VII. LE LAVEMENT DES PIEDS
Ils se levèrent de table, et pendant qu'ils arrangeaient leurs vêtements, comme ils avaient coutume de le faire pour la prière solennelle, le majordome entra avec deux serviteurs pour desservir,
enlever la table du milieu des sièges qui l'environnaient et la mettre de côté. Quand cela fut fait, il reçut de Jésus l'ordre de faire porter de l'eau dans le vestibule, et il sortit de la salle
avec les serviteurs. Alors Jésus, debout au milieu des apôtres, leur parla quelque temps d'un ton solennel. Mais j'ai vu et entendu tant de choses jusqu'à ce moment, qu'il ne m'est pas possible
de rapporter avec certitude le contenu de son discours ; je me souviens qu'il parla de son royaume, de son retour vers son Père, ajoutant qu'auparavant il leur laisserait tout ce qu'il possédait.
Il enseigna aussi sur la pénitence, l'examen et la confession des fautes, le repentir et la justification. Je sentis que cette instruction se rapportait au lavement des pieds, et je vis
aussi que tous reconnaissaient leurs péchés et s'en repentaient, à l'exception de Judas.
Ce discours fut long et solennel. Lorsqu'il fut terminé, Jésus envoya Jean et Jacques le Mineur chercher l'eau préparée dans le vestibule, et dit aux apôtres de ranger les sièges en demi cercle.
Il alla lui-même dans le vestibule, déposa son manteau, se ceignit et mit un linge autour de son corps. Pendant ce temps, les apôtres échangèrent quelques paroles, se demandant quel serait le
premier parmi eux ; car le Seigneur leur avait annoncé expressément qu'il allait les quitter et que son royaume était proche, et l'opinion se fortifiait de nouveau chez eux qu'il avait une
arrière-pensée secrète, et qu'il voulait parler d'un triomphe terrestre qui éclaterait au dernier moment.
Jésus étant dans le vestibule, fit prendre à Jean un bassin et à Jacques une outre pleine d'eau ; puis, le Seigneur ayant versé de l'eau de cette outre dans le bassin, ordonna aux disciples de le
suivre dans la salle où le majordome avait placé un autre bassin vide plus grand que le premier. Jésus, entrant d'une manière si humble, reprocha aux apôtres, en peu de mots, la discussion qui s'était élevée entre eux ; il leur dit, entre autres choses, qu'il était
lui-même leur serviteur et qu'ils devaient s'asseoir pour qu'il leur lavât les pieds. Ils s’assirent donc dans le même ordre que celui où ils étaient placés à la table, les sièges étant ranges en
demi cercle. Jésus allait de l'un à l'autre, et leur versait sur les pieds, avec la main, de l'eau du bassin que tenait Jean ; il prenait ensuite l'extrémité du linge qui le ceignait, et il les
essuyait. Jean vidait chaque fois l'eau dont on s'était servi dans le bassin placé au milieu de la salle, et revenait près du Seigneur avec son bassin. Alors Jésus faisait, de nouveau, couler
l'eau de l'outre que portait Jacques dans le bassin qui était sous les pieds des apôtres et les essuyait encore. Le Seigneur qui s'était montré singulièrement affectueux pendant tout le repas
pascal s'acquitta aussi de ces humbles fonctions avec l’amour le plus touchant. Il ne fit pas cela comme une pure cérémonie, mais comme un acte par lequel s'exprimait la charité la plus
cordiale.
Lorsqu'il vint à Pierre, celui-ci voulut l'arrêter par humilité et lui dit : “Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds !” Le Seigneur lui répondit : “Tu ne sais pas maintenant ce que je fais,
mais tu le sauras par la suite”. Il me sembla qu'il lui disait en particulier : “Simon, tu as mérité d'apprendre de mon Père qui je suis, d'où je viens et où je vais ; tu l'as seul expressément
confessé : c'est pourquoi je bâtirai sur toi mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Ma force doit rester prés de tes successeurs jusqu'à la fin du monde.”
Jésus le montra aux autres apôtres, et leur dit que lorsqu'il n'y serait plus, Pierre devait remplir sa place auprès d'eux. Pierre lui dit : “Vous ne me laverez jamais les pieds.” Le Seigneur lui
répondit : “Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi.” Alors Pierre lui dit : “Seigneur, lavez-moi non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête.” Et Jésus lui
répondit : “Celui qui a déjà été lavé n'a plus besoin que de se laver les pieds : il est pur dans tout le reste. Pour vous aussi vous êtes purs ; mais non pas tous.” Il désignait Judas par ces
paroles. Il avait parlé du lavement des pieds comme d'une purification des fautes journalières, parce que les pieds, sans cesse en contact avec la terre, s'y salissent incessamment si l'on manque
de vigilance. Ce lavement des pieds fut spirituel et comme une espèce d'absolution. Pierre, dans son zèle, n'y vit qu'un abaissement trop grand de son maître : il ne savait pas que Jésus, pour le
sauver, s'abaisserait le lendemain jusqu'à la mort ignominieuse de la croix.
Lorsque Jésus lava les pieds à Judas, ce fut de la manière la plus touchante et la plus affectueuse : il approcha son visage de ses pieds ; il lui dit tout bas qu'il devait rentrer en lui-même,
que depuis un an il était traître et infidèle. Judas semblait ne vouloir pas s'en apercevoir, et adressait la parole à Jean ; Pierre s'en irrita et lui dit : “Judas, le Maître te parle !” Alors
Judas dit à Jésus quelque chose de vague, d’évasif, comme : “Seigneur, à Dieu ne plaise !” Les autres n'avaient point remarqué que Jésus s'entretint avec Judas, car il parlait assez bas pour
n'être pas entendu d’eux : d’ailleurs ils étaient occupés à remettre leurs chaussures. Rien de toute la passion n'affligea aussi profondément le Sauveur que la trahison de
Judas.
Jésus lava encore les pieds de Jean et de Jacques. Jacques s'assit et Pierre tint l'outre : puis Jean s'assit et Jacques tint le bassin. Il enseigna ensuite sur l'humilité : il leur dit que celui
qui servait les autres était le plus grand de tous, et qu'ils devaient dorénavant se laver humblement les pieds les uns aux autres ; il dit encore, touchant leur discussion sur la prééminence,
plusieurs choses qui se trouvent dans l’Evangile : après quoi il remit ses habits. Les apôtres déployèrent leurs vêtements qu'ils avaient relevés pour manger l'agneau
pascal.
LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès Gallica
'Die ekstatische Jungfrau Katharina
Emmerick' par Gabriel von Max, München, Neue Pinakothek