XLVIII. OUVERTURE DU CÔTÉ DE JÉSUS. MORT DES LARRONS
Pendant ce temps, le silence et le deuil régnaient sur le Golgotha. Le peuple, saisi de frayeur, s'était dispersé
; Marie, Jean, Madeleine, Marie, fille de Cléophas, et Salomé, se tenaient debout ou assises en face de la croix, la tête voilée et pleurant. Quelques soldats s'appuyaient au terrassement qui
entourait la plate-forme, Cassius, à cheval, allait de côté et d'autre. Les soldats avaient enfoncé leurs lances dans la terre, et, du haut de la roche du Calvaire, s'entretenaient avec d'autres
soldats qui se tenaient à quelque distance. Le ciel était sombre et la nature semblait en deuil.
Bientôt arrivèrent six archers avec des échelles, des bêches, des cordes et de lourdes barres de fer pour rompre les jambes des crucifiés. Lorsqu'ils s'approchèrent de la croix, les amis de Jésus
s'en éloignèrent un peu, et la sainte Vierge éprouva de nouvelles angoisses à la pensée qu'ils allaient encore outrager le corps de son Fils. Car ils appliquèrent leurs échelles sur la croix et
secouèrent le corps sacré de Jésus, assurant qu'il faisait semblant d'être mort : mais ils virent bien qu'il était froid et raide, et sur la demande que Jean leur fit, à la prière des saintes
femmes, ils le laissèrent un moment, quoique ne paraissant pas bien convaincus qu'il fût mort, et montèrent aux croix des larrons. Deux archers leur rompirent les bras au-dessus et au-dessous des
coudes, avec leurs massues tranchantes et un troisième leur brisa aussi les cuisses et les jambes. Gesmas poussait des cris horribles, et ils lui assenèrent trois coups sur la poitrine pour
l'achever. Dismas, soumis à ce cruel supplice, gémit et mourut. Il fut le premier parmi les mortels qui revit son Rédempteur. On détacha les cordes, on laissa les deux corps tomber à terre, puis
on les traîna dans l'enfoncement qui se trouvait entre le Calvaire et les murs de la ville, et on les enterra là.
Les archers paraissaient encore douter de la mort de Jésus, et l'horrible manière dont on avait brisé les membres des larrons, avait encore augmenté chez les amis de Jésus la crainte que les
bourreaux ne revinssent à son corps ; cette crainte faisait trembler les saintes femmes pour le corps du Sauveur. Mais l'officier inférieur Cassius, appelé plus tard Longin, homme de vingt-cinq
ans, très actif et très empressé, dont la vue faible et les yeux louches lorsqu'il se donnait un air affairé et important excitaient souvent les moqueries de ses subordonnés, reçut une
inspiration soudaine. La férocité ignoble des archers, les angoisses des saintes femmes, l'ardeur subite qu'excita en lui la grâce divine, lui firent accomplir une prophétie. Il saisit sa lance
et dirigea vivement son cheval vers la petite élévation où se trouvait la croix. Je le vis s'arrêter devant la fente du rocher, entre la croix du bon larron et celle de Jésus. Alors, prenant sa
lance a deux mains, il l'enfonça avec tant de force dans le côté droit du Sauveur, que la pointe alla traverser le coeur et ressortit un peu sous la mamelle à gauche. Quand il la retira avec
force, il sortit de la blessure du côté droit une grande quantité de sang et d'eau, qui arrosa son visage comme un fleuve de salut et de grâce. Il sauta à bas de son cheval, s'agenouilla frappa
sa poitrine et confessa hautement Jésus en présence de tous les assistants.
La sainte Vierge et ses amies dont les regards étaient toujours fixés vers Jésus, virent avec angoisse l'action inopinée de cet homme, et, lorsqu'il donna son coup de lance, se précipitèrent vers
la croix en poussant un cri. Marie tomba entre les bras des saintes femmes, comme si la lance eût traversé son propre coeur, pendant que Cassius louait Dieu à genoux, car les yeux de son corps
comme ceux de son âme étaient guéris et ouverts à la lumière. Mais en même temps tous furent profondément émus à la vue du sang du Sauveur, qui avait coulé, mêlé d'eau, dans un creux du rocher au
pied de la croix. Cassius, Marie les saintes femmes et Jean recueillirent le sang et l'eau dans des fioles et essuyèrent la place avec des linges.
Cassius était comme métamorphosé : il avait recouvré toute la plénitude de sa vue ; il était profondément ému et s'humiliait intérieurement. Les soldats, frappés du miracle qui s'était opéré en
lui se jetèrent à genoux, frappèrent leur poitrine et confessèrent Jésus. L'eau et le sang coulèrent abondamment du côté du Sauveur et s'arrêtèrent dans un creux du rocher, on les recueillit avec
une émotion indicible, et les larmes de Marie et de Madeleine s'y mêlèrent. Les archers, qui, pendant ce temps, avaient reçu de Pilate l'ordre de ne pas toucher au corps de Jésus, ne revinrent
plus.
La lance de Cassius se composait de plusieurs morceaux que l'on ajustait les uns aux autres : quand ils n'étaient pas déployés, elle avait l'air d'un fort bâton d'une longueur moyenne. Le fer qui
traversa le coeur de Jésus était aplati et avait la forme d'une poire. On fixait une pointe à un bout et au-dessous deux crochets tranchants, quand on voulait se servir de la
lance.
Tout ceci se passa près de la croix, un peu après quatre heures, pendant que Joseph d'Arimathie et Nicodème étaient occupés à se procurer ce qui était nécessaire pour la sépulture du Christ. Mais
les serviteurs de Joseph étant venus pour nettoyer le tombeau, annoncèrent aux amis de Jésus que leur maître, avec la permission de Pilate, allait enlever le corps et le déposer dans son sépulcre
neuf.
Alors Jean retourna à la ville et se rendit à la montagne de Sion avec les saintes femmes pour que Marie pût réparer un peu ses forces, et aussi afin de prendre quelques objets nécessaires pour
la mise au tombeau.
La sainte Vierge avait un petit logement dans les bâtiments dépendant du cénacle. Ils ne rentrèrent pas par la porte la plus voisine du Calvaire parce qu'elle était fermée et gardée à l'intérieur
par des soldats que les Pharisiens y avaient fait placer, mais par la porte plus méridionale, qui conduit à Bethléem.
LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès Gallica
'Die ekstatische Jungfrau Katharina
Emmerick' par Gabriel von Max, München, Neue Pinakothek