Par assumhenri@yahoo.fr
Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge
Se réjouit de voir le tendre nourrisson,
L’enfant à la mamelle et le dernier besson
Recommencer la vie ainsi qu’un héritage ;
Elle en fait par avance un très grand personnage,
Le plus hardi faucheur au temps de la moisson,
Le plus hardi chanteur au temps de la chanson
Qu’on aura jamais vu dans cet humble village :
Telle la vieille sainte éternellement sage
Connut ce que serait l’honneur de sa maison
Quand elle vit venir, habillée en garçon,
Bien prise en sa cuirasse et droite sur l’arçon,
Priant sur le pommeau de son estramaçon,
Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage ;
Et qu’elle vit monter de dessus l’horizon,
Souple sur le cheval et le caparaçon,
La plus grande beauté de tout son parentage.
Comme la vieille aïeule au fin fond de son âge
Se plaît à regarder sa plus arrière fille,
Naissante à l’autre bout de la longue famille,
Recommencer la vie ainsi qu’un héritage ;
Elle en fait par avance un très grand personnage,
Fileuse, moissonneuse à la pleine faucille,
Le plus preste fuseau, la plus savante aiguille
Qu’on aura jamais vu dans ce simple village
Telle la vieille sainte éternellement sage,
Du bord de la montagne et de la double berge
Regardait s’avancer dans tout son équipage,
Dans un encadrement de cierge et de flamberge,
Et le casque remis aux mains du petit page,
La fille la plus sainte après la sainte Vierge.
Comme Dieu ne fait rien que par miséricordes,
Il fallut qu’elle vît le royaume en lambeaux,
Et sa filleule ville embrasée aux flambeaux,
Et ravagée aux mains des plus sinistres hordes ;
Et les coeurs dévorés des plus basses discordes,
Et les morts poursuivis jusque dans les tombeaux,
Et cent mille Innocents exposés aux corbeaux,
Et les pendus tirant la langue au bout des cordes
Pour qu’elle vît fleurir la plus grande merveille
Que jamais Dieu le père en sa simplicité
Aux jardins de sa grâce et de sa volonté
Ait fait jaillir par force et par nécessité ;
Après neuf cent vingt ans de prière et de veille
Quand elle vit venir vers l’antique cité,
Gardant son coeur intact en pleine adversité,
Masquant sous sa visière une efficacité ;
Tenant tout un royaume en sa ténacité,
Vivant en plein mystère avec sagacité,
Mourant en plein martyre avec vivacité,
La fille de Lorraine à nulle autre pareille.
Jeanne en bataille
texte de Charles Péguy :
La tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc
tableau de Hermann Anton Stilke
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