extrait des lettres d'Egérie, pèlerine en Terre Sainte de 381 à 384 :
Après cela, quand le renvoi a eu lieu de la Croix, c'est à dire avant le lever du soleil, aussitôt tous, pleins
d'ardeur, vont à Sion prier devant la colonne contre laquelle fut flagellé le Seigneur.
Puis ils retournent se reposer un peu chez eux, et bientôt les voilà tous prêts. Alors on place un siège pour l'évêque au Golgotha, derrière la Croix qui se dresse là maintenant, l'évêque
s'assoit sur le siège, on place devant lui une table couverte d'une nappe, debout autour de la table sont les diacres, et l'on apporte le coffret d'argent doré dans lequel se trouve le saint bois
de la Croix ; on l'ouvre, on l'expose et on place sur la table le bois de la croix ainsi que le titre. Quand on les a placés sur la table, l'évêque assis appuie de ses mains sur les extrémités du
bois sacré et les diacres qui sont debout autour surveillent.
Voici pourquoi on surveille : c'est qu'il est d'usage que, un à un, tout le monde vienne, fidèles aussi bien que catéchumènes, et que, s'inclinant devant la table, ils baisent le bois sacré
et passent. Et comme on raconte que, je ne sais quand, quelqu'un y a enfoncé la dent et a volé un morceau du bois sacré, à cause de cela, maintenant, les diacres qui sont debout autour
surveillent, de peur que quelqu'un en s'approchant n'ose refaire la même chose.
Ainsi donc, tout le monde défile, un à un ; on s'incline, on touche d'abord du front, puis des yeux la croix et le titre, puis on baise la croix et on passe, mais personne n'y met la main pour la
toucher. Quand on a baisé la croix et qu'on est passé, il y a là un diacre, qui tient l'anneau de Salomon et l'ampoule qui servait à l'onction des rois ; on baise l'ampoule et on vénère l'anneau.
Jusqu'à la sixième heure, tout le monde défile, entrant par une porte, sortant par l'autre, car cette cérémonie a lieu à l'endroit où la veille, le jeudi, on a fait l'oblation.
Cependant quand arrive la sixième heure, on va devant la Croix, qu'il pleuve ou qu'il fasse très chaud : l'endroit est en plein air, c'est une sorte d'atrium très grand et fort beau, qui est
entre la Croix et l'Anastasis. Là donc tout le monde se rassemble, de telle sorte qu'on ne peut même plus ouvrir les portes. On place pour l'évêque un siège devant la Croix et de la 6e jusqu'à la
9e heure, on ne fait pas autre chose que de lire des lectures, de la manière suivante : on lit d'abord, dans les psaumes, tous les passages où il est parlé de la passion ; on lit ensuite, dans
les écrits des apôtres, soit dans les Épîtres, soit dans les Actes, tous les passages où ils ont parlé de la passion du Seigneur, et on lit aussi dans les évangiles les récits de la passion.
Ensuite, dans les prophètes, les passages où ils ont prédit la passion du Seigneur, et, dans les évangiles, ceux où il est parlé de la passion.
Ainsi depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième, on ne cesse de faire des lectures et de dire des hymnes pour bien montrer à tout le monde que, tout ce que les prophètes ont prédit de la
passion du Seigneur, on voit, aussi bien par les évangiles que par les écrits des apôtres, que cela s'est réalisé. Ainsi pendant ces trois heures, on apprend à tout le monde que rien ne s'est
produit qui n'ait été annoncé auparavant et que rien n'a été annoncé qui ne se soit entièrement accompli. On intercale toujours des prières, prières qui sont elles aussi appropriées à ce jour. A
chaque lecture et à chaque prière, tout le monde est dans un tel état et pousse de tels gémissements que c'est extraordinaire ; car il n'y a personne, grand ou petit, qui ce jour-là, pendant ces
trois heures, ne se lamente à un point incroyable que le Seigneur ait tant souffert pour nous.
Après cela, quand arrive la neuvième heure, on lit alors le passage de l'Évangile selon saint Jean, où le Seigneur rendit l'esprit ; après cette lecture, on fait une prière et c'est le
renvoi. Mais dès que le renvoi a eu lieu de devant la Croix, aussitôt tous vont à l'église majeure, au
Martyrium, et on fait ce qu'on a l'habitude de faire pendant cette semaine, à partir de la neuvième heure, où l'on se rassemble au Martyrium, jusqu'au soir. Après le renvoi du Martyrium, on va à
l'Anastasis.
Arrivé là, on lit le passage de l'évangile où Joseph demande à Pilate le corps du Seigneur et le place dans un sépulcre neuf. Après cette lecture, on fait une prière, on bénit les catéchumènes,
et c'est le renvoi.
Ce jour là, on ne proclame pas qu'il faut continuer la vigile à l'Anastasis, car on sait que tout le monde est fatigué, mais c'est l'habitude pourtant qu'on y continue la vigile. Parmi les
fidèles, ceux qui le veulent, où plutôt ceux qui le peuvent, veillent, mais ceux qui ne le peuvent pas ne veillent pas là jusqu'au matin ; les clercs veillent, c'est-à-dire ceux qui sont les plus
forts ou les plus jeunes ; et toute la nuit, on dit des hymnes et des antiennes jusqu'au matin.
Il y a une foule immense à veiller, les uns depuis le soir, les autres à partir du milieu de la nuit, chacun selon ses forces.
Journal de voyage (Itinéraire). Lettres sur la bienheureuse Égérie
tableau 1 : Crucifixion by DUCCIO di Buoninsegna
(1308-1311)
tableau 2 : Crucifixion by DUCCIO di Buoninsegna (1310)