Le samedi de la Pentecôte

Veni Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.
Venez , ô Esprit-Saint,  remplissez les cœurs de  vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre amour.

 

 Nous avons admiré avec une tendre reconnaissance le dévouement ineffable, la constance toute divine, avec lesquels l'Esprit-Saint accomplit sa mission dans les âmes ; il nous reste encore quelques traits à ajouter, pour compléter, bien imparfaitement sans doute, l'idée des merveilles de puissance et d'amour qu'opère cet hôte divin dans l'homme qui ne ferme pas son cœur à ses influences. Mais avant d'aller plus loin nous éprouvons le besoin de rassurer ceux qui, au récit des prodiges de bonté que fait en notre faveur le divin Esprit, et du mystère sublime de sa présence continue au milieu de nous, en viendraient à craindre que celui qui est descendu pour nous consoler de l'absence de notre Rédempteur ne prenne place dans nos affections aux dépens de celui qui "étant de la substance divine, et pouvant sans usurpation se donner pour l'égal de Dieu, s'est anéanti lui-même, prenant la forme de l'esclave et se rendant semblable aux hommes".

 

 La faiblesse de l'instruction chrétienne chez un grand nombre de fidèles en notre temps est cause que le dogme du Saint-Esprit n'est guère connu d'eux que d'une manière vague, et qu'ils ignorent pour ainsi dire son action spéciale dans l'Eglise et dans les âmes. Ces mêmes fidèles connaissent et honorent avec la plus louable dévotion les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption du Fils de Dieu notre Seigneur ; mais on dirait qu'ils attendent l'éternité pour savoir en quoi ils sont redevables au Saint-Esprit.

 

Nous leur dirons donc ici que la mission de ce divin Esprit est si loin de faire oublier ce que nous devons à notre Sauveur, que sa présence au milieu de nous et en nous est le don suprême de la tendresse de celui qui a daigné nous racheter sur la croix. Le souvenir si touchant et si efficace que nous entretenons de ses mystères, par qui est-il produit et conservé dans nos cœurs, si ce n'est par l'Esprit-Saint ? Et le but de toutes ses sollicitudes dans nos âmes, quel est-il, sinon de former en nous le Christ, l'homme nouveau, afin que nous puissions lui être incorporés éternellement en qualité de ses membres ? L'amour que nous portons à Jésus est donc inséparable de celui que nous devons à l'Esprit-Saint, de même que le culte fervent de ce divin Esprit nous unit étroitement au Fils de Dieu dont il procède et qui nous l'a donné. Nous sommes remués et attendris à la pensée des douleurs de Jésus, et il en doit être ainsi ; mais il serait indigne de rester insensibles aux résistances, aux mépris et aux trahisons auxquels l'Esprit-Saint demeure exposé dans les âmes et qu'il y recueille sans cesse. Nous sommes les enfants du Père céleste : mais puissions-nous comprendre dès ce monde que nous en sommes redevables au dévouement des deux divines personnes qui nous auront servi aux dépens de leur gloire !

 

 Après cette digression qui nous a semblé utile, nous continuons à décrire respectueusement les opérations de l'Esprit-Saint dans l'âme de l'homme. Ainsi que nous venons de le dire, le but de ses efforts est de former en nous Jésus-Christ par l'imitation de ses sentiments et de ses actes. Qui mieux que ce divin Esprit connaît les dispositions de Jésus dont il a produit l'humanité bienheureuse au sein de Marie, de Jésus qu'il a rempli et habité dans une plénitude au-dessus de tout, qu'il a assisté et dirigé en tout par une grâce proportionnée a la dignité de cette nature humaine personnellement unie à la divinité ? Son vœu est d'en reproduire la fidèle copie, autant que la faiblesse et l'exiguïté de notre humble personnalité, lésée déjà par la chute originelle, le lui pourra permettre.

 

 Néanmoins le divin Esprit obtient dans cette œuvre digne d'un Dieu de nobles et glorieux résultats. Nous l'avons vu disputant au péché et à Satan l'héritage racheté du Fils de Dieu ; considérons-le opérant avec succès dans la "consommation des saints", selon la magnifique expression de l'Apôtre. Il les prend dans l'état de déchéance générale, il leur applique d'abord les moyens ordinaires de sanctification ; mais résolu à les pousser jusqu'à la limite possible pour eux du bien et de la vertu, il développe son œuvre avec un courage divin. La nature est devant lui : nature tombée, et infectée d'un virus qui donnerait la mort ; mais nature qui garde encore quelque ressemblance avec son créateur, dont elle a retenu divers traits dans sa ruine. L'Esprit a donc à détruire la nature souillée et malsaine, en même temps qu'à relever, en la purifiant, celle qui n'a pas été atteinte mortellement par le poison. Il faut, dans cette œuvre si délicate et si laborieuse, qu'il emploie le fer et le feu, comme un habile médecin, et, chose admirable ! qu'il emprunte le secours du malade lui-même pour appliquer le remède qui seul peut le guérir. De même qu'il ne sauve pas le pécheur sans lui, il ne sanctifie pas le saint, sans être aidé de sa coopération. Mais il anime et soutient son courage par les mille soins de sa grâce, et insensiblement la mauvaise nature perdant toujours du terrain dans cette âme, ce qui était demeuré intact va se transformant dans le Christ, et la grâce arrive à régner dans l'homme tout entier.

 

Les vertus ne sont plus inertes ou faiblement développées dans ce chrétien : chaque jour leur voit prendre un nouvel essor. L'Esprit ne souffre pas qu'une seule reste en arrière ; sans cesse il montre à son disciple le type qui est Jésus, en qui les vertus sont dans leur plénitude comme dans leur perfection. Parfois il fait sentir à l'âme son impuissance, afin qu'elle s'humilie ; il la laisse exposée aux répugnances et aux tentations ; mais c'est alors qu'il l'assiste avec plus de sollicitude. Il faut qu'elle agisse, comme il faut qu'elle souffre ; mais l'Esprit l'aime avec tendresse, et ménage ses forces tout en l'exerçant. C'est un grand œuvre d'amener un être borné et déchu à reproduire ce qu'il y a de plus saint. Dans ce labeur, plus d'une fois le courage défaille, et un faux pas est toujours possible ; mais, péché ou imperfection, rien ne résiste ; l'amour que le divin Esprit entretient avec un soin particulier dans ce cœur a bientôt consumé ces scories, et la flamme monte toujours. La vie humaine s'est évanouie ; c'est le Christ qui vit en cet homme nouveau, de même que cet homme vit dans le Christ.

 

 La prière est devenue son élément ; car c'est en elle qu'il sent le lien qui l'unit à Jésus, et que ce lien se resserre de plus en plus. L'Esprit ouvre à l'âme des voies nouvelles pour lui faire trouver son souverain bien dans la prière. Il en a disposé les degrés comme une échelle divine qui monte de la terre et dont le sommet se perd dans les cieux. Qui pourrait raconter les faveurs de la divinité envers celui qui s'étant dégagé de l'estime et de l'amour de lui-même, n'aspire plus, dans l'unité et la simplicité de sa vie, qu'à voir et à goûter Dieu, qu'à se perdre en lui éternellement ? La divine Trinité tout entière s'intéresse au chef-d'œuvre de l'Esprit-Saint. Le Père céleste fait sentir à cette âme les étreintes de sa tendresse paternelle, le Fils de Dieu ne contient plus les élans de l'amour qu'il a pour elle, et l'Esprit l'inonde toujours davantage de ses lumières et de ses consolations.

 

 La cour céleste qui demeure attentive à tout ce qui intéresse l'homme, au point qu'elle tressaille de bonheur à la vue d'un seul pécheur qui fait pénitence, a vu ce beau spectacle, elle le suit avec un indicible amour, et rend honneur à l'Esprit divin qui sait opérer de tels prodiges au sein d'une nature disgraciée. Quelquefois Marie, dans sa joie maternelle, rend sa présence sensible à ce fils nouveau qui lui est né ; les Anges se montrent aux regards de ce frère déjà digne de leur société, et les saints de la race humaine entretiennent une aimable familiarité avec celui dont ils attendent d'ici à peu de temps l'arrivée au séjour de la gloire. Quoi d'étonnant que ce nourrisson de l'Esprit divin n'ait souvent qu'à étendre la main pour suspendre les lois de la nature, et consoler ses frères d'ici-bas dans leurs souffrances ou leurs besoins ? Ne les aime-t-il pas d'un amour puisé à la source infinie de l'amour, d'un amour que n'enchaînent plus l'égoïsme et les tristes retours sur soi-même auxquels est sujet celui en qui Dieu ne règne pas ?

 

 Mais ne perdons pas de vue le point culminant de cette vie merveilleuse, moins rare que ne le pensent les hommes profanes ou distraits. C'est ici qu'apparaît la puissance des mérites de Jésus et son amour pour sa créature, en même temps que la divine énergie de l'Esprit-Saint. Cette âme est appelée à des noces sublimes, et ces noces ne seront pas réservées pour l'éternité. C'est dans le temps, sous l'horizon étroit de ce monde passager, qu'elles doivent s'accomplir. Jésus aspire à l'Epouse qu'il a rachetée de son sang, et l'Epouse n'est plus seulement son Eglise bien-aimée. C'est aussi cette âme qui était encore dans le néant il y a peu d'années, cette âme que les hommes ignorent, mais dont "il a convoité la beauté". Il est l'auteur de cette beauté qui est en même temps l'œuvre de l'Esprit ; il n'aura pas de repos qu'il ne se la soit unie. Alors s'accomplit par le divin Esprit en faveur d'une âme individuelle ce que nous l'avons vu opérer pour l'Eglise elle-même. Il la prépare, il l'établit dans l'unité, il la consolide dans la vérité, il la consomme dans la sainteté ; alors l'Esprit et l'Epouse disent : 'Venez'.

 

 Il faudrait un livre entier pour décrire l'action du divin Esprit dans les saints, et nous n'avons pu en tracer qu'une insuffisante et grossière ébauche. Toutefois cet essai si incomplet, outre qu'il était nécessaire pour achever de décrire, si en abrégé que ce soit, le caractère complet de la mission du Saint-Esprit sur la terre d'après l'enseignement des divines Ecritures et la doctrine de la théologie dogmatique et mystique, pourra servir à diriger le lecteur dans l'étude et dans l'intelligence de la vie des Saints. Dans le cours de cette Année liturgique, où les noms et les œuvres des amis de Dieu sont si souvent rappelés et célébrés par l'Eglise elle-même, il importait de proclamer la gloire de l'Esprit sanctificateur.

 

 Mais nous ne saurions laisser s'achever cette journée sans offrir à la Reine de tous les Saints l'hommage qui lui est dû, et sans rendre gloire au divin Esprit pour toutes les grandes choses qu'il a opérées en elle. Après l'humanité de notre Rédempteur ornée par lui de tous les dons qui pouvaient la rapprocher, autant qu'il était possible à une créature, de la nature divine à laquelle la divine incarnation l'avait unie, l'âme, la personne entière de Marie ont été favorisées dans l'ordre de la grâce au-dessus de toutes les autres créatures ensemble. Il n'en pouvait être autrement, et on le concevra pour peu que l'on essaye de sonder par la pensée l'abîme de grandeurs et de sainteté que représente la Mère d'un Dieu.

 

Marie forme â elle seule un monde à part dans l'ordre de la grâce; â elle seule, un moment, elle a été l'Eglise de Jésus. Pour elle seule d'abord l'Esprit a été envoyé, et il l'a remplie de la grâce dès l'instant même de sa conception immaculée. Cette grâce s'est développée en elle par l'action continue de l'Esprit jusqu'à la rendre digne, autant qu'une créature pouvait l'être, de concevoir et d'enfanter le propre Fils de Dieu qui est devenu aussi le sien. En ces jours de la Pentecôte, nous avons vu le divin Esprit l'enrichir encore de nouveaux dons, la préparer pour une mission nouvelle ; à la vue de tant de merveilles, notre cœur filial ne peut retenir l'élan de son admiration, ni celui de sa reconnaissance envers l'auguste Paraclet qui a daigné agir avec tant de munificence à l'égard de la Mère des hommes.

 

Mais aussi nous ne pouvons nous empêcher de célébrer, dans un enthousiasme légitime, la complète fidélité de la bien-aimée de l'Esprit à toutes les grâces qu'il a répandues en elle. Pas une n'a été perdue, pas une n'est retournée à lui sans effet, comme il arrive quelquefois pour les âmes les plus saintes. A son début, elle a été "semblable à l'aurore qui se lève", et l'astre de sa sainteté n'a cessé de monter vers ce midi qui pour elle ne devait pas avoir de couchant. L'Archange n'était pas encore venu vers elle pour lui annoncer qu'elle allait concevoir dans son chaste sein le Fils du Tout-Puissant, et déjà, comme nous l'enseignent les Pères, elle avait conçu dans son âme ce Verbe éternel. Il la possédait comme son épouse, avant de l'appeler à l'honneur d'être sa mère. Si Jésus a pu dire en parlant d'une âme qui avait eu besoin de la régénération : "Celui qui me cherche me trouvera dans le cœur de Gertrude", quelle a dû être l'identification des sentiments de Marie avec ceux du Fils de Dieu, et combien est étroite son union avec lui ! De cruelles épreuves l'attendaient en ce monde : elle a été plus forte que la tribulation ; et lorsque le moment est arrivé où elle devait se sacrifier dans un même holocauste avec son fils, elle s'est trouvée prête. Après l'Ascension de Jésus, le Consolateur est descendu sur elle ; il a ouvert devant elle une nouvelle carrière ; pour la parcourir il fallait que Marie acceptât un long exil de la patrie où régnait déjà le fruit de ses entrailles : elle n'a pas hésité, elle s'est montrée la servante du Seigneur, ne désirant autre chose qu'accomplir en tout sa volonté.

 

 Le triomphe de l'Esprit-Saint en Marie a donc été complet ; si magnifiques qu'aient été ses avances, elle a répondu à toutes. La qualité sublime de Mère de Dieu à laquelle elle était destinée appelait sur elle des grâces immenses ; elle les a reçues et elles ont fructifié en elle. Dans l'œuvre de la "consommation des saints et de la construction du corps de Jésus-Christ", le divin Esprit a ménagé à Marie, en retour de sa fidélité et à cause de sa dignité incomparable, la noble place qui lui convenait. Nous savons que son divin Fils est la tête du corps immense des élus, qui se réunissent au-dessous de lui avec une harmonie parfaite. Dans cet ensemble prédestiné, notre auguste Reine, selon la théologie mariale, représente le cou qui est étroitement lié à la tête, et par lequel la tête communique à tout le reste du corps le mouvement et la vie. Elle n'est pas agent principal, mais c'est par elle que cet agent influe sur chacun des membres. Son union, comme il était juste, est immédiate avec la tête, parce que nulle créature, si ce n'est elle, n'a eu et ne pourrait avoir une telle relation avec le Verbe incarné ; mais tout ce qui descend sur nous de grâces et de faveurs, tout ce qui nous illumine et nous vivifie, nous vient par elle de son Fils.

 

 De là résulte l'action générale de Marie sur l'Eglise, et son action particulière sur chaque fidèle. Elle nous unit tous à son Fils qui nous unit tous à la divinité. Le Père nous a donné son Fils, le Fils s'est choisi une Mère parmi nous, et l'Esprit-Saint, en rendant féconde cette Mère virginale, a consommé la réunion de l'homme et de toute création avec Dieu. Cette réunion est le dernier terme que Dieu s'est proposé dans la création des êtres ; et maintenant que le Fils est glorifié et que l'Esprit est venu, nous connaissons toute la pensée divine.

 

Plus favorisés que toutes les générations qui se sont succédées avant le jour de la Pentecôte, nous avons, non plus en promesse mais en réalité, un Frère que couronne le diadème de la divinité, un Consolateur qui demeure avec nous jusqu'à la fin des temps pour éclairer notre voie et nous y soutenir, une Mère dont l'intercession est toute-puissante, une Eglise , Mère aussi, par laquelle nous entrons en partage de tous ces biens.

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

   

Pentecôte par Duccio di Buoninsegna

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