Avec une dose variable de naïveté et de cynisme, la gauche «sociétale» conspire
ni plus ni moins au tarissement des sources de la civilisation occidentale, depuis
Œdipe et Moïse jusqu'à Yseult et Werther. Plus d'intériorité, plus d'éternel
féminin : obscénité de la transparence et grisaille de l'androgynat. Plus de
«discrimination» entre un idéal et une pulsion, c'est «facho» (toujours ce
patois). Interdiction de se prévaloir d'une ascendance, d'un héritage, d'une
affinité élective, c'est de l'«élitisme bourgeois». Apologie du cosmopolitisme,
sacralisation de l'éphémère, récusation de la norme, survalorisation de la marge,
culte de la dérision: tout se vaut, tout s'équivaut, Mozart et le rap, Vermeer et le
tag, Proust et le graffiti. Le «socio-cul» ne discrimine pas, il ratiboise. Il fait du
«care», du «festif», du «culturel» sympa ; il «anime» le «citoyen» depuis la
garderie d'enfants jusqu'à la maison de retraite. Il ne sociabilise ni ne civilise: il
socialise, nuance.
(...)
Quoiqu'il en fût, quoi qu'il en soit, la gauche exerce encore dans l'opinion un
reste de magistère moral. À telle enseigne qu'à de rares exceptions près, les
politiciens de droite lui mendient leur brevet de respectabilité («républicaine»
comme il se doit) avec une servilité tantôt pathétique, tantôt ridicule. Ils
épousent ses présupposés de crainte d'être ringardisés par les bulletins
paroissiaux du cléricalisme ambiant. Audiovisuel inclus. Humoristes inclus. Ils
s'insinuent dans l'air du temps en ployant l'échine. Comme si l'air du temps était
en soi convenable. En Allemagne, durant les années trente, il incitait à la traque
aux Juifs. Devait-on s'y soumettre ? En France, durant les années cinquante, il
exigeait des esprits la soumission aux diktats du stalinisme. La résistance d'Aron
était-elle insane ? En Mai 68, il prônait le culte de Mao et de Castro. Était-ce
honorable de hurler avec les loups camés au kif et badigeonnés de rouge et de
noir ? À Londres au début de l'été 40, de Gaulle s'est dressé sans vergogne
contre l'air du temps, comme Jeanne d'Arc sous Orléans au début du printemps
1429. Étaient-ils des «fachos» ? Des passéistes ? Des ringards ? Expurgera-t-on
les manuels d'histoire pour escamoter leur légende ? Elle est héroïque,
empanachée et «élitiste», ça ne colle pas avec ce qu'on lit dans la presse, ce
qu'on écoute à la radio, ce qu'on voit sur les écrans.
L'air du temps n'a aucune valeur. Il se borne à avaliser le défilé des modes -ces
putes capricieuses, vulgaires, infantiles et vénales dont les sondages sont les
souteneurs attitrés. L'air du temps méprise la France du refus. Les gens de l'UMP
et ses adjuvants centristes auraient tort de pactiser avec ce mépris. S'ils
prenaient acte de la pertinence de la révolte et s'ils osaient la relayer, une
«droite» digne d'intérêt émergerait peut-être du néant intellectuel et ils auraient
vocation à en incarner les exigences. Le débat démocratique y gagnerait
sûrement en authenticité, ses acteurs des deux camps en crédibilité.
S'ils s'obstinent à démagogiser au ras des pâquerettes, par lâcheté,
aveuglement ou calcul, ils seront balayés. Cocu et content : l'espèce tend à se
raréfier ; il y a mieux à faire les dimanches de scrutin que d'aller voter pour des
fantoches qui se coucheront à la première admonestation de l'autre bord.
Orphelines et meurtries, les consciences rebelles chercheront d'autres biais que
les urnes pour exprimer leurs attachements et leurs répulsions. Elles auront bien
raison, l'avenir se jouera sur le front des idées, pas dans le vase clos des
combines politiciennes. Les vraies idées, celles qui au-delà des avatars de
l'économie décryptent le système en profondeur, pour trouver une issue au
marasme dans lequel s'enlise notre vieux pays.
extraits de l'article de Denis Tillinac : Qui sème le mépris récolte la violence
Le Figaro du samedi 16 février 2013 : texte intégral
(pdf)
Denis Tillinac (photo du Parisien)