Par un pèlerin
Cette fois, je me suis seulement approché de la Cathédrale… De loin on voit l’Être se ramasser et se redresser dans son unité épanouie.
Ce chef-d’œuvre, qui brille sur la cité indifférente, emprunte à l’air dans lequel il vibre une nouveauté, une renaissance perpétuelle. Toutes les heures du jour l’habillent, le parent, le glorifient.
Quelle source intarissable de merveilles que le génie français ! J’y reconnais la douce obstination du génie paysan de notre race. Avec ce génie le climat collabore. L’âme française et le climat français travaillent selon les mêmes principes. Tous deux enveloppent le grand monument d’un léger voile : c’est cette puissante méthode qui ne permet pas aux détails de troubler en les compliquant les lignes essentielles, et c’est ce joli brouillard quotidien, qui s’élève le matin, qui revient le soir, qui persiste parfois tout le jour.
Des deux tours de Chartres, l’une est romane, l’autre est gothique. Dans le bas de la tour ornée, les contreforts n’ont qu’une saillie, tandis que ceux de la tour simple sont puissants et hardis.
L’ornement est d’argent, mais le nu est d’or.
… Mon œil perçoit des entre-croisements d’arbres de pierre, qui se réunissent par en haut, comme des nervures de forêts enchantées, comme des mains qui croisent leurs doigts pour protéger un tabernacle…
Chartres pourrait-elle périr ? Je ne veux pas le croire. Elle attend d’autres générations, dignes de la comprendre.
Elle attend, fièrement élancée de la certitude à la certitude, nous attestant que, dans certaines grandes heures, l’esprit humain se ranime, retourne à l’ordre serein, tranquille, et crée alors du Beau pour toujours.
Auguste RODIN, Les Cathédrales de France, Librairie Armand Colin, 1914, Paris
Chapitre XII, CHARTRES
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