... par ces temps de froidure acérée, toute la Hollande patine
Jusqu’à sa quinzième année, Lydwine semble s’être assez bien portée ; ses historiens nous apprennent seulement qu’en bas âge elle fut atteinte de la gravelle et expulsa de nombreux calculs ; mais ni Gerlac, ni Brugman, ni Thomas A Kempis, ne nous parlent des affections infantiles qu’elle put subir ; ce n’est, en somme, que vers la fin de sa quinzième année que l’amoureuse furie de l’Époux s’abattit sur elle.
Alors, elle eut une maladie qui ne mit point ses jours en danger, mais qui la laissa dans un état de faiblesse qu’aucun des pharmaques prônés par les mires et les apothicaires de cette époque ne parvint à vaincre. Devenue étonnamment débile, elle languit ; ses joues se creusèrent et ses chairs fondirent ; elle maigrit à n’avoir plus que la peau et les os ; l’avenance même de ses traits disparut dans les saillies et les vides d’une face qui, de blanche et rose qu’elle était, verdit, puis se cendra. Ses souhaits s’exauçaient ; elle était cadavériquement laide. Ses prétendants se réjouirent d’avoir été évincés et elle ne craignit plus de se montrer.
Cependant, comme elle n’arrivait pas à recouvrer ses forces, elle gardait la chambre quand, quelques jours avant la fête de la Purification, ses amies la visitèrent. Il gelait, à ce moment, à pierre fendre et la rivière, la Schie, qui traverse la ville, était, ainsi que les canaux, glacée ; par ces temps de froidure acérée, toute la Hollande patine. Ces jeunes filles invitèrent donc Lydwine à patiner avec elles ; mais, préférant demeurer seule, elle prétexta du mauvais état de sa santé pour ne pas les suivre. Elles insistèrent, tant et si bien, lui reprochant son manque d’exercice, l’assurant que le grand air lui ferait du bien, que, de peur de les contrarier, elle finit, avec l’assentiment de son père, par les accompagner sur l’eau devenue ferme du canal derrière lequel sa maison était située ; elle s’était relevée, après avoir chaussé ses patins, quand l’une de ses camarades, lancée à fond de train, se rua sur elle, avant qu’elle eùt pu se détourner, et elle culbuta sur un glaçon dont les aspérités lui brisèrent l’une des fausses côtes du flanc droit.
On la ramena, en pleurant, chez elle, et la pauvre fille fut étendue sur un lit qu’elle ne devait plus guère quitter.
Cet accident fit aussitôt le tour de la ville et chacun crut de son devoir d’émettre son avis. Lydwine dut supporter, comme Job, l’intarissable bavardage des gens que le malheur des autres rend loquaces ; quelques-uns cependant plus sages, au lieu de la réprimander d’être sortie, se bornèrent à la plaindre, pensant que Dieu avait eu sans doute des raisons spéciales pour la traiter ainsi.
Sa famille, désolée, résolut de tout tenter, pour la guérir ; malgré sa pauvreté, elle appela les médecins en renom des Pays-Bas. Ils la droguèrent éperdument et le mal empira ; à la suite de ces traitements, un apostème induré se forma dans la fracture.
Elle souffrit le martyre ; ses parents ne savaient plus à quels saints se vouer, quand un praticien célèbre de Delft, homme très charitable et très pieux, Godfried de Haga, surnommé Sonder-Danck parce qu’il répondait invariablement avec ce mot qui signifie en hollandais "pas de merci" à tous les malades qu’il traitait gratuitement, vint en consultation la voir. Ses idées sur la thérapeutique étaient celles qu’exprima dans son "Opus paramirum" Bombast Paracelse qui naquit quelques années après la mort de Lydwine. Au milieu du fatras plus ou moins incohérent de son occultisme, cet homme étonnant avait saisi la grande loi de l’équilibre divin lorsqu’il écrivait à propos de l’essence de Dieu : "Il faut savoir que toute maladie est une expiation et que si Dieu ne la considère pas comme finie, aucun médecin ne peut l’interrompre... le médecin ne guérit que si son intervention coïncide avec la fin de l’expiation déterminée par le Seigneur."
Godfried de Haga examina donc la patiente et il parla de la sorte à ses confrères assemblés, curieux de connaitre son verdict : cette maladie-là, mes très chers, n’est point de notre ressort ; tous les Gallien, les Hippocrate et les Avicenne du monde y perdraient leur renom. Et il ajouta prophétiquement : "La main de Dieu est sur cette enfant. Il opérera des merveilles en elle ; plût au ciel qu’elle fût ma fille, je donnerais de bon coeur un poids d’or égal à celui de sa tête, pour payer cette faveur, si elle était à vendre."
Et il partit, en ne prescrivant aucun remède ; alors tous les médicastres s’en désintéressèrent, et elle y gagna,
au moins pour quelque temps, de n’être plus contrainte à s’ingérer des remèdes inutiles et coûteux ; mais le mal s’accrut encore et les douleurs devinrent intolérables ; elle ne put rester ni
couchée, ni assise, ni debout.
... un praticien célèbre de Delft, homme très charitable et très pieux, Godfried de Haga, surnommé Sonder-Danck parce qu’il répondait invariablement avec ce mot qui signifie en hollandais "pas de merci" à tous les malades qu’il traitait gratuitement, vint en consultation la voir
J.-K. Huysmans
Huysmans, 1902
iconographie : Vie de Sainte Lydwine en tableaux par Jan Dunselman Basilique Sainte Lydwine