INSTITUTIONS LITURGIQUES : révision de l'Office romain par les Franciscains

Enfin, que ceux qui ont la charge de composer les pièces de la Liturgie doivent unir à l'inspiration du génie la gravité, l'autorité, la sainteté de la vie ; et si saint Bernard n'ajoute pas à ces conditions celle de l'orthodoxie dans la foi, c'est que personne n'eût pu s'imaginer, avant une certaine époque, que l'on en viendrait à charger des hérétiques de composer les hymnes de l'office, et d'en régler, à leur fantaisie, le fond, l'ordre et la distribution.

 

 Saint Grégoire VII, en réformant les livres de l'office romain, avait eu principalement en vue la chapelle papale. La plupart des églises de Rome avaient pu adopter par le laps du temps, cette forme réduite de l'office ; mais, ni ce grand Pontife, ni ses successeurs n'avaient exigé que les diverses Églises de l'Occident, soumises à la Liturgie romaine, réformassent leurs livres d'après cette dernière révision. Il en était donc résulté une sorte de confusion qui devait nécessiter plus tard une solennelle et dernière correction. Cette confusion était encore accrue par les offices des Saints que l'on ajoutait de toutes parts à l'ancien calendrier : ce qui, joint aux usages d'une Liturgie antérieure qui s'étaient conservés, quoiqu'en petit nombre, menaçait de plus en plus l'unité liturgique dans le patriarcat d'Occident, au moins pour les offices divins ; car, nous ne nous lassons pas de rappeler que le Sacramentaire grégorien, qui allait bientôt changer son nom en celui de Missel romain, était demeuré généralement intact.

 

En attendant les mesures vigoureuses qui ne devaient venir qu'au XVIe siècle, il était donc grandement à désirer que le bréviaire de la chapelle papale, qui, dès le XIIe siècle, avait déjà conquis toutes les Églises de Rome, hors la basilique de Latran, et qui devait tôt ou tard succéder partout à l'ancien office, s'étendît de fait ou de droit dans le reste de l'Occident. La Providence, pour procurer cette fin si désirable, se servit de l'influence que prit tout à coup sur les sociétés du moyen âge un institut dont les humbles commencements ne montraient que mieux la sagesse admirable de Celui qui se sert de ce qu'il y a de plus faible pour confondre ce qu'il y a de plus fort. Saint François d'Assise parut sur la terre. Ce grand patriarche destinant ses nombreux enfants à la prédication apostolique, leur enjoignit expressément de garder inviolable fidélité à l'Église romaine, et afin de sanctionner cette loi fondamentale par un lien extérieur, il ordonna qu'ils garderaient en tout l'ordre de l'office suivi par cette mère et maîtresse de toutes les Églises.

 

Saint François ayant donné cette loi à ses enfants, dans l'année 1210, il était naturel que ceux-ci, demandant à Rome l'office qu'ils devraient suivre, elle leur assignât celui que gardaient et la chapelle papale et les diverses Églises de cette capitale du christianisme. C'est donc l'office abrégé, dit Raoul de Tongres, qu'ont suivi les frères mineurs. Ils intitulent leurs bréviaires et leurs divers livres d'office, selon la coutume de la Cour romaine, secundum consuetudinem Romance Curiœ. En outre, cet office, étant plus court que l'ancien, susceptible par là même d'être transcrit à moins de frais, et son volume devant causer moins d'incommodité dans les voyages, les franciscains ne pouvaient manquer de le préférer à l'ancien que gardait encore l'église de Latran.

 

Déjà un grand nombre d’églises en Italie avaient adopté l'office abrégé. La propagation merveilleuse de l'Institut des frères mineurs par toute l'Europe et au delà, fit bientôt connaître en tous lieux cette nouvelle forme de la Liturgie. Il serait difficile, impossible même, aujourd'hui, d'apprécier l'influence que ce fait exerça dans les diverses contrées de l'Occident. Elle fut variable suivant les lieux ; mais il est naturel de croire que les franciscains que l'on vit en si grand nombre dès le XIIIe et le XIVe siècle, élevés à l’épiscopat, n'oublièrent pas tous, en changeant d'habit, la forme d'office divin qu'ils avaient jusqu'alors pratiquée. Quoi qu'il en soit, qu'on l'attribue à l'influence des franciscains, ou à la faveur qui devait, à la longue, s'attacher à l'office le plus abrégé, pour peu qu'on ait feuilleté les livres de Liturgie dans les bibliothèques, on doit reconnaître que les bréviaires de toutes ou presque toutes les églises de l'Europe, écrits ou imprimés au XIVe et au XVe siècle, ou même dans la première moitié du XVIe par conséquent avant la Bulle de saint Pie V, sont généralement distribués suivant la forme de l'office abrégé, et non plus suivant celle qui était en usage antérieurement à saint Grégoire VII.

 

Mais les frères mineurs attachèrent leur nom au bréviaire romain, à un autre titre encore qu'à celui de simples propagateurs. Haymon, leur quatrième général, doit être compté en la liste des correcteurs, auxquels il est redevable de la forme qu'il a gardée depuis. Nous n'avons pas de détails précis sur les circonstances qui amenèrent ce fait ; mais il n'en est pas moins incontestable. Wading pense que cette commission fut donnée à Haymon par Grégoire IX. Quoi qu'il en soit, la correction du bréviaire romain par ce général des franciscains, est expressément attestée par Jean de Parme, son successeur, dans une lettre qu'il écrivit aux supérieurs de son ordre.

 

Maintenant, en quoi consista la correction que fit Haymon sur le bréviaire romain ? Cette question nous semble aujourd'hui insoluble ; mais si légers que fussent les changements ou améliorations introduits par Haymon, ils étaient néanmoins assez considérables pour que les livres en usage à cette époque dans les églises de Rome, quoique conformes, suivant le témoignage d'Abailard, à ceux de la chapelle papale, ne se trouvassent plus d'accord avec ceux des frères mineurs. C'est ce que nous apprend Raoul de Tongres, qui dit en parlant de Nicolas III : "Il fit ôter des églises de la ville cinquante antiphonaires, graduels, missels, et autres anciens livres d'office, et ordonna que ces mêmes églises se servissent à l'avenir des livres et bréviaires des frères mineurs, dont il avait confirmé la règle ; c'est pourquoi aujourd'hui à Rome, tous les livres sont nouveaux et franciscains". Plusieurs auteurs ont révoqué en doute cette assertion de Raoul de Tongres, appuyés sur ce que dit Abailard, que, dès le XIIe siècle, les églises de Rome, celle de Latran exceptée, ne suivaient plus l'ancien office ; mais nous répondons qu'elles pouvaient néanmoins avoir retenu les anciens livres, en ayant soin d'omettre, dans le chant du choeur, les parties retranchées par saint Grégoire VII. La correction d'Haymon ayant entraîné de plus grands changements, des additions peut-être, ces livres, si on les eût conservés, pouvaient devenir un obstacle à l'uniformité.

 

Raoul de Tongres, qui, du reste, se montre très peu favorable aux frères mineurs, signale avec aigreur les défauts de la correction d'Haymon. Il accuse les franciscains d'avoir défiguré l'office romain, disant que leur bréviaire présente de grandes différences avec l'antiphonaire, tel qu'on le trouve dans Amalaire, Walafrid Strabon et les autres liturgistes du IXe et du Xe siècle ; il leur reproche amèrement d'avoir augmenté le nombre des fêtes doubles, inséré beaucoup de saints qui n'appartiennent qu'au calendrier local de Rome, etc. Sur ces dernières imputations, il est fondé, sinon en raison, du moins en fait ; quant à la première, elle tombe devant la réalité. Nous avons dans la collection liturgique du B. Tommasi, un Antiphonaire entier, à l'usage de l'église de Saint-Pierre, et écrit sous le pontificat d'Alexandre III, qui siégea en 1159 : or, cet antiphonaire, qui renferme l'office réduit par saint Grégoire VII, est presque entièrement semblable au bréviaire romain actuel, lequel est tout à la fois l'abrégé de l'antiphonaire grégorien et le bréviaire des frères mineurs. Si donc il existe des différences entre les livres romains tels qu'on les voit dans Amalaire, et le bréviaire des franciscains, il faut les attribuer principalement aux réductions faites par saint Grégoire VII, et se rappeler aussi que l'antiphonaire de Metz renfermait plusieurs pièces qui n'étaient pas d'origine romaine.

 

Concluons donc de tout ceci que la correction franciscaine n'a pas entraîné de grandes modifications dans la Liturgie romaine, et que l'ancien fonds grégorien est toujours demeuré le même.

 

Les frères mineurs ajoutèrent au propre du bréviaire les offices des saints que leur ordre ne tarda pas à enfanter, et particulièrement celui de saint François. Tous ces offices composés en prose cadencée et rimée, sont une des richesses littéraires du XIIIe et du XIVe siècle. Nous regrettons que l'espace nous manque pour en insérer ici quelques traits d'une onction naïve, comme toutes les œuvres de l'ordre séraphique, à cette époque de sa grande gloire. Depuis, le XVIIIe siècle a soufflé son vent glacé sur ces fleurs si fraîches et si tendres : les franciscains des provinces de France, avant de s'éteindre sous les coups de la sécularisation, élaborèrent pour leur ordre une série de nouveaux offices dans lesquels on ne trouve plus la moindre trace de ces touchants cantiques que l'âge héroïque des frères mineurs avait consacrés à la gloire de saint François, de sainte Claire, de saint Bonaventure, de saint Antoine de Padoue, etc.

 

Clément XIV, Franciscain conventuel, accéda aux vœux de son ordre, en approuvant les offices réformés qu'on lui présenta.

 

DOM GUÉRANGER

INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XII : RÉVISION DE L'OFFICE ROMAIN PAR LES FRANCISCAINS. — BREVIAIRE DES DOMINICAINS, DES CARMES, ETC. — OFFICE DU SAINT SACREMENT.— CARACTERE DU CHANT ECCLÉSIASTIQUE, AU XIIIe SIÈCLE. — AUTEURS LITURGISTES DE CETTE ÉPOQUE.

 

Confirmation of the Rule 7

Legend of St Francis 7. Confirmation of the Rule, by Giotto, San Francesco, Assisi

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