INSTITUTIONS LITURGIQUES : Auctorem Fidei

Détournons enfin nos regards de cet ignoble spectacle, et considérons les Pontifes romains fidèles à la garde du dépôt séculaire de la Liturgie romaine, et présidant aux accroissements qu'elle devait prendre dans le cours des cinquante dernières années du XVIIIe siècle.    

 

Le pieux successeur de Benoît XIV, Clément XIII, à qui nous sommes redevables de l'institution de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, trancha la question dont la solution avait arrêté son prédécesseur. Après dix-huit années d'immobilité, le calendrier romain fut appelé à recevoir de nouveaux accroissements. Par l'autorité du saint pontife, la fête de saint Camille de Lellis fut instituée du rite double mineur, et celle de saint Laurent Justinien, du rite semi-double. Enfin, sainte Julienne de Falconieri passa du degré semi-double au rang des doubles mineurs.

 

Clément XIV vint ensuite. Il éleva la fête des Stigmates de saint François au degré double mineur d'obligation, et créa celles de saint Fidèle de Sigmaringen, et saint Joseph de Copertino, du même rite. On lui doit aussi les offices des saints Jérôme Emiliani, Joseph Calasanz et celui de sainte Jeanne-Françoise de Chantai, tous du degré double mineur. Enfin, il éleva au même rang des doubles mineurs la fête de saint Venant, martyr, qui n'était auparavant que semi-double, et institua celle de saint Jean de Kenty du rite semi-double.

 

Pie VI, Pontife zélé plus qu'aucun autre pour les pompes de la Liturgie, trouva moyen d'enrichir encore le calendrier romain. Sans compter les décrets par lesquels il éleva au rang des doubles majeurs la Décollation de saint Jean-Baptiste, et au degré double mineur les fêtes de saint Pie V et de saint Jean de Kenty, il en rendit encore deux autres pour établir les fêtes de saint Guillaume, abbé du Mont-Vierge, et de saint Paschal Baylon, du rite double mineur.

 

Nous avons parlé ci-dessus du projet de Benoît XIV pour la réforme du Bréviaire romain, projet qui n'eut point d'exécution, parce que, dit un pieux évêque, telles et si grandes furent les raisons du contraire, si graves et si justes en furent les motifs, que le Souverain Pontife estima un bien de suspendre le travail qu'on avait préparé. Pie VI, à son tour, revint sur ce projet ; le plan de la réforme du bréviaire fut rédigé et présenté à la sacrée congrégation des Rites ; mais, quelle que fût en cela l'intention de la divine providence, de nouveaux obstacles se présentèrent. Ce fut, dit l'auteur que nous venons de citer, ce fut un principe de prudence, tout à fait compatible avec l'étendue du génie, qui porta Pie VI à se rendre aux considérations qui avaient fait impression à son grand prédécesseur et maître Benoît XIV, et l'engagea à suspendre toute réforme. Pie VI se borna donc, pour tout progrès liturgique, à étendre le culte des saints par de nouveaux offices, à l'époque même où ce culte était l'objet de si violentes restrictions de la part des antiliturgistes.

 

Quelque portée que pussent avoir ces nouveaux décrets du Siège apostolique en faveur du culte des saints, surtout après le pontificat de Benoît XIV, dont la réserve avait été si grande au sujet du calendrier, un acte solennel de la puissance pontificale vint attester bien plus fortement encore la doctrine de l'Église romaine, à propos des controverses que les XVIIe et XVIIIe siècles avaient soulevées sur les matières liturgiques. Nous voulons parler de la bulle Auctorem fidei, par laquelle Pie VI, le cinq des Calendes de septembre de l'année 1794, condamna à jamais le synode de Pistoie, ses actes et sa doctrine. Il serait grandement à désirer que la connaissance explicite de cette bulle, incontestable jugement de foi, fût plus répandue qu'elle ne l'est : on entendrait moins souvent des personnes, bien intentionnées d'ailleurs, répéter et soutenir avec une incroyable bonne foi plusieurs des propositions condamnées d'une manière irréfragable par cette constitution, dont on peut dire qu'elle a véritablement tranché l'erreur dans le vif.

 

Sur les doctrines et prétentions des antiliturgistes de Pistoie, Pie VI condamne explicitement la proposition XXVIIIe, qui donne à entendre que les messes auxquelles personne ne communie manquent d'une partie essentielle au sacrifice ; la XXXe, qui qualifie d'erreur la croyance au pouvoir du prêtre d'appliquer le fruit spécial du sacrifice à une personne en particulier ; la XXXIe, qui déclare convenable et désirable l'usage de n'avoir qu'un seul autel dans chaque église ; la XXXIIe, qui défend de placer sur les autels les reliques des saints, ou des fleurs ; la XXXIIIe, qui émet le désir de voir la Liturgie ramenée à une plus grande simplicité, et de la voir aussi traduite en langue vulgaire et proférée à haute voix ; la LXIe, qui affirme que l'adoration qui s'adresse à l'humanité de Jésus-Christ, et plus encore à quelque partie de cette humanité, est toujours un honneur divin rendu à la créature ; la LXIIe, qui place la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus parmi les dévotions nouvelles, erronées, ou au moins dangereuses ; la LXIIIe, qui prétend que le culte du Sacré-Cœur de Jésus ne peut être exercé qu'autant que l'on sépare la très sainte chair du Christ, ou une de ses parties, ou même son humanité tout entière, de la divinité ; la LXIVe, qui note de superstition l'efficacité que l’on mettrait dans un nombre déterminé de prières et de pieuses salutations ; la LXVIe, qui affirme qu'il est contraire à la pratique des apôtres et aux desseins de Dieu, de ne pas fournir au peuple le moyen le plus facile de joindre sa voix à la voix de toute l'Église ; la LXIXe, qui place les images de la Très Sainte Trinité au rang de celles qu'on doit faire disparaître des églises ; la LXXe, qui réprouve le culte spécial que les fidèles ont coutume de rendre à certaines images ; la LXXIe, qui défend de distinguer les images de la Sainte Vierge par d'autres titres que ceux qui font allusion aux mystères rapportés dans l’Ecriture sainte ; la LXXIIe, qui ordonne d'extirper comme un abus la coutume de couvrir d'un voile certaines images ; enfin la LXXXIVe, qui prétend qu'on ne doit pas élever les réguliers aux ordres sacrés, si ce n'est un ou deux au plus par chaque monastère, et qu'on ne doit célébrer, par jour, dans leurs églises, qu'une ou deux messes, tout au plus, les autres prêtres se bornant à concélébrer.

 

Nous nous contenterons de cet aperçu de la bulle Auctorem fidei, considérée sous le point de vue de la doctrine liturgique, omettant un grand nombre d'autres traits dirigés contre l'ensemble du damnable système dont la révolution liturgique du XVIIIe siècle n'a été qu'un des résultats. Toutefois, il est de notre sujet de rapporter ici les paroles générales qui viennent à la suite de la censure : "Au reste, dit le Pontife, par cette expresse réprobation des susdites propositions et doctrines, nous n'entendons nullement approuver les autres choses contenues dans le livre, d'autant plus qu'on y découvre un grand nombre d'autres propositions et doctrines, les unes approchantes de celles qui sont condamnées ci-dessus, les autres inspirées par un mépris téméraire de la doctrine communément reçue et de la discipline en vigueur, et principalement par une haine violente contre les Pontifes romains et le Siège apostolique."

 

Il est temps enfin de clore cette histoire liturgique du XVIIIe siècle, et de donner le catalogue des écrivains que les cinquante dernières années ont produits sur la matière du culte divin.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIIIe SIECLE.

 

Pius VI

PIE VI, Pape de 1775 à 1799,  par Pompeo Batoni

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