XXXVII. MARIE ET SES AMIES VONT AU CALVAIRE
Lorsque la sainte Vierge, après sa rencontre douloureuse avec Jésus portant sa croix, fut tombée sans connaissance, Jeanne Chusa, Suzanne et Salomé de Jérusalem, avec l'aide de Jean et du neveu
de Joseph d'Arimathie, la ramenèrent, chassés par les soldats, dans la maison d'où elle était sortie et la porte se ferma entre elle et son fils bien-aimé, chargé de son pesant fardeau et accablé
de mauvais traitements.
L'amour, le désir ardent d'être près de son fils, de tout souffrir avec lui et de ne pas l'abandonner, lui rendirent bientôt une force surnaturelle. Elle se rendit avec ses compagnes dans la
maison de Lazare, près de la porte de l'angle, où se trouvaient les autres saintes femmes, pleurant et gémissant avec Marthe et Madeleine : il y avait quelques enfants auprès d'elles. Elles
partirent de là au nombre de dix-sept pour suivre le chemin de la Passion. Je les vis, pleines de gravité et de résolution, indifférentes aux injures de la populace et commandant le respect par
leur douleur traverser le forum, couvertes de leurs voiles, baiser la terre au lieu où Jésus s'était chargé de la croix, puis suivre le chemin qu'il avait suivi. Marie et celles qui étaient le
plus éclairées d'en haut cherchaient les traces de ses pieds ; la sainte Vierge, sentant et voyant tout à l'aide d'une lumière intérieure, les guidait sur cette voie douloureuse et tous les
endroits s'imprimaient vivement dans son âme ; elle comptait tous les pas et indiquait à ses compagnes les places consacrées par quelque douloureuse circonstance.
C'est de cette manière que la plus touchante dévotion de l'Eglise fut pour la première fois écrite dans le cœur maternel de Marie avec le glaive prédit par le vieux Siméon : elle passa de sa très
sainte bouche à ses compagnes, et de celles-ci jusqu'à nous comme un don sacré, transmis de Dieu au cœur de la mère et de celui-ci au cœur des enfants. Ainsi se perpétue la tradition de l'Eglise.
Quand on voit les choses comme je les vois, une transmission de ce genre apparaît plus vivante et plus sainte qu'aucune autre. De tout temps les Juifs ont vénéré les lieux consacrés par quelque
action sainte ou quelque événement dont la mémoire leur est chère : ils y dressent des pierres, y vont en pèlerinage et y prient. C'est ainsi que le culte du chemin sacré de la Croix prit
naissance du fond même de la nature humaine et par suite des vues de Dieu sur son peuple, non en vertu d'un dessein formé après coup. Il fut inauguré pour ainsi dire, sous les pieds mêmes de
Jésus qui y a marché le premier, par l'amour de la plus tendre des mères.
Cette sainte troupe vint à la maison de Véronique et y entra parce que Pilate revenait par cette rue avec ses cavaliers. Les saintes femmes regardèrent en pleurant le visage de Jésus empreint sur
le suaire et admirèrent la grâce qu'il avait faite à sa fidèle amie. Elles prirent le vase de vin aromatisé qu'on n'avait pas permis à Véronique de faire boire à Jésus, et se dirigèrent toutes
ensemble vers la porte du Golgotha. Leur troupe s'était grossie de beaucoup de gens bien intentionnés, parmi lesquels un certain nombre d'hommes et je fus singulièrement touchée de les voir
passer en bon ordre le long des rues. C'était presque un cortège plus nombreux que le cortège de Jésus, si l'on ne tient pas compte de la foule de peuple qui suivait celui-ci. On ne peut exprimer
les souffrances et la douleur déchirante de Marie à la vue du lieu du supplice et à l'arrivée sur la hauteur : c'étaient les souffrances de Jésus ressenties intérieurement avec le douloureux
sentiment d'être obligée de lui survivre.
Madeleine, navrée jusqu'au fond de l'âme et comme ivre de douleur ne marchait qu'en chancelant ; elle passait, pour ainsi dire, d'une émotion à l'autre, du silence aux gémissements, de la stupeur
au désespoir, des lamentations aux menaces : ses compagnes étaient obligées sans cesse de la soutenir, de la protéger, de l'exhorter, de la cacher aux regards. Elles montèrent au Calvaire par le
côté du couchant, où la pente est plus douce ; elles se tinrent en trois groupes, à des distances inégales de la plate-forme circulaire. La mère de Jésus, sa nièce Marie, fille de Cléophas,
Salomé et Jean s'avancèrent jusqu'à cette plate-forme. Marthe, Marie Héli, Véronique, Jeanne Chusa, Suzanne et une autre Marie, se tinrent à quelque distance autour de Madeleine qui
était comme hors d'elle-même. Plus loin étaient sept autres d'entre elles et quelques gens compatissants qui établissaient des communications d'un groupe à l'autre.
Les Pharisiens à cheval se tenaient ça et là autour de la plate-forme, et des soldats romains étaient placés aux cinq entrées. Quel spectacle pour Marie que ce lieu de supplice, cette terrible
croix, ces marteaux, ces cordes, ces clous effrayants, ces hideux bourreaux demi nus, à peu près ivres, faisant leur affreux travail avec des imprécations ! L'absence de Jésus prolongeait le
martyre de sa mère : elle savait qu'il était encore vivant, elle désirait le voir et elle tremblait à la pensée des tourments sans nom auxquels elle le verrait livré.
Depuis le matin jusqu'à dix heures, moment où la sentence fut prononcée, il y eut de la grêle par intervalles : puis, pendant qu'on conduisait Jésus au supplice, le ciel s'éclaircit ; mais vers
midi, un brouillard rougeâtre voila le soleil.
LA DOULOUREUSE PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST
d'après les méditations de la Bienheureuse Anne-Catherine
Emmerick
Traduction de l'Abbé de Cazalès Gallica
'Die ekstatische Jungfrau Katharina
Emmerick' par Gabriel von Max, München, Neue Pinakothek