Tandis que les factieux et la populace à leur suite attaquaient de tous cotés la ville, les citoyens, entre ces partis, étaient déchirés comme un grand corps. Les vieillards et les femmes, poussés au désespoir, faisaient des vœux pour les Romains et attendaient avec impatience la guerre étrangère qui les délivrerait de leurs maux domestiques. Les honnêtes gens étaient frappés de terreur, assaillis par la crainte, car ils ne voyaient pas la possibilité de s’entendre pour changer le cours des affaires, ni aucune espérance de paix ou de fuite pour ceux qui la désiraient. Tous les passages, en effet, étaient gardés, et les chefs des brigands, d'ailleurs divisés, considérant comme des ennemis communs ceux qui songeaient à obtenir la paix des Romains ou qu'ils soupçonnaient de défection, les mettaient à mort. Ils n'étaient d'accord que pour égorger ceux des citoyens qui étaient dignes d'être sauvés. Jour et nuit les combattants poussaient des cris ininterrompus ; plus affreux encore étaient les gémissements que l'effroi arrachait à ceux qui pleuraient. Les malheurs apportaient de continuels motifs de plaintes, mais la crainte réprimait les lamentations, et les habitants, faisant taire leur douleur, étaient torturés par les sanglots qu'ils étouffaient. Les vivants n'obtenaient plus aucuns égards de leur proches : on ne se souciait plus de donner la sépulture aux morts. La cause de cette double apathie était le désespoir de chacun, ceux qui n'appartenaient pas aux factions avaient perdu tout ressort, dans la pensée qu'ils allaient mourir bientôt d'une manière ou de l'autre. Cependant les factieux entassaient les cadavres et les foulaient aux pieds, et ces corps écrasés, répandant une odeur infecte, avivaient leur fureur.
Ils inventaient sans cesse quelque nouveau moyen de destruction, et, comme ils réalisaient sans pitié tout ce qu'ils concevaient, ils recouraient à toutes les formes de l'outrage et de la cruauté. Jean alla jusqu'à employer, pour la construction de machines de guerre, du bois réservé au culte. Car comme le peuple et les grands-prêtres avaient décidé naguère d'étayer le Temple pour l'exhausser de vingt coudées, le roi Agrippa fit transporter du Liban, à grands frais et au prix de grands efforts, le bois nécessaire : ces poutres méritaient d'être vues pour leur rectitude et leur volume. La guerre interrompit ce travail : Jean fit équarrir ces poutres et les employa à élever des tours, ayant observé que leur longueur était suffisante pour atteindre ses adversaires au sommet du Temple. Il transféra et établit ces tours derrière l'enceinte, en face de la galerie de l'Occident ; c'était le seul endroit convenable, car des degrés interceptaient à distance l'accès des autres côtés.
Jean avait espéré que ces machines, construites au prix de l'impiété, lui donneraient l'avantage sur ses ennemis, mais Dieu rendit ses efforts inutiles en amenant les Romains avant qu'il eût placé des soldats sur les tours. En effet, dès que Titus eut rassemblé auprès de lui une partie de ses troupes et mandé au reste de l'armée de les rejoindre à Jérusalem, il sortit de Césarée. C'étaient les trois légions (Ve, Xe et XVe) qui avaient auparavant ravagé la Judée sous les ordres de son père, et la XIIe qui, jadis, sous Cestius, avait essuyé un échec ; réputée d'ailleurs par sa bravoure, le souvenir des maux qu'elle avait endurés la faisait marcher avec plus d'ardeur à la vengeance. Deux de ces légions, la cinquième et la dixième, reçurent l'ordre, l'une de le rejoindre par Emmaüs, l'autre de monter par Jéricho quant à lui, il partit avec le reste des légions, auxquelles s'unirent les contingents renforcés des rois alliés et un grand nombre d'auxiliaires de Syrie. On avait complété l'effectif des quatre légions, où Vespasien avait pris les soldats envoyés avec Mucianus en Italie, au moyen d'un nombre égal de recrues dont Titus s'était fait suivre. Il avait sous ses ordres deux mille soldats d'élite de l'armée d'Alexandrie et trois mille des garnisons de l'Euphrate.
Le plus estimé de ses amis pour sa loyauté et son intelligence, Tibère Alexandre, accompagnait Titus. D'abord administrateur de l'Egypte pour Vespasien et son fils, il commandait maintenant leurs armées, jugé digne de cet honneur pour la manière dont il avait, le premier et dès le début, accueilli la dynastie nouvelle et s'était joint avec une magnifique fidélité à la fortune encore incertaine du prince ; il était de bon conseil dans les affaires de la guerre et supérieur par l'âge et l'expérience.
Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs contre les Romains, Livre V, I Œuvres complètes de Flavius Josèphe, bnf.fr