La vie de sainte Lydwine a été successivement écrite par trois religieux qui furent, tous les trois, ses contemporains :
Jan Gerlac, son parent, sacristain du monastère augustin de Windesem. Il vécut, pendant de longues années, auprès de la sainte, dans sa maison même, et il nous raconte de visu son existence.
Jan Brugman, frère mineur de l’Observance. Il reprit l’histoire de Gerlac qu’il traduisit du teuton en latin et il l’amplifia surtout avec les renseignements que lui fournit Jan Walter de Leyde, le dernier confesseur de Lydwine.
Thomas A Kempis, sous-prieur des chanoines augustins du Mont Sainte-Agnès, près de Zwolle ; sa relation est un abrégé de celle de Brugman, mais elle contient des détails inédits qu’il recueillit dans l’entourage de la Bienheureuse, à Schiedam même.
Je note enfin, pour mémoire, un résumé de ces livres, rédigé, plus tard, au seizième siècle, par Surius, et d’anciennes traductions françaises du texte de Brugman, éditées au dix-septième siècle par Walrand Caoult, prêtre, Douay, in-12, 1600 ; par Michel d’Esne, évesque de Tournay, Douay, in-12, 1608 ; par le P. Thiersaut, Paris, in-12, 1637. Quant aux biographies modernes, il en sera question plus loin.
Les monographies de Gerlac et de Brugman ont été imprimées et annotées par Enschenius et Papebroch dans la collection des Bollandistes, les Acta Sanctorum.
Jan Gerlac fut un écrivain renommé dont les Soliloques sont encore, au point de vue ascétique, recherchés ; il fut, d’après le témoignage de ses contemporains, un très fervent et un très humble moine ; — Jan Brugman, un ami de Denys le Chartreux, est cité par Wading, dans les Annales de son ordre, comme l’un des prédicateurs célèbres de son siècle ; il reste admirable et par la noblesse de son éloquence et par l’ampleur de ses vertus ; — Thomas A Kempis, un des auteurs présumés de l’Imitation de Jésus-Christ, naquit la même année que Lydwine et mourut, en odeur de sainteté, en 1471, après avoir écrit toute une série d’oeuvres mystiques dont plusieurs traductions françaises furent tentées.
Ces trois hagiographes sont donc des gens connus et dignes, par leur situation et par leur probité d’âme, d’être crus ; l’on doit ajouter encore que les détails de leurs ouvrages peuvent se contrôler avec un procès-verbal officiel que rédigèrent, après une attentive et minutieuse enquête, les bourgmestres de Schiedam, du temps même de la sainte, dont ils passèrent la vie au crible.
Il n’y a donc pas de livres historiques qui se présentent ainsi que les leurs, dans des conditions de bonne foi et de certitude plus sûres.
Cela dit, il faut bien avouer qu’une histoire de Lydwine est, grâce à eux, un écheveau qu’il est fort difficile de débrouiller. Il est, en effet, impossible d’adopter l’ordre chronologique ; Brugman déclare tranquillement "qu’il jugerait inconvenant de procéder de la sorte" ; sous le prétexte d’être plus édifiant, il groupe les scènes de la vie de la Bienheureuse, suivant la liste de ses qualités qu’il s’apprête à faire ressortir ; avec cette méthode qui est également celle de Gerlac et d’A Kempis, il n’y a pas moyen de savoir si tel événement qu’ils nous rapportent eut lieu ayant ou après tel autre qu’ils nous racontent.
Cette façon d’écrire l’histoire était celle, d’ailleurs, de tous les hagiographes de cette époque. Ils narraient, pêle-mêle, des anecdotes, ne s’occupant qu’à classer les vertus, afin d’être à même de tirer, à propos de chacune d’elles, un tiroir de lieux communs qui pouvaient s’adapter, du reste, à n’importe quel saint ; ils entrelardaient ces pieuses rengaines de citations des psaumes, et c’était tout.
Il semble, à première vue, qu’il y ait moyen de remédier à ce désordre, en extrayant et en comparant les dates éparses, çà et là, dans les livres des trois écrivains et en les utilisant, ainsi que des points de repère, pour ponctuer la vie de la Bienheureuse ; mais ce système n’aboutit nullement aux résultats promis. Gerlac et Brugman nous apprennent bien parfois qu’une aventure qu’ils relatent survint aux environs ou le jour même de la fête de tel saint ; l’on peut évidemment, à l’aide de cette indication, retrouver le quantième et le mois, mais pas l’année qu’ils omettent de spécifier ; les dates plus précises qu’ils accusent, Gerlac surtout, n’ont trait bien souvent qu’à des épisodes de minime importance et elles ne concordent pas toujours avec celles de Thomas A Kempis. Très méticuleux quand il s’agit de noter les fêtes liturgiques, celui-ci nous fournit un certain nombre de chiffres, mais comment s’y fier ? Ses dates, dès qu’on les examine de près, sont inexactes ; c’est ainsi qu’il fait mourir une nièce de Lydwine, Pétronille, en 1426 ; alors qu’il nous la montre assistant chez sa tante à une scène où elle fut blessée, en 1428. L’une des deux dates est par conséquent fausse, la seconde, très certainement, car le chiffre de 1425 donné par les deux autres écrivains parait, cette fois, certain.
Fussent-elles même toujours d’accord entre elles, ces dates, et justes, qu’il n’en resterait pas moins à emboîter au hasard entre tel ou tel fait datés d’autres qui ne le sont pas ; et ce classement, rien ne l’indique. Quoi que l’on fasse, il faut donc renoncer à la précision chronologique en ce récit.
D’autre part, dans l’oeuvre des trois biographes figurent plusieurs personnages qui sont les amis et les garde-malades de Lydwine, et aucun renseignement ne nous est laissé sur eux ; ces comparses s’agitent, à la cantonade, viennent d’on ne sait où et finissent on ne sait comme ; enfin, pour aggraver la confusion, trois des confesseurs de la sainte s’appelèrent Jan. Or, au lieu d’ajouter à ce prénom le nom de famille ou de ville qui les distingue, la plupart du temps, les trois religieux n’écrivent que le prénom, si bien que l’on ignore si le confesseur Jan dont il est question à propos de tel ou de tel incident, est Jan Pot, Jan Angeli ou Jan Walter.
C’est, on le voit, un tantinet, le gâchis. Je ne me flatte nullement de l’avoir élucidé. Je me suis servi, pour condenser cette vie, des trois textes de Gerlac, de Brugman et d’A Kempis, complétant leurs anecdotes les unes par les autres, et j’ai rangé les événements qu’ils retracent suivant l’ordre qui m’a semblé être, sinon le plus rigoureux, au moins le plus intéressant et le plus commode.
J.-K. Huysmans, Sainte Lydwine de Schiedam
Afbeelding van de 'Vita alme virginis Liidwine' van Johannes Brugman