La seconde faveur qu'a destinée le divin Esprit à l'âme qui lui est fidèle dans l'action, est le don de Sagesse, supérieur encore à celui de l'Intelligence. Il est lié cependant à ce dernier, en ce sens que l'objet montré dans l'Intelligence est goûté, et possédé dans le don de Sagesse. Le Psalmiste, invitant l'homme à s'approcher de Dieu, lui recommande la saveur du souverain bien. "Goûtez, dit-il, et expérimentez que le Seigneur est rempli de douceur". La sainte Eglise, au jour même de la Pentecôte, demande à Dieu pour nous la faveur de goûter le bien, recta sapere, parce que l'union de l'âme avec Dieu est plutôt l'expérimentation par le goût qu'une vue qui serait incompatible avec notre état présent. La lumière donnée par le don d'Intelligence n'est pas immédiate, elle réjouit vivement l'âme, et dirige son sens vers la vérité ; mais elle tend à se compléter par le don de Sagesse qui est comme sa fin.
L'Intelligence est donc illumination, et la Sagesse est union. Or, l'union avec le souverain bien s'accomplit par la volonté, c'est-à-dire par l'amour qui réside dans la volonté. Nous remarquons cette progression dans les hiérarchies angéliques. Le Chérubin étincelle d'intelligence, mais au-dessus de lui encore est le Séraphin embrasé. L'amour est ardent chez le Chérubin, de même que l'intelligence éclaire de sa vive lumière le Séraphin ; mais l'un est différencié de l'autre par la qualité prédominante, et le plus élevé est celui qui atteint le plus intimement la divinité par l'amour, celui qui goûte le souverain bien.
Le septième don est décoré du beau nom de Sagesse, et ce nom lui vient de l'éternelle Sagesse à laquelle il tend à s'assimiler par l'ardeur de l'affection. Cette Sagesse incréée, qui daigne se laisser goûter par l'homme dans cette vallée de larmes, est le Verbe divin, celui-là même que l'Apôtre appelle a la splendeur de la gloire du "Père et la forme de sa substance". C'est lui qui nous a envoyé l'Esprit pour nous sanctifier et nous ramener à lui, en sorte que l'opération la plus élevée de ce divin Esprit est de procurer notre union avec celui qui, étant Dieu, s'est fait chair et s'est rendu pour nous obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Par les mystères accomplis dans son humanité, Jésus nous a fait pénétrer jusqu'à sa divinité ; par la foi éclairée de l'Intelligence surnaturelle, "nous voyons sa gloire qui est celle du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité" ; et de même qu'il s'est fait participant de notre humble nature humaine, il se donne dès ce monde à goûter, lui Sagesse incréée, à cette Sagesse créée que l'Esprit-Saint forme en nous comme le plus sublime de ses dons.
Heureux donc celui en qui règne cette précieuse Sagesse qui révèle à l'âme la saveur de Dieu et de ce qui est de Dieu ! "L'homme animal, nous dit l'Apôtre, est privé de ce goût qui perçoit ce qui vient de l'Esprit de Dieu", pour jouir de ce don, il lui faudrait devenir spirituel, se prêter docilement au désir de l'Esprit, et il arriverait comme d'autres qui après avoir été ainsi que lui esclaves de la vie charnelle, en ont été affranchis par la docilité à l'égard de l'Esprit divin qui les a cherchés et qui les a retrouvés. L'homme moins grossier, mais livré à l'esprit du monde, est également impuissant à comprendre ce qui fait l'objet du don de Sagesse et ce que révèle le don d'Intelligence. Il juge ceux qui ont reçu ces dons, et il les blâme ; heureux s'il ne les traverse pas, s'il ne les poursuit pas ! Jésus nous le dit expressément : "Le monde ne peut recevoir l'Esprit de Vérité, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas". Que ceux-là donc qui ont le bonheur de désirer le bien suprême, sachent qu'il leur faut être entièrement dégagés de l'esprit profane qui est l'ennemi personnel de l'Esprit de Dieu. Affranchis de sa chaîne, ils pourront s'élever jusqu'à la Sagesse.
Le propre de ce don est de procurer une grande vigueur à l'âme et de fortifier ses puissances. Toute la vie en est comme assainie, ainsi qu'il arrive à ceux qui font usage d'aliments qui leur conviennent. Il n'y a plus de contradiction entre Dieu et l'âme, et c'est pour cette raison que l'union est rendue facile. "Où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté", dit l'Apôtre. Tout devient aisé pour l'âme, sous l'action de l'Esprit de Sagesse. Les choses dures à la nature, loin d'étonner, semblent douces, et le cœur ne s'effraye plus autant de la souffrance. Non seulement on peut dire que Dieu n'est pas loin d'une âme que l'Esprit-Saint a mise dans cette disposition ; il est visible qu'elle lui est unie. Qu'elle veille cependant sur l'humilité ; car l'orgueil peut encore monter jusqu'à elle, et sa chute serait d'autant plus profonde que son élévation est plus grande.
Insistons auprès du divin Esprit, et prions-le de ne pas nous refuser cette précieuse Sagesse qui nous conduira à Jésus, la Sagesse infinie. Un sage de l'ancienne loi aspirait déjà à cette faveur, quand il écrivait ces paroles dont le chrétien seul a l'intelligence parfaite : "J'ai désiré, disait-il, et l'Intelligence m'a été donnée ; j'ai prié, et l'Esprit de Sagesse est venu en moi".
Il faut donc demander ce don avec instance. Dans la nouvelle Alliance, l'Apôtre saint Jacques nous y invite par ses exhortations les plus pressantes. "Si quelqu'un de vous, dit-il, veut avoir la Sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à tous avec tant de largesse et qui ne reproche pas ses dons ; qu'il demande avec foi, et qu'il n'hésite pas". Nous osons prendre pour nous cette invitation de l'Apôtre, ô divin Esprit, et nous vous disons : Ô vous qui procédez de la Puissance et de la Sagesse, donnez-nous la Sagesse. Celui qui est la Sagesse vous a envoyé vers nous pour nous réunir à lui. Enlevez-nous à nous-mêmes, et unissez-nous à celui qui s'est uni à notre faible nature. Moyen sacré de l'unité, soyez le lien qui nous unira pour jamais à Jésus, et celui qui est la Puissance et le Père nous adoptera "pour ses héritiers et pour les cohéritiers de son Fils".
La série successive des Mystères est complète désormais, et le Cycle mobile de la sainte Liturgie est arrivé à son terme. Nous traversâmes d'abord, au Temps de l'Avent, les quatre semaines qui représentaient les quatre millénaires employés par le genre humain à implorer du Père l'envoi de son Fils. Enfin l'Emmanuel descendit ; nous nous associâmes tour à tour aux joies de sa naissance, aux douleurs de sa Passion, à la gloire de sa Résurrection, au triomphe de son Ascension. Enfin, nous avons vu descendre sur nous l'Esprit divin, et nous savons qu'il reste avec nous jusqu'à la fin.
La sainte Eglise nous a assistés dans tout le cours de cet immense drame qui contient notre salut. Ses divins cantiques et ses augustes cérémonies nous ont chaque jour éclairés, et ainsi nous avons pu tout suivre et tout comprendre. Bénie soit cette Mère par les soins de laquelle nous avons été initiés à tant de merveilles qui ont ouvert nos esprits et réchauffé nos coeurs ! Bénie soit la Liturgie sacrée, source de tant de consolations et d'encouragements !
Maintenant il nous reste à achever le parcours du Cycle dans sa partie immobile. De sublimes épisodes nous y attendent. Préparons-nous donc à reprendre notre marche, comptant sur l'Esprit-Saint qui dirigera nos pas, et continuera de nous ouvrir, par la sainte Liturgie dont il est l'inspirateur, les trésors de la doctrine et de l'exemple.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique