis qui avaient commencé à combattre à la neuvième heure de la nuit, se séparèrent après la cinquième heure du jour suivant et quittèrent le lieu où ils avaient engagé la mêlée ; aucun n'avait fait effectivement plier l'adversaire, et la victoire restait indécise. Beaucoup de Romains se signalèrent dans cette action ; du côté des Juifs se distinguèrent, dans la troupe de Simon, Judas fils de Mareoth, Simon fils d'Osée ; parmi les Iduméens, Jacob et Simon, ce dernier, fils d'Acatelas, celui-là de Sosas ; avec Jean, Gephthaeos et Alexas ; parmi les zélateurs, Simon, fils d'Ari.

 

Entre temps, le reste de l'armée romaine détruisait en sept jours les fondations de la tour Antonia et frayait une large montée vers le Temple. Alors les légions, s'approchant de la première enceinte, commencèrent à élever des terrassements, l'un en face de l'angle nord-ouest du Temple intérieur, l'autre vers l'exèdre septentrional, entre  les  deux portes ; deux autres terrasses s'élevèrent encore, l'une vis-à-vis le portique occidental du Temple extérieur, l'autre vis-à-vis le portique du nord. Ces travaux coûtèrent aux Romains beaucoup de fatigue et de peine, car il fallait apporter le bois d'une distance de cent stades. Plus d'une fois ils eurent à souffrir d'embuscades, car la supériorité de leurs forces leur donnait trop d'assurance, tandis qu'ils trouvaient chez les Juifs une audace croissante, fruit du désespoir où ils étaient de se sauver. Quelques cavaliers, quand ils allaient couper du bois ou faire du fourrage, laissaient paître ; pendant qu'ils s’occupaient de cette tâche, leurs chevaux débridés ; les Juifs sortaient alors en masse et enlevaient les chevaux. Comme cet incident se produisait fréquemment, César attribua avec raison ces captures à la négligence de ses soldats plutôt qu'à l'intrépidité des Juifs, et résolut de les contraindre désormais, par une sévérité plus grande, à exercer une surveillance attentive sur leurs chevaux. Il ordonna donc de mener au supplice un de ces soldats qui avaient perdu leurs montures. La crainte d'un pareil châtiment sauva celles des autres cavaliers : ils ne laissèrent plus pâturer leurs chevaux, et, comme si la nature eût étroitement uni l'homme et l'animal, ils les conduisirent là où ils avaient affaire. Cependant les Romains continuaient à préparer l'attaque du Temple et à élever des terrasses à cet effet.

 

Le lendemain du jour où les terrassements furent achevés un grand nombre de factieux, n'ayant plus rien à piller et durement pressés par la faim, attaquèrent en corps, vers la onzième heure du jour, les postes romains de la montagne des Oliviers ; ils croyaient les surprendre et même les trouver prenant quelque repos, ce qui leur permettrait de se frayer facilement un passage. Mais les Romains prévoyaient l'attaque ; ils accoururent rapidement des postes voisins et les empêchèrent, malgré leurs efforts, de franchir et de forcer le retranchement. Le combat fut acharné, et les deux partis firent de nombreuses prouesses ; les Romains montraient leur expérience de la guerre jointe à la force, les Juifs un élan sans réserve et un courage incapable de se modérer. Les uns étaient stimulés par le sentiment de l'honneur, les autres par la nécessité. Les Romains voyaient une honte extrême à laisser passer les Juifs, déjà pris, pour ainsi dire dans des filets ; ceux-ci n'avaient qu'un espoir de salut : forcer le mur par la violence de leur attaque. Un des cavaliers légionnaires, nommé Pedanius, au moment où les Juifs battaient enfin en retraite et étaient repoussés dans le vallon, poussa vivement de côté son cheval et saisit au passage un des ennemis qui fuyait ; il enleva par sa cheville ce jeune homme robuste, revêtu d'une armure complète : la manière dont il s'inclina, du haut de son cheval au galop, montra la vigueur de sa main, du reste de son corps, et aussi sa parfaite expérience de cavalier. Après avoir ainsi fait prisonnier le jeune homme, il le porta à César comme un don précieux : mais Titus, après avoir admiré la force de celui qui avait opéré cette capture, fit exécuter le prisonnier pour sa tentative contre le mur. Lui-même donnait toute son attention aux préliminaires de l'attaque du Temple et pressait la construction des terrasses.

 

Cependant les Juifs, continuellement éprouvés par les combats et voyant la guerre avancer peu à peu vers la décision en montant vers le Temple, tranchèrent, comme dans un corps corrompu, les parties envahies par le mal, pour en prévenir les progrès ultérieurs. Ils incendièrent donc le portique du côté nord-ouest, là où il se rattachait à la tour Antonia, puis en abattirent environ vingt coudées, commençant ainsi de leurs propres mains l'incendie des saints lieux. Deux jours après, le 24 du mois indiqué plus haut, les Romains mirent le feu au portique voisin ; quand la flamme eut gagné une étendue de quinze coudées, les Juifs en abattirent aussi le toit, et, sans interrompre un seul instant cette oeuvre de destruction, coupèrent ainsi leurs communications avec la forteresse Antonia. Donc, alors qu'ils eussent pu s'opposer aux incendies, ils ne firent rien devant l'envahissement de la flamme et se contentèrent d'en mesurer les progrès et l'utilité qu'ils en pouvaient retirer. D'ailleurs, les combats ne cessaient point autour du Temple, et l'on voyait sans cesse aux prises de petits groupes qui s'entrechoquaient.

 

Il y avait alors un homme de petite taille, d'aspect méprisable, que ne recommandaient ni sa naissance ni d'autres qualités : il s'appelait Jonathas. S'avançant vers le tombeau du grand-prêtre Jean, il cria force injures aux Romains, et provoqua à un combat singulier le plus brave d'entre eux. Parmi les soldats opposés en cet endroit, la plupart dédaignèrent sa bravade : quelques-uns eurent vraisemblablement peur ; plusieurs estimèrent non sans justesse qu’il ne fallait pas engager le combat contre un homme qui cherchait la mort, car les désespérés sont la proie d’une ardeur excessive et ne respectent rien ; se mesurer contre ceux qui vous laissent une victoire de peu de prix ou vous infligent une délaite honteuse et dangereuse, est une marque non de bravoure, mais de témérité. Longtemps personne ne s’avança et le Juif ne cessa d'accuser les Romains de lâcheté, car il était naturellement fanfaron et plein de mépris pour ses adversaires. Enfin, un certain Pudens, cavalier d'une des ailes, irrité de ses paroles et de sa forfanterie, sans doute aussi imprudemment encouragé à son acte par la petite taille de l’ennemi, se lança en avant. Le combat tourna d’abord en sa faveur, mais la Fortune le trahit : il tomba ; Jonathas courut sur lui et l’égorgea. Puis, mettant le pied sur le cadavre, il brandit son épée souillée de sang de la main droite, son bouclier de la main gauche, et se mit à crier son triomphe à l’armée, insultant le mort, raillant les Romains qui le regardaient. Finalement, comme Jonathas ne cessait de danser et d'extravaguer, le centurion Priscus banda son arc et le perça d'une flèche : Juifs et Romains poussèrent des cris discordants.

 

Jonathas, étourdi par la souffrance, tomba sur le corps de son adversaire, montrant qu’à la guerre une prompte Némésis poursuit ceux qui se glorifient d'un succès immérité.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre VI, II Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

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5 octobre 2012 5 05 /10 /octobre /2012 11:30

Ainsi les maux de Jérusalem empiraient de jour en jour, car les échecs redoublaient l'ardeur des factieux et la faim commençait à les consumer eux-mêmes, comme le peuple et après lui. Le nombre des cadavres amoncelés dans la ville était effroyable ; ils répandaient des exhalaisons pestilentielles, qui faisaient obstacle aux sorties des combattants : car ceux-ci devaient, comme s'ils s'avançaient sur un champ de bataille couvert de carnage, fouler aux pieds des corps. Pourtant, ceux qui marchaient sur les cadavres n'éprouvaient ni terreur ni pitié ; ils ne considéraient pas comme un présage sinistre pour eux-mêmes cet outrage fait aux morts ; ils couraient, les mains souillées du meurtre de leurs concitoyens, lutter contre les étrangers, reprochant à Dieu, à ce qu'il semble, la lenteur du châtiment qu'ils méritaient ; car ce n'était plus l'espérance de la victoire, mais le désespoir de leur salut qui les excitait à lutter encore.

 

Quant aux Romains, malgré les nombreuses difficultés qui s'opposaient au transport du bois de construction, ils achevèrent leurs terrassements en vingt et un jours, après avoir rasé, comme nous l'avons dit, la région entière qui entourait la ville jusqu'à une distance de quatre-vingt-dix stades. Le spectacle de cette terre inspirait la pitié ; les endroits jadis ornés d'arbres et de jardins étaient dévastés sur toute leur étendue et déboisés ; aucun étranger ayant vu autrefois la Judée et les superbes environs de la ville ne pouvait contempler cette dévastation récente sans gémir, sans pleurer sur ce complet changement. La guerre avait détruit toutes les traces de la beauté passée ; celui qui eût été soudain mis en présence de cette contrée, après l'avoir vue autrefois, ne l'aurait pas reconnue ; tout proche de la ville, il l'eût cherchée.

 

L'achèvement des terrasses inspira d'abord aux Romains et aux Juifs des craintes égales, car ceux-ci s'attendaient à la ruine de la ville, au cas où ils ne les incendieraient pas encore une fois, et ceux-là désespéraient de prendre désormais Jérusalem, si ces nouveaux retranchements étaient détruits. En effet, le bois manquait ; le corps des soldats n'était plus en état de supporter leurs fatigues, ni leur âme leurs échecs successifs. Même la détresse de la ville causait plus de découragement aux Romains qu'aux citoyens qui l'habitaient. Les Romains ne trouvaient pas plus de mollesse chez des hommes qui combattaient au milieu de si grandes souffrances : ils savaient à tout moment leurs espérances se briser, voyant leurs terrassements céder aux ruses de l'ennemi, les efforts de leurs machines à la solidité des murs, leurs engagements corps à corps à l'audace de leurs adversaires dans la mêlée. Surtout, ils observaient que les Juifs gardaient leur fermeté d'âme au milieu des factions, de la disette, de la guerre et de si grandes calamités. Ils pensaient que l'ardeur de pareils hommes était invincible, que leur assurance dans le malheur était indomptable. Quels efforts ne soutiendraient-ils pas, s'ils étaient favorisés de la Fortune, eux à qui les misères mêmes ajoutaient des forces ? C'est pour cela que les Romains fortifiaient encore plus les postes de gardes, établis sur les terrassements.

 

Cependant Jean et ses compagnons, du côté de la forteresse Antonia, veillaient à l'avenir et prenaient leurs sûretés contre la destruction du mur. Ils attaquèrent les travaux avant que les béliers fussent mis en batterie. Pourtant ils ne vinrent pas à bout de leur entreprise, car, s'étant élancés avec des torches, ils durent battre en retraite, sans avoir pu approcher des terrassements, leurs espérances refroidies. D'abord, leur plan ne semblait pas bien concerté ; ils s'élançaient par petits groupes, successivement, avec une hésitation née de la crainte, en un mot, pas à la manière des Juifs. Il leur manquait à la fois les traits propres de la nation : à savoir l'audace, l'ardeur, l'élan, la cohésion, l'habitude de ne point reculer même en cas d'insuccès. Ils s'avancèrent donc, moins ardents que de coutume, et trouvèrent dans les rangs des Romains plus de force qu'à l'ordinaire. Leurs corps et leurs armures formaient devant les terrassements une barricade si solide qu'ils ne laissaient nulle part un intervalle pour y introduire les brandons ; ils s'étaient d'ailleurs tous fortifiés dans la résolution de mourir plutôt que de lâcher leur poste. En effet, outre que toutes leurs espérances seraient détruites, si leurs travaux étaient de nouveau incendiés, les soldats éprouvaient un cruel sentiment de honte à la pensée d'une victoire complète remportée par la ruse sur le courage, par le désespoir sur la force des armes, par une multitude sur des soldats aguerris, par des Juifs sur des Romains. En même temps, leurs machines de traits entraient en jeu, atteignant ceux des Juifs qui bondissaient en avant ; l'homme qui tombait devenait un obstacle pour le suivant, et le péril de poursuivre leur course faisait faiblir les autres. De ceux qui parvinrent en courant à l'intérieur de la ligne des projectiles, les uns étaient effrayés, avant d'en venir aux mains, par le bel ordre et les rangs serrés des ennemis, les autres étaient piqués par le fer des lances. Tous faisaient prompte retraite, s'accusant mutuellement de couardise, sans avoir obtenu de résultats. Cette tentative eut lieu le premier jour du mois de Panemos (20 juillet 70).

 

Quand les Juifs se furent ainsi retirés, les Romains firent avancer les hélépoles ; du haut de la tour Antonia, les Juifs lançaient sur eux des pierres, du feu, du fer et tous les projectiles que le besoin leur faisait employer. Car, malgré la grande confiance qu'ils avaient dans le rempart et leur mépris des machines, ils empêchaient par tous les moyens les Romains de les mettre en batterie. Ceux-ci, de leur côté, croyaient que l'effort des Juifs pour repousser les coups loin de la tour Antonia n'avait d'autre cause que la faiblesse du rempart ils avaient l'espoir d'en trouver les fondations à demi ruinées, et redoublaient d'ardeur. Cependant les battements du bélier ne cessaient pas malgré la grêle incessante de traits, les Romains ne reculaient devant aucun des dangers qui les menaçaient du sommet de la tour, mais assuraient l'action des hélépoles. Quand ils virent qu'ils avaient pourtant le dessous et que les pierres les écrasaient, un groupe d'autres soldats, élevant leurs boucliers au-dessus de leurs corps, creusèrent les fondations de la tour avec leurs mains et à l'aide de leviers ; ils descellèrent ainsi, au prix de grands efforts, quatre blocs de pierre. La nuit interrompit les hostilités : mais pendant la nuit le mur, battu par les béliers, s'écroula soudain à l'endroit où Jean avait pratiqué une mine, dans l'adroite tentative qu'il avait dirigée contre les premiers terrassements : la mine avait cédé.

 

Cet accident produisit dans les deux partis des sentiments singuliers, car les Juifs, chez qui le découragement eût été naturel, prirent confiance parce qu'Antonia restait debout, parce que la chute du mur n'avait pas été inattendue pour eux, parce qu'ils s'étaient prémunis contre cet événement ;  en revanche, la joie des Romains devant cet écroulement fut bientôt atténuée, à la vue d'un second mur que les compagnons de Jean avaient élevé à l'intérieur, derrière le premier. Il est vrai qu'une nouvelle attaque contre ce mur paraissait plus aisée que la précédente, car l'escalade serait facilitée par les décombres, et l'on croyait ce mur moins solide que celui de la forteresse. Construction provisoire, il devait bientôt céder ; cependant nul n'osait y monter, car la mort était inévitable pour ceux qui s'y risqueraient les premiers.

 

Titus, pensant que l’espérance et les discours excitent le mieux l'ardeur des combattants, que les exhortations et les promesses font souvent oublier les dangers, parfois même font mépriser la mort, réunit les soldats les plus vaillants et fit ainsi l'épreuve de leur courage :

 

« Camarades, dit-il, exhorter à une action qui ne comporte pas de danger immédiat, est chose sans gloire pour ceux qu'on exhorte et peu honorable pour celui qui prend la parole. Seules les entreprises hasardeuses réclament une exhortation, car, pour les autres, il convient qu'on les accomplisse spontanément. Aussi vous avouerai-je d'abord que l'escalade du mur est difficile, mais qu'il appartient surtout à des hommes épris de vertu de combattre des difficultés ; qu'une mort glorieuse est belle, et que la noblesse de l'action ne doit pas rester sans récompense pour ceux qui s'y risquent les premiers ; voilà ce que je veux vous assurer.

 

« Ce qui doit être pour vous un stimulant, et ce qui peut-être en découragerait d'autres, c’est la patience éprouvée des Juifs et leur constance au milieu des revers ; car il serait honteux que des Romains, que mes soldats, qui, en paix, ont été instruits de l'art de la guerre et se sont fait, en guerre, une habitude de la victoire, fussent inférieurs aux Juifs pour la force des bras ou de l'âme, et cela quand la victoire s'achève, quand ils ont la Divinité avec eux. Car nos échecs sont dus seulement au désespoir des Juifs, et leurs malheurs s'accroissent par vos vertus et l'assistance divine. La sédition, la famine, le siège, ces murs qui tombent sans l'aide des machines, de quoi cela peut-il témoigner sinon de la colère divine contre les Juifs et de la protection que Dieu nous donne ? Ainsi, nous laisser vaincre par ceux qui ne nous valent pas, et surtout trahir l'alliance divine, voilà ce qui serait indigne de nous.

 

« Pour les Juifs, la défaite n'est pas une honte, car ils ont déjà connu la servitude ; et cependant, pour s'y soustraire, ils méprisent la mort, ils s'élancent contre nous, non qu'ils espèrent vaincre, mais pour faire montre de leur courage. Quelle disgrâce ce serait pour nous, maîtres de presque toute la terre et de la mer, pour vous à qui c'est déjà un opprobre de ne pas vaincre, si vous ne risquiez pas une seule attaque contre les ennemis, si vous restiez oisifs, avec des armes si puissantes, attendant l’œuvre de la famine et de la Fortune pour les abattre, alors qu'un coup d'audace, sans trop de péril, peut vous assurer un plein succès ! Si donc nous faisons l'escalade de la forteresse Antonia, la ville sera à nous ; car même à supposer, ce que je ne crois pas, qu'il faille encore livrer, à l'intérieur un combat contre les Juifs, l'occupation des hauteurs et le poids dont nous pèserons sur les poitrines ennemies nous promettent une complète et rapide victoire.


« Pour moi, je m'abstiens maintenant de célébrer la mort au champ d'honneur et l'immortalité de ceux qui succombent en proie à la fureur de la guerre ; je souhaite seulement à ceux qui pensent autrement de mourir de maladie pendant la paix, eux dont l'âme est condamnée à la tombe en même temps que le corps. Car quel homme brave ignore le sort des âmes que le fer sépare de la chair sur le champ de bataille ? L'éther, le plus pur des éléments, leur donne l'hospitalité, et une place parmi les astres ; elles se révèlent à leur postérité comme de bons génies et des héros bienveillants ; mais les âmes qui se sont consumées dans des corps malades et en même temps que ceux-ci, fussent-elles le plus exemptes possible de taches et de souillures, sont anéanties dans la nuit souterraine, plongées dans un profond oubli ; leur vie, leur corps et leur souvenir trouvent une fin commune. Si d'ailleurs la mort est inéluctable pour tous les hommes, le fer en est un ministre moins cruel que la maladie. Quelle lâcheté n'est-ce donc pas de refuser au bien public ce que nous devrons à la nécessité !


« Je viens de vous parler comme si les auteurs de cette tentative devaient inévitablement périr ; mais les hommes valeureux peuvent se tirer même des circonstances les plus critiques. Car, d'abord, la brèche se prête à l'escalade ; puis, toute la partie récemment construite est facile à détruire. Vous êtes plus nombreux ; agissez donc avec audace, vous prêtant les uns aux autres confiance et soutien, et bientôt votre fermeté brisera le courage des ennemis. Peut-être même obtiendrez-vous le succès sans répandre votre sang, dès les premières tentatives ; il est vraisemblable qu’en vous voyant monter, les Juifs s'efforceront de vous arrêter ; mais si vous échappez à leur surveillance et si vous vous frayez une fois un chemin, il se peut que leur résistance s'effondre, quand même vous n'auriez été que peu à l'éluder. Quant à celui qui montera le premier, j'aurais honte de ne pas faire de lui un homme enviable, chargé d'honneurs ; le survivant commandera désormais à ceux qui sont maintenant ses égaux, et ceux qui tomberont seront suivis dans la tombe du prix réservé à la valeur.»

 

Telles étaient les paroles de Titus. Tandis que la multitude hésitait devant la grandeur du péril, un certain Sabinus, soldat des cohortes, Syrien de naissance, montra l'excellence de son courage et de son bras. A le voir, à le juger d'après l'apparence, on ne l'eût pas même pris pour un soldat moyen. Il était noir de peau, maigre, émacié ; mais une âme héroïque habitait ce petit corps, d'une gracilité disproportionnée à sa vigueur. Il se leva donc le premier : "C'est avec empressement, César, dit-il, que je me donne à toi. Je serai le premier à gravir la muraille. Et je prie que ta fortune accompagne ma force et ma volonté ; si une Némésis me refuse le succès, sache que je n'en serai pas surpris, mais que j'ai choisi délibérément de mourir à ton service". Ayant ainsi parlé, il étendit de sa main gauche son bouclier au-dessus de sa tête, tira son glaive de la droite et marcha vers le mur, exactement à la sixième heure du jour, suivi de onze autres, les seuls qui voulussent rivaliser avec son courage. Il les guidait tous, comme animé d'une ardeur surhumaine. Cependant les gardes du mur lançaient contre eux des javelots, les accablaient de toutes parts d'innombrables traits, faisaient rouler d'énormes blocs de pierre qui entraînèrent quelques-uns des onze ; mais Sabinus, faisant face aux projectiles, et couvert de traits, n'arrêta pas son élan avant d'avoir atteint le sommet du mur et mis en fuite les ennemis. Les Juifs, frappés d'effroi devant sa vigueur et son intrépidité, croyant aussi que plusieurs autres étaient montés avec lui, prirent la fuite. C'est ici que l'on pourra blâmer la Fortune comme envieuse des vertus et toujours prête à arrêter le succès des entreprises extraordinaires. Au moment même où cet homme avait réalisé son dessein, il glissa, heurta une grosse pierre et, avec un grand fracas, tomba la tête en avant sur elle alors les Juifs se retournèrent, et le voyant seul, étendu sur le sol, ils le frappèrent de toutes parts. Il s'était redressé sur un genou, et, s'abritant sous son bouclier, se défendit d'abord et blessa beaucoup de ses adversaires qui l'approchaient  mais bientôt, accablé lui-même de blessures, il laissa tomber son bras et enfin, avant de rendre l'âme, fut enseveli sous une nuée de traits. La bravoure de ce soldat le rendait assurément digne d'un meilleur sort ; mais sa fin fut bien en rapport avec l'audace héroïque de son entreprise. Quant à ses compagnons, trois, qui approchaient déjà du sommet, furent écrasés et tués à coup de pierres ; huit furent rejetés en bas et blessés ; on les rapporta au camp. Ces événements se passèrent le 3 du mois du Panemos (22 juillet 70).

 

Deux jours après, vingt gardes, en sentinelle sur les terrassements, se réunirent, s'adjoignirent le porte-enseigne de la cinquième légion, deux cavaliers des cohortes et un trompette. A la neuvième heure de la nuit, ils s'avancent doucement à travers les ruines de la brèche vers la tour Antonia, massacrent les premiers gardes qu'ils trouvent endormis, occupent la muraille et ordonnent au trompette de sonner. A ce bruit, les autres gardes s'éveillent soudain et s'enfuient, avant que nul d'entre eux eût pu distinguer le nombre des assaillants : car leur effroi et le son de la trompette leur firent supposer qu'une multitude d'ennemis avait escaladé le mur.

 

César, entendant le signal, fait prendre rapidement les armes à ses troupes, et monte le premier avec ses officiers, entouré de ses soldats d'élite. Les Juifs s'étaient enfuis dans le Temple ; les Romains tentaient aussi d'y pénétrer par la mine que Jean avait fait creuser contre les premiers terrassements. Les factieux des deux troupes de Jean et de Simon, séparés en deux corps, s'efforcèrent de repousser les Romains, avec une force et une ardeur qui ne laissaient rien à désirer : car ils estimaient que l'entrée des Romains dans le sanctuaire marquerait la prise complète de la ville, tandis que les Romains y voyaient le prélude de la victoire. Un violent combat se déchaîna donc autour des portes, les uns s'efforçant de conquérir le sanctuaire même, les autres les refoulant du côté de la tour Antonia. Ni les uns ni les autres ne pouvaient se servir de traits ou de javelots ; tirant leurs épées, Romains et Juifs luttaient corps à corps. La mêlée fut telle qu'on ne pouvait absolument discerner dans quel parti chacun combattait : les hommes se heurtaient confusément, intervertissaient  leurs rangs dans un étroit espace et la clameur immense qui s'élevait était indistincte par sa violence même. Des deux parts, le massacre fut grand : les corps de ceux qui tombaient et leurs armures étaient foulés, écrasés aux pieds des combattants.

 

Continuellement, de quelque côté que le flot de la guerre se tournât, on entendait les cris de triomphe des vainqueurs, exhortant leurs camarades, et les gémissements des vaincus. On n'avait de place ni pour la fuite ni pour la poursuite : des flux et des reflux égaux passaient dans les lignes confuses de la mêlée. Ceux qui étaient en avant se trouvaient dans la nécessité de tuer ou d'être tués : il n'y avait pas moyen d'échapper, car les autres des deux partis, par derrière, poussaient devant eux leurs compagnons, ne leur laissant pas même l'espace nécessaire pour frapper. Cependant la fureur des Juifs l'emporta sur l'expérience des Romains, dont les lignes commençaient déjà à fléchir sur tous les points. Le combat avait duré depuis la neuvième heure de la nuit jusqu'à la septième du jour. Les Juifs, en masses épaisses, puisaient dans le péril de la ville un surcroît de courage ; les Romains ne disposaient que d'une partie de leurs forces, parce que les légions, espérance des combattants romains, n'avaient pas encore franchi l'enceinte. Il parut prudent, à ce moment, de s'en tenir à l'occupation d'Antonia.

 

Un certain Julien, centurion bithynien, homme assez distingué de naissance, le plus remarquable de tous ceux que j’aie connus, au cours de cette guerre, pour son expérience des armes, sa vigueur et son ferme courage, s’aperçut que les Romains commençaient à reculer et à se défendre mollement ; il se tenait alors près de Titus sur l'Antonia. Il s'élance et à lui seul repousse les Juifs déjà vainqueurs jusqu'à l'angle du Temple intérieur. La multitude fuyait en rangs pressés, croyant que tant de force et d'audace étaient surhumaines. Et lui, bondissant ça et là au milieu des ennemis qu'il dispersait, égorgeait ceux qu'il pouvait atteindre ; aucun spectacle ne parut plus étonnant à César, plus terrible aux autres. Mais Julien, lui aussi, fut poursuivi par la fatalité, à laquelle nul mortel n'échappe. Portant, comme tous les autres soldats, des sandales munies de nombreux clous pointus, il glissa en courant sur la mosaïque et tomba à la renverse en faisant résonner bruyamment ses armes. Les fuyards se retournèrent : les Romains de la tour Antonia, effrayés pour le centurion, poussèrent un cri d'angoisse, tandis que les Juifs, l'entourant en nombre, le frappaient de toutes parts à coups de piques et d'épées. Julien reçut souvent sur son bouclier les atteintes du fer ennemi : à plusieurs reprises, il essaya de se relever, mais fut rejeté par la foule des assaillants. Etendu comme il était, il n'en blessa pas moins un grand nombre de la pointe de son épée ; car il ne fut pas tué promptement, étant protégé par son casque et sa cuirasse qui abritaient les parties les plus vulnérables et rentrant le cou dans l'armure. Enfin, quand tous les membres furent hachés, comme personne n’osait lui porter secours, il s'effondra. César éprouva une cruelle douleur en voyant mourir un homme si distingué, sous les yeux d'un si grand nombre de soldats. La disposition des lieux empêchait l'empereur de venir à son aide, malgré son désir ; ceux qui le pouvaient furent retenus par la crainte. C'est ainsi que Julien, subissant une mort très lente, fut égorgé à grand'peine ; il laissait d'ailleurs peu d'adversaires qui ne fussent blessés. Il laissait aussi un souvenir très honorable, non seulement aux Romains et à César, mais à leurs ennemis.

 

Les Juifs enlevèrent son corps, repoussèrent de nouveau les Romains et les enfermèrent dans l'Antonia. Du côté des Juifs, ceux qui se distinguèrent surtout dans ce combat furent Alexas et Gypthéos, qui appartenaient à l'armée de Jean ; parmi les compagnons de Simon, Malachie, Judas, fils de Merton, Jacob fils de Josas, chef des Iduméens ; parmi les zélateurs, deux frères, fils d'An, Simon et Judas.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre VI, I Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

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4 octobre 2012 4 04 /10 /octobre /2012 11:30

Ce qui est sûr, c'est que Simon ne fit pas mourir Matthias, auquel il avait dû la possession de la ville, sans lui infliger des tourments. Ce Matthias était fils de Boethos, d'une famille de grands-prêtres : il était de ceux en qui le peuple avait le plus de confiance et qu'il estimait le plus. Lorsque la multitude fut maltraitée par les zélateurs auxquels Jean s'était déjà joint. Matthias avait persuadé au peuple d'introduire dans la ville Simon pour la protéger ; il n'exigea de celui-ci aucune convention, ne s'attendant à rien de mal de sa part. Mais quand Simon fut entré et devenu le maître de la ville, il vit en Matthias un ennemi comme les autres et attribua le conseil qu'il avait donné en sa faveur à la simplicité de son esprit. Il le fit alors arrêter, accuser de sympathie pour les Romains, condamner à mort, avec trois de ses fils, sans lui laisser le droit de se défendre. Le quatrième fils, qui devança les poursuites, s'enfuit auprès de Titus. Comme Matthias suppliait qu'on le fit mourir avant ses enfants et sollicitait cette faveur pour prix de ce qu'il lui avait ouvert les portes de la ville, Simon ordonna de le tuer le dernier. Matthias  fut donc égorgé après avoir vu massacrer ses fils ; on l'avait conduit en vue des Romains, suivant les instructions que Simon donna à Ananos, fils de Bagadata, le plus féroce de ses gardes ; il disait en plaisantant que peut-être Matthias recevrait ainsi des secours de ceux auprès desquels il avait le dessein de se rendre. Il défendit en outre d'ensevelir les cadavres. Après ces citoyens, on mit à mort le grand-prêtre Ananias, fils de Masbal, un des notables, Aristée, scribe du Conseil (Sanhédrin), natif d'Emmaüs, et en même temps quinze autres citoyens de distinction. On enferma et l'on garda en observation le père de Josèphe. Une proclamation défendit toute conversation, tout rassemblement, par peur de trahison ; ceux qui se lamentaient ensemble étaient mis à mort sans procès.

 

A la vue de ces exécutions, un certain Judas, fils de Judas, qui était un des lieutenants de Simon et avait été chargé par lui de garder une tour, cédant peut-être à un sentiment de pitié pour ces hommes si cruellement massacrés, mais pensant surtout à sa propre sûreté, réunit les plus fidèles de ses subordonnés, au nombre de dix : "Jusqu'à quand, dit-il, lutterons-nous contre ces maux ? Quelle espérance de salut nous reste, si nous sommes fidèles à un scélérat ? N'avons-nous pas déjà contre nous la faim ? Les Romains ne sont-ils pas, ou peu s'en faut, dans nos murs ? Simon est déjà infidèle même à ses bienfaiteurs : n'avons-nous pas à craindre d'être maltraités par lui, alors que la foi des Romains est chose sûre ? Eh bien, en livrant le rempart, nous nous sauverons, nous et la ville. Simon ne souffrira pas trop durement si, désespérant de lui-même, il porte un peu plus tôt la peine qui lui est due". Ces dix hommes furent gagnés par le discours de Judas, qui, à l'aurore, envoya le reste de ses compagnons de divers côtés, pour ne rien laisser découvrir de ses desseins ; lui-même, à la troisième heure, du haut de sa tour, appela les Romains. Quelques-uns de ceux-ci répondaient par le dédain, d'autres par la méfiance, et presque tous restaient inactifs, persuadés qu'ils allaient, dans peu de temps, prendre sans danger la ville. Sur ces entrefaites, comme Titus s'avançait vers la muraille avec de l'infanterie, Simon, prévenu à temps, le devance, se saisît rapidement de la tour, arrête et tue les hommes, sous les yeux des Romains et, après les avoir mutilés, jette les cadavres au pied de la muraille.

 

Cependant Josèphe, qui faisait le tour de la ville sans interrompre ses exhortations, fut frappé d'une pierre à la tête ; étourdi, il tomba sans connaissance. Aussitôt les Juifs s'élancent vers son corps, et il eût été promptement traîné dans la ville, si César n'avait vite envoyé des soldats à son secours. Pendant le combat on enleva Josèphe, à peine conscient de ce qui se passait, et les factieux, croyant avoir tué celui qu'ils souhaitaient le plus de mettre à mort, poussèrent des cris de joie. La nouvelle se répandit dans la ville, et la partie encore épargnée de la multitude fut saisie de découragement, car elle croyait véritablement mort l'homme grâce à qui elle espérait pouvoir passer au parti romain. La mère de Josèphe apprit dans la prison la mort de son fils et dit à ses gardes : "Depuis Iotapata, j'en était certaine ; il ne m'a pas donné de joie de son vivant". Mais, gémissant en secret, elle disait à ses servantes qu'elle avait recueilli ce triste fruit de sa fécondité, de ne pas pouvoir ensevelir ce fils dont elle avait espéré recevoir ce dernier office. Cette fausse nouvelle ne tourmenta pas longtemps la mère et ne réjouit pas longtemps les brigands, car Josèphe revint bientôt de ce coup. S'avançant pour crier aux factieux qu'ils ne tarderaient pas à être punis de l'avoir blessé, il encouragea de nouveau le peuple à mettre sa confiance en lui. A sa vue, la multitude sentit du réconfort, tandis que les factieux étaient décontenancés.

 

Cependant, parmi les transfuges, les uns, que pressait la nécessité, s'élançaient bien vite du haut de la muraille ; les autres, feignant d'aller combattre, tenant des pierres dans les mains, fuyaient aussitôt vers les Romains. Mais un sort, plus terrible que les souffrances endurées dans leurs murs, les attendait au camp ; car l'abondance qu'ils trouvaient chez les Romains causait leur mort plus efficacement que la famine chez eux. Ils arrivaient, par suite de l'inanition, le corps enflé, semblables à des hydropiques ; ensuite, comme ils surchargeaient d'une nourriture, gloutonnement absorbée, leur estomac vide, ils en crevaient, à l'exception de ceux à qui l'expérience avait appris à régler leur appétit, et qui introduisaient peu à peu les aliments dans un corps déshabitué de ses fonctions. Une autre infortune attendait ceux qui étaient ainsi sauvés : un de ces transfuges, réfugié chez les Syriens, fut surpris tandis qu'il recueillait des pièces d'or parmi ses déjections. Ces hommes, en effet, avalaient des pièces d'or dans leur boisson, comme nous l'avons dit, parce que les factieux perquisitionnaient partout et que la ville contenait tant d'or que l'on achetait au prix de douze drachmes attiques les statères qui en valaient auparavant vingt-cinq. Aussi, quand cet expédient eut été découvert chez un seul de ces fugitifs, le bruit se répandit dans les camps que tous étaient pleins d'or ; sur quoi la foule des Arabes et des Syriens se mirent à ouvrir, pour le fouiller, le ventre des suppliants. Je ne crois pas que les Juifs aient subi de malheurs plus cruels : en une seule nuit, plus de deux mille furent ainsi éventrés.

 

Quand Titus apprit cette horrible chose, peu s'en fallut qu'il ne fit cerner par la cavalerie et tuer à coups de javelots les coupables : mais il fut retenu par le grand nombre de ceux qu'il devait punir, et qui surpassait de beaucoup le nombre des morts. Il appela donc les chefs des troupes alliées et ceux des légions, car on accusait même du crime quelques légionnaires : il déclara qu'il était irrité contre les uns et les autres, voyant quelques-uns de ceux qui servaient sous lui commettre de pareils forfaits pour un profit incertain, sans respecter leurs propres armes, ornées d'argent et d'or. Il est indigné que les Arabes et les Syriens donnent ainsi libre cours à leurs basses convoitises dans une guerre étrangère, indigné aussi qu'ils fassent imputer aux Romains la cruauté dans le meurtre et la haine des Juifs ; car maintenant quelques-uns de ses soldats partagent avec lui-même cette triste réputation. Il les menaça donc de mort, s'il s'en trouvait encore pour oser un tel crime, et il ordonna aux officiers des légions de faire une enquête pour lui envoyer ceux qui seraient soupçonnés. Mais la cupidité, semble-t-il, ne s'effraye d'aucun châtiment, le terrible appétit du gain est inné à l'homme ; aucune passion n'égale en audace la soif d'acquérir. A la vérité, cette passion a par ailleurs des degrés et reste soumise à la crainte ; mais cette fois Dieu avait condamné tout le peuple et faisait tourner à la destruction des Juifs tout moyen de salut. Aussi le forfait que César avait défendu avec menaces était perpétré secrètement contre les transfuges ; avant même qu'ils eussent été vus de tous, les fugitifs étaient égorgés par les barbares qui couraient à leur rencontre : ceux-ci, prenant garde d'être aperçus de quelque Romain, leur fendaient le ventre et tiraient de leurs entrailles cet abominable gain. Ils ne le trouvaient que chez un petit nombre, et l'espérance seule faisait sacrifier la plupart en pure perte. Cette calamité ramena dans la ville beaucoup de transfuges.

 

Dès que les dépouilles du peuple manquèrent à Jean, il recourut au pillage sacrilège des objets sacrés, fit fondre un grand nombre d'offrandes du Temple et d'ustensiles nécessaires au culte, vases, plats, tables ; il n'épargna pas même les cratères envoyés par Auguste et son épouse. Car les souverains de Rome avaient les uns après les autres honoré et orné le Temple mais, à ce moment, c'était un Juif qui détruisait les offrandes des étrangers. Jean disait aussi à ses compagnons qu'on pouvait sans scrupule tirer parti des choses divines dans l'intérêt de Dieu, et que ceux qui défendaient le Temple pouvaient s'en nourrir. C'est ainsi qu'il épuisa le vin sacré et l'huile que les prêtres gardaient en réserve, dans le Temple intérieur, pour les holocaustes ; il les distribuait à la multitude qui le suivait, et ceux-ci se frottaient d'huile et buvaient le vin sans la moindre peur. Je veux dire tout de suite ce que la douleur m'inspire : je crois que, si les Romains avaient tardé à punir ces misérables, la ville eût été engloutie dans un abîme ou détruite par une inondation, ou qu'elle eût attiré sur elle la foudre de Sodome ; car elle a produit une race beaucoup plus impie que celle qui a subi ces châtiments, des hommes dont la fureur a entraîné avec elle la ruine de tout un peuple.

 

Mais à quoi bon raconter en détail ces malheurs ? En ces jours-là, Mannée, fils de Lazare, s'enfuit auprès de Titus et lui dit qu'on avait fait passer par une seule porte, dont la garde lui était confiée, 115.880 cadavres, et cela, depuis le jour où Titus avait établi son camp devant Jérusalem, c'est-à-dire depuis le quatorzième jour du mois de Xanthicos jusqu'au premier du mois de Panemos (20 juillet 70). Tous les morts appartenaient à la classe des gens sans ressources ; lui-même n'était pas affecté à cette surveillance, mais comme il distribuait, au nom de l'État, des secours d'argent, il devait nécessairement faire le compte des disparus. Les autres morts étaient ensevelis par leurs parents : la cérémonie consistait à transporter les cadavres hors de la ville et à les abandonner.

 

Après Mannée arrivèrent beaucoup de transfuges : c'étaient des personnages de condition, d'après lesquels la totalité des cadavres de pauvres, jetés hors des portes, s'élevait à 600.000 ; le nombre des autres ne pouvait être déterminé. Ils ajoutèrent que, comme on n'avait plus la force d'enlever les cadavres des pauvres, on les entassait dans les maisons les plus vastes, qui étaient ensuite fermées. On vendait, dirent-ils encore, la mesure de blé un talent ; quand il ne fut plus possible de cueillir de l'herbe, la ville étant entourée d'une enceinte fortifiée, plusieurs, pressés par le besoin, en vinrent à fouiller les ruisseaux et les excréments déjà anciens des bœufs, pour s'alimenter de ces déchets ; ce que leurs yeux n'eussent pu supporter autrefois devenait leur nourriture.

 

Les Romains, en apprenant ces horreurs, furent saisis de pitié, mais les factieux, qui les avaient sous les yeux, n'éprouvaient aucun regret ; ils acceptaient même pour eux de pareilles calamités, aveuglés par le Destin qui déjà s'appesantissait sur eux et sur la ville.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre V, XIII Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 11:30

Titus tint alors conseil avec ses officiers. Les plus ardents étaient d'avis de faire avancer toutes les troupes et de tenter contre le rempart un assaut de vive force ; jusque-là on n'avait combattu les Juifs que par des actions successives, mais ils ne supporteraient pas l'attaque d'une masse serrée marchant contre eux, et seraient accablés par les projectiles. Les plus prudents conseillaient, les uns de reconstruire les terrassements, les autres de recourir au blocus, même sans le secours de ces fortifications, en se bornant à observer les sorties de la garnison et les convois de vivres : il valait mieux abandonner la ville à la famine et éviter même tout engagement avec les ennemis ; car il est difficile de lutter contre le désespoir de gens qui souhaitent de tomber sous le fer, se voyant réservés, faute de cela, à des souffrances plus atroces.

 

Quant à Titus, il lui paraissait peu honorable de rester complètement inactif avec une si grande armée ; d'autre part, il jugeait superflu de combattre des adversaires qui allaient se détruire les uns les autres. Il insistait aussi sur la difficulté de construire des terrassements, quand on manquait de bois, et la difficulté plus grande encore de se garder des sorties ; car il n'était pas commode de disposer l'armée en cercle autour de la ville, tant à cause de son étendue que des accidents du terrain et cette disposition était d'ailleurs peu propice à repousser les attaques : car si les chemins connus étaient gardés, les Juifs pouvaient en trouver de dissimulés, que la nécessité et la connaissance des lieux leur enseigneraient ; si des  vivres étaient secrètement jetés dans la ville, le siège en subirait un plus grand retard. Il craignait encore que l'éclat de sa victoire ne fût amoindri par la longueur du siège ; le temps, en effet, vient à bout de toute entreprise, mais c'est la rapidité du succès qui fait la gloire. Il doit donc, s'il veut trouver la sécurité dans la promptitude, entourer d'un mur la ville entière, car c'est le seul moyen d'empêcher toutes les sorties ; les Juifs, désespérant complètement de leur salut, livreront la ville, ou bien, en proie à la famine, ils seront facilement réduits. Lui-même ne restera pas inactif : il donnera ses soins à la reconstruction des terrassements, sous les yeux d'un ennemi affaibli. S'il en est qui estiment ce travail énorme et d'une exécution difficile, ils doivent considérer qu'il ne convient pas aux Romains d'accomplir des oeuvres médiocres et qu'il n'est donné à personne d'obtenir sans effort quelque grand succès.

 

Ce discours persuada les généraux : Titus leur commanda alors de distribuer le travail entre les troupes. Une ardeur extraordinaire s'empara des soldats ; il n'y eut pas seulement rivalité entre les légions qui s'étaient réparti la construction de l'enceinte, mais entre les diverses sections qui  les composaient. Le soldat s'appliquait à satisfaire le décurion, le décurion son centurion, celui-ci son tribun ; la rivalité des tribuns s'étendait aux généraux, et César présidait à cette lutte de bonnes volontés, car, chaque jour, il allait en personne inspecter l'ouvrage. Ce mur, qui commençait au 'camp des Assyriens', où Titus lui-même campait, se dirigeait vers la partie basse de la ville neuve, et de là, franchissait le Cédron, vers le Mont des Oliviers ; ensuite, il s'infléchissait au sud, entourant la montagne jusqu'à la roche dite 'du Colombier', et à la colline qui s'élève après cette roche, dominant le vallon du Siloé ; puis, s'inclinant vers l'ouest, il descendait vers la vallée de la Fontaine. Ensuite il remontait par le tombeau du grand-prêtre Ananos, entourait la montagne où Pompée avait dressé son camp, tournait au nord, atteignait un bourg nommé 'la maison aux pois chiches', enveloppait le monument d'Hérode et se rattachait, vers l'orient, au camp même du prince, où était son point de départ. Le mur était long de trente-neuf stades ; treize fortins le flanquaient au dehors, et leur circuit total comptait dix stades. La construction fut complètement achevée en trois jours ; ainsi cet ouvrage, qui aurait pu coûter des mois de labeur, s'éleva avec une rapidité incroyable.

 

Titus, après avoir encerclé la ville dans cette muraille et réparti des troupes dans les forts, faisait chaque nuit la ronde et surveillait la première veille ; il confia la seconde à Alexandre ; les commandants des légions se partagèrent la troisième. Les gardes dormaient à tour de rôle, suivant que le sort les désignait, et parcouraient pendant toute la nuit les secteurs entre les forts.

 

Coupés ainsi du dehors, les Juifs perdaient en même temps toute espérance de salut, tandis que la famine, étendant ses ravages, dévorait dans le peuple maisons et familles. Les terrasses étaient encombrées de femmes et de petits enfants exténués, les ruelles de vieillards morts ; des garçons et des jeunes gens erraient comme des fantômes, le corps tuméfié. Sur les places, ils tombaient là où le fléau les accablait. Les malades n'avaient pas la force d'ensevelir les cadavres de leurs proches ; ceux qui étaient encore vigoureux différaient ce soin, effrayés par la multitude des cadavres et l'incertitude de leur propre sort ; beaucoup tombaient morts sur ceux qu'ils ensevelissaient ; beaucoup, avant que fût venu pour eux le moment fatal, succombaient dans ce labeur. Parmi tous ces malheurs, il n'y avait ni plaintes, ni gémissements, car la faim étouffait les émotions ; c'est avec des yeux secs et la bouche contractée que les victimes d'une mort lente observaient ceux qui, avant eux, arrivaient au repos. Un silence profond, une nuit où dominait la mort, régnaient sur la ville, et, chose plus affreuse encore, les brigands y exerçaient leurs sévices. Fouillant les maisons, devenues des tombeaux, ils dépouillaient les morts, arrachaient les vêtements qui recouvraient les cadavres ; ils sortaient avec des éclats de rire ; ils éprouvaient la pointe de leurs glaives sur les cadavres, et transperçaient quelques-uns de ces malheureux étendus à terre, mais encore vivants, pour essayer leur fer ; mais si quelqu'un les suppliait de leur prêter leur main et leur épée, ils l'abandonnaient dédaigneusement à la faim. Tous ces hommes rendaient le dernier souffle en fixant des regards obstinés vers le Temple et en les détournant des factieux qu'ils laissaient en vie. Ceux-ci firent d'abord ensevelir les morts aux frais du trésor public, ne pouvant supporter cette infection ; ensuite, comme ils ne suffisaient plus à cette tâche, ils les jetèrent du haut des remparts dans les ravins.

 

Quand Titus, faisant sa ronde, vit les ravins remplis de cadavres et aperçut l'épaisse sanie qui coulait de ces chairs corrompues, il gémit et, levant les mains, prit à témoin Dieu que ce n'était pas son œuvre. Telle était la situation de la ville.

 

Quant aux Romains, comme aucun des factieux, déjà envahis par la faim et le découragement, ne les attaquait plus, ils étaient de bonne humeur et recevaient en abondance de Syrie et des autres provinces voisines du blé et des vivres. Plusieurs s'approchaient des remparts et, étalant une quantité de comestibles aux yeux des assiégés, enflammaient par le spectacle de leur abondance la faim des ennemis. Mais comme ces souffrances ne faisaient pas impression sur les factieux, Titus, saisi de pitié pour les restes de la population et désireux d'arracher à la mort les survivants, recommença la construction de terrassements, bien qu'il fût difficile de se procurer du bois, car celui qui avoisinait la ville ayant été complètement coupé pour les travaux précédents, les soldats devaient en apporter d'autre d'une distance de quatre-vingt-dix stades. Ce fut seulement vers la tour Antonia qu'on éleva sur quatre points des terrassements beaucoup plus hauts que les premiers. César parcourait l'emplacement des légions, pressait le travail et montrait ainsi aux brigands qu'ils étaient entre ses mains.

 

Chez ceux-là seuls le repentir de leurs forfaits était mort ils tenaient leur âme séparée, pour ainsi dire, de leur corps, usant de l'un et de l'autre comme d'éléments étranger. Car la souffrance ne subjuguait pas leur âme, la douleur ne touchait pas leur corps ; comme des chiens, ils déchiraient le cadavre du peuple et remplissaient de malades les prisons.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre V, XII Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

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2 octobre 2012 2 02 /10 /octobre /2012 16:00

Titus  poussait  les  terrassements, bien que les soldats fussent très maltraités par les projectiles lancés du rempart. Il envoya lui-même une section de cavalerie, avec l'ordre de tendre une embuscade aux Juifs qui sortaient par les ravins pour rapporter des vivres. Quelques-uns de ceux-ci étaient des soldats, qui ne se contentaient plus de leurs rapines : mais le plus grand nombre étaient de pauvres gens, que la crainte pour leurs familles empêchaient de faire défection : car ils n’espéraient pas échapper aux factieux, s'ils fuyaient avec leurs femmes et leurs enfants, et ne pouvaient non plus supporter la pensée de les laisser massacrer à leur place par les brigands. La faim les encourageait à tenter des sorties : mais le sort qui les attendait, s'ils réussissaient à se dissimuler, était de tomber aux mains des ennemis. Surpris, la nécessité les poussait à se défendre ; mais, après avoir combattu, ils jugeaient inutile de prier pour leur vie. Fouettés et soumis, avant le supplice, aux traitements les plus cruels, ils étaient crucifiés par les Romains en face du rempart. Aux yeux de Titus, il est vrai, ces souffrances infligées, chaque jour, à cinq cents prisonniers et quelquefois plus encore, paraissaient dignes de pitié ; mais il trouvait peu sûr de renvoyer des gens qui avaient été pris par la force, et il estimait que la garde d'un si grand nombre d'hommes réduirait les surveillants à une véritable captivité. Il ne mit donc le plus souvent aucun empêchement au supplice de la croix, espérant peut-être que les Juifs, à ce spectacle, feraient leur soumission par crainte de subir un traitement pareil, s'ils ne capitulaient pas. Les soldats, qu'excitaient la fureur et la haine, crucifiaient les captifs, en manière de raillerie, de façons différentes, et la multitude des victimes était si grande que l'espace manquait aux croix, et les croix aux corps.

 

Mais les factieux, à la vue d'un pareil malheur, furent si éloignés de changer de sentiment qu'au contraire ils en tirèrent argument pour tromper la multitude. En effet, attirant sur le rempart les amis des transfuges et ceux des citoyens qui inclinaient vers la paix, ils leurs montrèrent les supplices que souffraient ceux qui cherchaient un refuge auprès des Romains : ils disaient que les Juifs dont ils s'étaient emparés étaient des suppliants, non des prisonniers de guerre. Ce spectacle retint beaucoup de ceux qui désiraient passer à l'ennemi, jusqu'au moment où la vérité fut connue ; il y en eut même qui s'enfuirent aussitôt comme vers un châtiment assuré, trouvant un soulagement dans cette mort reçue de la main des ennemis, préférable à celle où conduit la faim. Cependant Titus fit couper les mains à beaucoup de prisonniers, pour qu'ils ne parussent plus être des transfuges, et que la vue de leur malheur leur donnât créance ; puis il les envoya à Simon et à Jean, les engageant à cesser dès ce moment la lutte et à ne pas le contraindre à détruire la ville ; leur repentir tardif assurerait leur propre salut, celui d'une si grande patrie et d'un Temple qui n'était qu’à eux. Entre temps, il faisait le tour des terrassements et excitait l'ardeur des travailleurs, comme si les actes ne devaient pas tarder à suivre les paroles. A cette vue, les Juifs du rempart insultaient César et son père : ils lui criaient qu'ils méprisaient la mort, qu'ils la préféraient noblement à la servitude, qu'ils feraient, aussi longtemps qu'ils respireraient, le plus de mal possible aux Romains ; qu'ils ne se soucient pas de la perte de leur patrie, puisque, comme il dit, ils doivent bientôt périr et que l'univers est pour Dieu un meilleur temple que celui-ci. Ce sanctuaire, d'ailleurs, sera sauvé par Celui qui y réside ; ils l'ont pour allié et se raillent de toutes les menaces que les actes n'accompagnent pas, car l'issue des événements appartient à Dieu. Telles étaient les paroles qu'ils criaient en y mêlant des injures.

 

Sur ces entrefaites parut Antiochus Epiphane, conduisant une nombreuse infanterie, et autour de lui la troupe dite des Macédoniens : c'étaient des soldats tous du même âge, de haute taille, à peine sortis de l'adolescence, armés et exercés à la mode macédonienne ; c'est de là que la plupart tiraient leur nom, bien qu'ils n'appartinssent pas de naissance à cette nation. De tous les rois soumis aux Romains, celui de Commagène était assurément le plus prospère, avant d'avoir connu le retour de la Fortune. Lui aussi montra dans sa vieillesse qu'on ne doit appeler aucun homme heureux avant sa mort. C'est alors, durant sa prospérité, que son fils, qui assistait au siège, exprima son étonnement de voir les Romains hésiter à courir contre le rempart ; car il était lui-même d'un caractère guerrier, naturellement hardi et si vigoureux que ses coups d'audace étaient presque toujours couronnés de succès. A ses propos Titus sourit : "L'effort, dit-il, appartient à tous". Alors Antiochus s'élança, sans autre préparation, contre le mur, avec ses Macédoniens. Il évita, grâce à sa vigueur et à son adresse, les projectiles des Juifs, en leur répondant à coup de flèches, mais les jeunes gens qui l'accompagnaient furent, à la réserve d'un petit nombre, complètement accablés ; car ils rivalisaient d'ardeur au combat et se piquaient d'honneur, à cause de l'engagement qu'ils avaient pris. Enfin ils reculèrent ; un grand nombre étaient blessés, et ils comprirent à la réflexion que même les vrais Macédoniens, pour être vainqueurs, ont encore besoin de la fortune d'Alexandre.

 

Les Romains, qui avaient commencé les terrassements le douze du mois d'Artémision (30 mai 70), les achevèrent à grand peine le vingt-neuf (16 juin 70),  y ayant employé dix-sept jours d'un travail continu. Car ces quatre terrassements étaient très considérables ; l'un, dirigé contre la tour Antonia, fut élevé par la cinquième légion contre le milieu de la piscine dite du Moineau (Strouthios) ; un autre, à une distance de vingt coudées environ, par la douzième légion. La dixième, assez éloignée des deux autres, était occupée au nord, vers la piscine dite de l'Amandier (Amygdalos). A trente coudées de cette légion, la quinzième élevait sa terrasse près du tombeau du grand-prêtre. Comme on faisait déjà avancer les machines, Jean mina le sol depuis la forteresse Antonia jusqu'aux terrassements, garnit les souterrains d'étais qui laissaient les travaux romains en l'air, y fit porter du bois enduit de bitume et de poix, et enfin y mit le feu. Quand les étais furent consumés, la mine céda sur un grand nombre de points et les terrassements s'y effondrèrent avec un bruit effroyable. Tout d'abord une épaisse fumée, mêlée de poussière, s'éleva, car l'éboulement avait éteint l'incendie ; mais quand le bois qui l'étouffait fut consumé, la flamme jaillit avec un éclat nouveau. Cette catastrophe soudaine frappa de terreur les Romains ; le découragement s'empara d'eux, à la vue de cette invention, et l'accident survenu quand ils se croyaient déjà victorieux glaça leurs espérances, même pour un avenir lointain. Il leur parut d'ailleurs inutile de lutter contre le feu, car, fût-il éteint, les terrassements n'en étaient pas moins détruits.

 

Deux jours après, Simon et ses compagnons attaquent aussi les autres terrassements ; car les Romains ayant déjà avancé de ce côté les hélépoles, ébranlaient le rempart. Un certain Jephthaios, du bourg de Garis en Galilée, et Magassar, un des officiers royaux de Mariamme, et avec eux un Adiabénien, fils de Naboth, qui devait encore à une infirmité le surnom de Ceagiras, lequel signifie 'boiteux', saisirent des torches et s'élancèrent contre les machines. On ne vit pas dans cette guerre d'hommes plus audacieux et plus terribles que ceux-là sortir de la ville, car, comme s'ils couraient vers des amis, et non contre une troupe d'ennemis, ils n'hésitèrent ni n'obliquèrent, mais bondissant au milieu des ennemis, mirent le feu aux machines. Frappés de traits et de coups d'épée venant de tous côtés, ils ne cherchèrent pas un abri contre les périls avant que les machines ne fussent en feu. Quand les flammes s'élevaient, les Romains accouraient de leurs camps pour porter secours, mais du rempart les Juifs les repoussaient ; ils engageaient une lutte corps à corps contre ceux qui essayaient d'éteindre l'incendie, sans aucun souci de leur propre vie. Les Romains essayaient de tirer des flammes les hélépoles, dont les mantelets supérieurs flambaient ; les Juifs les retenaient au milieu des flammes, attachés au fer brûlant des béliers qu'ils ne lâchaient point. Le feu passa de ceux-ci aux terrassements et devança les efforts des troupes de secours. A ce moment, les Romains, entourés par l'incendie et désespérant de sauver leurs travaux, se retirèrent dans leurs camps ; les Juifs les pressèrent, et leur nombre s'accroissait sans cesse des renforts venus de la ville. Enhardis par leur victoire, ils se laissaient aller à une fureur désordonnée, et, s'avançant jusqu'aux retranchements des camps, engageaient déjà le combat contre les gardes. Il y a devant un camp romain un poste qui se relève sans cesse, et une loi romaine terrible condamne à mort tout soldat coupable d'avoir abandonné son poste, pour quel que cause que ce soit. Ces soldats, préférant à une punition capitale une mort valeureuse, tinrent tête ; beaucoup de fuyards, à la vue de l'extrémité où leurs compagnons étaient réduits, furent pris de honte et retournèrent au combat. Ils mirent les oxybèles en batterie le long du rempart, pour repousser la multitude qui sortait de la ville, sans aucun souci de sa sécurité ni de sa vie. Car les Juifs luttaient corps à corps contre ceux qu'ils rencontraient, et se précipitant sans précaution sur les javelots, ils frappaient les ennemis avec leurs corps mêmes. Ce qui faisait la supériorité des Juifs, c'était moins leurs actes que leur audace et si les Romains reculaient, c'était plutôt devant cette audace qu'en raison de leurs pertes.

 

Là-dessus Titus arriva ; il venait de la forteresse Antonia, où il s'était rendu pour reconnaître une position propre à d'autres terrassements. Il reprocha énergiquement aux soldats, alors qu'ils étaient déjà maîtres des remparts ennemis, d'être réduits à défendre les leurs : ils subissaient donc eux-mêmes le sort de troupes assiégées, comme s'ils avaient tiré d'une prison et précipité les Juifs contre eux ! Avec l'élite de ses troupes, il attaqua les ennemis sur leurs flancs. Ceux-ci reçurent les coups en face, et, se retournant contre lui continuèrent à combattre. Les rangs se mêlèrent  la poussière aveuglait les yeux ; la clameur assourdissait les oreilles, et ni les uns ni les autres ne pouvaient discerner entre amis et ennemis. Ce qui animait la résistance des Juifs, c'était moins désormais leur force que le désespoir où ils étaient de leur salut ; ce qui redoublait la vigueur des Romains, c'était le respect de leur gloire et de leurs armes, joint à la pensée du danger que courait César au premier rang. Je crois donc qu'ils auraient, dans l'excès de leur fureur, anéanti la multitude des Juifs, si ceux-ci n'avaient devancé l'action décisive en retraitant vers la ville.

 

En voyant les terrassements détruits, les Romains étaient découragés d'avoir perdu en une heure le fruit d'un si long travail ; beaucoup même désespéraient de prendre la ville avec les engins dont ils disposaient.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre V, XI Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

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28 septembre 2012 5 28 /09 /septembre /2012 11:30

Pendant que Josèphe criait ainsi en versant des larmes, les factieux ne fléchissaient pas, estimant qu'il était dangereux de changer d'avis : mais le peuple était poussé à la désertion. Les uns vendaient à très bas prix leurs biens ou ce qu'ils avaient de plus précieux ; les autres avalaient dans de la boisson les pièces d'or, pour les soustraire au pillage des brigands, puis ils fuyaient vers les Romains et alors, quand ils évacuaient, ils avaient les ressources suffisantes pour se procurer le nécessaire. Car Titus en dispersa le plus grand nombre sur les divers points du pays qu'ils choisissaient ; ce traitement même encourageait à la désertion ceux qui voulaient échapper aux misères intérieures sans devenir les esclaves des Romains. Mais les compagnons de Jean et de Simon surveillèrent plus étroitement leurs sorties que les attaques des Romains : toute personne qui éveillait la moindre ombre de soupçon était aussitôt égorgée.

 

D'ailleurs les riches qui restaient couraient les mêmes risques de mort : car, sous prétexte de désertion, leurs richesses les perdaient. Le désespoir des factieux croissait avec  la famine : de jour en jour, ces deux terribles fléaux s'exaspéraient. On ne voyait de blé nulle part : les factieux envahissaient les maisons pour y faire des perquisitions ; puis, s'ils trouvaient de la nourriture, ils maltraitaient les propriétaires en  prétextant leur refus de la livrer ; s'ils n'en trouvaient pas, ils mettaient ces gens à la torture, pour avoir caché leurs provisions avec trop de soin. Une preuve que ces malheureux possédaient ou non de la nourriture se tirait de l'état de leurs corps ; ceux qui semblaient encore solides passaient pour avoir assez à manger, mais on épargnait ceux qui étaient déjà épuisés, estimant absurde de tuer des gens qui allaient bientôt mourir de faim. Beaucoup échangeaient en secret leurs biens, pour une mesure soit de blé, s’ils étaient assez riches, soit d'orge, s'ils étaient pauvres. Ils s'enfermaient ensuite dans le réduit le plus caché de leurs maisons, où quelques-uns même, poussés par un extrême besoin, prenaient cette nourriture sans l'avoir préparée ; d'autres la cuisaient selon que la nécessité et la crainte le leur permettaient. Nulle part on ne dressait de table, mais on arrachait du feu et l'on déchirait les aliments encore crus.

 

La chère était d'ailleurs à faire pitié et c'était un spectacle bien digne de larmes de voir les plus forts mieux pourvus, les faibles gémissants. La famine triomphe de tous les sentiments et il n'y en a pas qu'elle supprime aussi facilement que le scrupule. Des femmes, des enfants, et, chose triste entre toutes, des mères arrachèrent les aliments de la bouche d'un époux, d'un père, d'un enfant et, quand les êtres les plus chers s'éteignaient dans leurs bras, les ravisseurs n'avaient pas honte de leur enlever jusqu'aux gouttes qui soutenaient leur vie. Mais ils ne purent dissimuler des repas de ce genre : partout les factieux surveillaient même leurs rapines. Chaque fois qu'ils voyaient une maison fermée, ils soupçonnaient que les habitants mangeaient quelque chose aussitôt ils enfonçaient les portes et se précipitaient, arrachant presque des gosiers les reliefs de nourriture. Ils frappaient les vieillards qui s'accrochaient à leurs aliments ; ils traînaient par les cheveux les femmes qui, dans leurs mains serrées, dissimulaient des morceaux. Nulle pitié de la vieillesse ni de l'âge le plus tendre ; ils élevaient dans leurs bras les enfants suspendus à leurs bouchées et les jetaient sur le sol. Ils étaient plus cruels encore contre ceux qui devançaient leur attaque et engloutissaient la nourriture qu'on voulait leur ravir : c'était comme une injustice qu'ils punissaient. Ils inventèrent de terribles méthodes de torture pour arriver à découvrir des aliments, introduisant des graines de vesce dans les parties secrètes des malheureux, leur perçant le fondement avec des baguettes aiguës. Ils imposaient des souffrances, dont le récit seul fait frémir, pour arracher l'aveu de l'endroit où l'on cachait un morceau de pain, une poignée de farine. Mais les bourreaux n'étaient nullement affamés, car leur conduite eût paru moins cruelle s'ils y avaient été poussés par la nécessité ; ils exerçaient leur fureur en amassant des provisions pour les jours à venir et pour leur usage. Quant à ceux qui, pendant la nuit, rampaient jusqu'aux postes des Romains pour cueillir des légumes sauvages et des herbes, les factieux allaient à leur rencontre et, lorsque ceux-ci croyaient déjà avoir échappé aux ennemis, ils leur arrachaient tout ce qu'ils rapportaient ; souvent, ils imploraient, ils invoquaient le redoutable nom de Dieu, suppliant qu'on leur abandonnât quelque parcelle de ce qu'ils avaient pris au péril de leur vie ; mais on ne leur accordait rien et c'était déjà beaucoup pour eux que de ne pas être tués, après avoir été spoliés.

 

Les gens d'humble condition étaient ainsi maltraités par les gardes ; mais les personnages élevés en dignité et en richesse furent conduits devant les tyrans et mis à mort, les uns sous des accusations mensongères, les autres comme coupables de vouloir livrer la ville aux Romains. Par un expédient très fréquent, il y avait un dénonciateur suborné pour déclarer qu'ils avaient formé le dessein de passer à l'ennemi. Quand un homme était dépouillé par Simon, on l'envoyait à Jean ; pillé par Jean, il passait ensuite aux mains de Simon ; ils buvaient tour à tour le sang de leurs concitoyens et se partageaient les cadavres de ces malheureux. Ces deux hommes se disputaient le pouvoir, mais étaient d'accord dans l'impiété. En effet, celui qui ne faisait pas participer son complice au profit de ces meurtres passait pour un coquin, et celui qui ne recevait rien, comme si on lui ravissait quelque chose, se plaignait du vol qui lésait sa cruauté.

 

Il est impossible de raconter en détail les forfaits de ces gens, mais, pour le dire brièvement, il n'y a pas de ville qui ait enduré tant de misères, ni de génération qui, dans la suite des temps, ait produit tant de scélératesse.

 

Ils finirent par affecter le mépris pour la race des Hébreux, afin de paraître moins impies contre des étrangers ; ils avouèrent être ce qu'ils étaient en effet, des esclaves, la lie de la populace, l'écume ignoble de la nation. Ce sont eux qui ont ruiné la cité, qui obligèrent les Romains à s'arroger malgré eux l'honneur d'une funeste victoire, et qui ont, pour ainsi dire, attiré sur le Temple l'incendie trop lent. Il est bien vrai que, apercevant de la ville haute l'édifice en flammes, ils n'ont pas montré de douleur, n'ont pas versé de larmes, et ce fut chez les Romains que l'on rencontra ces sentiments.

 

Mais nous parlerons de cela plus tard, à l'endroit convenable, en poursuivant le récit des événements.

 

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre V, X Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr

 

Arch of Titus, Menorah

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