Homme simple et droit, qui craint Dieu et s'éloigne du mal : ainsi les lectures de la nuit, dans l'Office du
Temps, nous décrivent le juste ; c'est tout le portrait du saint moine proposé par l'Eglise à l'hommage de notre admiration, de notre imitation, de notre prière.
Fuyant les hommes pour trouver Dieu, il s'éloigne d'une patrie où sa naissance, où ses vertus plus encore, empêchent qu'il ne soit ignoré ; il sort des villes où les miracles
que la charité lui impose menacent de le mettre en lumière. Errant des rivages de la Grèce aux bords du Rhône, il s'arrête enfin dans les forêts de
la Septimanie ; là s'offre à lui, croit-il, cette solitude définitive qu'il avait rêvée. Trois années durant, tout à l'action de grâces au fond d'une caverne
obstruée par les ronces, il prie pour le salut du peuple ; il vit d'herbes et d'eau pure, jusqu'à ce que vienne à lui la biche que le Seigneur a préparée pour lui donner son
lait, et bientôt, hélas ! le trahir encore. Un jour, dépistée, traquée par la meute royale, elle fuit tremblante, amenant au Saint les chasseurs. Près de lui s'est calmé son effroi mortel ; mais
une flèche qui devait l'atteindre a traversé la main de Gilles qui ne se guérira pas, qu'il refusera de laisser panser pour goûter jusqu'à la fin de sa vie la
souffrance.
Saint Gilles et la biche par le maître de Saint
Gilles
Douleur plus grande : près de sa retraite ainsi révélée, un monastère s'élève, dont il est contraint de devenir le père ; les prodiges se multiplient, les foules accourent ; c'en est fait de
l'oubli des hommes, du silence de sa forêt bien-aimée.
Après la mort du serviteur de Dieu, le flot des arrivants croît toujours ; du Nord, de l'Orient, du Midi, les multitudes viennent présenter leurs prières, acquitter leurs vœux, au
tombeau de celui que nos pères appellent l'un des Saints les plus secourables du paradis. Aux inconnus se joignent les Pontifes et les rois. Rencontre touchante : c'étaient
surtout les guerriers et les petits enfants que l'on voyait affluer près des reliques saintes, ceux-là partant pour la croisade armés de toutes pièces, ceux-ci portés sur les bras de leurs mères
; tous se confiant à l'humble et doux moine qui apaisa au péril de sa vie les terreurs de la biche de la forêt ; tous implorant sa protection contre les frayeurs qui s'emparent des plus
braves au milieu des combats, ou viennent troubler le calme des berceaux. Alors, avec Rome et Compostelle, Saint-Gilles était considéré comme l'un des trois grands pèlerinages
de l'Occident.
Au-dessus des restes du bienheureux s'élevait une gigantesque église, que l'on a signalée comme "le type le plus parfait du style byzantin parvenu au plus haut degré de splendeur" (Mérimée, notes d'un voyage dans le midi de la France). A l'entour, une ville de
trente mille feux remplaçait le désert de jadis. Le plus illustre des puissants comtes de Toulouse donnait le pas sur tous ses autres titres à celui qu'il tenait de la noble cité ; Raymond de
Saint-Gilles fut le nom sous lequel il voulut être connu dans l'histoire. Raymond VI, son trop oublieux descendant, expiait cent ans plus tard au seuil de la célèbre basilique ses connivences
avec l'hérésie ; notre Saint, qui venait de donner à Pierre de Castelnau l'hospitalité de la tombe, ouvrait ses portes à la réconciliation du meurtrier présumé du martyr.
Mais nous ne finirions plus : d'autant qu'il faudrait maintenant dire les églises, les paroisses, les abbayes, les autels sans nombre consacrés à saint Gilles sur tous les points de la chrétienté
: sources de grâces, centres nouveaux de multiples pèlerinages. Espagne, Italie, Belgique, Allemagne, Hongrie, Bavière, Pologne, rivalisent sous ce rapport avec notre France ; l'Angleterre ne le
cède à aucun pays du monde, avec les cent quarante-six sanctuaires dédiés par elle au pieux moine et les honneurs que lui continue l'Eglise établie.
Hâtons-nous de donner sans plus ample commentaire la brève Légende réservée au saint Abbé, depuis qu'à dater du XVIe siècle, son jour natal ne compte plus parmi les fêtes à neuf Leçons. La meilleure part de ses précieuses reliques est conservée au riche trésor de l'église Saint-Sernin de Toulouse ; Saint-Gilles-du-Gard, qui avait dû s'en dépouiller pour les sauver des audaces sacrilèges de l’hérésie armée, eut en 1865 la consolation de retrouver le tombeau primitif du bienheureux.
Saint Gilles - Tryptique des saints ermites par Jérôme
Bosch
Né à Athènes de race royale, Gilles, dès son premier âge, s'adonnait de telle sorte aux lettres divines et aux œuvres de charité, qu'il ne semblait avoir souci d'aucune autre
chose. Aussi, ses parents morts, distribua-t-il aux pauvres tout son patrimoine, allant jusqu'à dépouiller sa tunique pour en couvrir un malade dans l'indigence. Celui-ci avait
aussitôt recouvré la santé ; puis survinrent beaucoup d autres miracles : en sorte que, craignant la renommée qui ne pouvait manquer d'en résulter pour lui,
Gilles se rendit à Arles auprès de saint Césaire. Deux ans après, il le quittait pour s'enfoncer dans la solitude. Longtemps il n'eut pour notirriture que des herbes, des
racines, et le lait d'une biche qui venait à lui à des heures déterminées. Admirable était devenue sa sainteté, quand un jour cette biche, poursuivie par la
meute royale, s'enfuit vers la grotte du bienheureux ; le roi de France, l'ayant ainsi découvert, obtint à force d'instances qu'il voulût bien laisser bâtir un monastère
au lieu où se trouvait cette caverne. A la prière du prince, Gilles en prit malgré lui la conduite ; et c'est après s'être plusieurs années prudemment et pieusement acquitte de cette charge,
qu'il passa au ciel.
Allez à mon serviteur, et présentez votre offrande, disait Dieu au temps du juste de l'Idumée ; mon serviteur
priera pour vous, et je le regarderai favorablement, et votre faute ne vous sera point imputée à châtiment. Ainsi voyons-nous qu'il est fait sans cesse dans les innombrables sanctuaires où
l'on vous honore, ô bienheureux Gilles ! Usez pour nous de vos secourables prérogatives ; exaucez-nous à la gloire de Celui qui couronne votre humilité. En retour de
l'admirable paix dont votre âme offrit constamment ici-bas le spectacle au ciel, vous régnez sur les troubles de mille sortes qui agitent du berceau à la tombe notre misérable
existence. Dès le début de la vie, vous aidez les mères à chasser les fantômes que promène dans la nuit l'ennemi des innocents ; vous protégez le premier âge contre l'irruption de ces
maladies terribles qui disputent à l'âme son empire de nature sur l'organisme qui la doit servir. Vous suivez l'enfant dans les voies de l'adolescence afin d'affermir son équilibre
moral, en lui donnant pour base la crainte de Dieu qui fait l'homme sans reproche et sans peur. Dans les dangers, sous la foudre qui gronde, au sein des batailles, vous le maintenez
vaillant et calme; plus que tout, vous tenez à distance de votre protégé la plus lâche des terreurs, celle du respect humain, la plus triste des hontes, celle qui recule au tribunal sacré
devant l'aveu des fautes commises pour en avoir le pardon. Les soucis, les déboires de l'âge mûr, n'atteignent pas la sérénité de qui s'appuie sur vous. La vieillesse n'a pour lui nulle perspective troublante ; il s'endort du dernier sommeil, sur le
sein de Dieu, comme il faisait dans les bras de sa mère aux premiers jours.
Daignez nous accueillir parmi vos dévots clients ; que notre confiance ne soit pas confondue.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique