Crist-Pantocrator.jpg

"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

La Manif Pour Tous 

La Manif Pour Tous photo C de Kermadec

La Manif Pour Tous Facebook 

 

 

Les Veilleurs Twitter 

Les Veilleurs

Les Veilleurs Facebook

 

 

 

papa%20GP%20II

1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


la vidéo sur KTO


Magnificat

     



Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

Rechercher

Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
capt_51c4ca241.jpg

Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






Yahad-In Unum

   

Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

Mgr Fouad Twal

Patriarcat latin de Jérusalem

 

               


Vierge de Vladimir  

Archives

    

 

SALVE REGINA

11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 04:00

Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l'Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu'apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l'eau et le sang, Jésus-Christ ; et l'Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité, quand il dit de lui-même que la vie est en lui. Car c'est l'Esprit, nous dit l'Evangile, qui sort avec l'eau du Cœur sacré, des sources du Sauveur, et nous rend dignes du sang divin qui l'accompagne. L'humanité, renaissant de l’eau et de l'Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu ; et, préparée pour l'Epoux dans les flots du baptême, l'Eglise s'unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l'os de ses os et la chair de sa chair, associés pour l'éternité à sa vie divine dans le sein du Père.

 

 Conduisons l'Epoux au lit nuptial ; qu'il s'étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l'alliance ; et que de son Cœur sorte l'Epouse, avec l'eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Epouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s'est élancé comme un géant dans la voie de l'amour ; la soif du désir a consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l'Epouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s'est endormi dans sa soif brûlante. Mais l'Epouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l'effort, s'est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s'est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l'humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?

 

 Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l'Eglise naissante s'écrier à Dieu, dans l'ivresse de son cœur débordant : "Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, ô ma gloire! Ô réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion". Et le Seigneur s'est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Eglise. Car me Cœur de l'Epoux appartient à l'Epouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair.

 

 Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur, le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d'où elle est sortie. Là sera pour l'Eglise le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l'origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l'Eglise, l'homme est le chef, et il n'appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu'elle s'adresse au cœur, et que rien ne résiste à l'amour.

 

 Si Adam a péché, c'est qu'Eve a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l'Eglise a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s'appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l'Eglise, puisqu'elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l'Epoux et l'Eglise l'Epouse.

 

 Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n'exposaient point autrement que nous ne l'avons fait le mystère de la formation de l'Eglise du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent. "Les initiés connaissent l'ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l'Eglise a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t'approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ (In JOHAN. Hom. 84) .

 

 " L'Evangéliste, explique saint Augustin, a usé d'une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu'elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C'était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l'ordre d'ouvrir au côté de l'arche, pour l'entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l'Eglise."

 

" Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée, dans le côté du Christ", interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le Bienheureux Guerric, abbé d'Igny. Et l'Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille : "Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l'oiseau de proie volant à l'entour ! Que verrons-nous par l'ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu'à son Cœur, a voici qu'est révélé l'arcane, l'arcane du Cœur, le mystère de l'amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu'y a-t-il en vous, ô Seigneur, que des trésors d'amour, des richesses a de bonté ? J'irai, j'irai à ces celliers d'abondance ; docile à la voix du prophète, j'abandonnerai les villes, j'habiterai dans la pierre, j'aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse à l'entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur". (In Cant. Serm. LXI).

 

 Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Eve du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille, comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n'était que la figure, dans la pierre qui est le Christ, la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes.

 

 Mais nous ne pouvons qu'effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l'ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur.

 

Le Cœur sacré, organe de l'amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l'intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Eglise.

 

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

 

Baptême du Christ

Partager cet article
Repost0
10 juin 2010 4 10 /06 /juin /2010 16:00

Un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Eglise, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l'Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d'abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénétré par la Foi dans le sanctuaire de l'essence infinie. Puis, d'un seul bond, l'Esprit impétueux de la Pentecôte, entraînant nos âmes à d'autres aspects de la vérité qu'il a pour mission de rappeler au monde, les a laissées un long temps prosternées au pied de l'Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur. Aujourd'hui c'est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu'il propose à nos adorations.

 

Partie noble entre toutes du corps de l'Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l'hommage réclamé par l'union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Eglise, il convient ici que nous la demandions de préférence à l'histoire de ce culte lui-même et à la place qu'occupe au Cycle sacré la solennité de la journée de demain.

 

 Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l'Esprit n'est pas autre, en chacune d'elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la Foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste par la seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d'une fête à l'autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s'est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l'a portée l'inépuisable activité d'un amour sans bornes ? Le Cœur de l'Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l'explication du plan divin tout entier.

 

 Nous savions que cette félicité souveraine du premier Etre, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l'Esprit dans la lumière et l'amour, les trois divines personnes avaient résolu d'en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l'homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l'âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l'homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l'Esprit sanctificateur, s'unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; "bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l'Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu'il se montrera, nous lui serons semblables", étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles.

 

 Mais l'amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n'a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l'intermédiaire obligé d'un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d'une âme humaine, manifesté dans les battements d'un cœur de chair pareil au nôtre. L'Ange du grand conseil, chargé d'annoncer au monde les desseins miséricordieux de l'Ancien des jours, a revêtu, dans l'accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu'à nous. Docile instrument de l'amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s'unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l'abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l'influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l'âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu'aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde, et pénétrant par la claire vision dans l'essence divine, saisit d'un seul regard la beauté absolue du premier Etre, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l'être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s'émut pour l'homme et pour Dieu d'un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l'Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.

 

 A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l'organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu'à ce que les émotions, s'éveillant avec l'intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l'Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l'origine à la loi d'un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu'il l'est maintenant dans les cieux. Car l'amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l'exquise sensibilité de son divin Cœur.

 

Quand il parut ici-bas, l'homme avait désappris l'amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n'était plus qu'un chemin par où l'âme s'enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors. A ce monde matériel que l'âme de l'homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l'Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l'ineffable expression d'un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l'Esprit d'amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l'unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C'est l'unique organum, ainsi l'appelait Gertrude la Grande (Legatus divinae pietatis) ; c'est l'instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l'humble hommage de l'inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l'homme à Dieu, l'échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.

 

 L'Esprit divin, dont il est le chef-d'œuvre, en a fait sa vivante image. L'Esprit-Saint, en effet, bien qu'il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l'amour, en est le terme ou l'expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c'est par lui que s'épanche à flots sur les créatures avec l'être et la vie cet amour éternel. Ainsi l'amour de l'Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible ; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l'eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.

 

 " Un des soldats, dit l'Evangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l'eau". Arrêtons-nous sur ce fait de l'histoire évangélique qui donne à la fête d'aujourd'hui sa vraie base ; et comprenons l'importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l'insistance du disciple de l'amour non moins qu'à la solennité des expressions qu'il emploie. "Celui qui l'a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l'Ecriture fût accomplie". L'Evangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l'effusion de l'Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem (Zach. XII, 10 ). "Et ils verront dans celui qu'ils ont transpercé", ajoutait le prophète.

 

 Mais qu'y verront-ils ? sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l'Ecriture et de l'histoire du monde, à savoir que "Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle."

 

 Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l'attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain, quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l'Elu du Père et l'objet des divines complaisances. Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu'à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse.

 

 " Il y en a Trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces Trois n'en font qu'Un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois concourent au même but. Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu'elle est dans son Fils."

 

Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l'Homme-Dieu le dénouement de l'œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l'accomplissement des desseins éternels.

   

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

   

Sainte Trinité

Partager cet article
Repost0
8 juin 2010 2 08 /06 /juin /2010 16:40

Quelle est celle-ci qui s'avance embaumant le désert du monde d'un nuage d'encens, de myrrhe et de toutes sortes de parfums ? D'elle-même aujourd'hui l'Epouse s'est réveillée. Pleine de désirs et d'attraits, l'Eglise entoure la litière d'or où parait l'Epoux dans sa gloire.

 

Près de lui sont rangés les forts d'Israël, prêtres et lévites du Seigneur puissants contre Dieu. Filles de Sion, sortez à la rencontre ; contemplez le vrai Salomon sous l'éclat du diadème dont l'a couronné sa mère au jour de ses noces et de la joie de son cœur. Ce diadème, c'est la chair reçue par le Verbe divin de la Vierge très pure, quand il prit l'humanité pour épouse. Par ce corps très parfait, par cette chair sacrée se poursuit tous les jours, au saint banquet, l'ineffable mystère des noces de l'homme et de la Sagesse éternelle.

 

Pour le vrai Salomon chaque jour donc est encore celui de l'allégresse du cœur et des joies nuptiales. Quoi de plus juste qu'une fois l'année, la sainte Eglise donne carrière à ses transports envers l'Epoux divin caché sous les voiles du Sacrement d'amour ? C'est pour cela qu'aujourd'hui le Prêtre a consacré deux Hosties, et qu'après avoir consommé l'une d'elles, il a placé l'autre dans le radieux ostensoir qui, soutenu par ses mains tremblantes, va traverser maintenant sous le dais, au chant des hymnes triomphales, les rangs émus de la foule prosternée.

 

 Cette solennelle démonstration envers l'Hostie sainte, nous l'avons déjà dit, est d'origine plus récente que la fête elle-même du Corps du Seigneur. Urbain IV n'en parle pas dans sa Bulle d'institution, en 1264. Par contre, Martin V et Eugène IV, en leurs Constitutions citées plus haut (26 mai 1429, 26 mai 1433), fournissent la preuve qu'elle était en usage de leur temps, puisqu'ils accordent des indulgences à ceux qui la suivent. Le Milanais Donat Bossius rapporte, en sa Chronique, que "le jeudi 29 mai 1404, on porta pour la première fois solennellement le Corps du Christ dans les rues de Pavie, comme il est passé depuis en usage". Quelques auteurs en ont conclu que la Procession de la Fête-Dieu ne remontait pas au delà de cette date, et devait sa première origine à l'Eglise de Pavie. Mais cette conclusion dépasse le texte sur lequel elle s'appuie, et qui peut fort bien n'exprimer qu'un fait de chronique locale. Nous trouvons en effet la Procession mentionnée sur un titre manuscrit de l’Eglise de Chartres en 1330, dans un acte du Chapitre de Tournai en 1325, au concile de Paris en 1323, et, en 1320, dans celui de Sens. Des indulgences sont accordées par ces deux conciles à l'abstinence et au jeûne de la Vigile du Corps du Seigneur, et ils ajoutent : "Quant à la Procession solennelle qui se fait le jeudi de la fête en portant le divin Sacrement, comme il semble que ce soit par une sorte d'inspiration divine qu'elle s'est introduite en nos jours, nous ne statuons rien pour le présent, laissant toutes choses à la dévotion du clergé et du peuple". L'initiative populaire semble donc avoir eu grande part à cette institution ; et de même que Dieu avait fait choix, au siècle précédent, d'un Pape français pour établir la fête, ce fut de France que se répandit peu à peu dans tout l'Occident ce complément glorieux de la solennité du Mystère de la Foi.

 

 Il paraît probable toutefois qu'à l'origine la divine Hostie ne fut pas, du moins en tous lieux, portée en évidence comme aujourd'hui dans les processions, mais seulement voilée ou renfermée dans une châsse ou cassette précieuse. C'était l'usage de la porter ainsi dès le XIe siècle en certaines Eglises, à la Procession des Rameaux, et encore à celle du matin de la Résurrection. Nous avons parlé ailleurs de ces manifestations solennelles, qui du reste avaient moins pour objet d'honorer directement le Sacrement divin, que de rendre plus au vif le mystère du jour. Quoi qu'il en soit, l'usage des ostensoirs ou monstrances, comme les appelle le concile de Cologne de l'année 1452, suivit de près l'établissement de la nouvelle Procession.

 

 On les fit d'abord plus généralement en forme de tourelles percées à jour ; dans un Missel manuscrit de l'an 1374, la lettre D, première de l'Oraison de la fête du Saint-Sacrement, présente en miniature un évêque accompagné de deux acolytes, et portant l'Hostie du salut dans une tour d'or à quatre ouvertures. Il y eut toutefois une grande et souvent heureuse variété dans ces nouvelles productions de l'art chrétien, qui venaient ainsi compléter à leur heure la collection déjà si riche des joyaux du sanctuaire. Nées spontanément de l'initiative privée des diverses Eglises, elles reflétèrent les inspirations multiples de la foi des pasteurs et des peuples. Tantôt ce furent des croix chargées de pierreries, des crucifix d'argent ou d'or, qui présentèrent sous le Sacrement le vrai corps de l’Homme-Dieu aux regards des fidèles, rappelant en même temps à leur religion et à leur amour le Sacrifice et la mort cruelle qui avaient fait de lui l'Hostie du salut. D'autres fois, au contraire, on employa pour cet usage des statuettes du Seigneur ressuscité incrustées des plus riches émaux, qui proclamaient la gloire du Vainqueur du trépas, toujours vivant et triomphant sous la mort apparente des espèces sacrées : placée dans la poitrine, à l'endroit du cœur, l'Hostie sainte rayonnait des mille feux de la pierre précieuse et translucide qui protégeait ce réduit sacré. Ailleurs, la Mère de la divine grâce, apparaissant de nouveau comme le vrai trône de la Sagesse éternelle, offrait elle-même aux adorations des nations d'Occident ce même Verbe incarné qui avait reçu l'hommage des rois de l'Orient sur son sein maternel ; ou bien encore l'Ami de l'Epoux, Jean le Précurseur, portant dans ses bras l'Agneau du salut, montrait au monde, de son doigt prédestiné, l'Hostie sainte qui brillait sur le front de cet Agneau divin comme une perle précieuse.

 

Libre expansion de la pieté que respecta l'Eglise-mère, jusqu'à ce que ces différentes conceptions se trouvassent ramenées par le temps au type uniforme reçu de nos jours. Les XIVe et XVe siècles virent déjà s'établir l'usage prédominant des monstrances à cylindres de cristal engagés dans des édicules de formes variées, à baies ogivales avec arcs-boutants et contre-forts, et surmontés d'élégantes pyramides ou de clochetons ajourés. Bientôt la piété catholique, s'ingéniant à rendre, en quelque sorte, au Soleil de justice les divines splendeurs qu'il dérobe à nos yeux dans le Mystère d'amour, amena l'usage d'exposer l'auguste Sacrement dans un soleil de cristal à rayons d'or ou de quelque autre matière de prix. En dehors de quelques rares monuments plus anciens que nous pourrions citer, cette dernière progression s'affirme clairement dans un Graduel du temps de Louis XII (1498-1515), où la première lettre de l'Introït du Saint-Sacrement renferme un soleil à peu près semblable aux nôtres, porté sur les épaules de deux personnages vôtus du pluvial, et suivi par le roi, accompagné de plusieurs cardinaux et prélats.

 

 Cependant l'hérésie protestante, qui naissait alors, traita bientôt de nouveauté, de superstition, d'idolâtrie odieuse, ces naturels développements du culte catholique inspirés par la foi et l'amour. Le concile de Trente frappa d'anathème les récriminations des sectaires, et, dans un chapitre spécial, il justifia l'Eglise en des termes que nous ne saurions nous dispenser de reproduire :

 

" Le saint Concile déclare très pieuse et très sainte la coutume qui s'est introduite dans l'Eglise, de consacrer chaque année une fête spéciale à célébrer en toutes manières l'auguste Sacrement, comme aussi de le porter en procession par les rues et places publiques avec pompe et honneur. Il est bien juste, en effet, que soient établis certains jours où les chrétiens, par une démonstration solennelle et toute particulière, témoignentde leur gratitude et dévot souvenir envers le commun Seigneur et Rédempteur, pour le bienfait ineffable et divin qui remet sous nos yeux la victoire et le triomphe de sa mort. Ainsi fallait-il encore que la vérité victorieuse triomphât du mensonge et de l'hérésie, de telle sorte que ses adversaires, au sein d'une telle splendeur et d'une si grande joie de toute l'Eglise, ou perdent courage et sèchent de dépit, ou, touchés de honte et de confusion, viennent enfin à résipiscence." ( Sess. XIII, cap. 5.)

 

 " Mais nous catholiques, adorateurs fidèles du Sacrement d'amour, avec quelle joie, s'écrie le pieux et éloquent Père Faber, ne devons-nous pas contempler cette brillante et immense nuée de gloire que l'Eglise fait à cette heure monter vers Dieu ! Oui ; il semblerait que le monde est encore dans son état de ferveur et d'innocence primitive ! Voyez ces glorieuses processions qui, avec leurs bannières étincelantes au soleil, se déroulent dans les places des opulentes cités, à travers les rues jonchées de fleurs des villages chrétiens, sous les voûtes vénérables des antiques basiliques, et le long des jardins des séminaires, asiles de la piété.

" Dans ce concours de peuples, la couleur du visage et la diversité des langues ne sont que de nouvelles preuves de l'unité de cette Foi que tous se réjouissent de professer par la voix du magnifique rituel de Rome. Sur combien d'autels de structure diverse, tous parés des fleurs les plus suaves et resplendissants de lumière, au milieu de nuages d'encens, au son des chants sacrés et en présence d'une multitude prosternée et recueillie, le Saint-Sacrement est successivement élevé pour recevoir les adorations des fidèles, et descendu pour les bénir !

" Et combien d'actes ineffables de foi et d'amour, de triomphe et de réparation, chacune de ces choses ne nous représente-t-elle pas ! Le monde entier et l'air du printemps sont remplis de chants d'allégresse. Les jardins sont dépouillés de leurs plus belles fleurs, que des mains pieuses jettent sous les pas du Dieu qui passe voilé dans le Sacrement.

" Les cloches font retentir au loin leurs joyeux carillons ; le canon ébranle les échos des Andes et des Apennins ; les navires, pavoisés de brillantes couleurs, donnent aux baies de la mer un air de de fête ; et la pompe des armées royales ou républicaines vient rendre hommage au Roi des rois. Le Pape sur son trône et la petite fille dans son village, les religieuses cloîtrées et les ermites solitaires, les évêques, les dignitaires et les prédicateurs, les empereurs, les rois et les princes, tous sont aujourd'hui remplis de la pensée du Saint-Sacrement. Les villes sont illuminées, les habitations des hommes sont animées par les transports de la joie. Telle est l'allégresse universelle, que les hommes s'y livrent sans savoir pourquoi, et qu'elle rejaillit sur tous les cœurs où règne la tristesse, sur les pauvres, sur tous ceux qui pleurent leur liberté, leur famille ou leur patrie.

" Tous ces millions d'âmes qui appartiennent à la royale famille et au lignage spirituel de saint Pierre sont aujourd'hui plus ou moins occupées du Saint-Sacrement : de sorte que l'Eglise militante tout entière tressaille d'une joie, d'une émotion semblable au frémissement des flots de la mer agitée. Le péché semble oublié ; les larmes mêmes paraissent plutôt être arrachées par l'excès du bonheur que par la pénitence. C'est une ivresse semblable à celle qui transporte l'âme à son entrée dans le ciel ; ou bien l'on dirait que la terre elle-même passe dans le ciel, comme cela pourrait arriver par l'effet de la joie dont l'inonde le Saint-Sacrement." (Le Saint Sacrement. T. I, pag. 4 traduct. de M. F. de Bernhardt)

 

On chante pendant la Procession les Hymnes de l'Office du jour, le Lauda Sion, le Te Deum et, suivant la longueur du parcours, le Benedictus, le Magnificat, ou d'autres pièces liturgiques ayant quelque rapport avec l'objet de la fête, comme les Hymnes de l'Ascension indiquées au Rituel. De retour à l'église, la fonction se termine, comme aux Saluts ordinaires, par le chant du Tantum ergo, du Verset et de l'Oraison du Saint-Sacrement.

 

Mais, après la Bénédiction solennelle, le Diacre ne renferme pas l'Hostie sainte ; il la dispose sur le trône où les pieux fidèles lui composeront, durant ces huit jours, une garde empressée.

 

 C'est autour d'elle que les Heures canoniales vont rayonner désormais, comme autour de leur Centre.

  

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

Catholic Feast of Corpus Christi in Minsk June 6, 2010.

Procession du Saint Sacrement à Minsk, en Biélorussie, le Dimanche 6 juin 2010

photo : REUTERS/Vladimir Nikolsky (BELARUS)

http://news.yahoo.com/

Partager cet article
Repost0
6 juin 2010 7 06 /06 /juin /2010 06:00

Une grande solennité s'est levée sur le monde : la Fête-Dieu, ainsi l'ont appelée nos pères ; vraiment fête de Dieu, mais aussi fête de l'homme, étant la fête du Christ-médiateur présent dans l'Hostie pour donner Dieu à l'homme et l'homme à Dieu. L'union divine est l'aspiration de l'humanité ; à cette aspiration, ici-bas même, Dieu a répondu par une invention du ciel. L'homme célèbre aujourd'hui cette divine merveille.

 

 Contre cette fête toutefois et son divin objet, des hommes ont répété la parole déjà vieille : Comment ces choses peuvent-elles se faire ? Et la raison semblait justifier leurs dires contre ce qu'ils appelaient les prétentions insensées du cœur de l'homme.

 

 Tout être a soif de bonheur, et cependant, et pour cela même, n'aspire qu'au bien dont il est susceptible ; car c'est la condition du bonheur de ne se rencontrer que dans la pleine satisfaction du désir qui le poursuit. De là vient qu'au commencement, la divine Sagesse préparant les cieux, creusant les abîmes, équilibrant la terre et composant toutes choses avec la Toute-Puissance, distribua inégalement la lumière et la vie dans ce vaste univers, et mesura ses dons aux destinées diverses ; plaçant l'harmonie du monde dans ce rapport parfait des divers degrés d'être avec les fins variées des créatures, sa bonté prévoyante adapta les besoins, l'instinct, le désir de chacune à leur nature propre, et n'ouvrit pas en elles des aspirations que celle-ci ne saurait satisfaire. La poursuite du bien et du beau, la recherche de Dieu, loi impérieuse de toute nature intelligente et libre, ne doit-elle pas s'arrêter en conséquence, elle aussi, aux proportions finies de cette nature même ?N'arriverait-il pas autrement que le bonheur fût placé, pour quelques êtres, en des jouissances que leurs facultés créées ne peuvent atteindre ?

 

 Quelque étrange que puisse paraître une telle anomalie, elle existe pourtant : l'humanité, dans tous les âges, par ses tendances les plus universelles, les mieux constatées, par toutes ses religions vraies ou fausses, en rend témoignage. Comme tout ce qui vit autour de lui, l'homme a soif de bonheur ; et cependant, seul sur cette terre, il sent en lui des aspirations qui dépassent immensément les bornes de sa fragile nature. Tandis que, docilement rangés sous le sceptre remis en ses mains par l'Auteur du monde, les humbles hôtes de sa royale demeure accomplissent dans la pleine satisfaction de tout désir rempli leurs services divers, le roi de la création ne peut trouver dans le monde de contre-poids à l'irrésistible impulsion qui l'entraîne au delà des frontières de son empire et du temps ,vers l'infini. Dieu même se révélant à lui, par ses œuvres, d'une façon correspondante à sa nature créée ; Dieu cause première et fin universelle, perfection sans limites, beauté infinie, bonté souveraine, objet bien digne ne fixera jamais en les comblant son intelligence et son cœur : Dieu ainsi connu, ainsi goûté, ne suffit pas à l'homme. Cet être de néant veut l'infini dans sa substance ; il soupire après la face du Seigneur et sa vie intime. La terre n'est à ses yeux qu'un désert sans issue, sans eau pour étancher sa soif brûlante ; dès l'aurore, son âme veille, affamée du Dieu qui peut seul calmer ces ardeurs, et sa chair même éprouve vers lui d'ineffables tressaillements.

 

" Comme le cerf, s'écrie-t-il, aspire après l'eau des fontaines, ainsi mon âme aspire a. après vous, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu fort, du Dieu vivant. Oh ! quand viendrai-je, quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ? Mes larmes sont devenues mon pain du jour et de la nuit ; on médit tous les jours : Où est ton Dieu ? J'ai repassé leurs injures, j'ai répandu mon âme au dedans de moi-même. Mais je passerai jusqu'au lieu du tabernacle admirable, jusqu'à la maison de Dieu. Voix d'allégresse et de louange ! c'est l'écho du festin. Pourquoi es-tu triste, mon âme ? Pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, parce que je le louerai encore : il est le salut que verra mon visage, il est mon Dieu."

 

 Enthousiasme étrange assurément pour la froide raison ; prétentions, semble-t-il, vraiment insensées ! cette vue de Dieu, cette vie divine, ce festin dont Dieu même serait l'aliment, l'homme fera-t-il jamais que ces sublimités ne demeurent infiniment au-dessus des puissances de sa nature, comme de toute nature créée ? Un abîme le sépare de l'objet qui l'enchante, abîme qui n'est autre que l'effrayante disproportion du néant à l'être. L'acte créateur dans sa toute-puissance ne saurait à lui seul combler l'abîme ; et pour que la disproportion cessât d'être un obstacle à l'union ambitionnée, il faudrait que Dieu même franchît la distance et daignât communiquer à ce rejeton du néant ses propres énergies. Mais qu'est donc l'homme, pour que l'Etre souverain dont la magnificence est au-dessus des cieux abaisse jusqu'à lui leurs hauteurs ?

 

 Mais alors aussi, qui donc a fait du cœur humain ce gouffre béant que rien ne saurait remplir ? Lorsque les cieux racontent la gloire de Dieu, et les œuvres de ses mains la sagesse et la puissance de leur auteur, d'où vient en l'homme un tel manque d'équilibre ? Le poids, le nombre et la mesure auraient-ils fait défaut pour lui seul au suprême ordonnateur ? Et celui qui devait être le chef-d'œuvre de la création, comme il en est le couronnement et le roi, ne serait-il qu'une de ces œuvres manquées accusant par leur défaut de proportions la lassitude ou l'impuissance de l'ouvrier ? Loin de nous un tel blasphème ! "Dieu est amour", nous dit saint Jean ; et l'amour est le nœud du problème qui se dresse, aussi insoluble qu'inévitable, en face de la philosophie réduite à ses seules forces.

 

 Dieu est amour ; et la merveille n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais qu'il nous ait lui-même prévenus d'amour. Mais l'amour appelle l'union, et l'union veut des semblables. Ô richesses de la divine nature en laquelle s'épanouissent, également infinis, Puissance, Sagesse et Amour, constituant dans leurs sublimes relations la Trinité auguste qui, depuis Dimanche, darde sur nous ses feux ! Ô profondeurs des divins conseils, où ce que veut l'Amour sans bornes trouve en la Sagesse infinie de sublimes expédients qui font la gloire de la Toute-Puissance !

 

 Gloire à vous tout d'abord, Esprit-Saint, dont le règne à peine commencé illumine de tels rayons nos yeux mortels, qu'ils analysent ainsi les éternels décrets ! Au jour de votre Pentecôte, une loi nouvelle, toute de clartés, a remplacé l'ancienne et ses ombres. La loi du Sinaï, le pédagogue qui préparait à la vraie science et régissait l'enfance du monde, a reçu nos adieux : la lumière a brillé par la prédication des saints Apôtres ; et les fils de lumière, émancipés, connaissant Dieu, connus de lui, s'éloignent toujours plus chaque jour des maigres et infirmes éléments du premier âge. A peine s'achevait, Esprit divin, la triomphante Octave où l'Eglise célébrait avec votre avènement sa propre naissance : et déjà, empressé pour la mission reçue par vous de rappeler à l'Epouse les leçons du Seigneur, vous présentiez aux regards de sa foi le sublime et radieux triangle dont la contemplation ravit nos âmes éperdues dans l'adoration et la louange. Mais le premier des grands mystères de notre foi, le dogme sans fond de la très sainte Trinité, ne représentait pas l'économie entière de la révélation chrétienne ; vous aviez hâte d'étendre, avec le champ de vos enseignements, les horizons de la foi des peuples.

 

 La connaissance de Dieu en lui-même et dans sa vie intime appelait comme complément celle de ses œuvres extérieures, et des rapports qu'il a voulu établir entre lui et ses créatures. Et voilà qu'en cette semaine qui nous voit commencer avec vous l'ineffable inventaire des dons précieux laissés en nos mains par l'Epoux montant au ciel, en ce premier jeudi qui nous rappelle le jeudi, saint entre tous, de la Cène du Seigneur, vous découvrez à nos cœurs tout à la fois la plénitude, le but, l'admirable harmonie des œuvres qu'opère le Dieu un dans son essence et trois dans ses personnes ; sous le voile des espèces sacrées, vous offrez à nos yeux, monument divin, le mémorial vivant des merveilles accomplies par le concert de la Toute-Puissance, de la Sagesse et de l'Amour !

 

 L'Eucharistie pouvait seule, en effet, mettre en pleine lumière le développement dans le temps, la marche progressive des divines résolutions inspirées par l'amour infini qui les conduit jusqu'à la fin, jusqu'au dernier terme ici-bas qui est elle-même ; couronnement de l'ordre surnaturel en cette terre de l'exil, elle explique et suppose tous les actes divins antérieurs. Nous ne saurions donc pénétrer sa divine importance, qu'en embrassant d'un même regard les opérations de l'amour infini dont elle est sur terre le sommet glorieux. Ainsi, en même temps, trouverons-nous le secret de ces aspirations supérieures à la nature qui donnent à l'histoire de l'humanité, jusqu'en ses égarements, tant de grandeur mystérieuse ; ainsi verrons-nous que celui-là seul a creusé l'abîme du cœur humain, qui peut et veut le combler.

 

 Tout acte de la divine volonté, hors de Dieu comme en lui-même, est amour pur, se rapportant à la troisième des augustes personnes, qui est, par le mode de sa procession, l'Amour substantiel et infini. De même que le Père tout-puissant voit toutes choses, avant qu'elles existent, en son Verbe unique, en qui s'épuise la divine intelligence : de même, pour qu'elles soient, il les veut toutes dans l'Esprit-Saint, qui est à la divine volonté ce qu'est le Verbe à l'intelligence souveraine. Terme dernier auquel s'arrête l'intime fécondité des personnes, en la divine essence, l'Esprit d'amour est en Dieu le principe premier des œuvres extérieures : communes dans l'exécution aux trois personnes, elles ont en lui leur raison d'être. Ineffable solliciteur, il incline la Divinité en dehors d'elle-même ; il est le poids qui, rompant les éternelles barrières, plus violent que la foudre, entraîne des sommets de l'être aux confins du néant la Trinité auguste. Ouvrant le grand conseil, il y dit la parole : "Faisons l'homme à notre image et ressemblance". Et Dieu crée l'homme à son image ; il le crée à l'image de Dieu, copiant son Verbe, l'archétype souverain, dans lequel toute création plonge ses racines comme dans le lieu des essences. Car le Verbe, pensée du Père, miroir très pur de l'intelligence infinie, renferme en soi l’idée divine de toute chose : règle des mondes, exemplaire éternel, lumière vivante et vivifiante qui donne leur forme et leur nature à tous les êtres.

 

Mais dans l'homme seul, résumé des mondes, à la fois esprit et matière, se retrouvera l'expression complète de la pensée créatrice. L'âme même, en lui, portera directement l’ image de la divine ressemblance, dont ce même Verbe est l'expression substantielle et infinie : doué d'intelligence et de liberté comme l'Etre souverain, il animera pour Dieu la création entière ; elle remontera par lui vers son Auteur dans un hommage, borné sans doute, mais en rapport avec toute cette nature inférieure sortie du néant à l'appel divin. Tel est, tel serait du moins l’ordre naturel, ensemble harmonieux, chef-d'œuvre de bonté s'il eût existé jamais seul, mais loin encore des ineffables projets de l'Esprit d'amour.

 

 Dans la pleine spontanéité d'une liberté qui pouvait s'abstenir et n'a d'égale que sa puissance, l'Esprit-Saint veut pour l'homme, au delà du temps, l'association à la vie même de Dieu dans la claire vision de son essence ; la vie terrestre des fils d'Adam revêtira elle-même par avance la dignité de cette vie supérieure, à tel point que celle-ci ne sera que le fruit direct, l'épanouissement régulier de la première. Aussi, pour que l'être chétif de la créature ne demeure pas au-dessous d'une telle destinée, pour que l'homme puisse suffire aux ambitions de son amour, l'Esprit fait-il que, simultanément à l'acte de création, les trois divines personnes infusent en lui leurs propres aptitudes et greffent sur ses puissances finies et bornées les puissances mêmes de la nature divine.

 

 Cet ensemble d'une destinée supérieure à la nature et d'énergies en rapport avec cette destinée, qui se superposent aux facultés naturelles pour les transformer sans les détruire, prendra le nom d'ordre surnaturel, par comparaison avec l'ordre inférieur qui eût été celui de la nature, si les divines prévenances n'eussent ainsi dès l'abord élevé l'être humain au-dessus de lui-même. L'homme gardera de cet ordre inférieur les éléments qui constituent son humaine nature, avec l'emploi qui leur est propre ; mais tout ordre se spécifie surtout par la fin que poursuit l'ordonnateur : et la fin dernière de l'homme n'ayant jamais été autre en la pensée divine qu'une fin surnaturelle, il s'ensuivra que l'ordre naturel proprement dit n'aura jamais eu d'existence indépendante et séparée.

 

 Vainement une orgueilleuse philosophie, s'appelant quand même "indépendante et séparée", prétendra s'en tenir aux dogmes naturels et aux vertus purement humaines : non moins que les merveilleuses ascensions des âmes fidèles, les effrayants écarts des révoltés dans les voies de l'erreur ou du crime prouveront à leur manière que la nature n'est plus, ne fut jamais pour l'homme un niveau auquel il puisse espérer se maintenir. En fût-il ainsi d'ailleurs, que l'homme ne pourrait encore légitimement se soustraire aux intentions divines. "En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d'amour ; mais il a fait acte aussi d'autorité. Son bienfait nous devient un devoir. Noblesse oblige : c'est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigné conférer à la créature".

 

 Noblesse sans pareille, qui fait de l'homme non plus seulement l’image de Dieu, mais vraiment son semblable ! Entre l'infini, l'éternel, et celui qui naguère n'était pas et reste à jamais créature, l'amitié, l'amour désormais sont possibles : tel est le but de la communauté d'aptitudes, de puissances, de vie, établie entre eux par l'Esprit d'amour. Ils n'étaient donc pas tout à l'heure le fruit d'un enthousiasme insensé, ces soupirs de l’homme vers son Dieu, ces tressaillements de sa chair mortelle ! elle n'était pas une vaine chimère cette soif du Dieu fort, du Dieu vivant, cette aspiration dévorante au festin de l'union divine ! Rendu participant de la nature divine, quoi d'étonnant que l'homme en ait conscience, et se laisse entraîner par la flamme incréée vers le foyer d'où elle rayonne jusqu'à lui ? Témoin autorisé de ses propres œuvres, l'Esprit est là d'ailleurs pour confirmer le témoignage de notre conscience, et attester à notre âme que nous sommes bien les fils de Dieu. C'est lui-même qui, se dérobant au plus intime de notre être où il demeure pour maintenir et conduire à bonne fin son œuvre d'amour, c'est l'Esprit qui, tantôt par de soudaines illuminations ouvrant aux yeux de notre cœur les horizons de la gloire future, inspire aux fils de Dieu les accents anticipés du triomphe ; tantôt soupire en eux ces gémissements inénarrables, ces chants d'exil imprégnés des larmes brûlantes d'un amour pour qui l'union se fait trop attendre. Comment redire la suavité victorieuse des incomparables harmonies qui, dans le secret des âmes blessées du trait divin, montent ainsi de la terre au ciel ? Victorieux en effet seront ces soupirs ; et si l'union éternelle est trop incompatible avec les jours du pèlerinage et de l'épreuve, la vallée des larmes verra pourtant d'ineffables mystères.

 

 Dans ce concert merveilleux de l'Esprit et de l'âme, "celui qui scrute les cœurs, nous dit l'Apôtre, connaît le désir de l'Esprit, parce qu'il prie selon Dieu pour les saints". Désir tout-puissant par suite comme Dieu lui-même ; désir, nouveau en tant que de l'homme né d'hier, mais éternel comme de l'Esprit dont l'immuable procession est avant tous les âges. En réponse au désir de l'Esprit, des insondables profondeurs de son éternité, Celui pour qui tout existe, et que nul œil mortel n'a contemplé ni ne peut voir, a résolu de se manifester dans le temps et de s'unir à l'homme encore voyageur, non par lui-même, mais en son Fils, la splendeur de sa gloire et l'expression très fidèle de sa substance. Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui adonné son Verbe, la divine Sagesse engagée à l'humanité dès le sein du Père. Figuré par le sein d'Abraham, rendez-vous mystérieux des justes sous l'ancienne alliance, lieu de repos des âmes saintes avant que ne fût ouverte au peuple élu la voie du céleste sanctuaire, le sein du Père est le lit nuptial chanté par David, d'où procède l'Epoux, quittant à l'heure marquée les sommets des cieux pour chercher sa fiancée, et l'y ramenant avec lui pour l'introduire au lieu des noces éternelles. Marche triomphante de l'Epoux en sa beauté, dont le prophète Michée a dit, parlant de son passage en Bethléhem, que le point de départ en est des jours de l'éternité ! Tel est, en effet, d'après les sublimes enseignements de la théologie catholique, l'étroit rapport de la procession éternelle et de la mission dans le temps des divines personnes, qu'une même éternité les unit toutes deux en Dieu : éternellement l'auguste Trinité contemple l'ineffable naissance du Fils unique au sein du Père ; éternellement, du même regard, elle le voit procédant comme Epoux du même sein paternel.

 

Que si maintenant nous venons à comparer entre eux les éternels décrets, il est facile de reconnaître ici le décret principal entre tous, et comme tel primant tous les autres en la pensée créatrice. Dieu le Père a tout fait pour cette union de la nature humaine avec son Fils : union si intime qu'elle devait aller, pour l'un des membres de cette humanité, jusqu'à l'identification personnelle avec le Fils très unique du Père ; union si universelle, qu'à des degrés divers, aucun des individus de la race humaine ne devait être exclu que par lui-même des noces divines avec la Sagesse éternelle ainsi manifestée dans le plus beau des enfants des hommes. Ainsi "Dieu, qui d'une parole autrefois fit jaillir la lumière au sein des ténèbres, resplendit lui-même en nos cœurs, les initiant à la connaissance de la gloire divine par la face du Christ Jésus". Ainsi le mystère des noces est-il bien le mystère du monde ; ainsi le royaume des cieux est-il semblable à un roi qui fait les noces de son fils.

 

 Mais où donc se fera la rencontre ici-bas du prince et de sa fiancée ? Où doit se consommer cette union merveilleuse ? Qui nous dira la dot de l'Epouse, le gage de l'alliance ? Sait-on l'ordonnateur du banquet nuptial, et quels mets seront servis aux convives ?

 

 A ces questions la triomphante réponse éclate aujourd'hui de toutes parts sous la voûte du ciel. A la puissance des accents sublimes que se renvoient les échos de la terre et des cieux, reconnaissons le Verbe divin. L'adorable Sagesse est sortie des temples : elle crie sur les places publiques, en tête des foules, aux portes des villes ; établie sur les montagnes, occupant les points élevés des grandes routes, barrant les sentiers, elle fait entendre sa voix aux fils des hommes. Et dans le même temps courent ses servantes, les grâces variées portant son message aux humbles de cœur : "Venez, mangez mon pain, buvez le vin que j'ai mélangé pour vous". Car la Sagesse s'est bâti une demeure ici-bas ; elle a elle-même immolé ses victimes, préparé le vin et dressé sa table : tout est prêt, venez au festin des noces !

 

 Ô Sagesse, qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut, atteignant d'une extrémité à l'autre et disposant toutes choses avec force et douceur, nous implorions au temps de l'Avent votre venue en Bethléhem, la maison du pain ; vous étiez la première aspiration de nos cœurs haletants sous l'attente des siècles. Le jour de votre glorieuse Epiphanie manifesta le mystère des noces, et révéla l'Epoux ; l'Epouse fut préparée dans les eaux du Jourdain ; nous chantâmes les Mages courant avec des présents au festin figuratif, et les convives s'enivrant d'un vin miraculeux. Mais l'eau changée en vin pour suppléer à l'insuffisance d'une vigne inféconde présageait de plus grandes merveilles. La vigne, la vraie vigne dont nous sommes les branches, a donné ses fleurs embaumées, ses fruits de grâce et d'honneur. Le froment abonde dans les vallées, elles chantent un hymne de louange ; car cette force du peuple couvre de ses épis jusqu'au sommet des montagnes, et sa tige nourricière domine le Liban.

 

 Sagesse, noble souveraine, dont les charmes divins captivent dès l'enfance les cœurs avides de la vraie beauté, il est donc arrivé le jour du vrai festin des noces ! comme une mère pleine d'honneur, comme la jeune vierge en ses attraits, vous accourez pour nous nourrir du pain de vie, nous enivrer du breuvage salutaire. Meilleur est votre fruit que l'or et la pierre précieuse, meilleure votre substance que l'argent le plus pur. Ceux qui vous mangent auront encore faim, ceux qui vous boivent n'éteindront pas leur soif. Car votre conversation n'a point d'amertume, votre société de dégoût ; avec vous sont l'allégresse et la joie, les richesses, la gloire et la vertu.

 

 En ces jours où siégeant dans la nuée, vous élevez votre trône dans l'assemblée des saints, sondant à loisir les mystères du divin banquet, nous voulons publier vos merveilles, et, de concert avec vous, chanter vos louanges en face des armées du Très-Haut.

 

 Daignez ouvrir notre bouche et nous remplir de votre Esprit, divine Sagesse, afin que notre louange soit digne de son objet, et qu'elle abonde, selon votre promesse dans les saints Livres, en la bouche fidèle de vos adorateurs.

  

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

 

Corpus Domini Mass june 3 2010

CORPUS DOMINI

Basilique Saint Jean de Latran, 3 juin 2010 

Photo Filippo MONTEFORTE

 

 

Jésus parlait du règne de Dieu à la foule, et il guérissait ceux qui en avaient besoin.

 

 Le jour commençait à baisser. Les Douze s'approchèrent de lui et lui dirent : 

" Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger : ici nous sommes dans un endroit désert."


Mais il leur dit : " Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils répondirent : "Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... à moins d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde."

 

Il y avait bien cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : "Faites-les asseoir par groupes de cinquante." Ils obéirent et firent asseoir tout le monde.

 

Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu'ils distribuent à tout le monde.

 

Tous mangèrent à leur faim, et l'on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit douze paniers.

 

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Partager cet article
Repost0
5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 08:00

Le jour qui commence n'est point encore celui de la fête du divin Mémorial : c'est demain seulement qu'elle doit éclater dans sa splendeur. Mais dès ce soir, aux premières Vêpres, l'Eglise acclamera le Pontife éternel ; et si les papes n'ont point voulu faire précéder d'une Vigile proprement dite la solennité du Corps du Seigneur, des indulgences sont cependant accordées, dans leurs bulles, au jeûne volontaire en ce jour qui la précède immédiatement. Reprenons maintenant nos considérations historiques sur l'auguste mystère.

 

 Nous avons vu l'unité de l'Eglise se constituer autour de l'Eucharistie. Le Christ Jésus nous est apparu, au divin Sacrement, comme la pierre angulaire sur laquelle s'élève, dans l'agencement harmonieux de ses diverses parties, le temple saint formé de pierres vivantes à la gloire du Seigneur. Pontife souverain établi pour les hommes, et l'un d'entre eux, il présente à Dieu l'hommage de ses frères, il offre au Père de tous le commun Sacrifice. Et si cet hommage du genre humain régénéré, si le Sacrifice, qui en est l'expression la plus haute, emprunte toute sa valeur à l'infinie dignité du Chef auguste donné à l'Eglise, il n'est complet cependant que par l'union des membres à leur Chef. La tête appelle le corps ; l'Eglise, nous dit l'Apôtre, est le complément du Christ et sa plénitude ; elle parfait le Sacrifice, comme partie intégrante de la victime offerte sur l'autel. Ce qui est vrai de l'Eglise, l'est de chacun de nous qui sommes ses membres, si en effet nous sommes unis, dans l'Action du Sacrifice, de cette union intime qui fait des membres un même corps.

 

 Telle est l'influence sociale de l'Eucharistie. Désagrégée par le péché, l'humanité retrouve dans le sang de l'Agneau son unité perdue. Ainsi Dieu rentre-t-il dans ses primitifs desseins sur le monde. L'homme était sorti du néant après toute créature, comme devant être l'organe de la louange universelle au nom de la création dont sa double nature offre le merveilleux résumé. L'homme relevé préside encore au concert des êtres : l’Eucharistie, l’Action de grâces, la louange par excellence, est le noble fruit de la race humaine. Chant sublime de la divine Sagesse au Roi des siècles, elle monte de cette terre, unissant l'ineffable harmonie du cantique éternel qui est le Verbe au sein du Père, et du cantique nouveau redit par le concert des mondes à la gloire de leur Auteur.

 

 Les âges de foi avaient compris la merveilleuse grandeur du don fait par l'Homme-Dieu à son Eglise ; pénétrés de l'honneur qui en revient à notre terre, ils s'étaient crus dans l'obligation d'y répondre, au nom du monde entier, par la noblesse et la solennité des rites accompagnant la célébration du Mystère trois fois saint. La Liturgie était ce que l'indique son nom pour les chrétiens d'alors, la fonction publique, l'œuvre sociale entre toutes, appelant comme telle toutes les magnificences, et supposant la présence de la cité entière autour de l'autel. Sans doute, il serait facile de le prouver historiquement par les faits les mieux démontrés ; la croyance actuelle de l'Eglise catholique sur la légitimité des Messes privées fut celle de tous les siècles chrétiens dès l'origine. Pratiquement néanmoins et dans le cours ordinaire, la pompe des cérémonies, l'enthousiasme des chants, la splendeur des fonctions sacrées, semblèrent longtemps inséparables de l'oblation du Sacrifice.

 

 Les solennités du culte divin dans nos cathédrales, aux plus beaux jours du Cycle, ne rappellent que de bien loin ces formes grandioses des antiques Liturgies dont nous retracions hier quelques traits incomplets. Si même l'Eglise, qui ne change pas dans ses aspirations, accuse hautement sa préférence pour les débris conservés des anciens jours, on ne peut nier toutefois qu'une impulsion très sentie n'incline aujourd'hui les peuples à délaisser toujours plus les pompes extérieures du Sacrifice, pour reporter sur un autre point les démonstrations de la piété chrétienne. Le culte de la divine présence eucharistique a pris des accroissements qui sont, en nos jours, la confusion de l'hérésie et la joie de tout catholique sincère ; mais il importe d'autant plus qu'un mouvement si profitable aux âmes, et si glorieux au divin Sacrement, ne soit pas retourné, par les ruses de l'ennemi, contre l'Eucharistie elle-même. Or, c'est ce qui arriverait aisément, si, par suite d'une dévotion mal pondérée, le Sacrifice, objet premier du dogme eucharistique, pouvait jamais déchoir en quelque manière dans la pensée intime ou la religion pratique des fidèles.

 

 Un dogme ne saurait nuire à l'autre dans l'admirable enchaînement de la révélation chrétienne. Toute vérité nouvelle, ou présentée sous un nouveau jour, est un progrès dans l'Eglise et un gain pour ses enfants. Mais là seulement le progrès est réel dans l'application, où cette vérité mise en avant ne l'est pas de telle sorte qu'elle fasse rentrer dans l'ombre une vérité plus importante ; et jamais famille n'estimera comme un avantage le gain qui, pour se produire, entame le patrimoine des siècles. Principe évident par lui-même, et qu'il serait dangereux d'oublier dans l'étude comparative des différentes phases de l'histoire des sociétés humaines, et de l'Eglise en particulier. Si le divin Esprit, qui sans cesse meut vers les hauteurs, pare sans repos l'Eglise pour les noces éternelles et illumine à chaque pas son front d'une lumière plus rayonnante, trop souvent aussi l'élément humain dont elle est pétrie dans ses membres fait sentir son poids à l'Epouse. Il arrive alors que, dans sa sollicitude maternelle pour des enfants maladifs qui n'ont plus la force de se soutenir dans les régions élevées et la forte atmosphère où vécurent leurs aînés, sans cesser de monter par ses aspirations et de grandir dans les cieux, elle décline des voies qu'elle aimait à suivre plus près de l'Epoux sur les montagnes, aux beaux temps de son histoire ; elle descend vers ceux qu'elle veut sauver, s'amoindrit en apparence et se fait à leur taille. Ineffable condescendance, mais qui ne donne nullement aux fils de ces générations amoindries le droit de se préférer à leurs devanciers ! Le malade l'emporte-t-il donc sur l'homme en santé, par la raison que la nourriture indipensable au reste de vie qui végète en sa personne se présente à lui sous des formes nouvelles et mises à la portée de ses organes débilités ?

 

 Pour avoir vu donner de nos jours, sous un mode plus nouveau, certain essor à la dévotion de quelques âmes envers l'hôte divin des tabernacles, une affirmation s'est produite, attestant que "jamais les siècles passés n'ont égalé le nôtre dans le culte du Très Saint Sacrement" ; et, sur ce témoignage d'un pieux enthousiasme, le dix-neuvième siècle, dont l'incessante fécondité se vante à juste titre d'avoir ouvert tant d'aspects nouveaux de toute sorte au champ de la piété, s'est laissé modestement nommer quelque part le "grand siècle de l'Eucharistie". Plût au ciel que cette appellation fût justifiée ! Car il est très vrai "qu'un siècle grandit ou décroît en raison de son culte pour la divine Eucharistie" : c'est le témoignage de l'histoire. Mais il n'est pas moins assuré qu'en un pareil rapprochement des siècles au point de vue du Sacrement d'amour qui est l'incessante vie de l'Eglise, on devra regarder comme la grande époque celle où les intentions du Seigneur dans l'auguste Mystère se trouveront être plus parfaitement comprises et mieux remplies, non celle où la piété privée se donne plus largement carrière.

 

 Or, sans nous attacher en ce moment au développement de considérations dogmatiques qui trouveront mieux leur place dans quelques jours, l'histoire est encore là pour attester que l'Eglise, interprète fidèle et sûre des pensées de l'Epoux, a maintenu la discipline eucharistique des premiers âges, tant qu'ont duré dans leur éclat la ferveur et la foi des nations occidentales. Alors que, successivement victorieuse des persécutions païennes et du dogmatisme obstiné des Césars de Byzance, plus libre qu'elle ne le fut jamais et sûre d'être obéie, elle dirigeait le monde en souveraine, la noble dépositaire du Testament nouveau persévéra dans la voie qu'avaient suivie les Martyrs et justifiée les Pères dans leurs écrits : elle continua d'absorber dans le Sacrifice, dans les pieuses fatigues de la Messe solennelle et des Heures canoniales qui ne sont que le rayonnement naturel du Sacrifice, les forces vives des nouveaux enfants que lui donnait la conversion des Barbares. Rien de plus catholique, rien de moins individuel et de moins privé, dans ces temps, que le culte eucharistique ainsi basé sur la notion sociale du Sacrifice. Cette notion restait présente à la pensée de ceux mêmes que la maladie ou des circonstances particulières contraignaient de communier séparément à la Victime universelle. Elle suffisait à diriger sûrement les cœurs et les adorations vers la colombe d'or ou la tour d'ivoire où se conservaient, dans l'ineffable intégrité du Sacrement, les restes précieux du Sacrifice.

 

La foi, une foi non moins vive et profonde que de nos jours à la présence réelle, animait la Liturgie entière, et soutenait tout ce vaste ensemble de rites et de cérémonies inexplicables en dehors du dogme catholique. Maintenu par tous au-dessus de la discussion, ce dogme si cher était à la fois la pierre fondamentale et la ferme charpente de l'édifice élevé par l'éternelle Sagesse au milieu des hommes. Il peut sembler qu'on s'en occupât alors moins spécialement que de nos jours ; mais ne serait-ce point que, d'ordinaire, le rocher portant l'édifice et la charpente la plus merveilleuse appellent moins de sollicitude en un palais non éprouvé encore par l'insouciance des habitants ou les assauts de l'ennemi ?

 

 Si l'Eglise, quant à elle, ne saurait défaillir, c'est la loi de l'histoire que dans son sein même, et malgré la vitalité qu'elle donne aux nations, une société ne se maintient jamais longtemps aux sommets de perfection qu'elle peut atteindre. Les peuples sont comme les astres, dont l'apogée marque fatalement l'heure du déclin : ils paraissent ne s'élever, que pour bientôt décroître et végéter dans l'impuissance du vieillard épuisé par les ans. Ainsi en devait-il être de la chrétienté elle-même, cette grande confédération des peuples établie par l'Eglise dans la forte unité d'une charité non feinte et d'une foi sans mélange. C'est à l'heure même où l'immense impulsion des croisades, soulevant une seconde fois le monde à la voix de saint Bernard, semble marquer pour plusieurs le point culminant du règne du Christ et consacrer à jamais la puissance de l'Eglise, que reparaissent et s'accentuent les signes d'une décadence, suspendue jusque-là par l'héroïque génie de saint Grégoire VII, mais qui ne s'arrêtera plus désormais jusqu'à la grande défection du XVIe siècle et l'apostasie générale des sociétés modernes.

 

 La grande moniale du moyen âge, Hildegarde, scrutait alors de son œil d'aigle les misères du présent et les profondeurs plus noires encore de l'avenir. De cette plume qui transmettait les oracles divins aux pontifes et aux rois, elle écrivait :

" L'an de l'Incarnation du Seigneur mil cent soixante-dix, éveillée de corps et d'âme, je vis une très belle image de femme, si parti faite dans la suavité de ses attraits et si pleine de délices, que l'esprit humain ne saurait comprendre sa beauté. Sa taille allait de la terre au ciel. Sa face rayonnait de lumière, et son œil pénétrait les cieux. Elle était vêtue d'une robe éclatante de soie blanche ; un manteau chargé des pierres les plus précieuses entourait son corps, et elle avait aux pieds des chaussures d'onyx. Mais le visage était couvert de poussière, la robe déchirée au côté droit ; le manicau et la chaussure avaient perdu l'éclat de leur ancienne beauté. Et elle criait d'une voix puissante et lamentable dans les hauteurs des cieux : Entends, ciel, que ma face est souillée ; terre, gémis de ce que ma robe est lacérée ; abîme, tremble à la vue de mes chaussures noircies. Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids ; et je n'ai, moi, ni aide, ni consolateur, ni bâton pour m'appuyer et soutenir mes pas.

Ils m'ont couverte d'opprobres et délaissée, ceux qui devaient me parer en toutes manières. Car c'est eux-mêmes qui maculent mon visage, en traînant le corps et le sang de mon Epoux dans l'abominable impureté de leurs mœurs et la fange immonde de leurs fornications et de leurs adultères, achetant et vendant par une insatiable avarice les choses saintes, pour les souiller ainsi qu'un enfant jeté aux pourceaux dans leur fange. Les plaies toujours béantes du Christ mon Epoux sont vilipendées sur les autels.

" C'est pourquoi, ô prêtres, un temps viendra que les princes et les peuples se rueront contre vous ; ils dépouilleront ces prévaricateurs du sacerdoce, et ils diront : Chassons de l'Eglise ces adultères, ces ravisseurs, ces réservoirs du crime. Et en cela ils prétendront servir Dieu dont vous souillez l'Eglise. Oui, par la permission divine, contre vous dans leurs conseils frémiront des nations nombreuses, et les peuples ourdiront contre vous des complots, n'estimant pour rien votre sacerdoce et la consécration de vos mains. Aux complots de leurs peuples assisteront les rois, dévorant des yeux vos richesses. Et tous n'auront qu'un seul dessein : vous chasser de leurs terres, parce que l'iniquité de vos œuvres a chassé de vous l'innocent Agneau. Et j'entendis une voix du ciel qui disait : Cette image est l'Eglise".

 

 Tableau inspiré, rendant en traits de feu, jusqu'en ses lointaines conséquences, la situation faite à l'Eglise au XIIe siècle ! Situation intimement liée, comme il convient, aux destinées du Mystère de l'autel. Les désordres du sanctuaire amenaient forcément le relâchement des peuples. On les vit se dégoûter du mets céleste présente par des mains trop souvent souillées ; les convives se firent rares au banquet de la divine Sagesse, et l'abandon devint si prononcé, qu'en 1215, un concile œcuménique, le IVe de Latran, porta la loi bien connue contraignant, sous les peines les plus sévères, tout fidèle de l'un ou l'autre sexe à communier au moins une fois dans l'année. Si grand était le mal, que les prescriptions des conciles et le génie d'Innocent III, le dernier des grands papes du moyen âge, n'eussent pu suffire à le conjurer, si Dieu n'avait donné saint Dominique et saint François à son Eglise : ils relevèrent l'honneur du sacerdoce, et ranimèrent pour un temps la piété des peuples. Mais les antiques formes liturgiques avaient sombré dans la crise.

 

 L'oblation commune, qui supposait la communion de tous à l'auguste Victime, avait cédé la place aux fondations privées et aux honoraires ou stipendium dont l'usage ne fit que s'accroître à l'arrivée des Ordres mendiants. L'Eglise renonçait à l'espoir de ramener le peuple chrétien, comme corps social, aux formes anciennes ; elle toléra d'abord, et encouragea bientôt l'initiative individuelle qui s'assurait ainsi dans le Sacrifice une part déterminée, en subvenant aux besoins des sacrificateurs. Les Messes privées, à intentions spéciales, se multiplièrent donc pour satisfaire aux obligations contractées envers les particuliers. Mais par une suite nécessaire, le rite imposant de la concélébration, maintenu à Rome jusqu'au XIIe siècle, finit par disparaître à peu près entièrement d'Occident.

 

 Le Sacrifice ne se présentait plus dès lors avec ces allures majestueuses qui lui assuraient, aux yeux des générations antérieures, une prépondérance incontestée dominant la religion entière et toute la vie chrétienne. Bientôt, perdant de vue la connexion intime et la mutuelle dépendance du Sacrifice et du Sacrement dans le Mystère d'amour, on commença, dans certains lieux, à distribuer sans trop de scrupule la très sainte Eucharistie en dehors de la Messe, pour des raisons peu sérieuses. Et plus d'un docteur scolastique aidant au mouvement, à l'insu de la vraie science, par ses habitudes de définitions tranchantes et de division catégorique, la communion sembla devenir dans l'esprit de plusieurs comme une section à part de l'institution eucharistique. Prélude de ces communions isolées et furtives par système, dont quelques-uns font aujourd'hui l'idéal d'une spiritualité pieusement ennemie de la foule et du bruit des pompes extérieures !

 

 La notion du Sacrifice, qui renferme le motif principal de la présence du Verbe incarné dans l'Eucharistie, ne frappait donc plus tout d'abord comme autrefois l'esprit des peuples. Il arriva que, par contre, l'idée de cette présence d'un Dieu sous les espèces eucharistiques s'empara des âmes d'une manière plus exclusive, d'autant plus vive et plus dominante. Ce fut alors que dans l'esprit d'une sainte frayeur, et sous l'impulsion d'un respect qui ne saurait être en effet trop profond, on acheva d'abandonner plusieurs anciens usages : établis à l'origine dans la pensée d'étendre ou de mieux exprimer l'application du Sacrifice, ils furent supprimés comme pouvant exposer involontairement les saintes espèces à quelque irrévérence. Ainsi tombèrent en désuétude l'usage du calice pour les simples fidèles et la communion des enfants en bas âge.

 

 Une immense révolution rituelle s'était donc accomplie. L'Eglise, qui ne pouvait y voir, en plus d'un point, qu'un amoindrissement du passé, l'accepta cependant. Le temps était venu où les grandes formes sociales de la Liturgie, appelant pour base la puissante unité des nations chrétiennes, n'eussent plus été que des formes menteuses. La défiance des Etats contre l'Eglise, leur seul lien réciproque, s'accentuait tous les jours, n'attendant que l'occasion de se déclarer en hostilité ouverte. Les légistes étaient à l'œuvre, et bientôt les exploits de Pierre Flotte et de Guillaume de Nogaret allaient montrer au monde combien était actif le travail de dissolution remis à leurs soins.

 

 Si le mal était grand dans la place, plus grands encore étaient les dangers que les assauts de l'hérésie faisaient courir du dehors au peuple fidèle. Mais c'est ici qu'apparaît la prudence divine qui conduit l'Eglise. Pour défendre la foi, qui est l'élément essentiel de son existence ici-bas, elle se fit un rempart des ruines mêmes accumulées par cette révolution liturgique qu'elle avait dû subir : sanctionnant de son autorité ce qui pouvait l'être, elle enraya le mouvement ; et, mettant à profit la préoccupation plus marquée que ce mouvement amenait dans les âmes au sujet de la divine présence eucharistique, elle fit entrer la Liturgie dans une voie nouvelle, où l'incessante affirmation du dogme allait remplacer les formes moins précises, quoique non moins complètes et beaucoup plus grandioses du premier âge. C'était répondre à l'hérésie d'une manière d'autant plus forte qu'elle serait plus directe. Nous avons vu comment, par suite de ses attaques encore détournées, s'imposait de plus en plus, au XIIIe siècle, la convenance souveraine d'une fête spéciale, consacrée à honorer comme tel le Mystère de la foi. Elle devint une nécessité à l'approche, prévue par Dieu seul encore, des audaces triomphantes de l'hérésie sacramentaire. Il fallait prévenir l'attaque, et faire en sorte par avance que ces assauts fussent en leur temps moins dangereux pour les chrétiens, et moins préjudiciables au Seigneur lui-même dans son Sacrement. Le moyen d'atteindre plus efficacement ce double but était le développement de la dévotion extérieure à la présence réelle : par là, l'Eglise se manifestait en possession du dogme, et le Sacrement d'amour trouverait compensation à l'abandon de plusieurs dans la ferveur renouvelée des âmes restées fidèles.

 

 Etablie dans le monde entier par l'autorité des Pontifes romains, la fête du Très Saint Sacrement ou du Corps du Seigneur fut donc, en elle-même et dans ses développements, ainsi que nous le disions avant-hier, le point de départ d'une nouvelle phase pour le culte catholique envers la divine Eucharistie. A sa suite, Processions , Saluts, Quarante-Heures, Expositions, Adorations, sont venus protester toujours plus de la foi de l'Eglise en la présence réelle, réchauffer dans les peuples une piété détaillante, et rendre au Dieu résidant pour nous sous les espèces sacramentelles les hommages qu'il est en droit d'y attendre.

 

 Eglise, ils ne sont plus ces temps où vous retraciez ici-bas l'image de la céleste Jérusalem, alors que, dans toute la liberté des inspirations de votre cœur d'Epouse, nos pères vous contemplaient ordonnant le Sacrifice auguste avec cette majesté sublime qui leur en faisait pénétrer les grandeurs. Nous ne voyons plus ces royales magnificences, qu'un monde amoindri ne saurait porter. Les nations insensées dont vous faisiez la gloire en les rassemblant dans l'unité des sacrés Mystères, ont fait alliance, pour leur malheur, avec l'ancien ennemi. Lorsque sans nulle crainte, forte de la conscience de vos droits et de vos bienfaits, vous cultiviez dans la paix le jardin de l'Epoux, jouissant des suaves parfums qu'il exhalait au ciel et des fruits de la vigne mystique, un bruit insolite a retenti, le bruit des chars d'Aminadab lancés par des mains perfides. Vous n'eussiez été que juste, ô Eglise, laissant dès lors cette terre ingrate, et fuyant vers l'Epoux dans les célestes hauteurs. Mais plus que jamais étrangère en la terre de votre exil, ô Sulamite, vous avez entendu dans les siècles à venir les cris de ceux que vous pouviez sauver encore ; et vous êtes restée dans votre dévouement, ô notre Mère, vous êtes restée pour que vos fils du dernier âge pussent eux aussi, comme leurs aînés, puiser dans vos yeux la lumière et la vie.

 

 Nous ne l'ignorons pas : au lieu des pacifiques splendeurs que déployait la reine dans l'éclat d'une souveraineté incontestée, au lieu des chœurs d'exultation et de triomphe conduits par l'Epouse en ses palais, nous ne verrons plus dans la Sulamite que des marches guerrières et le chant des combats. Mais qu'ils sont beaux toujours vos pas dans les chaussures de votre pèlerinage, ô fille du Roi, terrible désormais comme une armée rangée en bataille ! Que vous êtes belle, déposant la robe d'or et la variété des ornements qui vous entouraient sur le trône à la droite du Prince, pour ceindre avec lui l'épée puissante et percer de vos flèches acérées les cœurs des ennemis !

 

Que l'Eglise grecque, immobilisée dans la fatale stérilité de la branche séparée du tronc, garde, feuillage desséché, ces antiques formes dont l'imposante unité n'a plus chez elle que le schisme pour base ! l'hérésie, étalant sous les voûtes des cathédrales bâties par nos pères les rites abâtardis de sa cène mesquine, est-elle donc plus étrange que ce schisme décrépit gardant fièrement des formes qui le condamnent, et faisant parade d'ornements qui ne sont plus à sa taille ? Quelle vie puiseront jamais ses membres dans le vide de ces formes incomprises ?

 

 Celle-là seule est la Mère qui sait parler aux fils leur langage, et ne donne pas aux malades appauvris la nourriture des forts ; celle-là seule est l'Epouse, qui sait être ingénieuse à faire valoir toujours au taux le plus élevé selon les temps le trésor de l'Epoux, la perle incomparable, modifiant, s'il le faut, ses plus chères habitudes, ses plus légitimes aspirations, sachant enfin quitter les délices du trône et ses grandeurs pour marcher à l'ennemi.

 

Nous vous reconnaissons à ce signe, ô Epouse, ô Mère, qui bégayez avec les petits comme vous chantiez avec les forts, qui terrassez l'ennemi dans la vigueur de votre bras là même où vous sembliez ne penser qu'à jouir de l'Epoux. Au prix d'une lutte continuelle et de labeurs incessants, chaque jour plus méconnue d'une foule toujours croissante de fils ingrats, vous restez avec nous : vous restez pour porter au dernier des élus l'Hostie sainte qui doit l'associer au grand Sacrifice.

 

Nous vous suivrons, ô notre Mère, dans votre marche militante à travers les détours de la route escarpée qui vous conduit au but ; nous vous suivrons, parce que vous portez avec vous le trésor du monde. Plus audacieuses se feront les attaques de l'hérésie, plus outrageants les blasphèmes des fils ingrats : plus éclatantes seront en retour les affirmations de notre foi, plus profondes nos adorations, plus chaleureuses et plus vives les démonstrations de notre amour envers l'Hostie sainte.

   

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

   

Institution de l'Eucharistie par Poussin

Partager cet article
Repost0
3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 04:00

L’histoire de la très sainte Eucharistie se confond avec celle de l'Eglise ; les formes liturgiques qui accompagnent le plus auguste des Sacrements ont suivi, dans leur marche rituelle, les grandes phases sociales de la chrétienté. Il en devait être ainsi, l'Eucharistie étant ici-bas le centre vital où tout converge dans l'Eglise, le lien puissant de cette société dont le Christ est le chef, et par laquelle il doit régner sur les nations appelées à former son héritage. L'union à Pierre vicaire de l'Homme-Dieu sera toujours la condition nécessaire, le signe extérieur de l'union des membres au Chef invisible ; mais, appuyé ineffablement sur le roc qui porte l'Eglise, l'auguste mystère où le Christ se donne lui-même à chacun des siens n'en demeure pas moins le mystère de l'union par essence, et comme tel, le centre et le lien de la grande communion catholique.

 

Prenons aujourd'hui possession de cette vérité fondamentale qui présida dans l'origine à la formation même de l'Eglise, et considérons l'influence qu'elle eut sur les formes du culte eucharistique aux douze premiers siècles. Demain, nous verrons comment le relâchement, l'hérésie et la défection sociale amenèrent l'Eglise à modifier insensiblement des formes accidentelles du reste, et qui convenaient mieux à des temps meilleurs, pour diriger dans le sens de besoins nouveaux la religion de ses enfants restés fidèles.

 

 Ce fut la veille de sa Passion que le Seigneur institua le mémorial destiné à perpétuer en tous lieux l'unique Sacrifice qui devait consommer la sanctification des élus. Sur la croix devenue, comme l’appelle saint Léon, "l'autel du monde" (Serm. VIII de Pass.), avait lieu quelques heures plus tard, d'après le même saint docteur, l'oblation de la nature humaine tout entière, inséparable de son Chef dans cet acte suprême d'adoration et de réparation (Serm. IV de Pass.).

 

Mais, sortie avec le sang et l'eau du côté du Sauveur, l'Eglise n'était qu'à sa naissance ; le mystère de cette union divine que l'Homme-Dieu était venu réaliser sur la terre, en rattachant par lui au Père dans l'Esprit-Saint les membres de son corps mystique, ne devait avoir que successivement pour chacun d'eux son accomplissement immédiat. De là l'invention sublime de la dernière Cène : Testament nouveau, qui constituait l'Epouse à naître en la possession du mystère où chaque génération se rattacherait aux précédentes dans l'unité du Sacrifice, et trouverait dans cette même unité le lien mutuel de ses membres.

 

" Je vous donne un commandement nouveau, avait dit le Sauveur instituant la nouvelle Pâque : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ; à cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples". Tel fut le premier précepte, tel devait être le signe de l'alliance que le Seigneur contractait alors par ses Apôtres avec tous ceux qui devaient croire en lui. Et sa première prière, après cette première distribution de son corps et de son sang sous les espèces eucharistiques, est encore pour l'union de ses fidèles entre eux, union ineffable et toute singulière comme l'ineffable mystère qui doit en faire le nœud et l'aliment, union si intime que son union même avec le Père en peut seule fournir le type au Sauveur : "Père saint, que tous ils soient un en nous, qu'ils soient un comme nous-mêmes ; que, moi en eux et toi en moi, ils soient consommés dans l'unité".

 

 Formée par l'Esprit-Saint, l'Eglise, dès ses débuts, comprit les intentions du Sauveur. Les trois mille élus du jour de la Pentecôte sont représentés, au livre des Actes, "persévérant dans la doctrine des Apôtres, la communion de la fraction du pain et la prière". Or, telle est la force intime de cohésion puisée dans la participation au pain mystérieux, qu'en face de la synagogue ils apparaissent dès lors comme une société distincte, inspirant à tout le peuple une crainte respectueuse et attirant chaque jour de nouveaux membres.

 

 Quelques années plus tard, franchissant sous le souffle de l'Esprit les bornes d'Israël, l'Eglise porte à la gentilité ses trésors. Aux regards stupéfaits d'un monde dont tous les liens brisés n'opposent plus que la tyrannie de César aux égoïsmes individuels, elle offre bientôt, de l'Orient au Couchant, le spectacle de cette société nouvelle qui, recrutant ses membres à tous les degrés sociaux, sous toutes les latitudes, et par la seule persuasion de la vertu, demeure plus forte et plus unie qu'aucune nation dans l'histoire. L'étranger admire ce phénomène qu'il ne comprend pas ; sans le savoir, sans entrer plus avant, il rend témoignage au fidèle accomplissement des intentions dernières du fondateur de l'Eglise, par ces mots qui tombent de ses lèvres : "Voyez comme ils s'aiment" !

 

 Aux fidèles seuls, aux initiés, l'Apôtre explique le mystère : Nous sommes tous un même pain, nous sommes un seul corps, nous tous qui participons à l’unique pain.

 

 Saint Augustin, parlant aux néophytes à peine sortis de la fontaine sacrée, commente admirablement ce passage : 

" J'ai promis aux nouveaux baptisés de leur exposer le mystère de la table du Seigneur. Ce pain que vous voyez sur l'autel, sanctifié par la parole divine, c'est le corps du Christ ; ce calice, ce qu'il contient, c'est son sang versé pour nos péchés. Si vous le recevez comme il faut, c'est vous tous, vous-mêmes que vous recevez. Car l'Apôtre dit : Nous sommes tous un seul pain, un seul corps, montrant a ainsi quel amour il faut avoir de l'unité. 

" Ce pain n'a pas été fait d'un seul grain, mais d'un grand nombre. Avant leur transformation, ils étaient séparés ; l'eau les a réunis, après le broiement qu'ils ont dû subir. Vous aussi naguère vous étiez comme moulus par le jeûne et les exorcismes ; l'eau du baptême est arrivée qui vous a pétris en la forme du pain. 

  " Mais au  pain le feu encore est nécessaire. Qu'est-ce que le feu ? c'est le chrême : l'huile est le symbole a de notre feu, de l'Esprit-Saint. Vient donc le Saint-Esprit, après l'eau le feu, et vous devenez ainsi ce pain qui est le corps du Christ. Il a voulu que nous fussions nous-mêmes son Sacrifice ; nous sommes, nous aussi, le Sacrifice de Dieu. 

 " Grands et ineffables Mystères ! Recevez-les avec tremblement, gardant l'unité dans vos cœurs. Soyez un dans votre amour, d'une seule foi, d'une seule espérance, d'une indivisible charité. Quand les hérétiques approchent de ce pain, c'est leur condamnation qu'ils reçoivent ; car ils cherchent la division, et ce pain marque l'unité. L'Ecriture dit des fidèles : 'Ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme' ; et c'est ce qui est encore marqué par le vin des Mystères sacrés.  

" Nombre de grains pendent de la grappe ; mais la liqueur des grains se confond dans l'unité du calice. Ainsi de nouveau le Seigneur Christ a-t-il voulu signifier notre a union avec lui, ainsi a-t-il consacré par sa table sainte le mystère de la paix et de notre unité."

 

 

 Ces admirables développements du grand évêque d'Hippone ne sont que l'exposé substantiel de la doctrine eucharistique dans l'Eglise au IVe siècle. C'est la notion élémentaire, dans sa plénitude et sa clarté sans figures ; car on ne pouvait en offrir d'autre à des néophytes retenus jusque-là par la loi du secret, dont nous parlerons bientôt, dans l'ignorance absolue des Mystères augustes auxquels ils devaient participer désormais. La doctrine exposée par saint Augustin dans sa chaire d'Hippone se retrouve la même en tous lieux dans la bouche des docteurs. Dans les Gaules saint Hilaire de Poitier, saint Césaire d'Arles, en Italie saint Gaudentius de Brescia, saint Jean Chrysostome à Antioche et à Constantinople, saint Cyrille sur le siège patriarcal d'Alexandrie, ne présentent pas autrement le dogme à leurs peuples : on ne divise pas le Christ ; le chef et les membres, le Verbe et son Eglise, demeurent inséparables dans l'unité du mystère institué pour cette union même. Et cet enseignement unanime des Pères aux siècles d'or de l'éloquence chrétienne, Paschase Radbert le reproduit dans sa plénitude au IXe siècle, Rupert le redit aux échos du XIIe, Guillaume d'Auvergne s'en inspire encore au commencement du XIIIe.

 

 Nous ne pourrions nommer, encore moins citer ici tous les témoins de l'accord des Eglises sur cette notion du dogme eucharistique aux douze premiers siècles. Remontant le fleuve de la tradition vers la source apostolique où il prend naissance, nous rencontrons, à l'âge des persécutions, l'illustre évêque martyr, saint Cyprien, démontrant, lui aussi, la nécessaire union du chef et des membres au divin Sacrement, non seulement par la nature du pain et du vin, éléments essentiels de la consécration des Mystères, mais encore par le mélange de l'eau avec le vin dans le calice eucharistique : l'eau signifie le peuple fidèle, le vin marque le sang du Christ ; leur union dans le calice, union nécessaire à l'intégrité du Sacrifice, union complète et sans retour possible, exprime l'indissoluble alliance du Christ et de l'Eglise qui parfait le Sacrement.

 

L'unité de l'Eglise par la chaire de Pierre, objet d'un de ses plus beaux ouvrages, l'évêque de Carthage la montre ailleurs établie divinement sur les Mystères sacrés ; il décrit avec complaisance, dans une de ses lettres, la multitude des croyants, l'unanimité chrétienne, maintenue dans les liens d'une ferme et indivisible charité par le Sacrifice du Seigneur. Le Christ au Sacrement, le Christ en son Vicaire, n'est en effet qu'une même pierre portant l'édifice, un seul chef, ici visible dans son représentant, là invisible en sa propre substance.

 

C'était bien la pensée de cette Eglise du premier âge qui, chargée de réunir en un même centre les enfants de Dieu dispersés par le monde, leur donnait pour signe de reconnaissance au milieu des ennemis l'ICHTHUS mystérieux, le poisson sacré, symbole des Mystères. On sait que les lettres dont se compose le mot ichthus, nom grec du poisson, donnent en cette langue les initiales de la formule : Jésus-Christ Fils de Dieu, Sauveur ; et le poisson lui-même nous apparaît, dans l'histoire de Tobie, comme la figure du Christ en personne, nourrissant le voyageur de sa substance, chassant les démons ennemis par sa vertu salutaire, et rendant la lumière au monde envieilli. Aussi n'est-ce point sans une raison prophétique et mystérieuse qu'il nous est montré, dans la Genèse, béni par Dieu comme l'homme même aux premiers jours du monde. Il accompagne le pain dans ces multiplications miraculeuses de l'Evangile, où s'annoncent et se dessinent par avance les merveilles eucharistiques. Rôti sur les charbons, il reparaît encore, après la résurrection du Seigneur, uni au pain dans le repas offert par le Christ aux sept disciples sur les bords du lac de Tibériade. Or, nous disent les Pères, le Christ est le pain de ce festin mystérieux ; il est le poisson d'eau vive qui, rôti sur l'autel de la croix par le feu de l'amour, rassasie de lui-même ses disciples, et s'offre au monde entier vraiment ICHTHUS.

 

 Aussi n'est-il pas de symbole plus fréquemment exprimé dans les monuments chrétiens de tout genre aux trois premiers siècles : pierres gravées, anneaux, lampes, inscriptions, peintures, reproduisent le Poisson sous toutes les formes. Il est bien le signe de ralliement, la tessère des chrétiens en ces siècles du martyre. "Race divine de l'ICHTHUS céleste, au cœur magnanime, ils reçoivent du Sauveur des Saints l'aliment doux comme le miel, et s'abreuvent à longs traits aux sources divines de l'éternelle Sagesse, tenant ICHTHUS en leurs mains". Ainsi nous les montre, au second siècle, un monument célèbre de notre terre des Gaules. Et dans le même temps, un saint évêque d'Asie-Mineure, Abercius d'Hiéropolis, conduit par Dieu sur plus d'un rivage, reconnaît partout les disciples du Christ au Poisson sacré qui les fait un malgré les distances. "Disciple du Pasteur immaculé qui paît ses troupeaux par les plaines et les monts, j'ai vu Rome", dit-il au dernier terme de sa vie voyageuse ; j'ai contemplé la reine à la robe d'or, aux chaussures d'or ; j'ai connu le peuple au front marqué d'un sceau splendide. J'ai visité les campagnes de la Syrie et toutes ses villes. Passant l'Euphrate, j'ai vu Nisibe, et partout j'ai trouvé des frères : la foi qui partout fut mon guide m'offrait pour aliment, servait partout aux bien-aimés, dans les délices du pain et du vin mélangé, l’ICHTUS auguste, saisi par une Vierge très pure à la source sacrée".

 

Tel était donc le lien de cette unité puissante du christianisme, objet de stupeur pour le monde païen qui se ruait contre elle avec d'autant plus de furie, que la vraie cause en demeurait plus soigneusement cachée à ses yeux. "Ne livrez pas les choses saintes aux chiens, n'exposez pas vos perles aux pourceaux", avait dit le Seigneur, posant ainsi les bases de celte discipline du secret qui fut en vigueur dans l'Eglise jusqu'à la complète conversion du monde occidental. La sainteté mystérieuse des Sacrements, la sublimité des dogmes chrétiens, imposaient la plus extrême réserve aux fidèles, en face d'une société dont la dégradation morale et la brutale corruption ne justifiaient que trop les expressions du Sauveur.

 

 Mais c'était surtout la très sainte Eucharistie, "cette perle sans prix du corps de l'Agneau", qu'il convenait de dérober aux regards indignes et aux profanations sacrilèges. Aussi voyons-nous les assemblées chrétiennes régies en ces temps par la distinction fondamentale des initiés et de ceux qui ne le sont pas, des fidèles,et des catéchumènes : distinction scrupuleusement observée dès l'âge apostolique, et qui persévéra jusqu'au VIIIe siècle. Quelques semaines avant l'administration solennelle du baptême, avait lieu, comme nous l'avons vu ailleurs, la tradition du Symbole aux futurs membres de l'Eglise ; toutefois le mystère eucharistique, arcane par excellence, restait caché même alors aux élus inscrits déjà pour le saint baptême. De là les précautions multipliées de langage, les réticences, les obscurités calculées des Pères dans leurs discours, longtemps encore après Constantin et Théodose. On admettait les catéchumènes à la lecture des Ecritures et au chant des psaumes, qui formaient comme l'introduction au divin Sacrifice ; mais, après le discours de l'évêque sur l'Evangile ou les autres parties de l'Ecriture qu'on venait d'entendre, ils étaient congédiés parle diacre, et ce renvoi ou missa, de missio, donnait son nom à cette première partie de la Liturgie, dite Messe des catéchumènes, comme la seconde, qui s'étendait de l'oblation au renvoi final, s'appelait Messe des fidèles pour une raison semblable.

 

 Mais si l'Eglise veillait jalousement sur son trésor, au point de n'en livrer la connaissance qu'à ses seuls vrais enfants devenus tels par le baptême, avec quel amour, aux fêtes de Pâques et de la Pentecôte, elle révélait à ses nouveau-nés sortant des eaux l'ineffable secret de son cœur d'Epouse, le mystère complet de l’ICHTUS ! Incorporés au Christ sous les flots, enrôlés dans l'armée sainte et marqués du signe de ses soldats par l'onction du pontife, avec quelle tendresse maternelle elle les conduisait, du baptistère et du chrismarium, au lieu sacré des Mystères institués par l'Epoux ! C'était là, en effet, qu'en personne le Christ chef attendait ses nouveaux membres ; là qu'il devait resserrer en eux ineffablement les liens de son corps mystique, associant avec lui tous les baptisés dans l'hommage infini du Sacrifice unique offert au Père !

 

 Cette admirable unité du Sacrifice eucharistique, embrassant dans son oblation toujours la même le Chef et les membres, maintenant et fortifiant l'union de chaque communauté chrétienne et de l'Eglise entière, était merveilleusement exprimée par les formes grandioses de la Liturgie primitive. Après le renvoi des catéchumènes et l'expulsion des indignes, tous les fidèles sans distinction, depuis l'empereur et sa cour, jusqu'au dernier des citoyens et aux plus humbles femmes, se présentaient offrant leur part du pain et du vin destinés aux Mystères. Eux-mêmes, sacerdoce royal, hostie vivante figurée par ces dons, ils assistaient debout à l'immolation de la grande Victime dont ils étaient les vrais membres ; et s'unissant tous dans le saint baiser en signe d'union des cœurs, debout encore, ils recevaient dans leurs mains le Corps sacré pour s'en nourrir, et s'abreuvaient du Sang divin au calice présenté par les diacres. Portés sur les bras de leurs mères, les plus jeunes enfants aspiraient quelques gouttes du Sang précieux dans leur bouche innocente. Les malades retenus par la souffrance, les prisonniers du fond de leurs cachots, s'unissaient à leurs frères au divin banquet, recevant les dons sacrés de la main des ministres envoyés vers eux par le pontife. Les anachorètes du désert, les chrétiens des campagnes et tous ceux qui ne pouvaient se retrouver à la prochaine assemblée, emportaient avec eux le Corps du Seigneur, pour ne pas être frustrés par leur éloignement de la communion aux Mystères du salut. En ces siècles où l'Eglise voyait le plus souvent son unité attaquée à la fois par la persécution, le schisme et l'hérésie, elle ne croyait pouvoir excéder, en multipliant sous toutes les formes l'usage et les applications du Sacrement auguste, signe de l'unité, centre intime et lien puissant de la famille chrétienne.

 

 C'est dans cette même pensée d'unité que, bien qu'il y eût d'ordinaire en chaque ville plusieurs églises ou centres de réunion pour les fidèles, et un clergé plus ou moins nombreux, tous cependant, fidèles et clercs, se réunissaient pour la collecte ou synaxis, en un seul lieu désigné par l'évêque :

" Où est l'évêque, là soit le peuple, dit saint Ignace d'Antioche en ses Epîtres, de même qu'où se trouve le Christ Jésus, là est l'Eglise catholique. Ne tenez pour légitime Eucharistie que celle qui est célébrée sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il désigne. Assemblez-vous tous dans l'unité : unité de prières, unité de désirs, unité de pensées, unité d'espérance, en dilection mutuelle et sainte allégresse. N'espérez pas faire en votre particulier rien qui vaille. Jésus-Christ est un. Qu'une soit donc votre Eucharistie, comme une est la chair du Seigneur, un le calice qui nous unit dans son sang, un l'autel, un l'évêque entouré du presbyterium et des diacres." (Ad Smyrn. VIII. — Ad Magnes. VII. — Ad Philadelph. IV.)

 

 Le presbyterium était le collège des prêtres de chaque cité ; ils entouraient l'évêque, formaient son conseil, et célébraient avec lui les fonctions sacrées. Au nombre de douze, ainsi qu'il semble, à l'origine, pour représenter le sénat apostolique, ce chiffre fut promptement doublé dans les grandes villes. Dès la fin du premier siècle, il y avait à Rome vingt-cinq prêtres, préposés aux vingt-cinq Titres ou églises de la ville reine. Le pontife se transportait d'un Titre à l'autre pour la célébration des Mystères ; siégeant autour de lui, les vingt-quatre prêtres des autres Titres s'unissaient au pontife dans la solennité d'un même Sacrifice et concélébraient au même autel. A leurs places respectives, les sept diacres et tous les clercs inférieurs coopéraient, selon leur Ordre, aux Mystères trois fois saints. Nous avons vu la part active qu'y prenait le peuple fidèle.

 

 C'était le temps où, de son regard inspiré, l'Aigle de Pathmos contemplait au ciel l'Agneau immolé, debout au milieu des vingt-quatre vieillards entourant sur leurs trônes le trône même de Dieu, qui est aussi celui du Pontife éternel. Vêtus de robes blanches, le front ceint du diadème, ils tenaient en leurs mains des cithares et des coupes d'or pleines de parfums qui sont les prières des saints. A leur suite et avec eux, les sept esprits qui se tiennent devant le trône de Dieu comme sept lampes ardentes, et les milliers d'anges qui l'entourent, chantaient le Sacrifice de l'Agneau et son triomphe. Et toute créature, dans le ciel, sur la terre, sous la terre, dans la mer, rendait bénédiction, hommage, gloire, puissance, à Celui qui vit dans les siècles. Vision merveilleuse, exprimant la plénitude et l'unité du Sacrifice offert une fois, pour durer toujours, par l'auguste chef de la création !

 

Scène sublime de la patrie, que l'Epouse exilée s'efforçait de reproduire en cette vallée des larmes ! Comme au ciel l'Agneau divin, Pontife éternel, entraîne à sa suite les bienheureuses hiérarchies dans sa marche triomphante, ainsi chacune des Eglises de la terre, image de la céleste Jérusalem, accompagnait-elle l'évêque, se groupant autour de lui dans l'harmonie parfaite de ses différents Ordres.

 

 Soumise encore aux conditions terrestres, entravée dans les liens de l'espace et du temps, l'Eglise militante ne pouvait, il est vrai, se réunir ici-bas tout entière au même autel ; mais l'unité du Sacrifice offert dans le monde entier était exprimée, comme l'unité de l'Eglise elle-même, par l'envoi mutuel que se faisaient les évêques catholiques des saintes espèces consacrées par eux, et le mélange qu'ils accomplissaient réciproquement de ces dons sacrés dans leur propre calice.

 

Nous apprenons de saint Irénée qu'au second siècle, le Pontife de Rome, l'hiérarque suprême, dirigeait au delà des limites de l'Occident, jusqu'en Asie, ces signes augustes de l'union avec l'Eglise mère et maîtresse. De même, lorsque la multitude toujours croissante des fidèles amena l'Eglise à permettre aux prêtres isolés la célébration des Mystères, les prêtres de la ville épiscopale ne procédaient point à cette oblation séparée, sans avoir reçu de l'évêque une part du pain consacré qu'ils mélangeaient à leur Sacrifice. C'était le fermentum, ou levain sacré de la Communion catholique.

   

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

   

Le Retable de Saint Jean par Memling

 

Un trône était dressé dans le ciel, et sur le Trône siégeait quelqu'un. 
Celui qui siège ainsi a l'aspect du jaspe ou de la cornaline ; et tout autour du Trône, il y a un halo de lumière, avec des reflets d'émeraude. Tout autour de ce Trône, vingt-quatre trônes, où siègent vingt-quatre Anciens, portant des vêtements blancs et des couronnes d'or. Et du Trône sortent des éclairs, des clameurs, des coups de tonnerre, et sept torches enflammées brûlent devant le Trône : ce sont les sept esprits de Dieu.

 

Livre de l'Apocalypse

Partager cet article
Repost0
1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 11:00

La lumière du divin Esprit qui est venue accroître dans l'Eglise l'intelligence toujours plus vive du souverain mystère de l'auguste Trinité, l'amène à contempler à la suite cette autre merveille qui concentre elle-même toutes les opérations du Verbe incarné, et nous conduit dès cette vie à l'union divine. Le mystère de la très sainte Eucharistie va éclater dans toute sa splendeur, et il importe de préparer les yeux de notre âme à recevoir d'une manière salutaire l'irradiation qui nous attend.

 

De même que nous n'avons jamais été sans la notion du mystère de la sainte Trinité, et que nos hommages se sont toujours dirigés vers elle ; de même aussi la divine Eucharistie n'a cessé de nous accompagner dans tout le cours de cette Année liturgique, soit comme moyen de rendre nos hommages à la suprême Majesté, soit comme aliment de la vie surnaturelle. Nous pouvons dire que ces deux ineffables mystères nous sont connus, que nous les aimons ; mais les grâces de la Pentecôte nous ont ouvert une nouvelle entrée dans ce qu'ils ont de plus intime, et si le premier nous a apparu hier entouré des rayons d'une lumière nouvelle, le second va luire pour nous d'un éclat que l'œil de notre âme n'avait pas perçu encore.

 

 La sainte Trinité, ainsi que nous l'avons fait voir, étant l'objet essentiel de toute la religion, le centre où vont se rendre tous nos hommages, lors même qu'il semble que nous n'y portons pas une intention immédiate, on peut dire aussi que la divine Eucharistie est le plus puissant moyen de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, et c'est par elle que la terre s'unit au ciel.

 

Il est donc aisé de pénétrer la raison du retard que la sainte Eglise a mis à l'institution des deux solennités qui succèdent immédiatement à celle de la Pentecôte. Tous les mystères que nous avons célébrés jusqu'ici étaient contenus dans l'auguste Sacrement qui est le mémorial et comme l'abrégé des merveilles que le Seigneur a opérées pour nous. La réalité de la présence du Christ sous les espèces sacramentelles faisait que, dans l'Hostie sainte, nous reconnaissions au temps de Noël l'Enfant qui nous était né, au temps de la Passion la victime qui nous rachetait, au temps Pascal le glorieux triomphateur de la mort. Nous ne pouvions célébrer tous ces beaux mystères sans appeler à notre secours l'immortel Sacrifice, et il ne pouvait être offert sans les renouveler et les reproduire.

 

 Les fêtes mêmes de la très sainte Vierge et des Saints nous maintenaient dans la contemplation du divin Sacrement. Marie, que nous avons honorée dans ses solennités de l'Immaculée Conception, de la Purification, de l'Annonciation, n'a-t-elle pas fourni de sa propre substance ce corps et ce sang que nous offrions sur l'autel ? La force invincible des Apôtres et des Martyrs que nous avons célébrés, ne l'ont-ils pas puisée dans l'aliment sacré qui donne l'ardeur et la constance ? Les Confesseurs et les Vierges ne nous ont-ils pas apparu comme la floraison du champ de l'Eglise qui se couvre d'épis et de grappes de raisin, grâce à la fécondité que lui donne Celui qui est à la fois le froment et la vigne ? 

 

Réunissant tous nos moyens pour honorer ces heureux habitants de la cour céleste, nous avons fait appel à la divine psalmodie, aux hymnes, aux cantiques, aux formules les plus pompeuses et les plus tendres ; mais, en fait d'hommages à leur gloire, rien n'égalait l'offrande du Sacrifice. Là, nous entrions en communication directe avec eux, selon l'énergique expression de l'Eglise au sacré Canon. Ils adorent éternellement la très sainte Trinité par Jésus-Christ et en Jésus-Christ ; par le Sacrifice nous nous unissions à eux dans le même centre, nous mêlions nos hommages avec les leurs, et il en résultait pour eux un accroissement d'honneur et de félicité. La divine Eucharistie, Sacrifice et Sacrement, nous a donc toujours été présente ; et si, en ces jours, nous devons nous recueillir pour en mieux comprendre la grandeur et la puissance infinies ; si nous devons nous efforcer d'en goûter avec plus de plénitude l'ineffable suavité, ce n'est point une découverte qui nous apparaît soudain : il s'agit de l'élément que l'amour du Christ nous a préparé, et dont nous usons déjà, pour entrer en rapport direct avec Dieu et lui rendre nos devoirs les plus solennels à la fois et les plus intimes.

 

 Cependant l'Esprit divin qui gouverne l'Eglise devait lui inspirer un jour la pensée d'établir une solennité particulière en l'honneur du mystère auguste où sont contenus tous les autres. L'élément sacré qui donne à toutes les fêtes de l'année leur raison d'être et les illumine de sa propre splendeur, la très sainte Eucharistie, appelait par elle-même une fête pompeuse en rapport avec la magnificence de son objet.

 

 Mais cette exaltation de la divine Hostie, ces marches triomphales si justement chères à la piété chrétienne de nos jours, étaient impossibles dans l'Eglise au temps des martyrs. Elles restèrent inusitées après la victoire, comme n'entrant pas dans la manière et l'esprit des formes liturgiques primitives, qui continuèrent longtemps d'être en usage. Elles étaient d'ailleurs moins nécessaires et comme superflues pour la foi vive de cet âge : la solennité du Sacrifice même, la participation commune aux Mystères sacrés, la louange non interrompue des chants liturgiques rayonnant par le monde autour de l'autel, rendaient à Dieu hommage et gloire, maintenaient l'exacte notion du dogme, et entretenaient dans le peuple chrétien une surabondance de vie surnaturelle qu'on ne retrouve plus à l'âge suivant. Le divin mémorial portait ses fruits ; les intentions du Seigneur instituant le mystère étaient remplies, et le souvenir de cette institution, célébré dès lors comme de nos jours à la Messe du Jeudi saint, restait gravé profondément dans le cœur des fidèles.

 

 Il en fut ainsi jusqu'au XIIIe siècle. Mais alors, et par suite du refroidissement que constate l'Eglise au commencement de ce siècle, la foi s'affaiblit, et avec elle la mâle piété des vieilles nations chrétiennes. Dans cette décadence progressive que ne devaient pas arrêter des merveilles de sainteté individuelle, il était à craindre que l'adorable Sacrement, qui est le mystère de la foi par essence, n'eût à souffrir plus qu'aucun autre de l'indifférence et de la froideur des nouvelles générations. Déjà, ici et là, inspirée par l'enfer, plus d'une négation sacrilège avait retenti, effrayant les peuples, trop fidèles encore généralement pour être séduits, mais excitant la vigilance des pasteurs et faisant déjà de nombreuses victimes.

 

 Scot Erigène avait produit la formule de l'hérésie sacramentaire : l'Eucharistie n'était pour lui "qu'un signe, figure de l'union spirituelle avec Jésus, perçue par la seule intelligence". Son pédantisme obscur eut peu d'écho, et ne prévalut pas contre la tradition catholique exposée dans les savants écrits de Paschase Radbert, Abbé de Corbie. Réveillés au XIe siècle par Bérenger, les sophismes de Scot troublèrent alors plus sérieusement et plus longuement l'Eglise de France, sans toutefois survivre à l'astucieuse vanité de leur second père. L'enfer avançait peu dans ces attaques trop directes encore ; il atteignit mieux son but par des voies détournées. L'empire byzantin nourrissait, dans ses flancs féconds pour l'hérésie, les restes de la secte manichéenne qui, regardant la chair comme l'œuvre du principe mauvais, renversait l'Eucharistie par la base. Pendant qu'avide de renommée, Bérenger dogmatisait à grand bruit sans profit pour l'erreur, la Thrace et la Bulgarie dirigeaient silencieusement leurs apôtres vers l'Occident. La Lombardie, les Marches et la Toscane furent infectées ; passant les monts, l'impure étincelle éclata sur plusieurs points à la fois du royaume très chrétien : Orléans, Toulouse, Arras, virent le poison pénétrer dans leurs murs. On crut avoir étouffé le mal à sa naissance par d'énergiques répressions ; mais la contagion s'étendait dans l'ombre. Prenant le midi de la France pour base de ses opérations, l'hérésie s'organisa sourdement pendant toute la durée du XIIe siècle ; tels furent ses progrès latents, que, se découvrant enfin, au commencement du XIIIe, elle prétendit soutenir les armes à la main ses dogmes impies. Il fallut des flots de sang pour la réduire et lui enlever ses places fortes ; et longtemps encore après la défaite de l'insurrection armée, l'Inquisition dut surveiller activement les provinces éprouvées par le fléau des Albigeois.

 

 Simon de Montfort avait été le vengeur de la foi. Mais au temps même où le bras victorieux du héros chrétien terrassait l'hérésie, Dieu préparait à son Fils, indignement outragé par les sectaires dans le Sacrement de son amour, un triomphe plus pacifique et une réparation plus complète. En 1208, une humble religieuse hospitalière, la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon. près Liège, avait une vision mystérieuse, où lui apparaissait la lune dans son plein, montrant sur son disque une échancrure. Quoi qu'elle fit pour chasser ce qu'elle craignait être une illusion, la même vision continua de se présenter invariablement à ses yeux, toutes les fois qu'elle se mettait en prières. Après deux ans d'efforts et de supplications ardentes, il lui fut enfin révélé que la lune signifiait l'Eglise de son temps, et l'échancrure qu'elle y remarquait l'absence d'une solennité au Cycle liturgique, Dieu voulant qu'une fête nouvelle fût célébrée chaque année pour honorer solennellement et à part l'institution de la très sainte Eucharistie : la mémoire historique de la Cène du Seigneur au Jeudi saint ne répondait pas aux besoins nouveaux des peuples ébranlés par l'hérésie ; elle ne suffisait plus à l'Eglise, distraite d'ailleurs alors par les importantes fonctions de ce jour, et bientôt absorbée par les tristesses du grand Vendredi.

 

 En même temps que Julienne recevait cette communication, il lui fut enjoint de mettre elle-même la main à l'oeuvre et de faire connaître au monde les divines volontés. Vingt années se passèrent avant que l'humble et timide vierge pût prendre sur elle le courage d'une telle initiative. Elle s'en ouvrit enfin à un chanoine de Saint-Martin de Liège, nommé Jean de Lausanne, qu'elle estimait singulièrement pour sa grande sainteté, et le pria de conférer sur l'objet de sa mission avec les docteurs. Tous s'accordèrent à reconnaître que non seulement rien ne s'opposait à l'établissement de la fête projetée, mais qu'il en résulterait au contraire un accroissement de la gloire divine et un grand bien dans les âmes. Réconfortée par cette décision, la Bienheureuse fit composer et approuver pour la future fête un Office propre commençant par ces mots : Animarum cibus, et dont il reste encore aujourd'hui quelques fragments.

 

L'Eglise de Liège, à qui l'Eglise universelle devait hier la fête de la Très Sainte Trinité, était prédestinée au nouvel honneur de donner naissance à là fête du Très Saint Sacrement. Ce fut un beau jour, lorsque, en 1246, après un si long temps et des obstacles sans nombre, Robert de Torôte, évêque de Liège, établit par décret synodal que chaque année, le Jeudi après la Trinité, toutes les Eglises de son diocèse auraient à observer désormais, avec abstention des œuvres servîtes et jeûne préparatoire, une fête solennelle en l'honneur de l'ineffable Sacrement du Corps du Seigneur.

 

 Mais la mission de la Bienheureuse Julienne était loin d'être à son terme : pour avoir trop hésité sans doute à l'entreprendre, Dieu mesurait la joie à sa servante. L'évêque mourut ; et le décret qu'il venait de porter fût resté lettre morte, si, seuls de tout le diocèse, les chanoines de Saint-Martin-au-Mont n'eussent résolu de s'y conformer, malgré l'absence d'une autorité capable d'en presser l'exécution pendant la vacance. La fête du Très Saint Sacrement fut donc célébrée pour la première fois dans cette insigne église, en 1247. Le successeur de Robert, Henri de Gueldre, homme de guerre et grand seigneur, avait d'autres soucis que son prédécesseur. Hugues de Saint-Cher, cardinal de Sainte-Sabine, légat en Allemagne, étant venu à Liège pour remédier aux désordres qui s'y produisaient sous le nouveau gouvernement, entendit parler du décret de Robert et de la nouvelle solennité. Autrefois prieur et provincial des Frères-Prêcheurs, il avait été de ceux qui, consultés par Jean de Lausanne, en avaient loué le projet. Il tint à honneur de célébrer lui-même la fête, et d'y chanter la Messe en grande pompe. En outre, par mandement en date du 29 décembre 1253, adressé aux Archevêques, Evêques, Abbés et fidèles du territoire de sa légation, il confirma le décret de l'évêque de Liège et l'étendit à toutes les terres de son ressort, accordant une indulgence de cent jours à tous ceux qui, contrits et confessés, visiteraient pieusement les églises où se ferait l'Office de la fête, le jour même ou dans l'Octave. L'année suivante, le cardinal de Saint-Georges-au-Voile-d'Or, qui lui succéda dans sa légation, confirma et renouvela les ordonnances du cardinal de Sainte-Sabine. Mais ces décrets réitérés ne purent triompher de la froideur générale ; et telles furent les manœuvres de l'enfer, qui se sentait atteint dans ses profondeurs, qu'après le départ des légats, on vit des hommes d'église , d'un grand nom et constitués en dignité, opposer aux ordonnances leurs décisions particulières. Quand mourut la Bienheureuse Julienne, en 1258, l'Eglise de Saint-Martin était toujours la seule où se célébrât la fête qu'elle avait eu pour mission d'établir dans le monde entier. Mais elle laissait, pour continuer son œuvre, une pieuse recluse du nom d'Eve, qui avait été la confidente de ses pensées.

 

Le 29 août 1261, Jacques Pantaléon montait au trône pontifical sous le nom d'Urbain IV. Né à Troyes, dans la condition la plus obscure, ses seuls mérites avaient amené son élévation. Il avait connu la Bienheureuse Julienne, lorsqu'il n'était encore qu'archidiacre de Liège, et avait approuvé ses desseins. Eve crut voir dans cette exaltation le signe de la Providence. Sur les instances de la recluse, Henri de Gueldre écrivit au nouveau Pape pour le féliciter, et le prier de confirmer de son approbation souveraine la fête instituée par Robert de Torôte. Dans le même temps, divers prodiges, et spécialement celui du corporal de Bolsena, ensanglanté par une hostie miraculeuse presque sous les yeux de la cour pontificale qui résidait alors à Orvieto, semblèrent venir presser Urbain de la part du ciel, et affermir le bon zèle qu'il avait autrefois manifesté pour l'honneur du divin Sacrement. Saint Thomas d'Aquin fut chargé de composer selon le rit romain l'Office qui devait remplacer dans l'Eglise celui de la Bienheureuse Julienne, adapté par elle au rit de l'ancienne liturgie française.

 

 La bulle Transiturus fit ensuite connaître au monde les intentions du Pontife : rappelant les révélations dont, constitué en moindre dignité, il avait eu autrefois connaissance, Urbain IV établissait dans l'Eglise universelle, en vertu de son autorité apostolique, pour la confusion de l'hérésie et l'exaltation de la foi orthodoxe, une solennité spéciale en l'honneur de l'auguste mémorial laissé par le Christ à son Eglise. Le jour assigné pour cette fête était la Férie cinquième ou Jeudi après l'octave de la Pentecôte ; car, à la différence du décret de l'évêque de Liège, la bulle ne mentionnait pas la fête de la Très Sainte Trinité, non reçue encore dans l'Eglise Romaine. Suivant la voie ouverte par Hugues de Saint-Cher, le Pontife accordait cent jours d'indulgence à tous ceux qui, vraiment contrits et confessés, assisteraient à la Messe ou aux Matines, aux premières ou aux secondes Vêpres de la fête, et quarante jours pour chacune des Heures de Prime, Tierce, Sexte, None et Complies. Cent jours étaient également concédés, pour chacun des jours de l'Octave, aux fidèles qui assisteraient, en ces jours, à la Messe et à l'Office entier. Dans un si grand détail, il n'est point fait mention de la Procession, qui ne s'établit en effet qu'au siècle suivant.

 

 Il semblait que la cause fût enfin terminée. Mais les troubles qui agitaient alors l'Italie et l'Empire firent oublier la bulle d'Urbain IV, avant qu'elle eût pu recevoir son exécution. Quarante ans et plus s'écoulèrent avant qu'elle fût promulguée de nouveau et confirmée par Clément V, au concile de Vienne. Jean XXII lui donna force de loi définitive, en l'insérant au Corps du Droit dans les Clémentines, et il eut ainsi la gloire de mettre la dernière main, vers l'an 1318, à ce grand œuvre dont l'achèvement avait demandé plus d'un siècle.

 

 La fête du Très Saint Sacrement, ou du Corps du Seigneur, marqua le point de départ d'une nouvelle phase dans le culte catholique envers la divine Eucharistie. Mais, pour le bien comprendre, il faut entrer plus avant dans la notion du culte eucharistique aux différentes époques de l'Eglise : étude importante pour l'intelligence de la grande fête à laquelle nous devons maintenant préparer nos âmes. Nous croyons donc choisir le meilleur mode de préparation que puisse offrir aux fidèles l'Année liturgique, en consacrant les jours qui nous restent à rechercher succinctement et brièvement les grandes lignes de l'histoire de la très sainte Eucharistie.

 

 C'est à vous, Esprit-Saint, qu'il appartient de nous apprendre l'histoire d'un si auguste mystère. Votre règne est à peine commencé sur le monde, et, fidèle à cette mission divine qui a pour but la glorification de l'Emmanuel ravi à la terre, vous élevez tout d'abord nos regards et nos coeurs vers ce don suprême de son amour qui nous le garde caché sous les voiles eucharistiques. Durant les siècles de l'attente des nations, c'est vous qui déjà présentiez le Verbe au genre humain dans les Ecritures, et l'annonciez par les Prophètes. Don premier du Très-Haut, vous êtes, comme amour infini, la raison substantielle et souveraine des manifestations divines ; ainsi attirâtes-vous ce Verbe divin au sein de la Vierge immaculée, pour l'y revêtir de la chair virginale qui le fit notre frère et notre Sauveur. Et maintenant qu'il est remonté vers son Père et notre Père, dérobant à nos yeux cette nature humaine ornée par vous de tant de perfections et d'attraits vainqueurs, maintenant qu'il nous faut reprendre sans lui les pérégrinations de cette vallée des larmes, envoyé par lui, vous êtes venu, divin Esprit, comme le consolateur. Mais la consolation que vous nous apportez, ô Paraclet, c'est toujours son fidèle souvenir, c'est encore plus sa divine présence gardée par vous au Sacrement d'amour. Nous le savions d'avance : vous ne deviez pas agir ni parler de vous-même, ou pour vous-même ; vous veniez rendre témoignage à l'Emmanuel, maintenir son œuvre et reproduire en chacun de nous sa divine ressemblance.

 

 Qu'il est admirable l'accomplissement de cette mission sublime, tout entière à la gloire de l'Emmanuel ! Esprit divin, gardien du Verbe dans l'Eglise, nous ne pouvons redire ici votre vigilance sur cette divine parole apportée par Jésus au monde, expression très fidèle de lui-même, et qui, sortie comme lui de la bouche du Père, nourrit aussi l'Epouse ici-bas. Mais de quel respect infini, de quelle sollicitude n'entourez-vous pas le Sacrement auguste où réside tout entier, dans la réalité de sa chair adorable, ce même Verbe incarné qui fut dès l'origine du monde le centre et le but de vos divines opérations ! Par votre toute-puissance produisant le mystère, l'Epouse exilée se retrouve en possession de l'Epoux ; par vous elle traverse les siècles, gardant chèrement son trésor ; par vous elle le fait valoir avec une délicatesse infinie, ordonnant, modifiant sa discipline et sa vie même, pour assurer dans tous les âges au divin Sacrement la plus grande somme possible de foi, de respect et d'amour. Qu'elle le dérobe anxieuse à la connaissance des profanes, qu'elle accumule autour de lui dans la Liturgie ses pompes et ses magnificences, ou que, sortant avec lui des temples, elle le promène triomphalement dans les rues des cités populeuses ou les sentiers fleuris des campagnes, c'est vous, divin Esprit, qui l'inspirez ; c'est votre divine prévoyance qui lui suggère, selon les temps, la plus sûre manière de conquérir à l'Emmanuel, toujours présent dans l'Hostie, les hommages et les cœurs de ces enfants des hommes, au milieu desquels il daigne trouver ainsi jusqu'à la fin les délices de son amour.

 

 Daignez nous assister dans la contemplation de l'auguste mystère. Eclairez les intelligences, échauffez les cœurs en ces jours de préparation ; révélez à nos âmes Celui qui vient à nous sous les voiles du Sacrement.

 

Dans la dernière partie de cette Année liturgique, qu'il soit pour nous le pain du voyageur. Une longue route nous reste encore à parcourir, bien différente de celle que nous avons suivie jusqu'ici en compagnie du Seigneur et de ses mystères, route laborieuse à travers le désert qui nous sépare de la montagne de Dieu. Esprit-Saint, vous serez notre guide dans ces sentiers où l'Eglise, conduite par vous, marche avec courage, se rapprochant chaque jour du terme de son pèlerinage ici-bas. Mais vous-même nous amenez dès le début à ce banquet de la divine Sagesse où le pèlerin trouve sa vigueur. Nous marcherons dans la force du mets céleste ; c'est par lui encore que, la course achevée, de concert avec l'Esprit et l'Epouse, nous ferons retentir l'invincible appel de l'heure suprême qui nous rendra le Seigneur Jésus.

 

 A la gloire de l'auguste Sacrement, et pour honorer la Bienheureuse Julienne, à qui l'Eglise est si redevable en ces jours, nous donnerons l'histoire des principaux fragments parvenus jusqu'à nous de l'Office qui porte son nom, on nous saura gré de citer ici quelques traits de l'historien de la Bienheureuse sur la manière dont cet Office fut composé :

 

 " Julienne donc se prit à penser qui elle inviterait à la composition de l'Office d'une si grande solennité. Or, faisant réflexion qu'elle n'avait sous la main ni hommes lettrés, ni clercs excellents qui fussent propres à cela par eux-mêmes, confiante en la divine Sagesse, elle choisit en son cœur un tout jeune frère de sa maison, nommé Jean, que Dieu lui avait attaché d'une façon mystérieuse. Mais lui, sachant bien qu'une telle œuvre excédait la mesure de son génie et de sa science, étant de peu de littérature, commença par hésiter et s'excuser sur son ignorance. Julienne, qui, sachant tout cela, savait aussi que la divine Sagesse, dont c'était l'œuvre, peut dire par un ignorant de belles choses, fit tant que, vaincu par les prières et l'autorité de la vierge, il commença de travailler. Et ainsi advint-il que ce jeune frère et la vierge du Christ unissant leurs efforts, elle priant, lui écrivant, l'œuvre se poursuivit plus facilement qu'il n'eût pu s'y attendre. Aussi attribuait-il aux prières de la vierge, plus qu'à son travail, ce qu'il pouvait faire, et lorsqu'il avait achevé quelque chose du susdit Office, il le lui apportait, disant : 'Voici, Madame, qui vous est envoyé d'en haut ; examinez, et voyez s'il n'y a rien à changer dans le chant ou la lettre'. Elle, par son admirable science infuse, quand il en était besoin, le faisait avec si grande prudence et habileté, qu'après son examen et correction, il ne fut jamais nécessaire de requérir même le poli des maîtres de la science. Ainsi fut consommé, par un merveilleux secours de Dieu, l'Office entier de la nouvelle fête."

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

 

L'Homme des Douleurs par Petrus Christus

Partager cet article
Repost0