Et ce ne sera pas ces parfais nettoyeurs
Qui viendront nous chercher parmi les détritus.
Et ce ne sera pas ces maîtres fossoyeurs
Qui nous réciteront notre dernier Agnus.
Et ce ne sera pas ces auteurs délicats
Qui viendront nous chercher dans nos derniers humus.
Et ce ne sera pas ces savants candidats
Qui nous réciteront notre dernier Deus.
Et ce ne sera pas ces robes d’avocats
Qui viendront nous chercher dans nos derniers humus.
Et ce ne sera pas ces parfaits renégats
Qui forceront pour nous les portes du blocus.
Ce n’est pas ces penseurs et ces hommes d’États
Qui viendront nous chercher dans notre insuffisance.
Et ce ne sera pas ces hardis potentats
Qui nous mettront jamais au chemin de plaisance.
Et ce ne sera pas ces courtauds de boutiques
Qui viendront nous chercher dans notre négligence.
Et ce ne sera pas ces marquis authentiques
Qui nous mettront jamais au chemin d’allégeance.
Et ce ne sera pas ces maîtres parfumeurs
Qui viendront nous trier d’entre nos immondices.
Et ce ne sera pas ces chercheurs de blandices
Qui viendront nous tirer de nos mauvaises mœurs.
Et ce ne sera pas ces maigres chiffonniers
Qui viendront nous trier les déchets de nos corps.
Et ce ne sera pas ces grêles nautonniers
Qui viendront nous tirer d’entre les pâles morts.
Et ce ne sera pas ces hommes d’importance
Qui viendront ramasser notre dernier débris.
Ce n’est pas leur jactance et leur intermittence
Qui viendra nous chercher dans notre vieux Paris.
Et ce ne sera pas ces gens de conséquence
Qui viendront ramasser notre corps et notre âme.
Et ce ne sera pas ces maîtres d’éloquence
Qui viendront nous chercher aux pieds de Notre Dame.
Charles PÉGUY, Ève
Cahiers de la Quinzaine, 1914