" Grand mystère que celui qui s'accomplit en nos morts ! s'écrie saint Jean Chrysostome. Mystère de louange et d'allégresse, lorsque mandée par le Roi des rois, l'âme s'en va vers son Seigneur, accompagnée des Anges venus pour cela des cieux ! Et toi, tu te lamentes ?... Pourtant, lorsque l'époux auquel tu l'as donnée emmène ta fille au loin, tu ne te plains pas s'il la rend heureuse ; bien que l'absence puisse te peser, la tristesse en est tempérée : sera-ce donc parce que ce n'est pas un homme, un esclave comme nous, qui s'attribue quelqu'un des tiens, mais le Seigneur lui-même, que ton chagrin doit passer toutes bornes ? Je ne te demande point de ne verser aucune larme : pleure, mais sans te désoler comme ceux qui n'ont point d'espérance ; et sache n'en pas moins rendre grâces comme il est juste, honorant par là tes morts autant que glorifiant Dieu, leur faisant ainsi de splendides funérailles".
(Chrys. in Acta Ap. Homilia XXI, 3,4. — Chrys. Homilia de Dormientibus, Va de Lazaro, 2.)
Tel était le sentiment dont s'inspiraient nos pères, en ces adieux de la liturgie primitive qui contrastaient si grandement avec les pompes désolées des païens, et semblaient faire du cortège funèbre une conduite d'épousée. Des mains pieuses lavaient d'abord respectueusement la dépouille mortelle sanctifiée par l'eau du baptême et l'huile sainte, si souvent honorée de la visite du Seigneur en son Sacrement. On la revêtait ensuite des vêtements d'honneur sous lesquels elle avait servi l'Epoux. Comme lui au tombeau, on l'entourait elle aussi de parfums. Souvent même, sur sa poitrine, à l'issue du Sacrifice d'action de grâces et de propitiation, on déposait l'Hostie sainte. Et c'est ainsi que dans une admirable succession de prières et de chants de triomphe, parmi les nuages d'encens, à la lumière de torches nombreuses, elle était conduite au champ du repos où la sépulture chrétienne allait l'associer au dernier mystère de la vie mortelle du Sauveur. Comme au grand Samedi sur le jardin du Golgotha, la Croix nue, dépossédée de son divin fardeau, y planait sur les tombes où l'Homme-Dieu continuait d'attendre, en ses membres mystiques, l'heure assurée de la résurrection.
Au moyen âge, pendant le trajet vers la tombe et la sépulture, on chanta longtemps à Rome, aussi bien que dans le reste de la chrétienté latine, sept Antiennes célèbres, dont l’In paradisum et le Subvenite perpétuent d'ailleurs jusqu'à nous l'inspiration touchante, en pleine harmonie avec les considérations qui précèdent. La première, Aperite mihi portas justitiae, formait le refrain du Psaume CXVII, Confitemini Domino quoniam bonus, et relevait ses accents de victoire, auxquels l'Eglise emprunte le glorieux Verset qui revient sans fin sur ses lèvres en la Solennité des solennités : Haec dies quam fecit Dominus, exsultemus et laetemur in ea. "C'est le jour que le Seigneur a fait, tressaillons et réjouissons-nous".
Terminons par cette prière empruntée aux formules usitées dans l'Eglise latine pour la sépulture des petits enfants :
Dieu tout-puissant, Dieu très doux, qui à tous les petits enfants renés de la fontaine baptismale, quand ils quittent ce monde, donnez aussitôt la vie éternelle sans nul mérite de leur part ; nous vous en supplions, Seigneur : par l'intercession de la bienheureuse Marie toujours Vierge et de tous vos Saints, faites que nous vous servions ici-bas dans la pureté du cœur, afin qu'au paradis nous soyons admis pour toujours dans la société des bienheureux petits enfants.
Par Jésus-Christ notre Seigneur
Amen
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Le Baptême de la Multitude - Porte du Baptistère de Florence