INSTITUTIONS LITURGIQUES : Charles X à Reims : le pieux roi toucha les écrouelles car sa foi était digne d'un siècle meilleur

Tels étaient les riches et féconds moyens que la divine Providence avait choisis pour rattacher les Français au centre de l'unité catholique, à la veille des malheurs inouïs qui se préparaient à fondre sur l'Eglise romaine, au grand péril de l'unité et de la foi.

 

Pie VII partit enfin de Paris le 4 avril, et son voyage à travers la France fut un triomphe continuel. Il s'arrêta le dimanche des Rameaux à Troyes, bénit les palmes et célébra une messe basse dans la cathédrale. L'ancienne cathédrale de Chalon-sur-Saône eut la gloire de le posséder les trois derniers jours de la Semaine sainte, et le vit, le jour de Pâques, célébrer le saint Sacrifice dans son enceinte. Le pontife ne put encore dire qu'une messe basse par la même raison qui avait privé Notre-Dame de Paris de l'honneur de servir de théâtre sacré à une solennité papale.

 

Mais le moment le plus triomphal du voyage du pontife fut peut-être celui de son séjour à Lyon, en cette ville si justement appelée la Rome de la France. Pie VII y entra le 16 avril. Le lendemain il célébra la messe dans la vieille primatiale qui a vu deux conciles œcuméniques et la réunion de l'Église grecque et de l'Église latine. L'affluence était extrême, et la vaste basilique ne pouvait contenir la multitude condensée des fidèles lyonnais. On vit une foule de personnes qui n'avaient pu pénétrer dans son enceinte qu'après la sortie du pontife, se précipiter avec enthousiasme et baiser le siège où il s'était reposé, le prie-Dieu où il avait fait ses prières, le tapis sur lequel il avait posé ses pieds. Le 18 avril, Pie VII revint célébrer la messe dans la primatiale, et ce ne fut qu'après avoir donné la communion à douze cents fidèles, ce qui dura trois heures, que ses bras apostoliques se reposèrent. Le même jour, dans l'après-midi, il les étendit encore, en présence de la cité tout entière, réunie sur l'immense place Bellecour, et ce fut pour bénir, avec une pompe magnifique, les drapeaux de la garde lyonnaise.

 

Toutefois, ce spectacle fut moins sublime encore que celui qui s'était offert la veille, lorsque le successeur de saint Pierre, assis sur une barque, parcourait les alentours de la ville enivrée de joie. Le peuple fidèle couvrait, à flots pressés, les deux rives ; le pontife, comme Jésus-Christ lui-même, bénissait la foule du sein de la nacelle, et le Rhône, fier d'un si noble fardeau, semblait atteindre à la gloire du Tibre. Mais n'affaiblissons point, par des récits incomplets et sans couleur, le charme et la grandeur de cette sublime apparition de la majesté apostolique qui se révéla soudain aux Français. Bientôt Pie VII rentre dans Rome pour quatre années encore : voyons ce que devenaient en France les traditions du culte divin, subitement ravivées par un événement si merveilleux.

 

On était en 1806 ; le projet d'une Liturgie nationale était encore dans toutes les bouches ; mais la Commission préposée à cette oeuvre ne produisait rien. Le fameux projet avorta donc, et il n'en resta plus de mémoire que dans les articles organiques. D'autre part, cependant, Napoléon étant empereur, et empereur sacré par le pape, il devenait nécessaire qu'il eût une chapelle impériale, et aussi que cette chapelle célébrât l'office divin suivant les règles d'une Liturgie quelconque. L'ancienne cour, comme on l'a vu ailleurs, observait l'usage romain, depuis Henri III ; Napoléon, si jaloux de faire revivre en toutes choses l'étiquette de Versailles, y dérogea sur ce point. Il abolit la Liturgie romaine, et décréta que les livres parisiens seraient les seuls dont on ferait usage en sa présence. Grand honneur assurément pour Vigier et Mésenguy, mais preuve nouvelle de l'antipathie que le grand homme, si clairvoyant, avait conçue pour tout ce qui pouvait gêner ses rêves d'Église nationale.

 

Dans toute la durée de l'empire, nous n'avons découvert aucune nouvelle composition liturgique à l'usage d'un diocèse particulier. Il y eut sans doute des utopies comme au siècle précédent ; mais le temps n'était pas propice à en faire parade. Cette époque ne produisit même pas une nouvelle édition parisienne des livres de Vintimille. Nous ne connaissons guère que le diocèse de Lyon qui ait alors réimprimé les livres de son Montazet. La guerre absorbait tout, et d'ailleurs le moment était peu favorable pour songer à faire du neuf sur la Liturgie, quand la catholicité de la France était elle-même en péril, et que le pontife triomphateur de 1805, traversait la France sous les chaînes de sa glorieuse confession.

 

Le Fort armé qui avait refusé le rôle de Charlemagne, tomba avant le temps, et les églises respirèrent ; toutefois, la liberté du catholicisme ne fut pas restaurée avant l'ancienne dynastie. Il n'est point de notre sujet de raconter ce que l'Eglise souffrit durant quinze années, ni ce qu'elle a pâti depuis ; nous n'avons qu'à raconter le sort de la Liturgie. D'abord, Louis XVIII rétablit, dès son arrivée, l'usage de la Liturgie romaine dans les chapelles royales : la simple raison d'étiquette l'eût demandée, et nous ne nous arrêterons point à chercher dans cet acte une valeur ou une signification qu'il ne saurait avoir.

 

Mais, avant d'entrer dans quelques détails sur cette époque, nous rappellerons ici deux grands faits qui la dépeignent assez bien, du moins sous le point de vue qui nous occupe. Le premier est le sacre de Charles X, à Reims. En cette circonstance, la Liturgie fut encore l'expression de la société. On ne se servit point du Pontifical romain dans la cérémonie, comme on avait fait au sacre de Napoléon, mais bien du cérémonial usité de temps immémorial dans l'Église de Reims, et dont les formules remontent probablement à l'époque de la seconde race de nos rois. Or ce fut ce vénérable monument, dont la teneur fut discutée en conseil des ministres, et dont les formules furent trouvées incompatibles avec nos mœurs constitutionnelles et gallicanes. On le vit donc bientôt sortir des presses de l'imprimerie royale, portant, en dix endroits, la trace des plus violentes mutilations. Nous donnerons ailleurs le détail de cette opération libérale ; mais tout d'abord une réflexion se présente à notre esprit, et nous ne pouvons nous empêcher de la produire ; c'est que si la cérémonie du couronnement d'un roi est devenue, de nos temps, si difficile à concilier avec la forme qu'on lui donna lors de son institution, il eût été mieux, ce semble, de s'abstenir de la renouveler. Il avait été également convenu, en conseil des ministres, que le roi ne toucherait pas les écrouelles ; tant on cherchait à décliner toute la portée d'un acte qu'on croyait pourtant devoir offrir en spectacle à l'Europe ! Il advint néanmoins qu'à Reims même, cette détermination fut changée. S'il était de notre sujet d'entrer ici dans les détails, nous dirions des choses étranges. Quoi qu'il en soit, le pieux roi toucha les écrouelles ; car sa foi était digne d'un siècle meilleur, et si la couronne posée sur son front, après tant de discussions politico-liturgiques, n'y put tenir longtemps, il a été du moins au pouvoir de Dieu de la remplacer par une autre plus solide et plus inattaquable.

 

Une autre pompe de la même époque qui montra le grand besoin qu'on avait alors de fortifier, même dans les choses de pur extérieur, les traditions liturgiques de tous les temps, fut la translation des reliques de saint Vincent de Paul. Sans doute, cette cérémonie dans son objet dut être et fut, en effet, un sujet de consolation pour l'Église, et de triomphe pour les fidèles ; mais, si le procès-verbal détaillé de la fonction parvient à la postérité, et que la postérité veuille juger de cette translation d'après les règles observées dans toutes les autres, elle en conclura que nos mœurs, à cette époque, étaient grandement déchues de cette solennité qui se trouve à l'aise dans les formes liturgiques. Le XVIIe et le XVIIIe siècle lui-même, eussent mieux fait, et tout dégénérés qu'ils étaient, ils eussent jeté des chapes et des tuniques sur les épaules de ces six cents clercs qu'on vit circuler en rangs mille fois brisés, couverts de surplis étriqués et plissés, avec l'accompagnement d'un bonnet pointu ; ils eussent revêtu pontificalement ces dix-sept archevêques et évêques qu'on vit marcher à la suite des chanoines, en simple rochet, mozette et croix pectorale, au rang des dignités du chapitre de Notre-Dame ; mais surtout ils n'eussent pas laissé à des ouvriers affublés d'aubes, le soin exclusif de porter la châsse du saint. On eût préparé pour cela des diacres couverts des plus riches dalmatiques, des prêtres ornés de chasubles somptueuses, enfin les évêques, mitre en tête, auraient à leur tour partagé le fardeau, suivant l'ancien terme des récits de translation, succollantibus episcopis.

 

Ainsi s'accomplissaient autrefois les fonctions liturgiques ; ainsi les reverrons-nous encore, dans l'avenir, étonner les peuples par la majesté et la pompe qui caractérisent en tout l'Église catholique. Elle doit tenir à cœur de mériter les reproches de ses ennemis les rationalistes, qui croient la déshonorer en l'appelant la Religion de la forme, comme si le premier de ses dogmes n'était pas de croire en Dieu créateur des choses visibles aussi bien que des invisibles, et dont le Fils unique s'est fait chair et a habité parmi nous.

 

L'époque de la Restauration, à la différence de celle de l'empire, fut remarquable par le grand nombre d'opérations liturgiques qui la signalèrent.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XXIV : DE LA LITURGIE AU XIXe SIÈCLE.

 

Sacre de Charles X 

Sacre de Charles X à Reims, Baron Gérard,  Château de Versailles

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