Parfois, aimer le foot est une sacrée paire de manches. A tel point qu’il arrive qu’on n’aime plus le foot.
Je ne supportais plus ces joueurs outrageusement riches et bêtes. Les propriétaires d’équipe qui finissent tous par s’avérer magouilleurs russes, princes arabes ou évadés fiscaux asiatiques. Les entraîneurs, escrocs sans grâce qui croient à leur escroquerie - qu’ils ont la moindre influence sur ce qui se passe sur le terrain.
Les sorciers, les alchimistes du prolétariat de mes jeunes années avaient disparu et un type comme Ronaldo était le héros d’une moitié de la planète. Moins un être humain qu’un ego en short. Le foot a le cœur sec et l’esprit dans le portefeuille. C’est une histoire d’hommes mauvais. La corruption de la Fifa, l’horreur de l’UEFA. Apocalypse Now sur gazon. Une industrie de la tonte du supporteur poussée à son plus féroce appétit. Je me suis senti souillé, je me suis senti trahi. Toute une vie de dévotion gaspillée sur un objet profane.
Et puis, cette année, il est arrivé deux trucs remarquables : Leicester City, l’équipe la plus constamment démodée, a remporté le championnat anglais (sans doute le plus rude au monde). Et l’Irlande du Nord (pays de ma naissance) s’est qualifiée pour l’Euro. Le foot, ce rêve brisé, sali, couvert de boue par un million de commerciaux, brille à nouveau d’une petite lueur d’âme. La victoire de Leicester fut un triomphe inattendu, digne des plus beaux jours du foot. Quand la domination des clubs friqués était moins totalitaire et que les malhabiles, les malchanceux et les misérables pouvaient tutoyer la gloire, même brièvement, pour rallumer le ciel comme de glorieusement vulgaires comètes. Et la merveilleuse, l’inutile, la si peu aimable Irlande du Nord va rencontrer sur le tournoi quelques-uns des meilleurs au monde. L’Irlande du Nord, une équipe dont le meilleur joueur des vingt dernières années a dû arrêter parce que la moitié des supporteurs détestait qu’il soit catholique. L’Irlande du Nord, qui détient le record mondial du nombre de matchs joués sans marquer un but. L’Irlande du Nord, qui ne gagnera peut-être pas l’Euro mais qui est un sérieux prétendant à la palme d’or du joueur le plus moche.
Les vrais supporteurs sont ceux de Plymouth Argyle. Plymouth Argyle est une équipe anglaise dont vous n’avez jamais entendu parler (pas non plus la peine d’essayer de prononcer son nom). C’est un club qui a vigoureusement échoué tout au long de son histoire en deuxième et en troisième divisions. Ils n’ont rien gagné d’important. Cent treize années de contre-performances et de revers prévisibles. Et pourtant. La fréquentation hebdomadaire moyenne flirte avec les 10 000 fans. Tous les quinze jours, près de 10 000 personnes paient leur place pour se faire décevoir, sous la pluie. Ça, c’est un supporteur.
Et j’avance que l’Irlande du Nord offre le même genre de deal. Bonjour tristesse et mélancolie véritables. Nous sommes incroyablement mauvais en foot. Pas facile pour nous. Avec notre population de 1,8 million d’habitants qui se nourrissent de pluie et de pommes de terre. Nous sommes, pour la plupart, gros. Et quand nous ne sommes pas gros, nous sommes petits.
L’équipe actuelle ? Notre habituelle collection de tocards et de pouilleux - même s’ils sont sortis vainqueurs de leur groupe (la Grèce a fait bon dernier, quand on pense que ces cons ont inventé la démocratie !). C’est comme faire l’appel dans les plus basses divisions anglaises et écossaises. Conor McLaughlin joue pour Fleetwood Town (même moi je n’ai jamais entendu parler de Fleetwood Town). Kyle Lafferty est notre Zlatan, avec 9 buts pendant les qualifs - à sa plus grande surprise autant qu’à la nôtre. C’est l’homme le plus grand d’Irlande du Nord, il a des dents en bois et vient au match avec son cochon.
Alors, si vous détestez le foot et que vous n’en avez rien à foutre de l’Euro, je comprends.
J’ai la solution. Choisissez une équipe de merde et soutenez-la. Défoncez-vous pour la Roumanie ou le Pays de Galles. Donnez tout ce que vous avez à la Suisse ou l’Albanie (toutes deux en lice pour le prix de la pire coupe de cheveux). Savourez l’échec et la probable déception. Accueillez l’absence totale de glamour, de sport, de technique. Prenez la dépressive départementale qui mène à l’obscurité. Encouragez les vrais sans-espoirs. N’oubliez pas, la vie est nulle et à la fin on meurt. Seul. Entraînez-vous pour l’horreur et l’abnégation de votre courte vie avec un zest de détresse footballistique. Dans cette catégorie, l’Irlande du Nord est votre meilleur choix.
Robert McLiam Wilson, traduit de l’anglais par Myriam Anderson
extraits de l'article : http://www.liberation.fr/sports/2016/06/10/robert-mcliam-wilson-si-vous-n-aimez-pas-l-euro-supportez-l-irlande-du-nord_1458755
- ce Dimanche 12 juin à 18h : IRLANDE DU NORD - POLOGNE