Mais arrêtons-nous ici, pour résumer les principes que la secte antiliturgique a appliqués dans les diverses entreprises racontées dans ce chapitre.
1° Haine de la tradition, manifestée dans la suppression du plus grand nombre des messes de saint Grégoire, au Missel de Troyes ; dans le mépris affecté pour la doctrine des Pères sur les sens mystiques des cérémonies, par dom Claude de Vert.
2° Substitution de passages de l'Ecriture, choisis dans la lumière individuelle et dans un but hérétique, aux formules de style ecclésiastique ; le Missel de Troyes présente d'innombrables applications de ce système.
3° Fabriquer et introduire des formules nouvelles, pleines de venin ; c'est un des reproches adressés par Languet au même missel.
4° Tomber en contradiction avec ses propres principes ; en effet, le Missel de Troyes, comme les Missels et Bréviaires de François de Harlay et de Cluny, ne parle que de rétablir la véritable antiquité, et regorge de nouveautés.
5° Retrancher dans le culte toutes les cérémonies, toutes les formules qui expriment des mystères. Dom de Vert consent, il est vrai, qu'on nous laisse nos cérémonies ; mais c'est après les avoir vidées complètement de l'élément mystique dont elles n'étaient que la forme. D'autre part, l'église de Troyes, réformée à l'instar de la paroisse d'Asnières, n'a bientôt plus qu'une table pour autel.
6° Extinction totale de cet esprit de prière qu'on appelle onction dans le catholicisme ; lisez plutôt l'ouvrage de dom Claude de Vert, et voyez ce qu'il vous restera d'esprit de foi et de prière dans le cœur, quand vous assisterez aux cérémonies de la messe ou des sacrements, interprétées à l’aide de son commentaire. Quant à l'onction des prières du Missel de Troyes (nous pourrions ajouter des autres missels et bréviaires qui doivent leur origine aux mêmes hommes et aux mêmes causes), on ne l'a point encore vantée, que nous sachions.
7° Diminuer les marques de la dévotion à la sainte Vierge. Nous avons vu que telle est l'intention expresse du Missel de Troyes, qui sanctionne les réductions faites au culte de la Mère de Dieu dans les livres liturgiques de François de Harlay et de Cluny.
8° Revendiquer l'usage de la langue vulgaire dans le service divin. Quesnel le réclame expressément. Les Missels de Meaux et de Troyes y préludent par leurs rubriques sur la récitation du Canon à voix intelligible. En Hollande, terre de liberté pour nos néo-calvinistes, ils développent toute leur pensée sur cet article. L'église d'Asnières présente aussi son essai.
9° Atteintes portées à l'autorité du Siège apostolique. Au Missel de Troyes, suppression des oraisons pour le pape; mutilation de la Messe de saint Pierre.
10° Autorité du prince temporel dans les choses de la Liturgie, reconnue par le clergé. Languet étant impuissant à réduire son suffragant à une doctrine liturgique plus saine, le Roi intervient et contraint l'évêque de Troyes à rétracter une partie des témérités de son missel, les autres étant jugées, par le Roi, ne pas devoir offrir matière à désaveu.
Tels sont les principaux traits que nous avons à résumer des faits liturgiques qui font la matière du présent chapitre. Sur les douze caractères assignés à l'hérésie antiliturgiste, dix s'y rencontrent expressément : il nous eut été facile de justifier des deux autres, en étendant notre récit.
On ne doit pas s'étonner de ce résultat, quand on se rappelle que la réforme liturgique coïncide précisément avec l'accroissement le plus menaçant du jansénisme, qui, résumé dans le livre des Réflexions morales, ne garde plus de mesure et pénètre avec autorité là même où, au XVIIe siècle, il s'infiltrait sourdement ;
Que cette hérésie, la plus souple, comme la plus ignoble de toutes, a eu la propriété de se plier à toutes les exigences des lieux, sachant à la fois lever le masque à Utrecht, et se rendre présente à Meaux et ailleurs, sous les paroles d'une antienne, d'une collecte ou d'un répons ;
Que les auteurs de la réforme liturgique continuèrent d'être pris dans les rangs des hérétiques disciples de l'évêque d'Ypres et de leurs fauteurs, en sorte que la liste sur laquelle nous avons inscrit déjà Sainte-Beuve, Le Tourneux, D. de Vert, Santeul, etc., s'accroît à la fin de ce chapitre de ceux de Ledieu, Ellies Dupin, Baudouin, Bossuet, évêque de Troyes, Petitpied et Jubé.
Pour délasser les lecteurs de la fatigue que ne peut manquer de leur causer ce dégoûtant spectacle, et aussi pour faire voir le triomphe de la lumière sur les ténèbres, de la vérité sur l'erreur, nous ne connaissons rien de plus efficace que la doctrine liturgique de l'archevêque Languet : doctrine pure et orthodoxe dont nous nous déclarons les disciples et les plus humbles champions, remerciant Dieu qui, non seulement voulut que cette grande lumière brillât dans l'Église de France, à cette ère de confusion, mais a daigné permettre que de si beaux enseignements soient parvenus jusqu'à nous, pour nous confirmer dans la lutte que nous avons entrepris de soutenir contre les nouveautés qui ont altéré, en France, la pureté du culte divin.
DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XVIII : DE LA LITURGIE DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIECLE. AUDACE DE L’HÉRÉSIE JANSENISTE. SON CARACTERE ANTI-LITURGISTE PRONONCÉ DE PLUS EN PLUS. — QUESNEL. — SILENCE DU CANON DE LA MESSE ATTAQUÉ. — MISSEL DE MEAUX. — MISSEL DE TROYES. — LANGUET, SA DOCTRINE ORTHODOXE. — DOM CLAUDE DE VERT, NATURALISME DANS LES CÉRÉMONIES. — LANGUET. — LITURGIE EN LANGUE VULGAIRE. — JUBÉ, CURÉ d'ASNIÈRES.
Vanitas, par par Simon Renard de Saint-André, Private Collection