Au quatrième siècle de notre ère, la fin des persécutions sembla au monde un avant-goût de sa future entrée dans la cité de la
paix sans fin. "Gloire au Tout-Puissant ! gloire au Rédempteur de nos âmes !" s'écrie, en tête du dixième et dernier livre de son Histoire, le contemporain Eusèbe. Et témoin du triomphe, il
décrit l'admirable spectacle auquel donna lieu partout la dédicace des sanctuaires nouveaux. De villes en villes, s'assemblaient les évêques et s'empressaient les foules. De peuples à peuples,
une telle bienveillance de mutuelle charité, de commune foi, d'allégresse recueillie harmonisait les cœurs, que l'unité du corps du Christ apparaissait aux yeux, dans cette multitude animée d'un
même souffle de l'Esprit-Saint ; c'était l'accomplissement des anciennes prophéties : cité vivante du Dieu vivant où tout sexe et tout âge exaltaient l'auteur de tous biens. Combien augustes
apparurent alors les rites de notre Eglise ! la perfection achevée qu'y déployaient les Pontifes, l'élan de la psalmodie, les lectures inspirées, la célébration des ineffables Mystères formaient
un ensemble divin.
Constantin avait mis les trésors du fisc à la
disposition des évêques, et lui-même stimulait leur zèle pour ce qu'il appelait dans ses édits impériaux l'œuvre des églises. Rome surtout, lieu de sa victoire par la Croix et capitale du monde
devenu chrétien, bénéficia de la munificence du prince. Dans une série de dédicaces à la gloire des Apôtres et des saints Martyrs, Silvestre, Pontife de la paix, prit possession de la Ville
éternelle pour le vrai Dieu.
Aujourd'hui fut le jour natal de l'Eglise
Maîtresse et Mère, dite du Sauveur, Aula Dei, Basilique d'or ; nouveau Sinaï, d'où les oracles apostoliques et tant de conciles notifièrent au monde la loi du salut. Qu'on ne s'étonne
pas d'en voir célébrer la fête en tous lieux.
Si depuis des siècles les Papes n'habitent plus
le palais du Latran, la primauté de sa Basilique survit dans la solitude à tout abandon. Comme au temps de saint Pierre Damien, il est toujours vrai de dire "qu'en la manière où le Sauveur est le
chef des élus, l'Eglise qui porte son nom est la tête des églises ; que celles de Pierre et de Paul sont, à sa droite et à sa gauche, les deux bras par lesquels cette souveraine et universelle
Eglise embrasse toute la terre, sauvant tous ceux qui désirent le salut, les réchauffant, les protégeant dans son sein maternel". Et Pierre Damien appliquait conjointement au Sauveur et à la
Basilique, sacrement de l’unité, les paroles du prophète Zacharie : Voici l’homme dont le nom est Orient ; il germera de lui-même, et il bâtira un temple au Seigneur ; il bâtira, dis-je, un
temple au Seigneur, et il aura la gloire, et il s'assiéra : et sur son trône il sera Roi, et sur son trône il sera
Pontife."
C'est au Latran que, de nos jours encore, a lieu
la prise de possession officielle des Pontifes romains. Là s'accomplissent chaque année en leur nom, comme Evêques de Rome, les fonctions cathédrales de la bénédiction des saintes Huiles au Jeudi
saint et, le surlendemain, de la bénédiction des fonts, du baptême solennel, de la confirmation, de l'ordination générale. Prudence, le grand poète de l'âge du triomphe, reviendrait en nos temps
qu'il dirait toujours : "A flots pressés le peuple romain court à la demeure de Latran, d'où l'on revient marqué du signe sacré, du chrême royal ; et il faudrait douter encore, ô Christ, que
Rome te fût consacrée !"
Lisons le récit liturgique attribué à ce jour
:
Ce fut le bienheureux Pape Silvestre qui établit le premier les rites observés par l'Eglise romaine dans la consécration des
églises et des autels. Il y avait bien dès le temps des Apôtres, en effet, certains lieux voués à Dieu, et nommés Oratoires par les uns, Eglises par d'autres ; on y tenait l'assemblée le premier
jour de la semaine, et le peuple chrétien avait la coutume d'y prier, d'y entendre la parole de Dieu, d'y recevoir l'Eucharistie : cependant on ne les consacrait pas avec autant de solennité ; on
n'y élevait pas d'autel fixe qui, oint du chrême, exprimât le symbole de notre Seigneur Jésus-Christ, pour nous autel, hostie et pontife.
Mais lorsque l'empereur Constantin eut par le
sacrement du baptême obtenu la santé du corps et le salut de l'Ame, une loi émanant de lui fut portée qui pour la première fois permettait dans tout l'univers aux chrétiens de bâtir des églises.
Non content de cet édit, le prince voulut même leur donner l'exemple et inaugurer les saints travaux. C'est ainsi que dans son propre palais de Latran, il dédia une église au Sauveur, et fonda le
baptistère contigu sous le nom de saint Jean-Baptiste, dans le lieu où lui-même, baptisé par saint Silvestre, avait été guéri de la lèpre. C'est cette église que le Pontife consacra le cinq des
ides de novembre ; et nous en célébrons la mémoire en ce même jour où pour la première fois à Rome une église fut ainsi publiquement consacrée, où l'image du Sauveur apparut visible sur la
muraille aux yeux du peuple romain.
Plus tard, ayant à consacrer l'autel du Prince des Apôtres, le bienheureux Silvestre ordonna que les autels ne fussent plus
désormais que de pierre. Si cependant l'autel de la basilique de Latran fut de bois, on ne doit pas s'en étonner : de saint Pierre à Silvestre, en effet, les persécutions ne laissaient pas aux
Pontifes de demeure stable ; partout donc où les amenait la nécessité, soit dans les cryptes ou les cimetières, soit dans les maisons des chrétiens, c'était sur cet autel de bois, creux en forme
de coffre, qu'ils offraient le Sacrifice. Quand la paix fut rendue à l'Eglise, par honneur pour le Prince des Apôtres qu'on dit avoir célébré sur cet autel, et les autres Pontifes qui jusqu'alors
s'en étaient servis de même dans les Mystères sacrés, saint Silvestre le plaça dans la première église, au Latran, défendant que nul autre n'y célébrât par la suite, si ce n'est le Pontife
romain.
Ebranlée et ruinée par les incendies, les incursions ennemies, les tremblements de terre, cette église fut toujours réparée avec
grand zèle par les Souverains Pontifes ; à la suite d'une nouvelle restauration, le Pape Benoît XIII, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, la consacra derechef en grande pompe, le vingt-huitième jour
d'avril de l'an mil sept cent vingt-six, assignant à la mémoire de cette solennité le présent jour. De grands travaux que Pie IX avait entrepris furent menés à bonne fin par Léon XIII ; à savoir
: l'agrandissement et le prolongement de l'abside qui tombait de vétusté ; la réfection sur le modèle primitif de l'antique mosaïque déjà précédemment renouvelée dans beaucoup de ses parties, et
son transfert dans la nouvelle abside magnifiquement et à grands frais décorée ; le renouvellement de la charpente et des lambris du transept embelli ; œuvre complétée, l'an mil huit cent
quatre-vingt-quatre, d'une sacristie, d'habitations pour les chanoines et d'un portique rejoignant les nouvelles constructions au baptistère de Constantin.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Le Pape Silvestre
baptise l'Empereur Constantin - Basilique Saint Jean de Latran à Rome