... car d’où, sinon de vous, Seigneur, procédait ce si grand amour des lettres, cette ardeur presque incroyable de
savoir que je sentais sans cesse brûler en moi depuis le moment où j’avais commencé à m’adonner a l’étude. Ainsi, même de nuit, voyant le clair de lune entrer par les fentes des volets, pensant
qu’il faisait jour, je me levais sans tarder, et je serais allé à l’école, si les portes de la maison n’avaient été fermées.
Toutefois, le temps s’écoulant, et moi empirant avec lui, je me suis, ô douleur, assujetti à la vanité. Mais vous, Créateur plein de bienveillance, vous avez eu bientôt pitié de moi, et pour me
faire étudier, vous m’avez mené en un pays éloigné du mien. Là, je n’ai pas seulement appris les rudiments de la philosophie, mais ceux aussi de la vie religieuse, par votre grâce et faveur.
Mais, hélas, je suis retourné, comme les chiens, à mon vomissement. Car n’ayant encore atteint l’âge requis pour la vie que mon cœur désirait, j’ai différé à me convertir, et m’adonnant de
nouveau à l’étude, tout ainsi que je profitais dans les sciences plus que les autres, plus aussi étais-je enflé d’orgueil et d’arrogance, de présomption et de témérité.
Néanmoins, ô Créateur plus que très doux, vous m’avez fait et rendu entre toutes ces choses, ferme, stable et constant en mon bon propos et sainte volonté. Puis, quand il vous a plu, vous m’avez
mis en votre maison que déjà depuis longtemps je désirais ardemment.
Denys
De munificentia
1402 : Naissance de Denys dans le petit village de Ryckel, dans le Limbourg belge.
1421 : On retrouve Denys inscrit à l’université de Cologne, suivant ainsi les conseils des supérieurs de la Chartreuse de Ruremonde (trop jeune, il n’avait pu y être admis cette année-là).
1424 : Il entre à la Chartreuse de Bethlehem Mariæ à Ruremonde, il n’a que 21 ans.
1434 : Denys se lance dans le commentaire de tous les Livres de la Bible, en commençant par celui des Psaumes.
1441-1443 : Trois visions décrites par Denys ; il semble assez coutumier du fait.
1440-1445 : Rédaction du magistral traité De contemplatione
1454 : Autre vision sur la chute de Constantinople
1459 : Denys est nommé procureur de son monastère.
1461 : Autre vision sur les maux de l’Eglise.
1465 : Denys est appelé pour la fondation de la Chartreuse de Bois-le-Duc.
1466 : Il devient recteur du nouveau monastère.
1469 : Epuisé, il obtient d’être déchargé de cette responsabilité. Retour à Ruremonde. Denys rédige son dernier traité De meditatione.
1471 : Denys s’endort dans le Seigneur le 12 mars, vers 11 heures du matin.
le site : Denys le Chartreux
Moi, frère Denys, du fond du cœur je rends grâce à Dieu de m’avoir fait entrer si jeune en religion. Je n’avais
alors que vingt et un ans, et en voici maintenant, avec l’aide du Seigneur, quarante-six que je suis chartreux.
Pendant tout ce temps, Dieu en soit béni, je me suis assidûment appliqué à l’étude, et j’ai lu de nombreux auteurs. Ce genre de travail auquel l’esprit prend part, est naturellement
accompagné de beaucoup de difficultés, de fatigue et d’ennuis : il m’a été par cela même plus profitable, puisqu’il m’aidait à mortifier les sens et à réprimer les instincts mauvais. Ces études
enfin m’ont fait demeurer plus volontiers en cellule.
Pour autant que j’ai pu m’en convaincre après mûr examen, je n’ai pas conscience de m’être livré à cette tâche par vanité, ni par recherche de la renommée ou d’avantages personnels, mais plutôt
afin que, travaillant chaque jour sur les saintes écritures, je m’applique à vivre selon leurs enseignements, pour parvenir enfin à la véritable humilité, patience et douceur, dont j’ai tant
besoin.
Denys
Protestatio ad superiorem
On connaît Denys le chartreux par ses nombreux écrits.
Quarante-deux volumes figurent dans la monumentale édition cartusienne de Montreuil-sur-Mer. Le 'Docteur extatique' du XVe siècle, mort en 1471 en laissant derrière lui un modèle de vie
ascétique, une expérience mystique intense et une œuvre considérable tant du point de vue exégétique et spirituel que philosophique, n'a cependant pas négligé de s'intéresser aux plus humbles
aspects de la vie monastique quand on le sollicitait sur tel ou tel point.
Ainsi est né ce petit traité de la vie recluse, écrit à la demande d'une recluse qui désirait être conduite d'une main sûre sur le chemin de perfection. Rien d'intellectuel ou de savant ne vient
rider la simplicité de ces "consignes de vie" données avec bonté, rigueur, mesure, et un sens évident des choses concrètes.
Il s'agit d'aller droit au but : durer dans l'amour de Dieu en solitude. Aussi Denys le chartreux n'encombre-t-il pas l'esprit de la recluse avec de hautes considérations théologiques, mais, au
contraire, lui simplifie la tâche en ouvrant un chemin de dépouillement, de paix intérieure et de fidélité, qui prend corps dans la prière et l'effacement de soi pour l'amour de Dieu.
C'est à cette simplicité que ce traité doit sa fraîcheur toujours d'actualité qui justifie sa présence dans cette collection.
Editions Beauchesne : Livre de vie des recluses
Il n'est pas un historien qui puisse sérieusement aborder
la question de la pensée catholique aux XVe et XVIe siècles, sans évoquer la figure prépondérante de Denys le Chartreux, celui que l'on a souvent appelé depuis le dernier des
scolastiques.
Ses ouvrages, en effet, de véritables succès de librairie,
furent continuellement cités par les auteurs spirituels de cette période. Mais, contre toute attente, lorsque l'on évoque aujourd'hui Denys, c'est toujours en deux ou trois phrases, faute de
mieux connaître l'homme et ses écrits. C'est pour réparer quelque peu cet oubli injustifié que nous avons choisi de publier le présent ouvrage. Nous y proposons un ensemble de textes extraits
d'une dizaine d'œuvres traduites à la fin du XVIe siècle par un chartreux du monastère de Paris.
Il s'agit là d'un itinéraire où l'homme, sur un chemin aux raccourcis et aux détours parfois imprévus,
s'élèvera peu à peu jusqu'à l'union transformante.
un extrait de : De Fonte Lucis
La voie purgative est un exercice, un effort ou une occupation par lesquels, comme par quelque chemin et
moyen, nous tendons et nous nous efforçons de repousser les vices, de brider nos passions et concupiscences, de réformer toutes les affections de l’âme, de garder soigneusement notre cœur et nos
sens en toute pureté, et d’éviter tout péché.
Faire cela en vérité, c’est ne se pas conformer à ce siècle pervers, c’est dépouiller le vieil homme et être réformé de l’intérieur, c’est châtier son corps et le réduire sous la servitude de
l’esprit, c’est faire des œuvres dignes de pénitence, et être toujours attentif et vigilent à purger l’âme de toute horreur de péché afin de la conserver en pureté et sainteté.
Notre Dieu, en effet, étant saint essentiellement, pur et bon, sage, parfait et véritable, Il recherche, aime et embrasse l’âme pure, vertueuse et sage.
Il n’y a que le péché qui nous sépare de Lui et empêche en nous ses grâces.