Considérons, dans ce sixième jour de la Naissance de notre Emmanuel, le divin Enfant étendu dans la crèche d'une
étable, et réchauffé par l'haleine de deux animaux. Isaïe l'avait annoncé : "le bœuf, avait-il dit, connaîtra son maître, et l'âne la crèche de son seigneur ; Israël ne me connaîtra pas". Telle
est l'entrée en ce monde du grand Dieu qui a fait ce monde. L'habitation des hommes lui est fermée par leur dureté et leur mépris : une étable lui offre seule un abri hospitalier, et il vient au
jour dans la compagnie des êtres dépourvus de raison.
Mais ces animaux sont son ouvrage. Il les avait assujettis à l'homme innocent. Cette création inférieure devait être vivifiée et ennoblie par l'homme ; et le péché est venu briser cette harmonie.
Toutefois , comme nous l'enseigne l'Apôtre , elle n'est point restée insensible à la dégradation forcée que le pécheur lui fait subir. Elle ne se soumet à lui qu'avec résistance ; elle le châtie
souvent avec justice ; et au jour du jugement, elle s'unira à Dieu pour tirer vengeance de l'iniquité à laquelle trop longtemps elle est demeurée asservie.
Aujourd'hui, le Fils de Dieu visite cette partie de son oeuvre ; les hommes ne l'ayant pas reçu, il se confie à ces êtres sans raison ; c'est de leur demeure qu'il partira pour commencer sa
course ; et les premiers hommes qu'il appelle à le reconnaître et à l'adorer, sont des pasteurs de troupeaux, des cœurs simples qui ne se sont point souillés à respirer l'air des
cités.
Le bœuf, symbole prophétique qui figure auprès du trône de Dieu dans le ciel, comme nous l'apprennent à la fois Ezéchiel et saint Jean, est ici l'emblème des sacrifices de la Loi. Sur l'autel du Temple, le sang des taureaux a coulé par torrents ; hostie incomplète
et grossière, que le monde offrait dans l'attente de la vraie victime. Dans la crèche, Jésus s'adresse à son Père et dit : Les holocaustes des taureaux et des agneaux ne vous ont point apaisé ;
me voici.
Un autre Prophète annonçant le triomphe pacifique du Roi plein de douceur, le montrait faisant son entrée dans Sion sur l'âne et le fils de l'ânesse. Un jour cet oracle s'accomplira comme
les autres ; en attendant, le Père céleste place son Fils entre l'instrument de son pacifique triomphe et le symbole de son sacrifice sanglant.
Telle a donc été, ô Jésus ! créateur du ciel et de la terre, votre entrée dans ce monde que vous avez formé. La création tout entière, qui eût dû venir à votre rencontre, ne s'est pas ébranlée ;
aucune porte ne vous a été ouverte ; les hommes ont pris leur sommeil avec indifférence, et lorsque Marie vous eut déposé dans une crèche, vos premiers regards y rencontrèrent les animaux,
esclaves de l'homme. Toutefois, cette vue ne blessa point votre cœur ; vous ne méprisez point l'ouvrage de vos mains ; mais ce qui afflige ce cœur, c'est la présence du péché dans nos âmes, c'est
la vue de votre ennemi qui tant de fois est venu y troubler votre repos. Nous serons fidèles, ô Emmanuel, à suivre l'exemple de ces êtres insensibles que nous recommande votre Prophète : nous
voulons toujours vous reconnaître comme notre Maître et notre Seigneur. C'est à nous qu'il appartient de donner une voix à toute la nature, de l'animer, de la sanctifier, de la diriger vers vous
; nous ne laisserons plus le concert de vos créatures monter vers vous, sans y joindre désormais
l'hommage de nos adorations et de nos actions de grâces.
Pour rendre nos hommages au divin Enfant, insérons ici cette Séquence qui est d'Adam de Saint-Victor, et l'une des plus mystérieuses que l'on rencontre dans les Missels du moyen
âge.
SEQUENCE
Celui qui est la splendeur du Père et sa forme incréée, a pris la forme de l'homme.
Sa puissance, et non la nature, a rendu féconde une vierge.
Que le vieil Adam se console enfin ; qu'il chante un cantique nouveau.
Longtemps fugitif et captif, qu'il paraisse au grand jour.
Eve enfanta le deuil ; une vierge, dans l'allégresse, enfante le fruit de vie.
Et ce fruit n'a point lésé le sceau de sa virginité.
Si le cristal humide est offert aux feux du soleil, le rayon scintille au travers ;
Et le cristal n'est point rompu : ainsi n'est point brisé le sceau de la pudeur dans l'enfantement de la Vierge.
A cette naissance, la nature est dans l'étonnement, la raison est confondue.
C'est chose inénarrable, cette génération du Christ, si pleine d'amour et si humble.
D'une branche aride sont sorties la feuille, la fleur et la noix ; et de la Vierge pudique, le Fils de Dieu.
La toison a porté la rosée céleste, la créature le Créateur, rédempteur de la créature.
La feuille, la fleur, la noix, la rosée : emblèmes mystérieux de l'amour du Sauveur.
Le Christ est la feuille qui protège, la fleur qui embaume, la noix qui nourrit, la rosée de céleste grâce.
Pourquoi l'enfantement de la Vierge est-il un scandale, quand on a vu l'amandier fleurir sur une verge desséchée?
Contemplons encore la noix ; car la noix, mise en lumière, offre un mystère de lumière.
En elle trois choses sont réunies ; elle nous présente trois bienfaits : onction, lumière, aliment.
La noix est le Christ ; l'écorce amère de la noix est la croix dure à la chair ; l'enveloppe marque le corps.
La divinité, revêtue de chair, la suavité du Christ, c'est le fruit caché dans la noix.
Le Christ, c'est la lumière des aveugles, l'onction des infirmes, le baume des coeurs pieux.
Oh ! qu'il est suave, ce mystère qui change la chair, cette herbe fragile, en divin froment pour les fidèles !
Ceux que, dans cette vie, tu nourris, ô Jésus ! sous les voiles de ton Sacrement, rassasie-les un jour de l'éclat de ta face.
Amen
L'Eglise Syrienne, ayant pour chantre saint Ephrem, nous offre cette Hymne du saint Diacre d'Edesse, à laquelle nous empruntons les strophes suivantes :
HYMNE
Quel mortel saura jamais le nom qu'il faut donner, Seigneur, à celle qui fut ta Mère ? Vierge ? Son fils était sous les yeux de tous. Epouse ? Nul ne célébra jamais les noces charnelles avec Marie.
L'intelligence ne peut atteindre jusqu'à ta Mère: qui donc pourrait te comprendre toi-même ? Si je considère Marie seule en ce monde, elle est ta Mère : si je la confonds avec le reste des femmes, elle est ta Sœur.
Oui, elle est vraiment ta Mère, et parmi les chœurs des saintes femmes, elle est ta Sœur et ton Epouse ; tu l'as honorée en toutes manières, toi, la gloire de celle qui t'enfanta.
Elle te fut donnée pour épouse avant ta venue en ce monde ; tu vins, et elle te conçut ; tout surpasse, en ce mystère, les forces de la nature : et son enfantement, et la permanence de son titre virginal.
Marie connut toutes les prérogatives de l'épouse. Sans le secours de l'homme, son fils s'anima dans son sein ; le lait des mères abonda dans ses mamelles. Tu dis, et aussitôt cette blanche fontaine jaillit, comme une source, du sein d'une terre altérée.
Soutenue par ta présence au milieu d'elle-même, ta Mère trouva des forces pour te porter, et ce fardeau ne
l'écrasa jamais ; elle t'offrit la nourriture, à toi qui voulais avoir faim ; elle te présenta le breuvage, à toi qui, volontairement, connaissais la soif.
Désirait-elle te presser contre son cœur ? Ta tendresse lui accordait cette faveur. Tu daignais alors tempérer l'ardeur de tes feux, pour ne pas consumer sa poitrine.
DOM GUÉRANGER
L'Année
Liturgique
Madre della Consolazione by Nikolaos Tsafouris