L’histoire de la très sainte Eucharistie se confond avec celle de l'Eglise ; les formes liturgiques qui
accompagnent le plus auguste des Sacrements ont suivi, dans leur marche rituelle, les grandes phases sociales de la chrétienté. Il en devait être ainsi, l'Eucharistie étant ici-bas le centre
vital où tout converge dans l'Eglise, le lien puissant de cette société dont le Christ est le chef, et par laquelle il doit régner sur les nations appelées à former son héritage. L'union à Pierre
vicaire de l'Homme-Dieu sera toujours la condition nécessaire, le signe extérieur de l'union des membres au Chef invisible ; mais, appuyé ineffablement sur le roc qui porte l'Eglise, l'auguste
mystère où le Christ se donne lui-même à chacun des siens n'en demeure pas moins le mystère de l'union par essence, et comme tel, le centre et le lien de la grande communion
catholique.
Prenons aujourd'hui possession de cette vérité fondamentale qui présida dans l'origine à la formation même de
l'Eglise, et considérons l'influence qu'elle eut sur les formes du culte eucharistique aux douze premiers siècles. Demain, nous verrons comment le relâchement, l'hérésie et la défection sociale
amenèrent l'Eglise à modifier insensiblement des formes accidentelles du reste, et qui convenaient
mieux à des temps meilleurs, pour diriger dans le sens de besoins nouveaux la religion de ses enfants restés fidèles.
Ce fut la
veille de sa Passion que le Seigneur institua le mémorial destiné à perpétuer en tous lieux l'unique Sacrifice qui devait consommer la sanctification des élus. Sur la croix devenue, comme
l’appelle saint Léon, "l'autel du monde" (Serm. VIII de Pass.), avait lieu quelques heures plus tard, d'après le même saint docteur, l'oblation de la nature humaine tout entière,
inséparable de son Chef dans cet acte suprême d'adoration et de réparation (Serm. IV de Pass.).
Mais, sortie avec le sang et l'eau du côté du Sauveur, l'Eglise n'était qu'à sa naissance ; le mystère de cette
union divine que l'Homme-Dieu était venu réaliser sur la terre, en rattachant par lui au Père dans l'Esprit-Saint les membres de son corps mystique, ne devait avoir que successivement pour chacun
d'eux son accomplissement immédiat. De là l'invention sublime de la dernière Cène : Testament nouveau, qui constituait l'Epouse à naître en la possession du mystère où chaque génération se
rattacherait aux précédentes dans l'unité du Sacrifice, et trouverait dans cette même unité le lien mutuel de ses membres.
" Je vous donne un commandement nouveau, avait dit le Sauveur instituant la nouvelle Pâque : aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés ; à cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples". Tel fut le premier précepte, tel devait être le signe de l'alliance que le Seigneur
contractait alors par ses Apôtres avec tous ceux qui devaient croire en lui. Et sa première
prière, après cette première distribution de son corps et de son sang sous les espèces eucharistiques, est encore pour l'union de ses fidèles entre eux, union ineffable et toute singulière comme
l'ineffable mystère qui doit en faire le nœud et l'aliment, union si intime que son union même avec le Père en peut seule fournir le type au Sauveur : "Père saint, que tous ils soient un en
nous, qu'ils soient un comme nous-mêmes ; que, moi en eux et toi en moi, ils soient consommés dans l'unité".
Formée par
l'Esprit-Saint, l'Eglise, dès ses débuts, comprit les intentions du Sauveur. Les trois mille élus du jour de la Pentecôte sont représentés, au livre des Actes, "persévérant dans la doctrine
des Apôtres, la communion de la fraction du pain et la prière". Or, telle est la force intime de cohésion puisée dans la participation au pain mystérieux, qu'en face de la synagogue ils
apparaissent dès lors comme une société distincte, inspirant à tout le peuple une crainte respectueuse et attirant chaque jour de nouveaux membres.
Quelques
années plus tard, franchissant sous le souffle de l'Esprit les bornes d'Israël, l'Eglise porte à la gentilité ses trésors. Aux regards stupéfaits d'un monde dont tous les liens brisés n'opposent
plus que la tyrannie de César aux égoïsmes individuels, elle offre bientôt, de l'Orient au Couchant, le spectacle de cette société nouvelle qui, recrutant ses membres à tous les degrés sociaux,
sous toutes les latitudes, et par la seule persuasion de la vertu, demeure plus forte et plus unie qu'aucune nation dans l'histoire. L'étranger admire ce phénomène qu'il ne comprend pas ; sans le
savoir, sans entrer plus avant, il rend témoignage au fidèle accomplissement des intentions
dernières du fondateur de l'Eglise, par ces mots qui tombent de ses lèvres : "Voyez comme ils s'aiment" !
Aux fidèles
seuls, aux initiés, l'Apôtre explique le mystère : Nous sommes tous un même pain, nous sommes un seul corps, nous tous qui participons à l’unique pain.
Saint
Augustin, parlant aux néophytes à peine sortis de la fontaine sacrée, commente admirablement ce passage :
" J'ai promis aux nouveaux baptisés de leur exposer le mystère de la table du Seigneur. Ce pain que vous voyez sur
l'autel, sanctifié par la parole divine, c'est le corps du Christ ; ce calice, ce qu'il contient, c'est son sang versé pour nos péchés. Si vous le recevez comme il faut, c'est vous tous,
vous-mêmes que vous recevez. Car l'Apôtre dit : Nous sommes tous un seul pain, un seul corps, montrant a ainsi quel amour il faut avoir de l'unité.
" Ce pain n'a pas été fait d'un seul grain, mais d'un grand nombre. Avant leur transformation, ils étaient séparés
; l'eau les a réunis, après le broiement qu'ils ont dû subir. Vous aussi naguère vous étiez comme moulus par le jeûne et les exorcismes ; l'eau du baptême est arrivée qui vous a pétris en la
forme du pain.
" Mais au pain le feu encore est nécessaire. Qu'est-ce que le feu ?
c'est le chrême : l'huile est le symbole a de notre feu, de l'Esprit-Saint. Vient donc le Saint-Esprit, après l'eau le feu, et vous devenez ainsi ce pain qui est le corps du Christ. Il a voulu
que nous fussions nous-mêmes son Sacrifice ; nous sommes, nous aussi, le Sacrifice de
Dieu.
" Grands et
ineffables Mystères ! Recevez-les avec tremblement, gardant l'unité dans vos cœurs. Soyez un dans votre amour, d'une seule foi, d'une seule espérance, d'une indivisible charité. Quand les
hérétiques approchent de ce pain, c'est leur condamnation qu'ils reçoivent ; car ils cherchent la division, et ce pain marque l'unité. L'Ecriture dit des fidèles : 'Ils n'avaient qu'un cœur et
qu'une âme' ; et c'est ce qui est encore marqué par le vin des Mystères sacrés.
" Nombre de grains pendent de la grappe ; mais la liqueur des grains se confond dans l'unité du calice. Ainsi de
nouveau le Seigneur Christ a-t-il voulu signifier notre a union avec lui, ainsi a-t-il consacré par sa table sainte le mystère de la paix et de notre unité."
Ces
admirables développements du grand évêque d'Hippone ne sont que l'exposé substantiel de la doctrine eucharistique dans l'Eglise au IVe siècle. C'est la notion élémentaire, dans sa plénitude et sa
clarté sans figures ; car on ne pouvait en offrir d'autre à des néophytes retenus jusque-là par la loi du secret, dont nous parlerons bientôt, dans l'ignorance absolue des Mystères augustes
auxquels ils devaient participer désormais. La doctrine exposée par saint Augustin dans sa chaire d'Hippone se retrouve la même en tous lieux dans la bouche des docteurs. Dans les Gaules saint
Hilaire de Poitier, saint Césaire d'Arles, en Italie saint Gaudentius de Brescia, saint Jean Chrysostome à Antioche et à Constantinople, saint Cyrille sur le siège patriarcal d'Alexandrie, ne présentent pas autrement le dogme à leurs peuples : on
ne divise pas le Christ ; le chef et les membres, le Verbe et son Eglise, demeurent inséparables dans l'unité du mystère institué pour cette union même. Et cet enseignement unanime des Pères aux
siècles d'or de l'éloquence chrétienne, Paschase Radbert le reproduit dans sa plénitude au IXe siècle, Rupert le redit aux échos du XIIe, Guillaume d'Auvergne s'en inspire encore au commencement
du XIIIe.
Nous ne
pourrions nommer, encore moins citer ici tous les témoins de l'accord des Eglises sur cette notion du dogme eucharistique aux douze premiers siècles. Remontant le fleuve de la tradition vers la
source apostolique où il prend naissance, nous rencontrons, à l'âge des persécutions, l'illustre évêque martyr, saint Cyprien, démontrant, lui aussi, la nécessaire union du chef et des membres au
divin Sacrement, non seulement par la nature du pain et du vin, éléments essentiels de la consécration des Mystères, mais encore par le mélange de l'eau avec le vin dans le calice eucharistique :
l'eau signifie le peuple fidèle, le vin marque le sang du Christ ; leur union dans le calice, union nécessaire à l'intégrité du Sacrifice, union complète et sans retour possible, exprime
l'indissoluble alliance du Christ et de l'Eglise qui parfait le Sacrement.
L'unité de l'Eglise par la chaire de Pierre, objet d'un de ses plus beaux ouvrages, l'évêque de Carthage la montre
ailleurs établie divinement sur les Mystères sacrés ; il décrit avec complaisance, dans une de ses
lettres, la multitude des croyants, l'unanimité chrétienne, maintenue dans les liens d'une ferme et indivisible charité par le Sacrifice du Seigneur. Le Christ au Sacrement, le Christ en son
Vicaire, n'est en effet qu'une même pierre portant l'édifice, un seul chef, ici visible dans son représentant, là invisible en sa propre substance.
C'était bien la
pensée de cette Eglise du premier âge qui, chargée de réunir en un même centre les enfants de Dieu dispersés par le monde, leur donnait pour signe de reconnaissance au milieu des ennemis
l'ICHTHUS mystérieux, le poisson sacré, symbole des Mystères. On sait que les lettres dont se compose le mot ichthus, nom grec du poisson, donnent en cette langue les initiales de la formule :
Jésus-Christ Fils de Dieu, Sauveur ; et le poisson lui-même nous apparaît, dans l'histoire de Tobie, comme la figure du Christ en personne, nourrissant le voyageur de sa substance, chassant les
démons ennemis par sa vertu salutaire, et rendant la lumière au monde envieilli. Aussi n'est-ce point sans une raison prophétique et mystérieuse qu'il nous est montré, dans la Genèse, béni par
Dieu comme l'homme même aux premiers jours du monde. Il accompagne le pain dans ces multiplications miraculeuses de l'Evangile, où s'annoncent et se dessinent par avance les merveilles
eucharistiques. Rôti sur les charbons, il reparaît encore, après la résurrection du Seigneur, uni au pain dans le repas offert par le Christ aux sept disciples sur les bords du lac de Tibériade.
Or, nous disent les Pères, le Christ est le pain de ce festin mystérieux ; il est le poisson d'eau
vive qui, rôti sur l'autel de la croix par le feu de l'amour, rassasie de lui-même ses disciples, et s'offre au monde entier vraiment ICHTHUS.
Aussi
n'est-il pas de symbole plus fréquemment exprimé dans les monuments chrétiens de tout genre aux trois premiers siècles : pierres gravées, anneaux, lampes, inscriptions, peintures, reproduisent le
Poisson sous toutes les formes. Il est bien le signe de ralliement, la tessère des chrétiens en ces siècles du martyre. "Race divine de l'ICHTHUS céleste, au cœur magnanime, ils reçoivent du
Sauveur des Saints l'aliment doux comme le miel, et s'abreuvent à longs traits aux sources divines de l'éternelle Sagesse, tenant ICHTHUS en leurs mains". Ainsi nous les montre, au second siècle,
un monument célèbre de notre terre des Gaules. Et dans le même temps, un saint évêque d'Asie-Mineure, Abercius d'Hiéropolis, conduit par Dieu sur plus d'un rivage, reconnaît partout les disciples
du Christ au Poisson sacré qui les fait un malgré les distances. "Disciple du Pasteur immaculé qui paît ses troupeaux par les plaines et les monts, j'ai vu Rome", dit-il au dernier terme de
sa vie voyageuse ; j'ai contemplé la reine à la robe d'or, aux chaussures d'or ; j'ai connu le peuple au front marqué d'un sceau splendide. J'ai visité les campagnes de la Syrie et toutes ses villes. Passant l'Euphrate, j'ai vu Nisibe, et partout j'ai trouvé des frères : la foi qui partout
fut mon guide m'offrait pour aliment, servait partout aux bien-aimés, dans les délices du pain et du vin mélangé, l’ICHTUS auguste, saisi par une Vierge très pure à la source
sacrée".
Tel était donc le lien de cette unité puissante du christianisme, objet de stupeur pour le monde païen qui se
ruait contre elle avec d'autant plus de furie, que la vraie cause en demeurait plus soigneusement cachée à ses yeux. "Ne livrez pas les choses saintes aux chiens, n'exposez pas vos perles
aux pourceaux", avait dit le Seigneur, posant ainsi les bases de celte discipline du secret qui fut en vigueur dans l'Eglise jusqu'à la complète conversion du monde occidental. La sainteté
mystérieuse des Sacrements, la sublimité des dogmes chrétiens, imposaient la plus extrême réserve aux fidèles, en face d'une société dont la dégradation morale et la brutale corruption ne
justifiaient que trop les expressions du Sauveur.
Mais c'était
surtout la très sainte Eucharistie, "cette perle sans prix du corps de l'Agneau", qu'il convenait de dérober aux regards indignes et aux profanations sacrilèges. Aussi voyons-nous les
assemblées chrétiennes régies en ces temps par la distinction fondamentale des initiés et de ceux qui ne le sont pas, des fidèles,et des catéchumènes : distinction scrupuleusement observée dès
l'âge apostolique, et qui persévéra jusqu'au VIIIe siècle. Quelques semaines avant l'administration solennelle du baptême, avait lieu, comme nous l'avons vu ailleurs, la tradition du Symbole aux futurs membres de l'Eglise ; toutefois le mystère eucharistique, arcane par
excellence, restait caché même alors aux élus inscrits déjà pour le saint baptême. De là les précautions multipliées de langage, les réticences, les obscurités calculées des Pères dans leurs
discours, longtemps encore après Constantin et Théodose. On admettait les catéchumènes à la lecture des Ecritures et au chant des psaumes, qui formaient comme l'introduction au divin Sacrifice ;
mais, après le discours de l'évêque sur l'Evangile ou les autres parties de l'Ecriture qu'on venait d'entendre, ils étaient congédiés parle diacre, et ce renvoi ou missa, de missio, donnait son
nom à cette première partie de la Liturgie, dite Messe des catéchumènes, comme la seconde, qui s'étendait de l'oblation au renvoi final, s'appelait Messe des fidèles pour une raison
semblable.
Mais si
l'Eglise veillait jalousement sur son trésor, au point de n'en livrer la connaissance qu'à ses seuls vrais enfants devenus tels par le baptême, avec quel amour, aux fêtes de Pâques et de la
Pentecôte, elle révélait à ses nouveau-nés sortant des eaux l'ineffable secret de son cœur d'Epouse, le mystère complet de l’ICHTUS ! Incorporés au Christ sous les flots, enrôlés dans l'armée
sainte et marqués du signe de ses soldats par l'onction du pontife, avec quelle tendresse maternelle elle les conduisait, du baptistère et du chrismarium, au lieu sacré des Mystères institués par
l'Epoux ! C'était là, en effet, qu'en personne le Christ chef attendait ses nouveaux membres ; là qu'il devait resserrer en eux ineffablement les liens de son corps mystique, associant avec lui tous les baptisés dans l'hommage infini du Sacrifice unique offert au Père !
Cette
admirable unité du Sacrifice eucharistique, embrassant dans son oblation toujours la même le Chef et les membres, maintenant et fortifiant l'union de chaque communauté chrétienne et de l'Eglise
entière, était merveilleusement exprimée par les formes grandioses de la Liturgie primitive. Après le renvoi des catéchumènes et l'expulsion des indignes, tous les fidèles sans distinction,
depuis l'empereur et sa cour, jusqu'au dernier des citoyens et aux plus humbles femmes, se présentaient offrant leur part du pain et du vin destinés aux Mystères. Eux-mêmes, sacerdoce royal,
hostie vivante figurée par ces dons, ils assistaient debout à l'immolation de la grande Victime dont ils étaient les vrais membres ; et s'unissant tous dans le saint baiser en signe d'union des
cœurs, debout encore, ils recevaient dans leurs mains le Corps sacré pour s'en nourrir, et s'abreuvaient du Sang divin au calice présenté par les diacres. Portés sur les bras de leurs mères, les
plus jeunes enfants aspiraient quelques gouttes du Sang précieux dans leur bouche innocente. Les malades retenus par la souffrance, les prisonniers du fond de leurs cachots, s'unissaient à leurs
frères au divin banquet, recevant les dons sacrés de la main des ministres envoyés vers eux par le pontife. Les anachorètes du désert, les chrétiens des campagnes et tous ceux qui ne pouvaient se
retrouver à la prochaine assemblée, emportaient avec eux le Corps du Seigneur, pour ne pas être frustrés par leur éloignement de la communion aux Mystères du salut. En ces siècles où l'Eglise voyait le plus souvent son unité attaquée à la fois par la persécution, le
schisme et l'hérésie, elle ne croyait pouvoir excéder, en multipliant sous toutes les formes l'usage et les applications du Sacrement auguste, signe de l'unité, centre intime et lien puissant de
la famille chrétienne.
C'est dans
cette même pensée d'unité que, bien qu'il y eût d'ordinaire en chaque ville plusieurs églises ou centres de réunion pour les fidèles, et un clergé plus ou moins nombreux, tous cependant, fidèles
et clercs, se réunissaient pour la collecte ou synaxis, en un seul lieu désigné par l'évêque :
" Où est l'évêque, là soit le peuple, dit saint Ignace d'Antioche en ses Epîtres, de même qu'où
se trouve le Christ Jésus, là est l'Eglise catholique. Ne tenez pour légitime Eucharistie que celle qui est célébrée sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il désigne. Assemblez-vous tous
dans l'unité : unité de prières, unité de désirs, unité de pensées, unité d'espérance, en dilection mutuelle et sainte allégresse. N'espérez pas faire en votre particulier rien qui vaille.
Jésus-Christ est un. Qu'une soit donc votre Eucharistie, comme une est la chair du Seigneur, un le calice qui nous unit dans son sang, un l'autel, un l'évêque entouré du presbyterium et des
diacres." (Ad Smyrn. VIII. — Ad Magnes. VII. — Ad Philadelph. IV.)
Le
presbyterium était le collège des prêtres de chaque cité ; ils entouraient l'évêque, formaient son conseil, et célébraient avec lui les fonctions sacrées. Au nombre de douze, ainsi qu'il semble,
à l'origine, pour représenter le sénat apostolique, ce chiffre fut promptement doublé dans les
grandes villes. Dès la fin du premier siècle, il y avait à Rome vingt-cinq prêtres, préposés aux vingt-cinq Titres ou églises de la ville reine. Le pontife se transportait d'un Titre à l'autre
pour la célébration des Mystères ; siégeant autour de lui, les vingt-quatre prêtres des autres Titres s'unissaient au pontife dans la solennité d'un même Sacrifice et concélébraient au même
autel. A leurs places respectives, les sept diacres et tous les clercs inférieurs coopéraient, selon leur Ordre, aux Mystères trois fois saints. Nous avons vu la part active qu'y prenait le
peuple fidèle.
C'était le
temps où, de son regard inspiré, l'Aigle de Pathmos contemplait au ciel l'Agneau immolé, debout au milieu des vingt-quatre vieillards entourant sur leurs trônes le trône même de Dieu, qui est
aussi celui du Pontife éternel. Vêtus de robes blanches, le front ceint du diadème, ils tenaient en leurs mains des cithares et des coupes d'or pleines de parfums qui sont les prières des saints.
A leur suite et avec eux, les sept esprits qui se tiennent devant le trône de Dieu comme sept lampes ardentes, et les milliers d'anges qui l'entourent, chantaient le Sacrifice de l'Agneau et son
triomphe. Et toute créature, dans le ciel, sur la terre, sous la terre, dans la mer, rendait bénédiction, hommage, gloire, puissance, à Celui qui vit dans les siècles. Vision merveilleuse,
exprimant la plénitude et l'unité du Sacrifice offert une fois, pour durer toujours, par l'auguste chef de la création !
Scène sublime de la patrie, que l'Epouse exilée s'efforçait de reproduire en cette vallée des larmes ! Comme au
ciel l'Agneau divin, Pontife éternel, entraîne à sa suite les bienheureuses hiérarchies dans sa
marche triomphante, ainsi chacune des Eglises de la terre, image de la céleste Jérusalem, accompagnait-elle l'évêque, se groupant autour de lui dans l'harmonie parfaite de ses différents
Ordres.
Soumise
encore aux conditions terrestres, entravée dans les liens de l'espace et du temps, l'Eglise militante ne pouvait, il est vrai, se réunir ici-bas tout entière au même autel ; mais l'unité du
Sacrifice offert dans le monde entier était exprimée, comme l'unité de l'Eglise elle-même, par l'envoi mutuel que se faisaient les évêques catholiques des saintes espèces consacrées par eux, et
le mélange qu'ils accomplissaient réciproquement de ces dons sacrés dans leur propre calice.
Nous apprenons de saint Irénée qu'au second siècle, le Pontife de Rome, l'hiérarque suprême, dirigeait au delà des
limites de l'Occident, jusqu'en Asie, ces signes augustes de l'union avec l'Eglise mère et maîtresse. De même, lorsque la multitude toujours croissante des fidèles amena l'Eglise à permettre aux
prêtres isolés la célébration des Mystères, les prêtres de la ville épiscopale ne procédaient point à cette oblation séparée, sans avoir reçu de l'évêque une part du pain consacré qu'ils
mélangeaient à leur Sacrifice. C'était le fermentum, ou levain sacré de la Communion catholique.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Le Retable de Saint Jean par Memling
Un trône était dressé dans le ciel, et sur le Trône siégeait quelqu'un.
Celui qui siège ainsi a l'aspect du jaspe ou de la cornaline ; et tout autour du Trône, il y a un halo de lumière, avec des reflets d'émeraude. Tout autour de ce Trône, vingt-quatre trônes,
où siègent vingt-quatre Anciens, portant des vêtements blancs et des couronnes d'or. Et du Trône sortent des éclairs, des clameurs, des coups de tonnerre, et sept torches enflammées brûlent
devant le Trône : ce sont les sept esprits de Dieu.
Livre de l'Apocalypse