Quelle conclusion donner aux enseignements de l'Octave qui va finir, sinon celle que formule elle-même aujourd'hui la Liturgie sainte ? "Etrangers et pèlerins sur la terre, saluons du cœur et de la pensée le jour qui doit nous rendre à tous une demeure stable en nous ouvrant le paradis. Qui, loin de la patrie, ne hâterait le retour ? Qui, naviguant vers les siens, n'appellerait le vent favorable et ne souhaiterait d'embrasser au plus tôt ses bien-aimés ? Parents, frères, fils, amis nombreux, nous attendent et désirent en la patrie des cieux : foule fortunée, déjà sûre de l'immortalité bienheureuse, encore anxieuse à notre endroit. Quelle joie pour eux, quelle joie pour nous, quand nous pourrons les voir enfin, quand ils pourront nous serrer dans leurs bras ! Plus rien, dans ce royaume du ciel, que bonheur à goûter ensemble ; plus de crainte de mourir ; plus rien que l'éternelle et souveraine félicité ! Que tous nos désirs tendent à cet unique but : rejoindre les saints, pour avec eux posséder le Christ."
A ces effusions que l'Eglise emprunte au beau livre de saint Cyprien sur la Mortalité, font écho, dans l'Office de la nuit, les fortes paroles de saint Augustin rappelant, consolation sublime, au fidèle que l'exil menace de retenir encore, la vraie compensation, la grande béatitude de cette terre : la béatitude de ceux que le monde persécute et maudit. Souffrir pour le Christ avec joie, c'est la gloire du chrétien, l'invisible beauté qui vaut à son âme les divines complaisances et lui assure une grande récompense dans les cieux.
Que celui qui nuit nuise encore, dit le Seigneur, et que le souillé se souille encore ; et que le juste se justifie encore ; et que le saint se sanctifie encore. Voici que je viendrai bientôt, et ma récompense avec moi, pour rendre à chacun selon ses œuvres, moi l'Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin (Apoc. XXII, 11-13.). Patience donc à nous chrétiens, patience aux méprisés de l'heure présente ! Le temps est court ; la figure de ce monde passe. Voyons du haut de notre baptême les insensés qui se croient forts parce qu'ils ont à leur disposition la violence, qui se disent sages parce que le plaisir est leur unique loi. Quand d'un souffle de sa bouche l'Homme-Dieu fera justice de leur chef, leur part sera la sentence indignée qu'entendit le prophète de Pathmos : Arrière, chiens ! dehors les empoisonneurs et les menteurs ! (Apoc. XXII, 15.) Et ce pendant la création entière, la création dont ils avaient fait l'esclave gémissante de leur corruption, répondra par un chant de délivrance à leur chute honteuse. Elle-même, réhabilitée, se transformera en de nouveaux cieux, en une terre nouvelle. Elle participera de la gloire des enfants de Dieu délivrés comme elle et portera dignement la nouvelle Jérusalem, la sainte cité où dans nos corps nous verrons Dieu, où siégeant à la droite du Père dans le Christ Jésus, l'humanité glorifiée jouira pour jamais des honneurs d'Epouse.
Entrons par la pensée dans Rome, et dirigeons nos pas vers l'antique église qui porte, au mont Cœlius,le nom des Quatre saints couronnés. Il est peu de Martyrs dont les Actes aient été plus que les leurs dédaignés "par une critique superficielle et ignorante de la science archéologique", comme le fut trop souvent celle des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Mais aujourd'hui, l'histoire et les traditions relatives à l'auguste monument du Cœlius ont été remises en honneur par des savants et des antiquaires que nul ne saurait taxer de superstition ou d'une aveugle crédulité pour les légendes du moyen âge. C'est l'irréfragable jugement du Commandeur de Rossi. Honorons donc et prions, avec la sainte Liturgie, les titulaires de la vénérable église, autrefois fonctionnaires impériaux, sans oublier les cinq sculpteurs, aussi Martyrs, qui préférèrent comme eux la mort à l'infidélité et partagent maintenant la gloire de leur tombe.
Dieu tout-puissant, soyez favorable à notre humble demande : comme nous est connue la force de vos glorieux Martyrs en leur confession, faites que nous éprouvions la tendresse de leur charité dans leur intercession près de vous en notre faveur.
Par Jésus Christ
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique