Un des derniers jours que j'ai passés à Jérusalem, je me promenais, comme j'en avais l'habitude, sur la terrasse du couvent de Saint-Sauveur.
C'était le soir.
Mes regards se reposaient sur les montagnes nues et rougeâtres qui environnent la mer Morte, et sur les vapeurs lourdes et livides que l'approche de la nuit dégage lentement de son sein.
Un religieux que je n'avais pas encore vu dans la communauté, s'approcha de moi, et me tirant par mon habit :
– Monsieur, me dit-il en espagnol, pardonnez si j'interromps vos réflexions ; je vous cherche depuis longtemps, et je n'ai réussi que ce soir à vous rencontrer. Je voulais vous demander si vous ne saviez quelques nouvelles d'un de vos compatriotes nommé Chateaubriand.
– Mais oui, mon père, répondis-je en souriant, ce nom est assez connu.
– Celui qui le porte, continua-t-il, est mon ami.
– Et comment vous nommez-vous mon père ? dis-je à mon tour.
– Ah! monsieur, je suis le plus méprisable des religieux, et mon nom ne vaut pas qu'on le prononce. Mais M. de Chateaubriand, que fait-il ? est-il honoré et puissant ?
Il vit loin de la cour, mon père.
– Oh ! je l'en félicite ; c'est par un chemin d'épines qu'on arrive au royaume d'en haut. Mais, Monsieur, si vous ne dédaignez pas la cellule d'un pauvre solitaire, faites-vous conduire demain à celle du père Munoz qui aura grand plaisir à vous recevoir.
– Quoi ? c'est vous, repris-je avec joie, au cœur "limpido e bianco" !
– Oui c'est moi, dit-il, et je n'ai pas changé. Mais l'heure de la prière approche ; à demain.
Vicomte de Marcellus, Souvenirs de l'Orient, 1839
Franciscains de Jérusalem (photo prise entre 1898 et 1914)
" Le logement, le lit, le linge, la lumière, le feu, sont toujours pour rien et à titre d’hospitalité. "
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem