Ô vous, qui passez comme l’ombre
Par ce triste vallon des pleurs
Passagers sur ce globe sombre
Hommes ! mes frères en douleurs
Écoutez : voici vers Solime
Un son de la harpe sublime
Qui charmait l’écho du Thabor
Sion en frémit sous sa cendre
Et le vieux palmier croit entendre
La voix du vieillard de Ségor !
Insensé le mortel qui pense !
Toute pensée est une erreur
Vivez, et mourez en silence
Car la parole est au Seigneur !
Il sait pourquoi flottent les mondes
Il sait pourquoi coulent les ondes
Pourquoi les cieux pendent sur nous
Pourquoi le jour brille et s’efface
Pourquoi l’homme soupire et passe
Et vous, mortels, que savez-vous ?
Asseyez-vous près des fontaines
Tandis qu’agitant les rameaux
Du midi les tièdes haleines
Font flotter l’ombre sur les eaux
Au doux murmure de leurs ondes
Exprimez vos grappes fécondes
Où rougit l’heureuse liqueur
Et de main en main sous vos treilles
Passez-vous ces coupes vermeilles
Pleines de l’ivresse du cœur.
Ainsi qu’on choisit une rose
Dans les guirlandes de Sârons
Choisissez une vierge éclose
Parmi les lis de vos vallons !
Enivrez-vous de son haleine
Écartez ses tresses d’ébène
Goûtez les fruits de sa beauté
Vivez, aimez, c’est la sagesse
Hors le plaisir et la tendresse
Tout est mensonge et vanité !
Comme un lis penché par la pluie
Courbe ses rameaux éplorés
Si la main du Seigneur vous plie
Baissez votre tête, et pleurez
Une larme à ses pieds versée
Luit plus que la perle enchâssée
Dans son tabernacle immortel
Et le coeur blessé qui soupire
Rend un son plus doux que la lyre
Sous les colonnes de l’autel !
Les astres roulent en silence
Sans savoir les routes des cieux
Le Jourdain vers l’abîme immense
Poursuit son cours mystérieux
L’aquilon, d’une aile rapide
Sans savoir où l’instinct le guide
S’élance et court sur vos sillons
Les feuilles que l’hiver entasse
Sans savoir où le vent les chasse
Volent en pâles tourbillons !
Et vous, pourquoi d’un soin stérile
Empoisonner vos jours bornés ?
Le jour présent vaut mieux que mille
Des siècles qui ne sont pas nés
Passez, passez, ombres légères,
Allez où sont allés vos pères
Dormir auprès de vos aïeux
De ce lit où la mort sommeille
On dit qu’un jour elle s’éveille
Comme l’aurore dans les cieux !
LAMARTINE, La Sagesse (1826, Florence)
La Foi, Innocenzo Spinazzi
Chiesa di Santa Maria Maddalena de' Pazzi, Cappella Maggiore, Firenze
Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques
" Plus je montais, plus je voyais Dieu. " (Nouvelles méditations poétiques)