L'eau dans l'Évangile de Jean : ce fleuve qui à travers les temps coule du Golgotha, du Jésus crucifié et ressuscité -"Jésus de Nazareth" de Benoît XVI (extrait du tome I)

Maintenant, nous devons écouter le texte plus attentivement encore. Il poursuit ainsi : "Comme dit l'Écriture : Des fleuves d'eau vive jailliront de son cœur" (Jn 7, 38).

 

De quel cœur ? À cette question, il y a depuis les premiers temps déjà deux types de réponse. La tradition alexandrine, inaugurée par Origène (mort vers 254), dans laquelle s'inscrivent aussi les éminents Pères latins que sont Jérôme et Augustin, lit ainsi la phrase "celui qui croit... de son cœur jailliront" : l'homme qui croit devient lui-même une source, une oasis dont jaillit l'eau fraîche et saine, la force dispensatrice de vie de l'Esprit Créateur. L'autre tradition, certes beaucoup moins répandue, celle d'Asie Mineure, par son origine plus proche de Jean et représentée par Justin (mort en 165), Irénée, Hippolyte, Cyprien et Éphrem, modifie la ponctuation. Celui qui a soif, qu'il vienne vers moi ; celui qui croit en moi, qu'il boive. Comme dit l'Écriture : de son cœur jailliront des fleuves. Son "cœur" est maintenant référé au Christ. C'est lui qui est la source, le rocher vivant, dont jaillira l'eau nouvelle.

 

 D'un point de vue purement linguistique, la première interprétation est plus convaincante, c'est pourquoi, à la suite des éminents Pères de l'Église, la plupart des exégètes modernes y souscrivent. Mais, du point de vue du contenu, on penche plutôt pour la deuxième interprétation, celle d'Asie Mineure, à laquelle adhère par exemple Schnackenburg, sans qu'il faille y voir une opposition de principe qui exclurait l'interprétation alexandrine.

 

Une clé importante pour l'interprétation nous est fournie par la tournure "comme dit l'Écriture". Jésus tient à s'inscrire dans la continuité de l'Écriture, dans la continuité de l'histoire de Dieu avec les hommes. Dans l'Évangile de Jean, mais également dans les Évangiles synoptiques et au-delà dans toute la littérature néotestamentaire, la croyance en Jésus est légitimée par le fait qu'en lui se rejoignent tous les fleuves de l'Écriture. À partir de lui, le sens de l'Écriture se manifeste dans toute sa cohérence comme ce qui est attendu de tous et vers quoi tout se dirige.

 

Mais en quel endroit l'Écriture parle-t-elle de cette source vive ? Manifestement, Jean ne pense pas à un passage précis, mais bien plutôt à l'Écriture, à la vision qui en traverse tous les textes. Plus haut, nous avions déjà mis en lumière un aspect central : l'histoire du rocher dispensateur de vie, devenu en Israël une image de l'espérance. Le deuxième grand aspect nous est proposée par Ézéchiel (47, 1-12) avec la vision du nouveau Temple : "Sous le seuil du Temple, de l'eau jaillissait en direction de l'orient" (Ez 47, 1). Plus de cinquante ans plus tard, Zacharie a repris cette image : "En ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure" (Za 13, 1). "En ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem" (Za 14, 8). Le dernier chapitre de l'Écriture Sainte réinterprète ces images et c'est lui qui leur donne à présent toute leur grandeur : "Puis l'ange me montra l'eau de la vie : un fleuve resplendissant comme du cristal, qui jaillit du trône de Dieu et de l'Agneau" (Ap 22, 1).

 

Un bref regard sur la scène de la purification du Temple nous a déjà montré que Jean considère le Seigneur ressuscité, son corps, comme le nouveau Temple, attendu non seulement par l'Ancien Testament, mais par toutes les nations (Jn 2, 21). Ainsi, nous sommes autorisés à entendre aussi dans ce qui est dit des fleuves d'eau vive une annonce du nouveau Temple : oui, ce Temple existe. Il existe, ce fleuve de vie promis qui épure la terre saline pour faire mûrir la vie et pour faire pousser les fruits en abondance. Il est celui qui est allé dans l'amour jusqu'au bout, celui qui est passé par la Croix pour vivre maintenant dans une vie que nulle mort ne pourra plus menacer. C'est lui, le Christ vivant.

 

L'Homme des Douleurs par Hans Memling

 

Ainsi, la phrase prononcée pendant la fête des Tentes préfigure non seulement la nouvelle Jérusalem dans laquelle Dieu lui-même demeure et dans laquelle il est source de vie, mais indique aussi par avance directement le corps du crucifié, duquel sortent du sang et de l'eau (Jn 19, 34). Elle le révèle comme le vrai Temple, qui n'est pas fait de pierres ni de la main de l'homme. Pour cette raison précisément, parce qu'il est la demeure vivante de Dieu dans le monde, il est et restera source de vie aussi pour tous les temps.

 

Celui qui regarde l'histoire d'un œil attentif peut voir ce fleuve qui, à travers les temps, coule du Golgotha, du Jésus crucifié et ressuscité. Là où parvient ce fleuve, il peut voir comment la terre est purifiée, comment poussent les arbres fruitiers, comment jaillit la vie, la vie véritable, de la source d'amour qui s'est donnée et qui se donne.

 

Cette interprétation centrale qui se réfère au Christ ne peut nullement exclure, comme nous l'avons déjà dit, que cette phrase vaille aussi, de manière dérivée, pour les croyants. Une expression de l'évangile apocryphe de Thomas (10, 6) indique une direction qui est conforme à celle de l'Évangile de Jean : "Celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi". Le croyant s'unit au Christ, il a part à sa fécondité. L'homme qui croit et qui aime avec le Christ devient un puits qui dispense la vie.

 

Cela aussi, on peut très bien le voir dans l'histoire. On peut aussi constater cela dans l'histoire de manière merveilleuse : à savoir comment les saints sont des oasis autour desquelles la vie éclôt et où revient quelque chose du paradis perdu. Et la source qui se donne en abondance reste finalement toujours le Christ lui-même. 

 

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