Cependant les fidèles, habitants de Jérusalem, qui quatre ou cinq années auparavant y avaient vu le vénérable Pierre l'Ermite, reconnaissant alors dans la même ville celui auquel le patriarche et d'autres citoyens considérables, tant du clergé que du peuple, avaient remis des lettres pour invoquer les secours des princes des royaumes de l'Occident, fléchissaient le genou devant lui et lui présentaient leurs respects en toute humilité.
Ils rappelaient dans leur mémoire les circonstances de son premier voyage, se souvenaient de sa bonté familière et de l'amitié par laquelle il avait daigné se lier avec eux ; ils lui rendaient grâce d'avoir accompli sa mission avec tant de zèle et de fidélité et dans le seul objet de s'acquitter d'une oeuvre de piété; avant tout ils louaient le Seigneur, qui déploie sa gloire par les bras de ses serviteurs, qui avait dirigé les voies de cet homme bien au-delà de ce que ses frères pouvaient en espérer, qui lui avait donné le pouvoir efficace de la parole et la force de convertir sans difficulté les nations et les royaumes, et de les animer à supporter tant et de si longues fatigues, pour l'amour du nom du Christ.
Ainsi furent pleinement confirmées ces paroles du Seigneur, qui a dit lui-même : Ma parole qui sort de ma bouche ne retournera point à moi sans fruit ; mais elle fera tout ce que je veux, et elle produira l'effet pour lequel je l'ai envoyée.
Soit en particulier, soit en public, tous les fidèles de Jérusalem s'efforçaient de rendre à Pierre l'Ermite les plus grands honneurs, et attribuaient à lui seul, après Dieu, le bonheur d'avoir échappé à la dure servitude sous laquelle ils gémissaient depuis tant d'années, et de voir la cité sainte recouvrant son antique liberté.
Quant au patriarche, j'ai déjà dit qu'il avait fait voile vers l'île de Chypre, pour aller racheter à grand prix le salut de ses concitoyens, et le bien-être de l'État. Il allait s'adressant à tous les fidèles qu'il rencontrait dans ce pays, leur demandant l'aumône pour acquitter les tributs et les impôts extraordinaires dont on avait surchargé ses frères, de peur que, s'ils n'étaient point payés, les exacteurs n'en vinssent à renverser les églises, ou à faire périr le peuple sous le glaive, ainsi qu'ils avaient coutume de le faire dans les temps antérieurs.
Le patriarche ignorait donc complètement tout ce qui se passait dans les environs de Jérusalem, et il craignait d'y retourner, comme s'il eut dû y retrouver les mêmes périls : cependant, dans cet intervalle, le Seigneur lui avait assuré des moyens de repos, bien au-delà des espérances qu'il pouvait concevoir.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
Pierre d'Amiens (vers 1050-1115) dit Pierre l'Ermite, Réunion des musées nationaux