Tous les gouvernements s’étaient mis d’accord contre lui.
Le gouvernement des Juifs et le gouvernement des Romains.
Le gouvernement des juges et le gouvernement des prêtres.
Le gouvernement des soldats et le gouvernement des curés.
Il n’en réchapperait sûrement pas.
Certainement pas.
Tout le monde était contre lui.
Tout le monde était pour sa mort.
Pour le mettre à mort.
Voulait sa mort.
Des fois on avait un gouvernement pour soi.
Et l’autre contre soi.
Alors on pouvait en réchapper.
Mais lui tous les gouvernements.
Tous les gouvernements d’abord.
Et le gouvernement et le peuple.
C’est ce qu’il y avait de plus fort.
C’était ça surtout qu’on avait contre soi.
Le gouvernement et le peuple.
Qui d’habitude ne sont jamais d’accord.
Et alors on en profite.
On peut en profiter.
Il est bien rare que le gouvernement et le peuple soient
d’accord.
Et alors celui qui est contre le gouvernement.
Est avec le peuple.
Pour le peuple.
Et celui qui est contre le peuple.
Est avec le gouvernement.
Pour le gouvernement.
Celui qui est appuyé par le gouvernement.
N’est pas appuyé par le peuple.
Celui qui est soutenu par le peuple.
N’est pas soutenu par le gouvernement.
Alors en s’appuyant sur l’un ou sur l’autre.
Sur l’un contre l’autre.
On pouvait quelquefois en réchapper.
On pourrait peut-être s’arranger.
Mais ils n’avaient pas de chance.
Elle [Marie] voyait bien que tout le monde était contre lui.
Le gouvernement et le peuple.
Ensemble.
Et qu’ils l’auraient.
Qu’ils auraient sa peau.
Tout le monde était contre lui.
Tout le monde voulait sa mort.
C’est curieux.
Des mondes qui d’habitude n’étaient pas ensemble.
Le gouvernement et le peuple.
De sorte que le gouvernement lui en voulait comme le dernier des charretiers.
Autant que le dernier des charretiers.
Et le dernier des charretiers comme le gouvernement.
Autant que le gouvernement.
C’était jouer de malheur.
Quand on a l’un pour soi, l’autre contre soi quelquefois on en réchappe.
On s’en tire.
On peut s’en tirer.
On peut en réchapper.
Mais il n’en réchapperait pas.
Sûrement il n’en réchapperait pas.
Quand on a tout le monde contre soi.
Qu’est-ce qu’il avait donc fait à tout le monde.
Je vais vous le dire :
Il avait sauvé le monde.
Il avait été arrêté au jardin des Oliviers.
Qui était un lieu de promenade.
Pour les gens le dimanche.
Il avait été arrêté la veille au soir au jardin des Oliviers.
Elle [Marie] se rappelait bien.
Elle se rappelait très bien.
Mais il lui semblait.
Elle croyait qu’il y avait trois jours.
Au moins.
Et même plus.
Beaucoup plus.
Des jours et des jours.
Et des années.
Il lui semblait qu’il y avait presque toujours.
Pour ainsi dire toujours.
Il lui semblait.
Que ça avait toujours été comme ça.
Il y a dans la vie des événements comme ça.
Tout le monde était contre lui.
Depuis Ponce Pilate jusqu’au dernier des charretiers.
Tout le monde était contre lui.
Depuis Ponce Pilate.
Ce Ponce Pilate.
Pontius Pilatus.
Sub Pontio Pilato passus.
Et sepultus est.
Un brave homme.
Du moins on le disait un brave homme.
Bon.
Pas méchant.
Un Romain.
Qui comprenait les intérêts du pays.
Et qui avait beaucoup de mal à gouverner ces Juifs.
Qui sont une race indocile.
Seulement, voilà, depuis trois jours une folie les avait pris contre son garçon.
Une folie. Une espèce de rage.
Oui ils étaient enragés.
Après lui.
Qu’est-ce qu’ils avaient.
Il n’avait pourtant pas fait tant de mal que ça.
Tous.
Lui en tête Ponce Pilate.
L’homme qui se lavait les mains.
Le procurateur.
Le procurateur pour les Romains.
Le procurateur de Judée.
Tous. Et Caïphe le grand-prêtre.
Les généraux, les officiers, les soldats.
Les sous-officiers, centeniers, centurions, décurions.
Les prêtres et les princes des prêtres.
Les écrivains.
C’est-à-dire les scribes.
Les pharisiens, les publicains, les péagers.
Les Pharisiens et les Sadducéens.
Les publicains qui sont comme qui dirait les percepteurs.
Et qui ne sont pas pour ça des hommes plus mauvais que les autres.
On lui avait dit aussi qu’il avait des disciples.
Des apôtres.
Mais on n’en voyait point.
Ça n’était peut-être pas vrai.
Il n’en avait peut-être pas.
Il n’en avait peut-être jamais eu.
On se trompe, des fois, dans la vie.
Si il en avait eu on les aurait vus.
Parce que si il en avait eu, ils se seraient montrés.
Hein, c’étaient des hommes, ils se seraient montrés.
Non seulement il avait contre lui le peuple.
Mais les deux peuples.
Tous les deux peuples.
Le peuple des pauvres.
Qui est sérieux.
Et respectable.
Et le peuple des misérables.
Des miséreux.
Qui n’est pas sérieux.
Ni pas respectable.
Il avait contre lui ceux qui travaillaient et ceux qui ne faisaient rien.
Ceux qui travaillaient et ceux qui ne travaillaient pas.
Ensemble.
Également.
Le peuple des ouvriers.
Qui est sérieux.
Et respectable.
Et le peuple des mendiants.
Qui n’est pas sérieux.
Mais qui est peut-être respectable tout de même.
Parce qu’on ne sait pas.
La tête se trouble.
La tête se dérange.
Les idées se dérangent quand on voit des choses comme ça.
Il avait contre lui les ouvriers des villes.
De la ville.
Ceux qui travaillent en ville.
Chez les patrons.
Chez les bourgeois.
Et aussi, également, ensemble les ouvriers des champs.
Également aussi.
Les paysans qui viennent au marché.
Il n’avait tout de même pas fait du mal à tout ce monde.
À tout ce monde-là.
Enfin on exagère.
On exagère toujours.
Le monde est mauvaise langue.
On exagérait.
Enfin il n’avait pas fait du mal à tout le monde.
Il était trop jeune.
Il n’avait pas eu le temps.
D’abord il n’aurait pas eu le temps.
Quand un homme est tombé, tout le monde est dessus.
Vous savez, chrétiens, ce qu’il avait fait.
Il avait fait ceci.
Qu’il avait sauvé le monde.
Charles Péguy
Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc
Eglise Saint-Martin
Cormeilles-en-Parisis