Les feux de la Saint-Jean

L'allégresse, qui est le caractère propre de cette fête, débordait en dehors du saint lieu, et se répandait jusque sur les Musulmans infidèles. Si, à Noël, la rigueur de la saison confinait au foyer domestique les expansions touchantes de la piété privée, la beauté des nuits de la Saint-Jean d'été offrait une occasion de dédommagement à la foi vive des peuples. Aussi complétait-elle ce qui lui semblait l'insuffisance de ses démonstrations envers l'Enfant-Dieu, par les honneurs rendus au Précurseur dans son berceau.

 

A peine s'éteignaient les derniers rayons de l'astre du jour, que du fond de l'Orient jusqu'à l'extrême Occident, sur la surface du monde entier, d'immenses jets de flammes s'élançaient des montagnes, et s'allumaient soudain par toutes les villes, dans chaque bourgade, dans les moindres hameaux. C'étaient les feux de la Saint-Jean : témoignage authentique, sans cesse renouvelé, de la vérité des paroles de l'ange et de la prophétie annonçant cette joie universelle qui devait saluer la naissance du fils d'Elisabeth. Comme une lampe ardente et luisante, selon l'expression du Seigneur, il était apparu dans la nuit sans fin, et, pour un temps, la synagogue avait voulu se réjouir à ses rayons ; mais, déconcertée par sa fidélité qui l'empêchait de se donner pour le Christ et la vraie lumière, irritée à la vue de l'Agneau qu'il montrait comme le salut du monde et non plus seulement d'Israël, la synagogue bientôt s'était retournée vers la nuit, et, d'elle-même, avait mis sur ses yeux le bandeau fatal qui lui permet de rester dans ses ténèbres jusqu'à nos jours.

 

Reconnaissante à celui qui n'avait voulu ni diminuer, ni tromper l'Epouse, la gentilité l'exalta d'autant plus, au contraire, qu'il s'était abaissé davantage ; elle recueillit les sentiments qu'aurait dû garder la synagogue répudiée, et manifesta par tous les moyens en son pouvoir que, sans confondre la lumière empruntée du Précurseur avec l'éclat du Soleil de justice, elle n'en saluait pas moins avec enthousiasme cette lumière qui avait été pour l'humanité l'aurore des joies nuptiales.

 

On pourrait presque dire des feux de la Saint-Jean qu'ils remontent, comme la fête elle-même, à l'origine du christianisme. Ils apparaissent du moins dès les premiers temps de la paix, comme un fruit de l'initiative populaire, non sans exciter parfois la sollicitude des Pères et des conciles, attentifs à bannir  toute idée superstitieuse de manifestations qui remplaçaient, si heureusement d'ailleurs, les fêtes païennes des solstices. Mais la nécessité de combattre quelques abus, possibles aujourd'hui comme alors, n'empêcha point l'Eglise d'encourager un genre de démonstrations qui répondait si bien au caractère de la fête.

 

Les feux de la Saint-Jean complétaient heureusement la solennité liturgique ; ils montraient unies dans une même  pensée l'Eglise et  la  cité terrestre. Car l'organisation de ces réjouissances relevait  des communes, et les municipalités en portaient tous les frais.  Aussi le privilège d'allumer  les feux était-il réservé, d'ordinaire, aux premiers personnages de l'ordre civil. Les rois eux-mêmes, prenant part à la joie de tous, tenaient à honneur de donner ce  signal d'allégresse  à leurs peuples ; Louis XIV, en 1648, mit encore le feu au bûcher de la place de Grève, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. Ailleurs, comme il se fait toujours en plus d'un endroit de la  catholique Bretagne, le clergé, invité à bénir les bois amoncelés, y jetait lui-même le premier brandon ; tandis que la foule, portant des torches embrasées, se répandait dans les campagnes autour des moissons mûrissantes, ou suivait au bord de l'Océan les sinuosités du rivage,  avec  mille cris joyeux auxquels  répondaient les feux allumés dans les îles voisines.

 

En certains lieux, la roue ardente, disque enflammé tournant sur lui-même et parcourant les rues des villes ou descendant du sommet des montagnes, représentait le mouvement du soleil qui n'atteint le plus haut point de sa course que pour redescendre aussitôt ; elle rappelait la parole du Précurseur au sujet du Messie : Il faut qu'il croisse et que je diminue. Le symbolisme se complétait par l'usage où l'on était de brûler les ossements et débris de toutes sortes, en ce jour qui annonça la fin de la loi ancienne et le commencement des temps nouveaux, selon le mot de l'Ecriture : Vous rejetterez ce qui est vieux, à l'arrivée des nouveaux biens.

 

Heureuses les populations qui conservent encore quelque chose des coutumes où l'antique simplicité de nos pères puisait une joie plus vraie, et plus pure assurément, que celles demandées par leurs descendants à des fêtes où l'âme n'a plus de part !

   

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

  

Saint John night in a beach of Malaga

People dance around a bonfire on June 24, 2010, during the traditional San Juan's (Saint John) night in a beach of Malaga, southern Spain. Fires are lit throughout Spain on the eve of Saint John where people burn objects they no longer want and make wishes as they jump through the flames.

 

photo : REUTERS/Jon Nazca (SPAIN) 

http://news.yahoo.com/

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