Le mardi de la Pentecôte

Veni Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.
Venez , ô Esprit-Saint,  remplissez les cœurs de  vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour.

 

Nous avons admiré l'œuvre du Saint-Esprit accomplissant dans le monde, par les Apôtres et par ceux qui vinrent après eux, la conquête du genre humain au nom de Jésus à qui "toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre". La langue de feu a vaincu, et le Prince du monde, en dépit de ses fureurs, a vu crouler ses autels et tomber son pouvoir. Voyons la suite des œuvres de ce divin Esprit pour la glorification du Fils de Dieu qui l'a envoyé aux hommes.

 

 L'Emmanuel était descendu ici-bas cherchant dans son amour l'Epouse qu'il avait désirée de toute éternité. Il l'épousa d'abord en prenant la nature humaine et l'unissant indissolublement à sa personne divine ; mais cette union individuelle ne suffisait pas à son amour. Il daignait aspirer à posséder la race humaine tout entière ; il lui fallait son Eglise, "son unique", comme il l'appelle au divin Cantique, son Eglise formée de l'élite de tous les peuples, "pleine de gloire, n'ayant ni tache ni ride, mais sainte et immaculée". Il trouvait la race humaine souillée par le péché, indigne de célébrer avec lui les noces augustes auxquelles il la conviait. Son amour cependant n'hésita pas. Il déclara qu'il était l'Epoux annoncé dans l'Epithalame sacré : Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : 'Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre.' ; il lava dans son propre sang les souillures de sa fiancée, et lui attribua en dot les mérites infinis qu'il avait conquis.

 

 L'ayant ainsi préparée pour lui-même, il voulut que son union avec lui fût la plus intime qui pût être. Jésus et son Eglise sont un seul corps ; il est la tête, elle est l'ensemble des membres réunis dans l'unité sous cet unique chef. C'est la doctrine de l'Apôtre : "Le Christ est la tête de l'Eglise ; nous sommes les membres de son corps, nous sommes de sa chair et de ses os". Ce corps se formera par l'accession successive des fils de la race humaine qui, prévenus du secours surnaturel de la grâce, voudront en faire partie ; et ce monde que nous habitons sera conservé jusqu'à ce que le dernier élu qui manquait encore à l'intégralité du corps mystérieux du Fils de Dieu soit venu s'y réunir pour l'éternité. Alors tout sera consommé, et la dernière des conséquences de la divine incarnation sera remplie.

 

 Or, de même que dans le Verbe incarné l'humanité est composée d'une âme invisible et d'un corps visible, ainsi l'Eglise sera à la fois une âme et un corps : une âme dont l'œil seul de Dieu pourra contempler ici-bas toute la beauté ; un corps qui attirera les regards des hommes, et sera le témoignage éclatant de la puissance de Dieu et de l'amour qu'il porte à la race humaine. Jusqu'aux jours où nous sommes, les justes appelés à être réunis sous le divin Chef avaient seulement appartenu à l'âme de l'Eglise ; car le corps n'existait pas encore. Le Père céleste les avait adoptés pour ses enfants, le Fils de Dieu les avait acceptés pour ses membres, et l'Esprit-Saint, dont nous allons voir désormais l'action extérieure, avait opéré intimement leur élection et leur consommation. Le point de départ du nouvel ordre de choses est en Marie. En elle d'abord, ainsi que nous l'avons enseigné dans une des semaines précédentes, résida l'Eglise complète, âme et corps. Celle qui devait être aussi réellement la Mère du Fils de Dieu selon l'humanité, que le Père céleste en est le Père selon la divinité, devait être dans l'ordre des temps, comme dans la mesure des grâces, supérieure à tout ce qui avait précédé et à tout ce qui devait suivre.

 

 L'Emmanuel voulut aussi poser lui-même, en dehors de sa mère bien-aimée, les assises de son Eglise. Il en plaça de ses mains divines la Pierre fondamentale, il en éleva les colonnes, et nous avons vu comment il employa les quarante jours qui précédèrent son Ascension à l'organisation de cette Eglise encore si restreinte, mais qui devait un jour couvrir le monde entier. Il annonça qu'il serait avec les siens "jusqu'à la consommation des siècles" ; c'était promettre que, lors même qu'il serait monté au ciel, la race de ses disciples se perpétuerait jusqu'à la fin des temps.

 

 Pour l'accomplissement de son œuvre qu'il n'avait qu'ébauchée, il comptait sur le divin Esprit. Il était même nécessaire que cet Esprit-Saint descendît pour perfectionner et confirmer les élus de l'Emmanuel. Il devait être leur Paraclet, leur Consolateur, après le départ de leur Maître ; il était la Vertu d'en haut qui devait les protéger comme une armure dans leurs combats ; il devait leur remettre en mémoire les enseignements de leur Maître ; il devait féconder de son action les Sacrements que Jésus avait institués, et dont le pouvoir était en eux par le caractère qu'il avait imprimé à leurs âmes. Voilà pourquoi il leur dit : "Il vous est avantageux que je m'en aille ; car si je ne m'en allais pas, le Paraclet ne viendrait pas vers vous". Au jour de la Pentecôte, nous avons vu le divin Esprit opérer sur la personne des Apôtres et des disciples ; maintenant il nous faut le voir à l'œuvre dans la création, dans le maintien et le perfectionnement de cette Eglise que Jésus a promis d'assister de sa présence mystérieuse "jusqu'à la consommation des siècles".

 

 La première opération de l'Esprit-Saint dans l'Eglise est l'élection des membres qui doivent la composer. Ce droit de l'élection lui est tellement personnel que, selon la parole du livre sacré, les disciples mêmes que Jésus s'était choisis pour être les bases de son Eglise, il les avait élus "avec le concours de l'Esprit-Saint". Dès le jour même de la Pentecôte, nous avons vu ce divin Esprit débuter par l'élection de trois mille personnes. Peu de jours après, cinq mille autres sont attirées, ayant entendu la prédication de Pierre et de Jean sous les portiques du temple. Après les Juifs, la gentilité a son tour ; et l'Esprit-Saint, ayant conduit Pierre auprès du centurion Corneille, fond tout à coup sur ce Romain et sur ses gens, les déclarant ainsi élus pour l'Eglise et appelés au baptême.

 

 A la suite de ces débuts, qui pourrait suivre la marche impétueuse de cet Esprit que rien n'arrête ? "Le bruit de ses envoyés parcourt la terre entière, et leur parole retentit jusqu'aux extrémités du monde". L'Esprit les précède et les accompagne, et c'est lui qui fait la conquête pendant qu'ils parlent. On n'est encore qu'au commencement du IIIe siècle, et un écrivain chrétien peut dire aux magistrats de l'empire romain :  "Nous sommes d'hier, et nous remplissons toute vos villes, vos municipes, vos camps, le palais, le sénat, le forum" (TERTULLIEN Apologet. XXXVII). Rien ne résiste à l'Esprit ; trois siècles sont loin encore d'être écoulés depuis la manifestation du jour de la Pentecôte, et ce sont les Césars eux-mêmes que l'Esprit choisit pour en faire des membres de l'Eglise.

 

 Ainsi se forme d'heure en heure l'Epouse que Jésus attend, et dont il contemple avec amour, du haut du ciel, la croissance et les développements. Dans les premières années du IVe siècle, cette Eglise, œuvre du Saint-Esprit, dépasse les limites de l'empire romain ; et si dans cet empire lui-même, il est ça et là des groupes païens qui tiennent encore, tous du moins ont entendu parler d'elle, et la haine qu'ils lui portent témoigne assez des progrès qu'elle fait sous leurs yeux.

 

 Mais n'allons pas croire que le rôle de l'Esprit-Saint se borne à assurer l'établissement de l'Eglise sur les ruines de l'empire païen. Jésus veut une Epouse immortelle, toujours plus connue par sa présence en tous lieux et en tous temps, toujours supérieure à toute autre division de la race humaine par l'étendue de son empire et le nombre de ses sujets.

 

Le divin Esprit ne saurait donc s'arrêter dans l'accomplissement de sa mission. Si Dieu a résolu de submerger l'empire coupable sous l'inondation des barbares, c'est un nouveau triomphe préparé pour l'Esprit. Laissez-le pénétrer et agiter doucement cette masse formidable. Il a là ses élus, et par millions. Il avait renouvelé la face de la terre païenne ; il renouvelle la face du monde devenu barbare. Les coopérateurs qu'il se prépare lui-même ne lui feront pas défaut. Il crée sans fin de nouveaux apôtres, et puissant comme il est, il en emploie de tout genre à son œuvre. Les Clotilde, les Berthe, les Théodelinde, les Hedwige et tant d'autres, sont à ses ordres : parée de leurs royales mains, l'Epouse de Jésus croît toujours plus jeune et plus belle.

 

 Si de vastes continents en Europe n'ont pas encore été associés au mouvement, c'est qu'il fallait d'abord consolider l'œuvre dans les régions où les chrétientés de la première époque avaient été comme submergées sous le torrent de l'invasion. Mais voici qu'à partir de la fin du VIe siècle, le divin Esprit lance tour à tour sur l'île des Bretons, sur la Germanie, sur les races Scandinaves, sur les pays slaves, les Augustin, les Boniface, les Anschaire, les Adalbert, les Cyrille, les Méthodius, les Othon. Servie par ces nobles instruments de l'Esprit-Saint, l'Epouse répare les pertes qu'elle a subies dans l'Orient, où le schisme et l'hérésie ont successivement rétréci son héritage primitif. Celui qui, étant Dieu comme le Père et le Fils, a reçu pour mission de la maintenir dans ses honneurs, veille fidèlement à sa garde.

 

 Et en effet, lorsqu'une défection plus désastreuse encore est à la veille d'éclater en Europe par la prétendue réforme, l'Esprit-Saint a déjà pris les devants. Les Indes orientales sont devenues tout à coup la conquête de la nation très fidèle ; un nouveau monde occidental est sorti des eaux, et forme un nouvel apanage au royaume catholique. C'est alors que le divin Esprit, toujours jaloux de maintenir dans sa dignité et dans sa plénitude le dépôt que lui a confié le Verbe incarné, suscite de nouveaux envoyés pour aller porter sur ces plages immenses le nom de celui qui est l'Epoux, et qui sourit du haut du ciel aux accroissements qu'obtient l'Epouse. François Xavier est donné aux Indes orientales ; ses frères, joints aux fils de Dominique et de François, défrichent avec une indomptable persévérance l'héritage que les Indes occidentales offrent à l'Eglise.

 

 Mais si plus tard la vieille Europe, trop crédule à des docteurs de mensonge, semble repousser cette noble reine qui est aimée du Fils éternel de Dieu ; si, trahie et dépouillée, calomniée et privée de ses droits, cette sainte Eglise doit être en butte à ceux qui longtemps furent ses fils, tenez pour certain que le divin Esprit ne la laissera pas manquer à ses destinées. Voyez plutôt ses œuvres en nos jours. D'où viennent, si ce n'est de son souffle, ces vocations à l'apostolat plus nombreuses d'année en année ? Tandis que d'un côté les retours des hérétiques à l'antique foi sont plus fréquents qu'ils ne l'ont jamais été, toutes les régions infidèles sont visitées par le flambeau de l'Evangile. Notre siècle a revu les martyrs, il a entendu les interrogatoires des proconsuls chinois et annamites, il a recueilli dans son admiration les réponses des confesseurs dictées par l'Esprit-Saint, selon la promesse du Maître. L'extrême Orient donne ses élus, les nègres de l'Afrique sont évangélisés ; et si une cinquième partie de la terre s'est révélée, elle possède déjà de nombreux fidèles sous une hiérarchie de pasteurs légitimes.

 

Soyez donc béni, divin Esprit, qui veillez avec tant de sollicitude sur l'Epouse chérie de Jésus ! Elle n'a pas défailli un seul jour, grâce à votre action constante et jamais lassée. Vous n'avez pas laissé passer un siècle sans susciter des apôtres pour l'enrichir de leurs conquêtes ; sans cesse vous avez sollicité par votre grâce les esprits et les cœurs de se donner à elle ; en toute race, en tous les siècles, vous avez élu vous-même les innombrables fidèles dont elle se compose. Comme elle est notre mère et que nous sommes ses fils, comme elle est l'Epouse de notre divin Chef auquel nous espérons nous réunir en elle, en opérant pour la gloire du Fils de Dieu qui vous a envoyé sur la terre, ô divin Esprit, vous avez daigné travailler pour nous, humbles et pécheresses créatures. Nous vous offrons nos faibles actions de grâces pour tant de bienfaits.

 

 Notre Emmanuel nous a révélé que vous devez demeurer ainsi avec nous jusqu'à la fin des temps, et nous comprenons maintenant la nécessité de votre présence, ô divin Esprit ! Vous dirigez la formation de l'Epouse, vous la maintenez, vous la rendez victorieuse de toutes les attaques, vous la transportez d'une région dans l'autre, lorsque le sol qu'elle foule n'est plus digne de la porter ; vous êtes son vengeur contre ceux qui l'outragent, et vous le serez jusqu'au dernier jour.

 

 Mais cette noble Epouse d'un Dieu ne doit pas toujours demeurer ainsi exilée loin de son Epoux. De même que Marie resta plusieurs années sur la terre, afin d'y travailler à la gloire de son fils, et fut enfin enlevée aux cieux pour y régner avec lui ; ainsi l'Eglise demeurera militante ici-bas durant les siècles qui sont nécessaires pour arriver au complément du nombre des élus. Mais nous savons qu'un temps doit venir dont il est écrit : "Les noces de l'Agneau sont venues, et son Epouse s'est préparée. On lui a donné un vêtement de fin lin d'une blancheur éblouissante, et le tissu en est composé des vertus des saints qu'elle a formés". En ces derniers jours, l'Epouse, toujours belle et digne de l'Epoux, ne croîtra plus ; elle diminuera même ici-bas, en proportion de ce qu'elle grandira triomphante au ciel.

 

Autour d'elle, sur la terre, la défection prédite par saint Paul se fera sentir ; les hommes la laisseront seule, ils courront vers le Prince du monde qui sera délié "pour un peu de temps", et vers la bête à laquelle "il sera donné de faire la guerre aux saints  et même de les vaincre". Les dernières heures de l'Epouse ici-bas seront dignes d'elle ; vous soutiendrez notre mère, ô divin Esprit, jusqu'à l'arrivée de l'Epoux. Mais après l'enfantement du dernier élu, I'Esprit et I'Epouse s'uniront dans un même cri : "Venez ! diront-ils". Alors l'Emmanuel paraîtra sur les nuées du ciel, la mission de l'Esprit sera terminée, et l'Epouse, "appuyée sur son bien-aimé", s'élèvera de cette terre ingrate et stérile vers le ciel où l'attendent les noces de l'éternité.

 

 La Station de ce jour est dans l'Eglise de Sainte-Anastasie, cette intéressante basilique où nous assistâmes à la Messe de l'Aurore le jour de la naissance de l'Emmanuel. Nous la revoyons aujourd'hui que toute la série des mystères de notre salut est à son terme.

 

Bénissons Dieu qui a daigné achever avec tant de force ce qu'il a commencé pour nous avec tant de douceur. Les néophytes assistent encore à cette Messe avec leurs robes blanches, et leur présence atteste à la fois l'amour du Fils de Dieu qui les a lavés dans son sang, et la puissance de l'Esprit-Saint qui les a ravis à l'empire du Prince de ce monde.

   

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

     

Pentecôte par Juan de Flandes

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