Statue de Saint François Xavier, église Saint Ignace, Paris
Les Apôtres ayant été les hérauts de l'Avènement du Christ, il convenait que le temps de l'Avent ne fût pas privé de la commémoration de quelqu'un d'entre eux. La divine Providence y a pourvu ;
car parler de saint André, dont la fête est souvent déjà passée quand s'ouvre la carrière de l'Avent, saint Thomas se rencontre infailliblement chaque année aux approches de Noël. Nous dirons
plus loin pourquoi il a obtenu ce poste de préférence aux autres Apôtres ; ici nous voulons seulement insister sur la convenance qui semblait exiger que le Collège Apostolique fournit au moins un
de ses membres pour annoncer, dans cette partie du Cycle catholique, la venue du Rédempteur.
Mais Dieu n'a pas voulu que le premier apostolat fût le seul qui parût en tête du Calendrier liturgique ; grande est aussi, quoique inférieure, la gloire de ce second Apostolat par lequel
l'Epouse de Jésus-Christ multiplie ci ses enfants, dans sa vieillesse féconde, comme parle le Psalmiste. Il est encore présentement des Gentils à évangéliser ; la venue du Messie est loin d'avoir
été annoncée à tous les peuples ; mais, entre les vaillants messagers du Verbe divin qui, dans ces derniers siècles, ont fait éclater leur voix au milieu des nations infidèles, il n'en est point qui ait brillé d'une plus vive
splendeur, qui ait opéré plus de prodiges, qui se soit montré plus semblable aux premiers Apôtres, que le récent Apôtre des Indes, saint François Xavier.
Et certes, la vie et l'apostolat de cet homme merveilleux furent l'objet d'un grand triomphe pour notre Mère la sainte Eglise catholique au temps où ils éclatèrent. L'hérésie,
soutenue en toutes manières par la fausse science, par la politique, par la cupidité et toutes les mauvaises passions du cœur de l'homme, semblait toucher au moment
de la victoire. Dans son audacieux langage, elle ne parlait plus qu'avec un profond mépris de cette antique Eglise appuyée sur les promesses de Jésus-Christ ; elle la dénonçait aux
nations, et osait l'appeler la prostituée de Babylone, comme si les vices des enfants pouvaient obscurcir la pureté de leur mère. Dieu se montra enfin, et soudain le sol de l'Eglise apparut
couvert des plus admirables fruits de sainteté. Les héros et les héroïnes se multiplièrent du sein même de cette stérilité qui n'était qu'apparente, et tandis que les prétendus
réformateurs se montraient les plus vicieux des hommes, l'Italie et l'Espagne à elles seules brillèrent d'un éclat incomparable par les chefs-d'œuvre de sainteté qui se produisirent
dans leur sein.
Aujourd'hui c'est François Xavier ; mais plus d'une fois sur le Cycle nous verrons briller les nobles compagnons, les illustres compagnes, que la grâce divine lui suscita : en sorte que le XVIe
siècle n'eut rien à envier aux siècles les plus favorisés des merveilles de la sainteté. Certes, ils ne l'inquiétaient pas beaucoup du salut des infidèles, ces soi-disant réformateurs qui ne songeaient qu'à anéantir le vrai Christianisme sous les ruines de ses temples ; et c'était
à ce moment même qu'une société d'apôtres s'offrait au Pontife romain pour aller planter la foi chez les peuples les plus enfoncés dans les ombres de la mort.
Mais, de tous ces apôtres, ainsi que nous venons de le dire, nul n'a réalisé le type primitif au même degré que le disciple d'Ignace. Rien ne lui a manqué, ni la vaste étendue des pays sillonnés
par son zèle, ni les centaines de milliers d'infidèles qu'il baptisa de son bras infatigable, ni les prodiges de toute sorte qui le montrèrent aux infidèles comme marqué du sceau qu'avaient reçu
ceux dont la sainte Liturgie nous dit : "Ce sont ceux-ci qui, vivant encore dans la chair, ont été les planteurs de l'Eglise." L'Orient a donc vu, au XVIe siècle, un Apôtre venu de Rome
toujours sainte, et dont le caractère et les œuvres rappelaient l'éclat dont brillèrent ceux que Jésus avait envoyés lui-même. Gloire soit donc au divin Epoux qui a vengé l'honneur de son Epouse,
en suscitant François Xavier, et en nous donnant en lui une idée de ce que furent, au sein du monde païen, les hommes qu'il avait chargés de la promulgation de son
Evangile.
Saint François Xavier bénissant l'Inde et le Japon
au fronton de l'église Saint François Xavier à Paris
Lisons maintenant le détail abrégé des œuvres du nouvel apôtre dans le récit de la sainte Eglise :
François, né à Xavier au diocèse de Pampelune, de parents nobles, se fit à Paris le compagnon et le disciple de saint Ignace. Sous un tel maître, il en vint bientôt à une contemplation si sublime
des choses divines, que plus d'une fois on le vit élevé au-dessus de terre ; ce qui lui arriva à diverses reprises, en présence d'une multitude de peuple, pendant qu'il célébrait le saint
Sacrifice. Il obtenait ces délices de l'âme par de grandes macérations de son corps ; car il s'interdisait non seulement l'usage de la chair et du vin, mais jusqu'au pain de froment, ne vivant
que des plus vils aliments, et passant deux ou trois jours sans rien prendre. Il se flagellait si rudement avec des disciplines armées de fer, que souvent le sang coulait avec abondance ; il ne
prenait qu'un sommeil très court, et encore sur la terre nue.
L'austérité et la sainteté de sa vie l'avaient rendu mûr pour les travaux apostoliques , quand Jean III, roi de Portugal, ayant demandé à Paul III, pour les Indes, quelques membres de la Société
naissante, le Pape, par l'avis de saint Ignace, choisit François pour ce grand emploi, et lui donna les pouvoirs de Nonce Apostolique. A peine fut-il arrivé, qu'il apparut tout d'un coup
miraculeusement initié aux langues très difficiles et très variées de ces diverses nations. Il arriva même quelquefois que, prêchant en une seule langue devant des nations différentes, chacune
l'entendait parler la sienne. Il parcourut, toujours à pied, et souvent sans chaussure , d'innombrables provinces. Il introduisit la foi au Japon et dans six autres contrées. Il convertit dans
les Indes plusieurs centaines de milliers de personnes. Il purifia dans le saint baptême de grands princes et nombre de rois. Et pendant qu'il faisait pour Dieu de si grandes choses, telle était
son humilité , qu'il n'écrivait qu'à genoux à saint Ignace, son Général.
Dieu fortifia cette ardeur qu'il avait de propager l'Evangile, par de grands et nombreux miracles. François rendit la vue à un aveugle. Par un signe de croix il changea en eau douce de l'eau de
mer, autant qu'il en fallut pour subvenir longtemps à un équipage de cinq cents hommes qui mouraient de soif. Cette eau, portée depuis en diverses contrées, guérit subitement un grand nombre de
malades. Il ressuscita plusieurs morts, dont un, enterré de la veille, fut tiré de sa fosse ; et deux autres qu'il prit par la main pendant qu'on les portait en terre, furent rendus vivants à
leurs parents. Inspiré diverses fois par l'esprit de prophétie, il révéla plusieurs événements éloignés de temps et de lieu. Enfin il mourut dans l'île de Sancian, le second jour de décembre,
plein de mérites et épuisé de travaux. Son corps, enseveli à deux fois dans de la chaux vive, s'y conserva pendant plusieurs mois sans corruption ; il en sortit même du sang et une odeur suave.
Transporté à Malaca, son arrivée arrêta sur-le-champ une peste très violente. Enfin de nouveaux et très grands miracles ayant éclaté dans toutes les parties du monde par l'intercession de
François, Grégoire XV le mit au rang des Saints.
Chapelle Saint François Xavier, église Saint Ignace, Paris
Glorieux apôtre de Jésus-Christ qui avez illuminé de sa lumière les nations assises dans les ombres de la mort, nous nous adressons à vous, nous Chrétiens indignes, afin que par cette charité qui
vous porta à tout sacrifier pour évangéliser les nations, vous daigniez préparer nos cœurs à recevoir la visite du Sauveur que notre foi attend et que notre amour désire.
Vous fûtes le père des nations infidèles ; soyez le protecteur du peuple des croyants, dans les jours où nous sommes. Avant d'avoir encore contemplé de vos yeux le Seigneur Jésus, vous le
fîtes connaître à des peuples innombrables ; maintenant que vous le voyez face à face, obtenez que nous le puissions voir, quand il va paraître, avec la Foi simple et ardente de ces Mages de
l'Orient, prémices glorieuses des nations que vous êtes allé initier à l’admirable lumière.
Souvenez-vous aussi, grand apôtre, de ces mêmes nations que vous avez évangélisées, et chez lesquelles la parole de vie, par un terrible jugement de Dieu, a cessé d'être féconde.
Priez pour le vaste empire de la Chine que votre regard saluait en mourant, et auquel il ne fut pas donné d'entendre votre parole.
Priez pour le Japon, plantation chérie que le sanglier dont parle le Psalmiste a si horriblement dévastée. Obtenez que le sang des Martyrs, qui y fut répandu comme l'eau, fertilise enfin cette
terre.
Bénissez aussi, ô Xavier, toutes les Missions que notre Mère la sainte Eglise a entreprises, dans les contrées où la Croix ne triomphe pas encore. Que les cœurs des infidèles s'ouvrent à la
lumineuse simplicité de la foi ; que la semense fructifie au centuple ; que le nombre des nouveaux apôtres, vos successeurs, aille toujours croissant ; que leur zèle et leur charité ne défaillent
jamais : que leurs sueurs deviennent fécondes, que la couronne de leur martyre soit non seulement la récompense, mais le complément et la dernière victoire de leur apostolat.
Souvenez-vous, devant le Seigneur, des innombrables membres de celle association par laquelle Jésus-Christ est annoncé dans toute la terre, et qui s'est placée sous votre patronage.
Enfin priez d'un cœur filial pour la sainte Compagnie dont vous êtes la gloire et l'espérance. Qu'elle fleurisse de plus en plus sous le vent de la tribulation qui ne lui manqua jamais ; qu'elle
se multiplie, afin que par elle soient multipliés les enfants de Dieu ; qu'elle ait toujours au service du peuple chrétien de nombreux Apôtres et de vigilants Docteurs ; qu'elle ne porte pas en
vain le nom de Jésus.
*
Considérons l'état misérable du genre humain, au moment où le Christ va paraître. La décroissance des vérités sur la terre est terriblement exprimée par la décadence de la lumière matérielle en ces jours. Les traditions antiques vont de toutes pars s'éteignant ;
le Dieu créateur de toutes choses est méconnu dans l'œuvre même de ses mains ; tout est devenu Dieu, excepté le Dieu qui a tout fait.
Ce hideux Panthéisme dévore la morale publique et privée. Tous les droits, hors celui du plus fort, sont oubliés ; la volupté, la cupidité, le larcin siègent sur les autels et
reçoivent l'encens.
La famille est anéantie par le divorce et l'infanticide ; l'espèce humaine est dégradée en masse par l'esclavage ; les nations même périssent par les guerres
d'extermination.
Le genre humain n'en peut plus ; et si la main qui l'a créé ne lui est de nouveau appliquée, il doit infailliblement succomber dans une dissolution honteuse et sanglante. Les
justes qu'il contient encore, et qui luttent contre le torrent et la dégradation universelle, ne le sauveront pas ; car ils sont méconnus des hommes, et leurs mérites ne sauraient,
aux yeux de Dieu, pallier l'horrible lèpre qui dévore la terre.
Plus criminelle encore qu'aux jours du déluge, toute chair a corrompu sa voie ; néanmoins, une seconde extermination ne servirait qu'à manifester la justice de Dieu ; il est
temps qu'un déluge miséricordieux s'épanche sur la terre, et que celui qui a fait le genre humain descende pour le guérir.
Paraissez donc, ô Fils éternel de Dieu ! Venez ranimer ce cadavre, guérir tant de plaies, laver tant de souillures, rendre surabondante la Grâce, là où le péché abonde ; et quand vous aurez
converti le monde à votre sainte loi, c'est alors que vous aurez montré à tous les futurs que c'est vous-même, ô Verbe du Père, qui êtes venu : car si un Dieu a pu seul créer
le monde, il n'y avait non plus que la toute-puissance d'un Dieu qui pût, en l'arrachant à Satan et
au péché, le rendre à la justice et à la sainteté.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Statue de Saint François Xavier à la cathédrale de Chicoutimi