SAINTE BIBIANE
(statue du Bernin, église de Santa Bibiana à Rome)
Au temps de l'Avent, l'Eglise célèbre entre autres la mémoire de cinq illustres Vierges. La première, sainte Bibiane, que nous fêtons aujourd'hui, est romaine ; la seconde, sainte Barbe,
est l'honneur des Eglises de l'Orient ; la troisième, sainte Eulalie de Mérida, est l'une des principales gloires de l'Eglise d'Espagne ; la quatrième, sainte Lucie, appartient à l'heureuse
Sicile ; la cinquième enfin, sainte Odile, est réclamée parla France. Ces cinq Vierges prudentes ont allumé leur lampe et ont veillé, attendant l'arrivée de l'Epoux ; et si grande a été leur
constance et leur fidélité, que quatre d'entre elles ont versé leur sang pour l'amour de Celui qu'elles attendaient. Fortifions-nous par un si grand exemple ; et puisque, comme parle l'Apôtre,
nous n'avons pas encore résisté jusqu'au sang ; n'allons pas plaindre notre peine et nos fatigues durant les veilles du Seigneur, que nous poursuivons dans l'espoir de le voir bientôt : mais
instruisons-nous aujourd'hui par les glorieux exemples de la chaste et courageuse Bibiane.
Bibiane, Vierge romaine, d'une illustre naissance, fut encore plus illustre par la foi chrétienne ; car, sous Julien l'Apostat, tyran très impie, Flavien, son père, qui avait été préfet, fut
dégradé, marqué de la flétrissure des esclaves, et relégué aux Eaux Taurines, où il mourut martyr. Sa mère Dafrosa, condamnée d'abord à rester avec ses filles en sa demeure pour y mourir de faim,
fut plus tard reléguée hors de Rome et décollée. Après la mort de ses pieux parents, Bibiane fut dépouillée de tous ses biens ; sa sœur Demetria éprouva le même sort. Apronianus, Préteur de la
ville, qui convoitait leurs trésors, se mit à persécuter les deux sœurs, lesquelles ayant été enfermées dans un lieu où elles étaient dénuées de tout secours humain, furent merveilleusement
nourries par le Dieu qui donne l'aliment à ceux qui ont faim, et reparurent plus fortes et plus florissantes ; ce qui étonna grandement le Préteur.
Cependant il essaya de les porter à honorer les dieux des Gentils, promettant de leur faire obtenir leurs richesses perdues, la faveur de l'Empereur et de brillantes alliances ; les
menaçant, si elles refusaient, de la prison, des fouets et de la hache. Ni caresses ni menaces n'ébranlèrent leur foi ; et, préférant mourir plutôt que de se souiller par les superstitions
païennes, elles repoussèrent avec indignation et constance les propositions impies du Préteur. C'est pourquoi Démétria, frappée sous les yeux de Bibiane, mourut et s'endormit dans le Seigneur.
Bibiane fut livrée à une femme très habile dans l'art de séduire, nommée Rufina. Mais la vierge, instruite dès l'enfance à garder la loi chrétienne, et à conserver sans tache la fleur de
virginité, s'élevant au-dessus d'elle-même, triompha de cette femme artificieuse, et déjoua la perfidie du Préteur.
Ainsi ce fut en vain que Rufina, pour ébranler son généreux propos, employa chaque jour avec les paroles caressantes la violence des coups. Trompé dans son attente, le Préteur, irrité d'être
vaincu par Bibiane, commanda à ses licteurs de la dépouiller, de l'attacher à une colonne, les mains liées, et de la battre à coups de lanières plombées jusqu'à ce qu'elle expirât. Son corps
sacré demeura deux jours sur la place du Taureau, abandonné aux chiens ; mais, divinement préservé, il ne reçut aucun outrage. Un prêtre nommé Jean ensevelit Bibiane pendant la nuit, à côté du
tombeau de sa sœur et de sa mère, près du palais de Licinius, où est encore à présent une église consacrée à Dieu sous le nom de la Sainte. Urbain VIII la répara, y avant découvert les
corps des saintes Bibiane, Démétria et Dafrosa, qu'il plaça sous le grand autel.
O vierge très prudente, Bibiane ! vous avez traversé sans faiblir la longue veille de cette vie ; et l'huile ne manquait pas à votre lampe, quand soudain l'Epoux est arrivé. Vous voici
maintenant, pour l'éternité, dans le séjour des noces éternelles, où le Bien-Aimé paît au milieu des lis. Du lieu de votre repos, souvenez-vous de ceux qui vivent encore dans l'attente de ce même
Epoux dont les embrassements éternels vous sont réservés pour les siècles des siècles.
Nous attendons la Naissance du Sauveur du monde, qui doit être la fin du péché et le commencement de la justice ; nous attendons la venue de ce Sauveur dans nos âmes, afin qu'il les vivifie et
qu'il se les unisse par son amour ; nous attendons enfin le Juge des vivants et des morts.
Vierge très sage, fléchissez, par vos tendres prières, ce Sauveur, cet Epoux, ce Juge ; afin que sa triple visite, opérée successivement en nous, soit pour nous le principe et la consommation de
cette union divine à laquelle nous devons tous aspirer.
Priez aussi, Vierge très fidèle, pour l'Eglise de la terre qui vous a enfantée à l'Eglise du ciel, et qui garde si religieusement vos précieuses dépouilles Obtenez-lui cette fidélité parfaite qui
la rende toujours digne de Celui qui est son Epoux aussi bien que le vôtre, et qui, l'ayant enrichie de ses dons les plus magnifiques et fortifiée des promesses les plus inviolables, veut
cependant qu'elle demande et que nous demandions pour elle les grâces qui doivent la conduire
au terme glorieux vers lequel elle aspire.
Considérons aujourd'hui l'état de la nature dans la saison de l'année où nous sommes arrivés. La terre s'est dépouillée de sa parure accoutumée, les fleurs ont péri, les fruits ne pendent plus
aux arbres, le feuillage des forêts est dispersé par les vents, la froidure saisit toute âme vivante ; on dirait que la mort est à la porte.
Si du moins le soleil conservait son éclat, et traçait encore dans les airs sa course radieuse ! Mais, de jour en jour, il rétrécit sa marche. Après une longue nuit, les hommes ne
l'aperçoivent que pour le voir bientôt retomber au couchant, à l'heure même où naguère ses feux brillaient encore d'un vif éclat ; et chaque jour voit s'accélérer la rapide invasion des
ténèbres.
Le monde est-il destiné à voir s'éteindre pour jamais son flambeau ? Le genre humain est-il condamné à finir dans la nuit ? Les païens le craignirent ; et c'est pourquoi, comptant avec terreur
les jours de cette lutte effrayante de la lumière et des ténèbres, ils consacrèrent au culte du Soleil le vingt-cinquième jour de Décembre, qui fait le solstice d'hiver, jour après lequel cet
astre, l'échappant des liens qui le retenaient, commence à remonter et reprend graduellement cette ligne triomphante par laquelle naguère il divisait le ciel en deux parts.
Nous chrétiens, illuminés des splendeurs de la foi, nous ne nous arrêterons point à ces terreurs humaines : nous cherchons un Soleil auprès duquel le soleil visible n'est que ténèbres. Avec lui,
nous pourrions défier toutes les ombres matérielles ; sans lui, la lumière que nous croirions avoir ne peut que nous égarer et nous perdre.
O Jésus ! lumière véritable qui éclairez tout homme venant en ce monde, vous avez choisi, pour naître au milieu de nous, l'instant où le soleil visible est près de s'éteindre, afin de nous faire
comprendre, par cette figure si frappante, l'état où nous étions réduits quand vous vîntes nous sauver en nous éclairant.
" La lumière du jour baissait, dit saint Bernard dans son premier Sermon de l'Avent ; le Soleil de justice avait presque disparu ; sur la terre, à peine restait-il une faible lueur et une chaleur
mourante. Car la lumière de la divine connaissance était presque éteinte ; et par l'abondance de l'iniquité, la ferveur de la charité s'était refroidie. L'Ange n'apparaissait plus ; le Prophète
ne se faisait plus entendre. L'un et l'autre étaient comme découragés par la dureté et l'obstination des hommes ; mais, dit le Fils de Dieu, c'est alors que j'ai dit : Me voici.
O Christ ! ô Soleil de justice ! donnez-nous de bien sentir ce qu'est le monde sans vous ; ce que sont nos intelligences sans votre lumière, nos cœurs sans votre divine chaleur. Ouvrez les yeux
de notre foi ; et pendant que ceux de notre corps seront témoins de la décroissance journalière de la lumière visible, nous songerons aux ténèbres de l'âme que vous seul pouvez éclairer. Alors
notre cri, du fond de l'abîme, s'élèvera vers vous qui devez paraître au jour marqué, et dissiper les ombres les plus épaisses, par votre victorieuse splendeur."
PRIÈRE POUR LE TEMPS DE L’AVENT (Bréviaire Mozarabe, le Mercredi de la IIe Semaine de l'Avent, Capitula.)
Seigneur Jésus-Christ, qui, ayant pris la nature humaine et étant devenu le Sauveur des hommes, avez été donné pour être la lumière des nations, ouvrez les yeux du cœur des peuples qui croient en
vous ; dans votre miséricorde, tirez de la prison ceux que retiennent encore les liens de la défiance, et daignez illuminer par la splendeur de votre connaissance ceux que vous voyez encore
retenus dans les ténèbres de la captivité.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
EGLISE SANTA BIBIANA A ROME