Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie ?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé
Imiter des mortels l'immortelle folie ?
L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom
Et la vague engloutit ses voeux et son navire
Dans le sein de la gloire où son génie aspire
L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.
Avec nos passions formant sa vaste trame
Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber
Dans des pièges plus doux aimant à succomber
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.
Le paresseux s'endort dans les bras de la faim
Le laboureur conduit sa fertile charrue
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.
Où vont-ils cependant? Ils vont où va la feuille
Que chasse devant lui le souffle des hivers.
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille.
Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.
Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu ?
Pour moi, je chanterai le maître que j'adore
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.
La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur ?
Celui dont l'âme immense est partout répandue
Celui dont un seul pas mesure l'étendue
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur
Celui qui du néant a tiré la matière
Celui qui sur le vide a fondé l'univers
Celui qui sans rivage a renfermé les mers
Celui qui d'un regard a lancé la lumière
Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain
Celui qui de tout temps de soi-rnême s'enfante
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente
Et rappelle les temps échappés de sa main :
C'est lui ! c'est le Seigneur ! que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels
Comme la harpe d'or pendue à ses autels
Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...
LAMARTINE, Stances
Paysage rocheux dans la Elbsandsteingebirge, Caspar David Friedrich
Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques
" Plus je montais, plus je voyais Dieu. " (Nouvelles méditations poétiques)